J’avais déjà proposé l’approche de John TRUBY (L’anatomie du scénario – 2017). Voici maintenant celle d’Elizabeth George (De l’idée au crime parfait – 2020). Elle avait déjà écrit Mes secrets d’écrivain en 2006, que je n’ai pas lu (vous pouvez vous le procurer en bibliothèque).
J’espère que cette prise de notes vous donnera envie de lire son livre.
Préambule du poisson dans l’eau
Elizabeth George nous assure que son imagination et sa mémoire sont défaillantes. Aussi, a-t-elle besoin d’un travail de préparation conséquent et structuré. Elle est donc particulièrement légitime pour proposer une méthode de conception d’un roman. D’autant plus qu’elle animes des cours et des ateliers d’écriture. Je n’ai pas regretté ma lecture dont je vais faire un résumé censé vous inciter à lire, dans un premier temps Le rouge du péché (2008), le roman dont seront tirés tous les exemples, puis De l’idée au crime parfait, qui expose la méthode.
Soit dit en passant, vous pouvez directement vous attaquer aux 366 pages de la méthode si vous êtes pressés. Perso, au tiers de ma lecture, j’ai décidé de lire Le rouge du péché car l’autrice m’avait ferré et je ne voulais pas qu’elle me spoile1 le roman tout entier avec ses exemples.
Les grandes lignes de cette méthode n’est pas nouvelle. Nous en retrouvons des éléments, par exemple dans Écrire – guide pratique de l’écrivain de Jean Guenot (1977). Et c’est plutôt rassurant. Cependant, Elizabeth George est pédagogue et méthodique, et illustre chaque étape avec des photos, des extraits de Le rouge du péché, ou des extraits de ses documents de travail.
Il s’agit de la conception d’un roman policier dans le genre d’Agatha Christie (le Cosy Crime est très tendance) dans la tradition du whodunit (qui l’a fait). Mais cette méthode peut convenir à d’autres types de romans.
L’idée d’Elizabeth est de commencer par un gros travail de préparation pour satisfaire sont cerveau gauche, afin de libérer le droit et se laisser aller aux joies plus intuitives de la rédaction.
On peut imaginer que certains écrivains dotés d’une grosse mémoire puissent faire tout ce travail préparatoire dans leur tête, durant plusieurs années si nécessaire, sans l’aide d’aucun support : « Mon ouvrage est fait, il ne me reste plus qu’à l’écrire. » disait Racine. Heureusement, les êtres humains ne sont pas égaux Intellectuellement. Donc, si vous avez un joli brin de plume mais n’êtes pas fichu d’aligner trois idées cohérentes, vous pouvez malgré tout pondre un best seller des 800 pages, sous réserve de ne pas avoir un poil dans le creux de la main. Vous ne trouverez chez Kiloutou, aucun outil qui vous permettrait d’arracher ce phanère endémique. Seul une passion pathologique (pléonasme ?) peut en venir à bout. Quoi qu’il en soit, De l’idée au crime parfait reste un ouvrage qui passionnera les curieux et les lecteurs de romans policier. Idéal pour acquérir le deuxième niveau de lecture qui rendra les ficelles apparentes et permettra de deviner avant les enquêteurs, les tenants et les aboutissants. Au moins dans les romans d’Elizabeth George !
La méthode du livre
Commencer par des recherches sur une région
Vous n’avez encore aucune idée de ce que va raconter le roman. Vous êtes en vacance quelque part. Vous photographiez à tour de bras, les paysages, le relief, la faune, la flore, les détails, les gens, l’architecture, les matériaux, les métiers. Vous vous documentez sur les spécialités artisanales et gastronomiques. Vous vous informez sur les sports et les loisirs offerts au touristes et ceux pratiqués traditionnellement par les gens du cru. Vous faites un tour au syndicat d’initiative, à la bibliothèque municipales, Vous vous informez sur l’histoire, les légendes, les coutumes, la langues, les patois, les expositions permanentes ou temporaires. Vous faites quelques croquis littéraires, en ayant soin de solliciter vos cinq sens. Enregistrez des sons ou vos propres impressions. Au retour, si ce n’est déjà fait, vous ferez un tour sur internet.
L’arme fatale : les gens adorent être dépaysés, faire des voyages.
Vous pouvez aussi situer l’action dans un coin de votre région que vous connaissez bien ; pourquoi se compliquer la tâche ; peut-être n’aimez-vous pas voyager. Soyez sûr que vos futurs lecteurs ne connaissent pas tous votre région.
Outre la région, ces recherches vont vous permettre d’identifier un thème caractéristique de la région, qui va vous permettre de faire en sorte que vos personnages appartiennent à une communauté culturelle, de loisir et ou professionnelle : une culture, une activité touristique, une pratique, un sport, industrie, etc.
L’arme fatale : les gens adorent découvrir ce que les autres font de leur vie et comment ils parviennent à la gagner.
Construire le nœud de l’intrique
Toutes ces informations vont vous permettre de choisir de quoi la victime va mourir : accident, arme, suicide, etc. Si possible en lien avec le thème et ou la région. Quelle est la plus plus belle façon de mourir dans cette région. Inutile d’être original, essayez plutôt d’être raccord avec le thème et ou la région.
Il faut maintenant choisir la victime : âge, sexe, popularité, etc.
Enfin, il faut identifier l’assassin et son mobile (par intérêt, vengeance, psychopathie…)
Là, vous allez dégager une problématique, genre les rapports enfant-parents, l’addiction, la peur de l’autre, le pouvoir d’achat, l’individualisme, l’échec scolaire, les puces de lit, que sais-je. Vous pourrez en décliner tous les aspects à travers vos personnages secondaires. Ce sera en quelque sorte votre deuxième thème, le thème de fond sociétal qui encrera votre œuvre dans votre époque.
Elargir le nœud de l’intrigue
Qui ? Où ? Pourquoi ? Quand ? Comment ?
Pour l’arme du crime, interrogez les spécialistes, ils adorent ça : « il suffit de… « .
Déterminer les personnages qui découlent du nœud de l’intrique
Si la victime et l’assassin n’appartiennent pas à la même famille, ça fait déjà beaucoup de monde : parents, enfants, petits amis, amis, confidents, bosses, collègues, policiers…
Il n’y en aura pas moins d’une quinzaine.
Baptiser les personnages et baptiser ou rebaptiser les lieux
Choisir des sonorités et des orthographes éloignées pour améliorer l’expérience du lecteur.
Le nom d’un personnage doit évoquer sa classe et son caractère tout en restant typique de sa région d’origine.
Créer les personnages sans tenir compte de l’intrigue
Ce sont les personnages qui façonneront l’intrigue principale et les intrigues secondaires.
Vous découvrirez l’intrigue en suivant les personnages.
Pour remplir la fiche descriptive de chaque personnage, vous devez occuper toutes les fonctions qui permettent de connaître un individu : médecin, psy, confesseur, conseiller, voisin, parent, animal familier…
Vous devez soigner vos personnages car en définitive, c’est à travers leurs points de vue que vous allez raconter l’histoire. Plus leurs personnalités seront riches, plus votre récit sera captivant.
Voici la fiche de personnage proposée par Elizabeth George, page 58 de l’édition de poche, chez POCKET.
Fiche de personnage
- Nom
- Prénom
- Age
- Taille
- Poids
- Corpulence
- Lieu de naissance
- Couleur des yeux
- Couleur des cheveux
- Particularité physiques
- Education (valeurs)
- Scolarité
- Meilleur(e) ami(e)
- Ennemis
- Père
- Mère
- Frère
- Sœur
- Cousin
- Besoin vital
- Démarche pathologique
- Ambition(s)
- Mimiques en parlant
- Allure (vêtements)
- Démarche
- Trait de caractère principal
- Trait de caractère le moins présent
- Se moque de…
- Philosophie dans la vie
- Tendences politiques
- Loisirs
- Ce que l’on remarque en 1er chez lui
- Ce qu’il fait lorsqu’il est seul
- Résumé du personnage en une phrase
- Va-t-il être aimé/détesté des lecteurs ?
- Evolu-t-il au cours de l’histoire ? Si oui, comment ?
- Evénement marquant qui a fait du personnage ce qu’il est
- Evénement marquant qui illustre qui il est à présent
Mettez en gras ce qu’il faut selon vous garder en tête pour chaque personnage.
Vous pouvez compléter cette liste en décrivant l’univers extérieur de chaque personnage (à ne pas le confondre avec le décor du roman) : sa chambre, ses posters, etc.
Définitions :
- Le besoin vital d’un personnage, très souvent inconscient, est à l’origine de ses actions. Il libère le personnage de l’anxiété lorsqu’il est assouvi.
Exemples, page 77 : besoin- d’approbation, de contrôler, de se sentir utile, d’interaction humaine, de nouveauté, de sensations fortes
- d’avoir toujours raison
- d’être rassuré, admiré, au centre de l’attention
- d’être perçu comme compétent, perfectionniste, authentique…
- La tendance psychopathologique d’un personnage, souvent masquée, se manifeste en cas de peur ou d’anxiété. Elle est liée à la personnalité du personnage et justifiée par un passé qu’il faut inventer.
Remarques :
- Notez que de toutes ces analyses de personnages, naîtront des idées nouvelles, feront apparaître des tensions possibles, nécessiteront de nouvelles recherches.
- A l’usage, le personnage pourra s’avérer différent de ce qu’aura établi la première analyse.
- Certains personnages analysés ne seront peut-être pas utilisés tandis que d’autres apparaîtront en cours de route pour une mission ponctuelle (il ne sera pas nécessaire de leur faire une fiche mais ils devront avoir une personnalité marquée).
Définir les intrigues secondaires
L’identification et l’analyse des personnages va permettre d’identifier des interactions et tensions possibles entre les personnages et permettre d’ébaucher des intrigues secondaires (en parallèle de l’enquête) et en lien avec la problématique (le thème de fond sociétal).
Ca donnera de la profondeur à votre roman.
Faites en sorte que toutes les intrigues secondaires ne se terminent pas mal, sous peine de rendre le roman étouffant (la problématique de la violence restant au centre du roman policier) et de le transformer en catalogue. les intigues secondaires permettent d’explorer des variations autour du thème de fond mais aussi de proposer des solutions ou des pistes d’apaisement.
De plus, la déclinaison du thème de fond peut se faire subtilement, par touches, sans accaparer systématiquement les intrigues secondaires.
Les intrigues secondaires peuvent aussi faire des contre-propositions.
Définir l’élément déclencheur
Classiquement, la découverte d’un cadavre, une disparition, un élément nouveau permettant de rouvrir un dossier, un événement étrange, une lettre anonyme, etc.
Définir les statu quo des personnages
Il faut compléter la fiche de chaque personnage avec sa situation personnelle avant la survenue de l’événement déclencheur.
Définir le moment où le roman commence
Avant, pendant, ou après l’événement déclencheur :
- Avant : attention à bien accrocher le lecteur
- Pendant : il faudra rattraper l’exposition des statu quo
- Après : beaucoup de choses à rattraper.
Etablir le canevas de l’intrigue
Il faut d’abord choisir ses personnages point de vue. C’est à dire ceux qui vont raconter l’histoire et dont le lecteur prendra connaissance des univers intérieurs (leurs pensées, leurs intentions) en accord avec leurs caractères.
La voix du personnage point de vue lui est propre, ce n’est pas celle de l’auteur. Elle permet au lecteur de s’attacher au personnage.
Il faut donc se poser les questions suivantes :
- Qui sont les personnages les mieux placés pour raconter l’histoire ?
- A travers les voix de quels personnages, l’histoire prendra-t-elle un tour intéressant ?
Un peu de théorie : les différents types de points de vue
- Le point de vue externe (caméra)
- Description très neutre, sans jugement ou opinion, comme une caméra, sans avoir accès à l’intériorité des personnages
- Le narrateur en sait moins que les personnages
- Tous les types de narrateurs peuvent utiliser le point de vue externe à un moment ou à un autre d’un récit.
- Ce type de point de vue est généralement utilisé en début de texte, lors de la description initiale des lieux, de l’atmosphère, des personnages, etc. afin d’intriguer le lecteur.
- Le point de vue omniscient (parfois appelé point de vue zéro)
- permet au lecteur de tout voir, de tout percevoir et de tout savoir
- Le narrateur peut choisir de garder certaines informations pour lui mais il sait tout
- Le narrateur en sait plus que les personnages
- Le point de vue interne (témoignage du participant qu’est souvent le personnage point de vue)
- permet au lecteur de voir et de percevoir les évènements que vit le narrateur
- Le narrateur n’a accès qu’à sa propre intériorité et qu’aux évènements auxquels il assiste
- Il ne connaît pas son futur
- « Il ne peut pas rapporter les pensées, les sentiments ou le passé des autres personnages, à moins que ceux-ci ne les lui dévoilent ou que leur comportement lui permette de les déduire. «
- Le narrateur en sait autant que le personnage (c’est à dire lui-même)
- Si le récit est narré avec le système verbal du passé, cela signifie que l’histoire est déjà terminée et que le narrateur, peu importe son point de vue, raconte quelque chose qui s’est déroulé dans le passé. Ainsi, même si le narrateur est un personnage de l’histoire, il peut faire des anticipations et révéler certaines choses qui arriveront plus tard dans l’histoire, car il a déjà vécu les évènements et connait l’issue du récit.
- Le point de vue interne à la 1ère personne : un personnage unique est le narrateur
- Le point de vue interne à la 1ère personne variable : plusieurs personnages sont narrateurs à tour de rôle (un narrateur par chapitre)
- A la 3e personne (variable ou non), l’action est plus montrée que racontée.
- L’action est vue par un personnage (même si le récit est à la troisième personne, la scène est perçue par celui-ci).
- Le narrateur limite les informations à ce que ce personnage comprend et connaît.
- Le personnage exprime ses sentiments, ses réflexions, en passant par le discours indirect libre
- Discours indirect libre : les voix du personnage et du narrateur s’enchevêtrent, de sorte qu’on ne sache jamais parfaitement si c’est le narrateur ou le personnage qui parle (superpositions de voix, polyphonie). Le discours indirect libre n’est pas introduit à l’aide de ponctuation, ce qui a pour effet la fluidité du récit et des voix : « Il met bas son fagot, il songe à son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? »
Une fois les personnages point de vue identifiés, il faut décider de ce qui leur arrive (on connaît leur statu quo) une fois l’événement déclencheur advenu. Qu’est-ce qui va se passer en premier et qu’est-ce qui va se passer en suite ? Quels scénarios, quels bouleversements de leur statu quo pour ceux qui ont connaissance de l’événement déclencheur (pour les autres il faut exposer leur statu quo), tout ce qui peut donner l’occasion d’approfondir l’histoire individuelle de chaque personnage et développer des tensions entre les personnages, quelles pistes pour faire décoller l’histoire.
La logique du roman policier va nous aider. Il faut trouver la victime, appeler la police, identifier la victime, pratiquer l’autopsie, définir la cause de la mort, informer la famille, ouvrir une enquête, former une équipe, fouiller le passé de toutes les personnes qui étaient en relation avec la victime, etc.
On crée un tableau avec pour entête de chaque colonne le nom d’un personnage point de vue. Et dans chaque colonne, on écrit tout ça, y compris des remarques, des idées, des questions restées sans réponse, etc.
Ce tableau permet de lancer la machine. Il doit contenir suffisamment d’information pour pouvoir créer dix à vingt scènes, tous personnages confondus.
On peut alors commencer à définir le contenu des premières scènes attribuées à chaque personnage point de vue. On écrit le contenu des scènes sur des fiches individuelles. Les premières scènes sont soit l’exposition d’un statu quo, soit l’évolution de celui-ci à l’annonce de l’événement déclencheur.
Une fois ces premières scènes constituées, l’on s’assure que chaque scène contient :
- une causalité qui permettra d’enchaîner sur une autre scène (pas forcément la suivante)
- une question dramatique appelant une réponse.
Etablir le séquencier
L’on commence par classer les scènes dans l’ordre où l’on veut qu’elles apparaissent.
L’on va alterner les annonces des tensions, les développements des tensions, le suspense. L’on va diversifier les points de vue, les personnalités. En prenant garde de ne pas dévoiler trop tôt son jeu pour ne pas freiner l’intrigue.
Dans l’ordre ainsi défini, on va faire le récit de chaque scène au présent dans le but d’en déterminer la structure. C’est le croquis de la future scène. On pourra continuer à faire des remarques (se parler à soi-même) mais on laisse aller l’esprit librement. On peut faire plusieurs essais ou versions pour débloquer toutes les options et trouver des réponses aux questions restées en suspens.
On peut :
- Insérer des dialogues
- Définir une CAMAP (« combine anti moulin à paroles » ), c’est à dire une action à laquelle se livre l’un des personnages du dialogue
- Utiliser des questions dramatiques (les poser ou apporter des réponses)
- Créer des tensions ou des conflits
- Faire avancer l’intrigue principale
- Faire avancer une intrigue secondaire.
Le but de cet épisode créatif est aussi de malaxer la matière pour faire surgir des idées et des réponses à des questions non résolues.
Que permet le dialogue ?
- Il permet de dévoiler le personnage, ajouter du sous-texte, introduire des questions dramatiques, faire progresser l’histoire.
- Il est spécifique au personnage.
- Il tient compte de la classe du personnage dans le choix des mots (EXP : Très bien vs OK)
- Le ton (ironie, réserve, familier…) est aussi spécifique au personnage
- Attention, on ne révèle pas un état d’esprit avec des adverbes ou des incises caractérisant le ton employé (« ironisa-t-il » , etc.)
Que permet la CAMAP ?
- L’action à laquelle se livre l’un des personnages pendent le dialogue permet d’exprimer l’émotion du personnage
- D’enrichir le décor avec des éléments nécessaire à l’action de la CAMAP
- De traduire l’évolution de la tension entre les personnages
- De traduire des non dit.
- Elle est tirée de l’analyse du personnage.
- Elle fixe le personnage dans l’esprit du lecteur.
Chaque scène doit rester ouverte :
- Faire avancer l’intrigue
- Augmenter la tension entre 2 personnages
- Présenter un nouveau personnage avec lequel le personnage est en conflit
- Révéler des détails
- Soulever des questions dramatiques
Les impasses ont trois origines :
- Suivre une idée saugrenue
- Déraillage en faisant agir un personnage d’une façon qui ne lui ressemble pas
- Abattre ses cartes trop tôt
La conséquence peut aller de supprimer une info donnée trop tôt, à restructurer tout le roman.
Elizabeth George nous dit qu’elle procède ainsi pour faire décoller le roman. Je pense qu’elle cherche surtout à ne pas nous effrayer. Il se peut qu’il faille revenir au tableau, au séquencement et aux croquis des scènes toutes les dix ou vingt scènes.
En nous proposant d’utiliser cette méthode au début du roman, son espoir est peut-être qu’on se l’approprie et que nous l’utilisions jusqu’à la fin du roman. Seul l’avenir vous le dira. L’essayer c’est l’adopter.
Quoi qu’il en soit, vous ne couperez pas, dans le roman policier, à l’horodatage de toutes les scènes (avec le mois en toutes lettres pour tenir compte des saisons). Sinon, les incohérences seront légion. La gestion du temps est fondamentale dans le roman policier. Perso, je tiens à jour un tableau spécifique.
Rédiger les scènes
C’est l’étape la plus jouissive. Sur les bases de la préparation, l’esprit peut se laisser aller aux joies de l’écriture.
Les impératifs d’une scène
- Préciser le point de vue s’il y a plusieurs personnages point de vue
- Le décor : quelques détails plutôt qu’une description exhaustive lourde
- Au moins un personnage (pas forcément humain), chacun avec son objectif propre
- L’état d’esprit du personnage point de vue permett de colorer la scène en fonction de sa manière de voir les choses
- Poser ou résoudre des questions dramatiques
- On peut répondre à une question dramatique par : une information partielle, un mensonge, une demi vérité
- Contenir des conflits externes entre forces (oppositions des désirs, des objectifs, des intentions)
- On peut opposer une force naturelle à l’un des personnage
- Contenir des conflits internes relatif au personnage point de vue (pensées, spéculations, décisions, doutes, réactions aux autres personnages)
- Contenir des conflits internes relatif à d’autres personnage s’ils sont présents (répliques, action, inaction, non dit)
Questions à se poser à la fin de l’écriture d’une scène
- Qu’est-ce qui pousse le lecteur à continuer ?
- Quelles qualités des personnages sont révélées ?
- Comment l’intrigue principale a-t-elle été exposée ou développée ?
- Quelles sont les questions dramatiques posées ?
- Quelles sont les questions dramatiques qui trouvent une réponse ?
- Quel est le conflit ?
- De quel type est le conflit (externe inter personnel ; externe homme-nature ; interne personnage point de vue) ?
- Est-il en rapport avec l’intrigue principale ou secondaire ?
Les exigences des scènes spécifiques
Les scènes d’ouverture : capter l’attention du lecteur
- Promesse de suspens, de mystère ou de conflit
- Un apperçu du thème
- Un problème rencontré par un personnage
- l’anonce d’un événement à venir
- Présentation de personnages fascinants
- Présentation de questions dramatiques, du statu quo ou de l’événement déclencheur
Les scènes charnières : relancer l’histoire qui s’étiole bien que vous n’ayez pas abattu trop tôt vos cartes
- Souvent au quart, à l moitié et aux trois quarts du roman
- Contiennent de nouvelles infos, nouveaux détails, ou nouveaux personnages, qui vont modifier la direction du récit
- Ou bien nouveau décor, voyage, nouvelle situation à laquelle s’adapter
- Ou bien un malentendu ou un mensonge dissipé
Les Points culminants
Le point culminant narratif (le lecteur sent qu’il y a une piste, même si on fait tout pour l’orienter vers une fausse piste)
- Dialogue direct
- Dialogue indirect (avec CAMAP)
- Long passage de narration (relatant un conflit par exemple)
- Résumé narratif
- Forme scénique à proprement parler
Le point culminant dramatique (l’auteur arrive enfin là où il voulait emmener le lecteur)
- Suspens construit au fil de la scène à travers le dialogue ou la naration de l’action en cours
- Le conflit atteint son apogée dans une forme de confrontation (physique, psychologique ou i,tellectuelle)
- Il faut une révélation (la détonnation dans l’explosion : « Santo n’était pas mon fils. » (le lien du sang que Yago veut n’existe pas)
- Idem point culminant narratif
- Décor particulier
Le dénouement (le jongleur rattrape toutes les balles sans les faire tomber)
- Récupérer chaque balle dans un ordre précis pour maintenir la structure de l’intrigue jusqu’au bout
- L’intrigue principale est résolue
- On voit comment les personnages ont été affectés par les événements
- Les malentendus sont éclaircis
- Toutes les questions dramatiques sur les personnages on trouvé leur réponse et leur résolution
- Y compris dans les intrigues secondaires
- Toutes les fins ne sont pas heureuses mais possèdent leur logique
Structure d’une scène
Quatre techniques parmi d’autres.
La technique cinématographique
- Plan panoramique (lieu)
- Traveling (déplacement vers la scène)
- CAMAP et action
Remarques :
- Les descriptions sont plus précises quand elles sont faites par un personnage point de vue qui se rend sur les lieux pour la 1ère fois
- à moins qu’on veuille mettre en évidence une évolution du lieu (alors choisir un personnage familier du lieu).
La Technique de la CAMAP en action (vs décor)
La Technique du son et image
- Commencer par un dialogue
- Puis infos sur le contexte et/ou le décor
- Puis reprendre le dialogue
La Technique Présent / Passé (comment on en est arrivé là) / Présent
Ce qu’il faut garder en tête
- Le point de vue
- Les détails qui vont être remarqués par le personnage point de vue
- L’oportunité d’une CANAP
- La présence de conflit, tension, objectifs et attitudes
- Les infos qui serviront le plus efficacement l’histoire
Relectures – 2e et 3e jets
Décompresser pendant quelques jours et se vider la tête après le 1er jet
Lire le 1er jet en évaluant forces et faiblesses
Post-it avec annotation
Plus feuille de notes pour débusquer :
- Répétitions
- Incohérences
- Surabondance ou manque de qlq chose
- Par exemple : ralentir les émotions côté Lynley
- Mots ou phrases trop souvent utilisés
- Intrigue secondaire inutile
- Manque de précision dans la description d’un lieu
- CANAP pas assez spécifique d’un personnage, ou utilisée par trop de personnages
Lire séparément chaque intrigue secondaire (identifiées grâce à des post-it de couleur)
- L’intrigue doit-elle être conservée
- Répond-elle aux besoins du roman
- Apporte-t-elle au lecteur des connaissances sur un univers, un personnage ou un thème
Se faire ses propres recos éditoriales et les garder en tête
Rédiger le 2e jet
Confier le 2e jet à son relecteur préféré avec 2 types de consignes
- Indications avant lecture
- Exemple : noter les pages où son attention baisse
- Exemple : noter les pages où elle a des soupçon sur un personnage
- Indications après lecture (sous enveloppe scellée)
- Exemple : je crois qu’il y a trop de scènes avec tel personnage, qu’en penses-tu ?
- Exemple : as-tu suffisamment d’infos pour imaginer tel endroit ?
Rédiger le 3e jet
Envoyer le 3e jet à l’éditeur
Conclusion, pour une vie créative épanouie
- Avoir de la rigueur
- Faire d’abord ce que l’on doit faire
- Puis, après, ce que l’on aime faire
- La maîtrise de l’écriture passe par :
- Les connaissances techniques
- La lecture d’écrivains de renom
- Beaucoup de travail.
Annexes
Liste des personnages de Le rouge du péché
Triée par noms. Pour vous faciliter la lecture (cadeau).
Ordre d’apparition
Clan
NOM prénom
Description
10
ANGARRACK
ANGARRACK Cadan
Grand frère de Madlyn. Sportif touche-à-tout ; a un perroquet (Pooh). Travaille chez KERNE Ben. Acrobate vélo BMX.
8
ANGARRACK
ANGARRACK Lewis (Lew)
Père de Cadan et de Madlyn ; amant d’Aldara PAPPAS après Santo ; fabrique des planches.
9
ANGARRACK
ANGARRACK Madlyn
Petite amie de Santo (surfeuse) avant qu’il ne la trompe avec Aldara PAPPAS. Elle est folle de rage. Elle travaille au Pâté en croûte.
16
KERNE
CHESTON Alan
Compagnon de Kerra KERNE (elle a trouvé dans sa piaule une carte postale des 2 grottes avec une flèche indiquant l’une des grottes avec l’écriture de sa mère).
20
Police
COLLINS Paddy
Policier.
24
PAPPAS
COVE Polcar
A priori amant d’Andreas. Evoqué par TRAHAIR Daidre.
19
Police
HANNAFORD Bea
Inspecteur chargée de l’enquête.
22
Police
HANNAFORD Pet
Fils de Bea.
26
ANGARRACK
Jago
Vieux surfer qui travaille pour ANGARRACK Lew. S’occupe de ANGARRACK Madlyn quand il lui annonce la mort de Santo. Pote de PENRULE Selevan.
27
PENRULE
JOY Sally
Belle fille de PENRULE Selevan et mère de Tammy.
14
KERNE
KERNE Ben
Père de Santo et patron de Cadan ANGARRACK ; projet de parc Adventures Unlimited ; champion d’escalade.
13
KERNE
KERNE Dellen
Mère de Santo.
11
KERNE
KERNE Eddie
Grand-père paternel de Santo.
15
KERNE
KERNE Kerra
Sœur de Santo.
12
KERNE
KERNE Santo (Alexander)
Victime (surfer et baiser).
1
Police
LINLEY Thomas
Inspecteur qui découvre le corps de Santo, lors d’une randonnée, après l’assassina de sa femme.
21
Police
MCNULTY Mick
Policier.
18
ANGARRACK
MENDICK Will
Convoite ANGARRACK Madlyn en vain.
4
PAPPAS
PAPPAS Aldara
Propriétaire de la cidrerie. Santo quitte Madlyn pour elle.
28
KERNE
PARSON Jamie
Gosse de riche, a priori noyé dans une grotte à l’époque de la jeunesse de KERNE Ben.
2
PENRULE
PENRULE Selevan
Propriétaire du camping que traverse Santo pour aller surfer.
3
PENRULE
PENRULE-JOY Tammy
Petite-fille de Selevan PENRULE, travaille à la boutique de surf. Confidente de KERNE Santo.
7
PAPPAS
PRIESTLEY Max
Journaliste amant d’Aldara PAPPAS avant Santo.
23
Police
Ray
Ex mari de Bea, père de Pet.
6
PAPPAS
ROJAS Narno
Propriétaire d’un restaurant, donne des cours de guitare à Aldara PAPPAS.
25
ANGARRACK
SOUTAR Ione
Copine officielle de ANGARRACK Lew. A deux filles : jennie et Leogh.
5
PAPPAS
Stamos
Propriétaire d’un hôtel, ex mari d’Aldara PAPPAS (c’est aussi le nom du cochon d’Aldara).
17
PAPPAS
TRAHAIR Daidre
La propriétaire du cottage de Polcare Dove, vétérinaire. Amie d’Andreas PAPPAS.
Considérations sur Le rouge du péché
Mise en garde : ne lisez pas ce chapitre si vous n’avez pas encore lu Le rouge du péché.
Si vous ne l’avez pas lu, d’une part ces considérations ne vous apporteront pas grand chose et d’autre part elles vont vous spoiler le roman tout entier.
Lieu : côtes de Cornouaille .
Thème : le surf.
- Toute l’activité de la région tourne autour de ce sport : fabriquer des planches, vendre des planches, accueillir les touristes, donner des cours de surf, transmettre son savoir faire, ambitionner la compétition de haut niveau…
Thème de fond : les liens du sang
- Cf. le titre
- Cf. la couleur rouge utilisée par la mère de la victime (ongles, lèvres, vêtements…) lorsqu’elle cède à sa démarche pathologique (séduction du premier venu) pour échapper à son angoisse. Elle-même ayant subi dans sa jeunesse un inceste avunculaire, une profanation des interdits des liens du sang. Ce traumatisme conduit le personnage à se détruire et détruire les gens qui lui veulent du bien. Nous sommes au stade de la psychose. Pour ne pas asphyxier le roman, l’auteur utilise ce personnage très sombre avec parcimonie, essentiellement dans des scènes charnières.
- L’auteur utilise très bien le personnage de la séductrice psychotique (la mère de la victime) mais je la sens en délicatesse avec ce sujet. L’auteur ne manque pourtant pas de courage et prend des décisions radicales ou cruelles. La psychotique est chassée par son mari. Pour équilibrer, elle dresse le portrait d’une figure séductrice opposée, assumée et décomplexée, en la personne d’Aldara PAPPAS, dont la posture est toutefois le résultat d’un déracinement (origine grecque), d’une forfaiture (elle a été privée des liens du sang par son ex-mari qui lui a fait accroire qu’elle n’était pas féconde alors que c’était lui), et d’un désintérêt pour les sentiments et l’attachement. A bien des égards, ce personnage idéalisé se comporte comme un homme (ses mains la trahissent). C’est le seul personnage qui ne semble pas évoluer au cours du roman.
- Dans les intrigues secondaires, l’auteur fait la part belle à la transmission parent-enfant et à ses conflits : transmettre un métier, une passion, une conviction, souvent dans la douleur, sans tenir compte des aspirations de l’enfant.
- Le commissaire Thomas LINLEY est marqué par son origine aristocratique. Sa femme enceinte vient d’être assassinée par un enfant. Il est au bout de sa vie, au sens propre et au sens figuré. A l’opposé, Daidre TRAHAIR n’a toujours pas digéré l’abandon de ses parents qu’elle n’a pas revu depuis de nombreuses années. Sa mère est en train de mourir d’un cancer du pancréas au fond d’une caravane de vagabonds. Les deux personnages cuvent leur souffrance tant bien que mal. Un rapprochement pourrait les sauver. Mais le premier qui fera un pas vers l’autre se fera allumer.
La résolution des intrigues
Les intrigues doivent être résolues, nous dit l’auteur, mais il me semble qu’elle entende par là qu’il faut qu’à la fin, le lecteur ait toutes les cartes en main. Pour autant, la vie continue et l’auteur nous laisse imaginer des suites possibles. A la fin du roman, les situations ont toutes évolué mais les équilibres atteints sont précaires :
- Malgré ses bonnes résolutions, Cadan ANGARRACK, le frère de l’ex-petite-amie de la victime, va-t-il réussir à apprendre le métier de son père ?
- Kerra KERNE, la sœur de la victime, va-t-elle réussir à faire confiance à l’homme qui l’aime, Alan CHESTON ?
- Bea HANNAFORD, l’enquêtrice, va-t-elle trouver en elle suffisamment de ressource pour, après vingt ans, pardonner au père de son enfant et reprendre une vie de couple avec lui ?
- Jago va-t-il commettre un impair et se faire arrêter ? Va-t-il s’en tenir là après avoir appris que la victime n’était pas le fils biologique de Ben KERNE ? Va-t-il admettre la vérité ? Et si oui, va-t-il s’en prendre aux trois responsables encore en vie ? La police va-t-elle, après avoir exploité l’ADN de Jago, découvrir qu’il a tué son propre fils ? Je ne conçois pas qu’Elisabeth George n’ait pas imaginé cette possibilité. Pourtant, elle nous l’offre généreusement sans même l’évoquer. S’agit-il d’une idée saugrenue qui remettrait en question tout l’édifice. Je n’ai pas ce sentiment. Serait-ce un pas de trop vers le thriller, qui est trop souvent le nid de l’hypocrisie et du mauvais goût ? Là, je sens que je ne suis pas en train de me faire des amis.
- Que va-t-il advenir de la mère psychotique de la victime ?
- Malgré sa prise de conscience et sa fermeté apparente, Ben KERNE, le père de la victime, va-t-il retomber dans les bras de la femme qu’il a chassée ? Et comment va-t-il faire le deuil du fils qu’il a élevé, malgré une apparente froideur ?
- Tammy va-t-elle effectivement trouver sa voie, grâce à l’évolution inattendue de son grand-père, Selevan PENRULE. Curieusement, l’on doit cette évolution aux sages conseils de l’assassin. Selevan PENRULE va-t-il rester fidèle à sa nouvelle ligne de conduite en apprenant que son pote est l’assassin ?
- Comment réagira Ione SOUTAR lorsqu’elle apprendra que Lew ANGARRACK est le nouvel amant d’Aldara PAPPAS ?
- Comment réagira Madlyn ANGARRACK lorsqu’elle apprendra que son père, Lew ANGARRACK, sort avec Aldara PAPPAS, la femme pour laquelle son petit ami, la victime Santo KERN, l’a quittée ?
Notes
- spoiler : emprunté au verbe anglais spoil (gâcher), lui-même issu de l’ancien français espoillier (dépouiller), lui-même issu du latin spoliare, dénominal de spolium (dépouille, ce qu’on enlève sur l’ennemi abattu et tué : vêtements, armes…). ↩︎