Le morse qui voulait être célèbre (un conte)


Ecrire devient simple quand on n’a rien à dire. Vous partez d’un mot, « le morse ». C’est un animal mais aussi un code télégraphique. On va donc faire du morse un grand communiquant. On se renseigne sur les mœurs du morse. Animal grégaire et grognon, avachi, conique, adapté au grand froid septentrional (vingt centimètres de lard), amateur de bivalves et de petits animaux marins, moustachu, pourvu de deux canines hypertrophiées pour briser la glace… Le personnage est sympathique. Il faut le rendre crédible, lui trouver un talent, en faire une star, doublée d’un inventeur.

On récupère en passant le vocabulaire qui sera utile.

Au cours de nos recherches associatives, nous dégottons par hasard quelques infos qu’on pourra recycler. Par exemple : regard de bovin, aurochs, extinction en Pologne en 1627, décès de 1627, Luis de Góngora, poète au style foisonnant, son œuvre majeure « Solitudes ».

Et on n’hésite pas à caricaturer les stéréotypes du conte, le merveilleux à deux bals, le show-biz, etc.

On raconte l’histoire en gardant en permanence à l’esprit l’univers du morse.

Et l’on s’amuse comme le fou qu’on aimerait devenir.

Voici ce que ça peut donner moins de trois mille mots plus tard.


Je vous raconte tout


Le morse qui voulait être célèbre

Il était une fois un morse qui voulait être célèbre.

Initialement, sa spécialité consistait à faire mourir de rire les petits poissons. Quand les poissons rient aux larmes, celles-ci leur sortent par les yeux sans qu’ils s’en aperçoivent. S’en apercevraient-ils qu’ils ne pourraient les contenir, car les poissons sont dépourvus de paupières. Très vite l’animal se déshydrate et péri noyé dans son sang qui implose. C’est un peu compliqué, mais pas tant que ça, quand on y réfléchit. Le morse n’a plus alors qu’à ramasser les petits poissons pour les manger.

Sur les conseils de ses proches – et dieux sait qu’il en avait – le morse cultiva l’idée d’adapter son spectacle à un plus large public.

Le morse est un grand communiquant, comme l’atteste l’expression « Briser la glace », activité majeure chez ce pinnipède – pour ne pas dire essentielle. Pour peu que ce grand conique ait un peu d’humour, son succès est garanti. D’autre part, comme son compère le crabe, sa morphologie fait de lui un pince-sans-rire : Monseigneur n’a pas l’effusion facile. Pas question de chatouiller ses vingt centimètres de lard pour déclencher une ébauche de réjouissance chez ce gros bourrelet qui vit vautré sur la banquise. Peut-être à la rigueur lui proposer de jouer à la barbichette – il serait intéressant d’avoir à ce sujet l’avis des poissons-clowns. Toujours est-il qu’avec ses deux cierges aux commissures, le morse n’a pas le sourire commode (et dieu sait que les commodes ne sont guère souriantes). Quand bien même parviendrait-il à distendre sa lèvre au-delà de ses deux bâtons d’ivoire, le public ne verrait qu’une large bacante en rideau de poil de yack. Et dieu sait si notre morse avait le nez poilu (décidément il en sait des choses celui-là).

Ainsi, le morse peut-il raconter l’histoire drôle la plus désopilante, l’expression de son visage oscille entre la naïveté démunie du grand paresseux arboricole et l’effarement de l’aurochs solitaire, moins fatigué qu’éperdu, devant une métaphore de Luis de Góngora.

Un beau matin, après une nuit qui avait duré six mois, il se décida à quitter la banquise natale pour gagner la capitale. Où est située la capitale du pôle nord ? Les explorateurs ne l’on pas encore découvert mais celle-ci existe bel et bien. En tout cas, le morse la trouva sans difficulté.

C’était une ville merveilleuse, toute de glace édifiée. Les hôtels étaient de glace, les lits et les tables étaient de glace, les bouillottes, les tramways, le sucre et les miroirs étaient de glace.

Le morse fut embauché par un grand cabaret à la mode où il se produisit entre un numéro d’étourneaux funambules et un numéro de boas contorsionnistes.

Et le public de pisser de rire, de s’esbaudir à tout va, de se grossir la rate, de se déboyauter en tous sens, de se fendre les côtes en se tenant la pipe… On ne tarda pas à le surnommer Le Prince du Rire… Ces Messieurs décelaient de l’esprit là où ces dames percevaient de la sensibilité, les boulangers humaient bon blé là où les charcutiers flairaient bon sang : notre morse devint célèbre !

Il racheta le cabaret une poignée de harengs. Son nom s’afficha en aurores boréales dans tous les ciels du septentrion. Il prit appartement en centre-ville avec chambre froide et baignoire à caviar, épousa une soprano, roula carabosse – mais c’est une autre histoire – apprit Racine et fut récompensé par l’oncle Oscar à de multiples reprises. Il fit plusieurs fois le tour de la Terre, rencontra les plus beaux esprits, laissant dans les mémoires le souvenir impérissable de sa silhouette de mocassin avachi. Il mourut célèbre et apprécié de tous en ayant su rester plus zen que Pakhus, le roi des éléphants de mer (celui qui a le zen en trompette).

Mais s’il est resté si justement célèbre, ce n’est pas à cause du caractère irrésistible des bien-bonnes qu’il avait su accommoder façon bonhomme de neige. Ce fût pour une toute autre raison que je m’en vais illico vous narrer pour presto satisfaire votre inextinguible curiosité.

Sentant décliner ses forces, ce morse – je devrais dire ce génie -, pour faire face à la vague du standup, conçut l’idée de communiquer plus sobrement avec son public (je ferais bien d’en prendre de la graine). Son style déjà bien épuré devait encore y gagner en efficacité et en fulgurance. Le principe était d’une simplicité désarmante… Je pique du nez : c’est une pointe d’humour ; mes dents rayent la banquise : c’est un trait d‘esprit. On appela ce nouveau langage « le morse », tout simplement : pourquoi se compliquer la vie ?

Hélas le public ne suivit pas et le morse en conçut un immense chagrin. Son charme périclita.

Pour autant, l’invention ne tomba pas dans l’oreille d’un lombric. Son alphabet ne comportant que deux lettres, le morse était le langage que les militaires – qui au demeurant ont un humour bien à eux – attendaient depuis des siècles !

Une application civile de cette découverte fût le dodelino, ou bobblehead, que l’on pose sur la plage arrière des véhicules domestiques. Mi-phoque mi-raifort, souvent avec une tête de chien de trois pieds de long, le pantin vous dit en agitant le chef, dans un morse chaloupé : « Défense d’approcher ! Gardez vos distances ! »


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