La mort d’un roi



La mort de François 1er

Introduction

Pierre CHASTELEUX, ça vous dit quelque chose ?

Il y a plus de trente ans, j’ai signé, de ce nom, le roman à succès La Mort d’un Roi. Le film n’avait pas fait l’unanimité de la critique et n’avait été gratifié d’aucun prix, mais il avait néanmoins rencontré son public. Je peux affirmer, sans fausse modestie, qu’à défaut d’un succès littéraire, mon entrée dans la vie professionnelle fut un succès financier.

J’avais choisi ce nom en mémoire, d’une part, de Pierre du Chastel, évêque de Mâcon, aumônier de François 1er, maître de la Librairie et lecteur ordinaire du Roi, directeur du Collège royal, qui avait assisté sa majesté durant son agonie ; et d’autre part, d’Anne de Pisseleu, la favorite de François 1er, dont le destin m’avait ému. J’avais ajouté un X car, bien que tous les CHASTELEU descendent d’un seul et même ancêtre, ce patronyme rare est encore porté de nos jours.

Je devais mon roman au récit rédigé sous forme de journal par Pierre du Chastel, probablement sous la dictée du roi, lors du voyage qu’effectua François 1er un mois avant sa mort. Le maître de la Librairie était la seule personne qui avait la proximité, la disponibilité et l’érudition nécessaires, pour se voir confier cette tâche inédite.

J’avais trouvé le document sous des liasses de procès-verbaux sans importance, lors de recherches que j’avais entreprises pour les besoins de ma thèse, Pour une épistémologie des méthodes d’archivage.

À l’évidence, du Chastel avait rédigé la version finale du document après la mort du roi. Il est probable que certains éléments n’aient pas été le fait du roi mais aient été ajoutés par du Chastel, issus des obsessions de l’évêque, des souvenirs de l’aumônier, des réflexions du lettré, ou puisés dans la vaste culture de l’humaniste. Y compris certains événements. Je n’ai par exemple trouvé aucune trace de l’étape à l’abbaye de Port-Royal des Champshaut-lieu. En sus, les phantasmes, dont cette thébaïde est le théâtre, sont davantage ceux d’un ecclésiastique que d’un roi.

Du Chastel a conservé la première personne du singulier et, à aucun moment, n’a laissé entrevoir que le récit pût avoir été rédigé par une autre personne que le roi. Toutefois, que ce texte fût entièrement le fait de Pierre du Chastel n’est pas à exclure. Rien ne prouve en effet que le roi fût le commanditaire. L’existence du manuscrit est la seule chose dont on soit certain.

Du Chastel n’avait révélé l’existence de cette confession à quiconque. Les temps n’étaient pas sûrs, la suspicion rongeait la société avec plus d’appétit que la vérole et le moindre faux pas pouvait vous coûter votre situation, sinon votre vie.

Suputant que je n’avais pas l’étoffe d’un universitaire, mon maître de thèse m’encouragea à écrire un roman sur la base de ce manuscrit. Du Chastel fournissait non seulement la matière, mais aussi la manière, et ce fut le cœur léger que je me livrai à la rédaction de la folle épopée que vous avez peut-être pris du plaisir à lire.

Je vous livre maintenant, transcrit en français moderne, le récit du roi que rédigea du Chastel. J’ai illustré d’images, les références aux œuvres picturales.

Les vers de Ronsard, censés être cités de mémoire par François 1er, n’étaient pas encore parus en 1547. Ce qui laisse supposer qu’ils aient été écrits et ajoutés par du Chastel ; et incidemment pompés par Ronsard dans ce document auquel il aurait eu accès.

Une hypothèse plus vraisemblable voudrait que ce récit fût beaucoup plus tardif, rédigé et enrichi par un mystérieux rédacteur – peut-être Ronsard lui-même – sur la base d’un premier document authentique de Pierre du Chastel, qu’il reste à découvrir.

Quant à un canulard, dans l’esprit de cette fraude qui figure dans Le Triomphe de Vénus, le tableau dont il est question dans ce récit, je ne puis objectivement l’envisager.

Seule la datation du manuscrit au carbone 14 permettrait de lever ces doutes.

L’itinéraire a été réalisé avec mappy.

Itinéraire d’un enfant gâteux

Paris-La Muette

La Muette est à moins de sept lieues1 de Paris. On est fin février. J’ai froid, bien que l’année 1547 soit particulièrement douce. Des tremblements incessants parcourent ma grande carcasse obèse. Ma nuque épaisse est bien callée dans un oreiller brodé d’or. Allongé sur la litière, je contemple mes pieds qui ballotent à une toise2 de là, au grès des caprices du chemin.

Quoy mon ame, dors tu engourdie en ta masse ?
La trompette a sonné, serre bagage, et va !3

J’ai commencé à décliner sérieusement à la mort de mon ainé François, il y a un peu plus de dix ans. Je ne sais toujours pas qui a tué mon fils. Une pleurésie qu’il aurait contractée enfant, pendant les quatre années qu’il a passé en Espagne où il était retenu en otage avec son frère – ce fut à ces conditions que je pus regagner le royaume de France, après l’incident de Pavis. Je n’ai jamais cru à cette histoire de pleurésie, son frère Henri, d’un an son cadet, est revenu indemne.

François a-t-il été empoisonné par les Habsbourg ? Je ne vois pas pour quelle raison Charles Quint aurait jeté davantage les Médicis dans les bras de la France, en faisant d’Henri, marié à Catherine de Médicis, le futur roi des Français. Dans le doute, j’ai fait écarteler l’échanson de François, le comte Sebastiano de Montecuccoli, ancien commissaire de Charles Quint passé au service des Médicis, que Catherine avait emporté dans ses bagages. Lors de cette funeste partie de jeu de paume, il avait apporté à mon fils le verre d’eau fraîche que celui-ci avait demandé. Un Traité des poisons avait été retrouvé dans ses papiers. Certes, quelqu’un a pu l’y déposer. Tout le monde possède ce genre d’ouvrage.

Une horrible pensée n’a jamais cessé de me hanter : les Médicis auraient-ils comploté cela pour faire accéder Catherine au trône de France ? Ils en étaient capables et je ne suis pas loin d’en être persuadé.

Quoi qu’il en soit, Cosme 1er de Médicis4 n’est entré en politique que l’année suivante. Même s’il mange à tous les râteliers, je partage sa haine secrète de l’Empereur et sa passion pour les peintres. Il connaît mes goûts pour les bals costumés et la mythologie. Probablement pour se faire pardonner ses trahisons passées et à venir, il m’a fait parvenir cette Allégorie du Triomphe de Vénus qui me suit dans tous mes déplacements.

Il m’a écrit qu’au départ, il s’agissait d’une épreuve de Bronzino pour une tapisserie qui devait faire office de pendant à L’Innocence justifiée – une tapisserie réalisée par Giovanni Rost, également d’après Bronzino. Mais lorsqu’on lui a présenté la composition du Triomphe de Vénus, Cosme a demandé au peintre d’en faire un tableau afin de me l’offrir. Il pensait que j’apprécierais le caractère énigmatique du sujet. Je soupçonne le duc de vouloir me faire passer quelque message désobligent mais je ne peux nier la fascination que ce Triomphe exerce sur moi depuis la première heure.

Henri pense que les Médicis ont voulu se débarrasser d’un tableau au sujet compromettant, tout en s’attirant les bonnes grâces de la France. Je lui ai fait remarquer que la France n’a que faire d’un tableau qui ne peut être montré à personne et dont le seul bénéficiaire est un collectionneur qui ne va pas faire de vieux os. Henri s’est signé et a brandelé5 la tête en murmurant, « tant que ça ne se mange pas, votre majesté ne risque rien. »

Personnellement, je pense qu’avec ce Triomphe de Vénus, Cosme veut me convaincre qu’en politique, l’approche matrimoniale de Vénus est plus efficace que la hargne belligérante de son amant Arès, dieux de la guerre et des massacres. Je dois admettre que les mariages arrangés ont œuvré pour la France davantage que toutes mes campagnes.

Il semble que L’Innocence justifiée soit une représentation de l’Innocence entourée d’appétits féroces de variables natures (loup, serpent, lion, chien)6, secourue par la Justice flamboyante avec à senestre7, faisant bloc avec la victime, Cronos dénudant la Vérité de profil (la Vérité est toujours représentée de profil car elle a toujours une face cachée).

On retrouve la même accumulation de figures dans Le Triomphe de Vénus. Cronos a pris une place dominante face à une figure de la Vérité plus distante, voire hostile. Vénus triomphante a pris la place de l’Innocence et Éros celle de la Justice flamboyante. On retrouve les appétits féroces dans les figures d’étranges courtisans tels qu’Himéros le désir incontrôlable, jumeau d’Éros, une femme jalouse affreusement tourmentée et une chimères très inquiétante.

L’innocence justifiée et Le Triomphe de Vénus

Dans L’innocence justifiée les forces à l’œuvre (les agresseurs et la défenseuse) sont extérieures à la victime, alors que dans Le Triomphe de Vénus les forces sont intérieures à l’univers de la déesse victimisée, dévoilé par Cronos. En effet, Éros et Himéros sont les enfants de Vénus, la chair de sa chair ; quant à la chimère au visage de jeune fille, elle pourrait être une allégorie caricaturale de Vénus et de sa petite équipe (c’est ainsi que j’appelle mon réseau d’amantes fidèles). L’intention du peintre serait donc la même dans les deux œuvres, montrer que la vérité est gage de triomphe – triomphe aux deux sens du terme pour Vénus : victoire sur les forces qui tendent le monde ; et défilé solennel de la déesse à la tête de ses troupes.

Je crois que je vais m’assoupir quelques instants après ces brillantes considérations.

L’arrivée à la Muette

Une douleur aigüe au fondement m’a réveillé. Une ornière plus profonde que les autres en est surement la cause. Ma fistule a dû se remettre à suinter. Je sens une humidité malsaine sous mes coilles8. Personne n’ose risquer un diagnostique. J’ai peur d’avoir attrapé la grande vérole9, il y a une vingtaine d’années, en respirant10 les dessous de ma geôlière espagnole (Pavis, pas pris11). Ma santé n’a jamais cessé de se dégrader depuis. L’ulcère soulève la poudre qui recouvre mon visage, mes nuits sont courtes, je souffre et je me sens pourrir de l’intérieur comme un vieux cerf après la curée. Heureusement que je suis grand et que, malgré sa longueur congénitale, mon nez est à bonne distance de mon crépion12. J’empeste et je ne sais ce qui retient la Pisseleu à mon giron. Elle suit dans une autre voiture du convoi, avec ses dames. Elle sait qu’au jour de ma mort, elle tombera en disgrâce. Cette vieille édentée13 de Diane de Poitiers, la favorite de mon fils Henri, n’a jamais pu la sentir. Anne est protestante, Diane est catholique. Il n’y a pas besoin d’être Montmorency14 pour entrevoir la débâcle prochaine. Anne a déjà dû réunir dans un coffre à bijoux, les présents que je lui ai offerts et qu’elle devra restituer à la couronne de France. Elle sera jugée pour adultère et ses biens, malgré nos accords, seront j’en ai peur confisqués et cédés au mari que je lui ai donné.

Henri et sa femme Catherine ont tenu à nous accompagner dans ce petit voyage dont la première étape est le pavillon de La Muette. Avant que de mourir, je veux profiter de ce nouveau relai en lisière de la forêt de Saint-Germain-en-Laye. Si mon pisse-froid de fils est à mes basques, c’est qu’il flaire le cadavre auquel tout mon corps aspire. Il veut être présent avant mon dernier souffle pour être reconnu sans délai comme héritier légitime. Il n’a pas tort. Peut-être fera-t-il un bon roi. La tâche sera rude. Même si le traité de Crépy-en-Laonnois d’il y a deux ans est un pis-aller acceptable. Je vois cependant d’un mauvais œil ce fanatisme religieux qui divise les royaumes que j’ai, pris dans les tenailles de L’Empereur, eu tant de mal à rassembler pour faire de la France cette chimère. L’on vient au monde avec une religion, pourquoi vouloir en changer ? Toutes se valent. La vie offre trop de raisons de se réjouir pour se laisser agacer par des bondieuseries. La chasse n’est pas des moindres. La mort d’Henri VIII, qui remonte à moins d’un mois, en est une autre. Icelle m’a à ce point réjoui, que j’ai entrepris ce petit périple en Mantois et Hurepoix, sur les traces du cerf.

Le tableau de Bronzino est une autre raison de se réjouir. Mais nous arrivons au pavillon de La Muette.

Je vais goûter le luxe de la royale demeure et m’endormir avec à l’esprit l’image du tableau. La nuit m’ouvrira les voies de la sapience si elle ne m’emporte pas dans les tréfonds de l’oubli éternel.

La Muette

Je repense à cette idée qui ferait de la vérité un gage de triomphe. Il est tentant d’en faire la devise d’un roi. Hélas, le roi n’est pas l’égal d’un dieux, loin s’en faut. La puissance est pourvoyeuse d’inclinations coupables, étrangères à la vérité et terreau du mensonge.

Je me souviens comment, mon amour des arts et les exigences de la notoriété m’enjoignant de construire le château de Fontainebleau, je parvins à réunir les fonds nécessaires au lancement de la prestigieuse entreprise. Le peuple étant déjà rincé par les impôts que j’avais quadruplés, je décidai de m’en prendre à mon plus gros créancier, Jacques de Beaune, qui était par ailleurs principal intendant des finances. Il me fut facile de l’accuser de détourner les fonds destinés à la campagne d’Italie. Bien qu’ayant réussi à se justifier lors du procès, il fut accusé de concussion, condamné à mort et exécuté au gibet de Montfaucon. Ah, Montfaucon ! Y a qu’à ! Le château de Fontainebleau restera sans doute ma plus belle réalisation. On oubliera tous les efforts que j’ai déployés pour préserver cette enclave qu’est le royaume de France au sein de l’Empire. Mais l’on n’oubliera pas Fontainebleau. On oubliera Chambord mais pas Fontainebleau ! Ça valait bien un intendant !

Devant Le triomphe de Vénus, l’œil est immédiatement séduit par le couple lascif. Aucun doute possible, il s’agit de Vénus et son fils Cupidon. La technique de Bronzino a ceci de miraculeux qu’il peut se permettre de peindre les sujets les plus osés : ses personnages prennent la lumière comme des porcelaines. La porcelaine tire son nom du coquillage éponyme15 dont elle imite merveilleusement la matière. À tel point qu’on croyait jadis que les artisans de Cathay16 le réduisaient en poudre pour fabriquer les miraculeuses céramiques translucides. Mais pourquoi ce vilain nom de porcella qui convoque la truie romaine ? Précisément parce que le coquillage en question a la forme d’une vulve de truie, l’un des mets les plus prisés de toute l’Antiquité. Bon appétit, Messieurs ! Je savoure l’idée que Soliman le Magnifique, pensant faire acte d’abnégation en troquant l’or pour la porcelaine, s’alimente dans une vaisselle qui porte le nom de la truie.

Quoi qu’il en soit, pour quelle raison deux entités complémentaires, telles que Désir et Amour, peuvent-elles être conduites à se fondre l’une dans l’autre ? L’amour sans désir est-il de l’amour ? Toutes les formes de désir sont-elles éligibles à l’amour ? Amour et Désir semblent liés par quelque diablerie. Sont-ils les deux faces d’un même principe ? C’est peut-être la seule question que pose ce tableau.

Ça fait huit jours que nous sommes à La Muette. De nombreux courtisans ont fait le voyage depuis Paris pour fêter la mort de Barbe Bleue17. Les réjouissances m’ont empêché d’avancer dans la compréhension du tableau mais je me sens mieux et compte rejoindre Villepreux pour accompagner une chasse. C’est tout près d’ici, à environ trois lieues à l’ouest de Versailles.

Villepreux

Hier, nous avons couvert les quatre lieues du trajet La Muette-Villepreux en une demi-journée. Pas de quoi se rôtir la rate. Toutefois, le protocole est invariable. Des émissaires partent deux jours à l’avance pour reconnaître le trajet, déblayer et sécuriser les chemins, prévenir le personnel résidant.

En arrivant, je fais installer le tableau dans ma chambre. Il est revêtu d’un voile maintenu en place par des sangles. Personne n’a l’autorisation de les ôter, sous peine de mort.

Ce matin, je me suis rendu à cheval au départ de la chasse, au lieu-dit des Esquiveaux. Ma lourde masse a fait exploser ma fistule. J’ai attendu que les participants s’éloignent, pour rentrer à Villepreux en charrette. Je me suis consolé avec Le Triomphe de Vénus.

Les personnages sont représentés grandeur nature. Il semble qu’ils flottent à l’intérieur d’une colonne de verre. En s’approchant, l’on entre littéralement dans le tableau à leur rencontre. J’ai l’impression que mon corps est plus léger, ainsi. Soudain, mon œil averti remarque tout un essaim de détails.

Le visage en forme de masque de la Vérité (a) que le temps, Cronos (Saturne), dont on distingue une aile (c) et le sablier (d), parvient toujours à dévoiler. Le visage de Cronos exprime ici le défi, voire un mécontentement sournois. C’est un personnage irritable. Il a châtré son père et rogné les ailes de Cupidon.

Cronos (c, d) – Les roses (f)

Il se pourrait qu’il empêche, de son bras musculeux, l’Oubli (a), et non la Vérité, de rabattre le drap sur la scène ici dévoilée. S’il s’agissait de la Vérité, celle-ci devrait être dévoilée puisque la scène nous est révélée. Or, le corps du personnage est masqué par le drap bleu derrière lequel il se trouve. Il ne s’agit donc pas de la Vérité mais plus logiquement de l’Oubli s’employant à voiler la mémoire des anciens mystères. Son visage est figé, non reconnaissable, comme celui d’un masque.

Le seul argument en faveur de la Vérité est le rapport incestueux qui la lie à Cronos, son père, qui n’a de cesse de la dévoiler, rapport de même nature que celui qui lie, dans ce tableau, Cupidon à sa mère Vénus. Mais, puisqu’il ne s’agit pas de la Vérité, mais de l’Oubli, il ne s’agit probablement pas non plus de Vénus et de son fils Cupidon, mais d’Aphrodite, fille d’Ouranos le Ciel nocturne étoilé, et d’Éros issu du Chaos primordial18 comme Gaia, la mère d’Ouranos.

En grec ancien, léthé signifie oubli et le mot pour vérité est aletheia. Le a privatif semble indiquer que la vérité est un dés-oubli, un dévoilement, une réminiscence. Oubli ou Vérité, le personnage est double et son visage qui ressemble à un masque me persuade davantage qu’il s’agit du profil de l’Oubli.

Par ailleurs, l’Oubli et Vénus, tous deux de profil, se font face de part et d’autre de la flèche, comme deux images de part et d’autre d’un miroir. Ici Vénus incarne la Vérité triomphante défiant l’Oubli. C’est elle que dévoile Cronos. Le profil droit de l’Oubli et le profil gauche de Vénus sont les deux profils de la Vérité ici dévoilée.

Dionysos et son thiase

Doit-ont voir dans le drap déployé comme un rideau de fond, dans les masques de Commedia dell’arte et dans la mimique expressive de Cronos, une référence aux architectes dionysiaques, bâtisseurs de théâtres, qui se reconnaissaient entre eux en tendant leur index et leur majeur comme les branches d’un compas ou des cliquettes ? C’est ce qu’on serait tenté d’observer sur les mains de Cronos et de l’Oubli, mais leurs doigts sont refermés sur le drap.

Toutefois, divers indices font écho à l’univers dionysiaque : la chimère (l’aspect chimérique des satyres19), la rage de l’Oubli et de la Jalousie (la fureur délirante des ménades20), le rictus de Cronos (le visage possédé de Dionysos), l’abandon de Cupidon et de Vénus (les pratiques orgiaques des adorateurs), les attitudes d’Himéros (le thiase21 festif), le pied d’Himéros sur la ronce et la posture de l’Érote23 (les cornes de la mort qui menacent le jeune Ampélos22).

Mais l’on pourrait tout aussi bien dire qu’il y a du Pelée dans Cupidon et du Thétis, à la fois dans la chimère – Thétis se métamorphose sans cesse (oiseau, serpent, lion, poisson, seiche, eau et feu) pour échapper au mariage – et dans Vénus elle-même, immobilisée entre les bras de Cupidon – le centaure Chiron qui l’a élevé explique à Pelée comment réussir à faire conserver forme humaine à sa future femme Thétis, en la maintenant fermement pendant qu’elle change d’apparence, jusqu’à ce qu’elle cède de fatigue.
Il y a aussi de l’Éris, déesse de la discorde, dans la chimère qui offre le rayon de miel – lors de la cérémonie des noces sur le mont Pélion, Éris, furieuse de ne pas avoir été invitée, lance une pomme « à la plus belle », ce qui causera le jugement du mont Ida, avec Pâris, puis la guerre de Troie. Par ailleurs, il y a de l’Achille – fils de Thétis – dans Himéros dont la ronce blesse le pied – Hercule périra d’une flèche au talon tirée par Pâris et guidée par Apollon.

Enfin, pourquoi ne verrait-on pas celle d’Athéna23 – furieuse contre Aphrodite – dans la fureur de la vieille femme ?

Bien que distinctes, les hiérarchies divines sont toutes en toutes selon leurs modes particuliers24 et délivrent toujours le même récit initiatique raconté par des dieux différents : « Il ne sera pas énivré par quelque Bacchus, celui qui n’aura pas d’abord été uni à sa muse ».25

Ah, comme cette énigme est retorse !

La Vérité ou l’Oubli (a) – La flèche d’or (b)

Vénus semble avoir dérobé une flèche d’or (b) dans le carquois (k) de Cupidon. La déesse a-t-elle désarmé le putto26 pour rendre vaine la tentative de prise de pouvoir de celui-ci ? Dans tous les tableaux, Vénus tend une flèche d’or à Cupidon. Ici, tenue par une main levée dont l’index est pointé, la flèche symbolise selon moi l’unité d’Éros et d’Aphrodite. Comme la pomme, la flèche est d’or. Vénus les tient à distance l’une de l’autre, l’une en haut, l’autre en bas, pour rappeler l’adage « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». C’est aussi le sens, cher aux Médicis, du rapprochement du majeur et de l’annulaire27 de la main qui tient la flèche. L’on retrouve ce geste sur la plupart des portraits de Bronzino. Libre au spectateur d’entrer dans le tableau pour trouver sa place sur l’échelle des êtres.

Portraits par Bronzino

Je remarque que le diadème de la déesse (e) est orné d’une figurine représentant Vénus dans la position qui est la sienne dans le tableau. De la Vénus idolâtrée à la Vénus chimérique en passant par la Vénus figurée, le tableau superpose les mirages au sein d’une mise en abyme théogonique28 introspective. Née de l’écume et du ciel étoilé, l’Aphrodite primitive s’autoréférence et n’en appelle à aucune divinité tutélaire, pour accueillir dans sa paix, le dieu Éros comme un époux, afin qu’il la couronne : « Il me baisera des baisers de sa bouche ».29 Vénus est la métaphore30 de l’Aphrodite cosmique qu’elle porte sur son diadème.

Le diadème de Vénus (e)

Vénus ou Aphrodite ? Je soupçonne les peintres de brouiller les cartes en jouant sur les deux tableaux (sans mauvais jeu de mots). Sous couvert d’une Aphrodite antique et mystérieuse, ils exposent des vérités profanes imputables à une Vénus aux comportements vulgaires, voire luxurieux. Inversement, à travers des récits profanes, ils perpétuent en filigrane les mystères des déités antiques.

Plus tost des Cieux les murs seront ouvers,
Plus tost sans forme ira confus le monde,
Que je sois serf d’une maistresse blonde,
Ou que j’adore une femme aux yeux vers.31

Voici comment je m’en sors : lorsque l’arrière-plan de la déesse est constitué d’un drap bleu, je pars du principe que ce drap symbolise Ouranos, le ciel étoilé32 de la Grèce dont Aphrodite est la fille. Dans le cas contraire, je considère qu’il s’agit de la Vénus romaine, la Vénus populaire (la beauté sensible) que Platon oppose, dans son Banquet, à la Vénus Uranie (la beauté intelligible).33

Himéros, dieu du désir incontrôlable, passionné, ardent, tient une poignée de roses entre ses mains (f). Est-ce pour les jeter sur les amants ? Il est probable que l’Érote rassemble les roses dans ses mains pour glorifier l’union des contraires, tel le nœud d’Isis (la pose de Vénus évoque un relief égyptien) : les trois roses – le père, le fils et le Saint-Esprit – ou les deux poignées d’amour – Éros et Aphrodite – réunis en un seul principe de régénération primordial.

Relief égyptien

À moins qu’à sa façon, Himéros dévoile la Vérité en se faisant le complice de Cronos dont la main gauche est en contact avec celle de l’Érote. La réjouissance exprimée par leurs deux visages, révèle leur connivence. Dans ce cas, Himéros aurait confisqué ces roses à Éros – souvent représenté couronné de roses – pour mieux le dévoiler. Peut-être même offre-t-il ces roses à Cronos.

Deux masques représentant un visage jeune et un visage âgé sont déposés aux pieds de Vénus (t) – il semble même qu’il y en ait un troisième en dessous. Sont-ils déposés pour signifier que toute la vérité est faite, ou au moins qu’elle se trouve sous les yeux du spectateur ? Sont-ils ceux de Cronos, d’Himéros et de la vieille femme ? En effet, les visages inexpressifs des autres personnages ressemblent plus à des masques qu’à des « miroirs de l’âme ». Bronzino accentue l’impénétrabilité de ses figures et fait du portrait un art de la dissimulation du soi. Mais l’intériorité des figures sont des secrets de polichinelle tant le traitement des corps et les détails, qui accaparent toute l’attention du spectateur, concentrent l’expression de l’âme des personnages. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas : le téton dressé de Vénus et la cambrure de Cupidon en disent davantage que leurs visages, sur la nature profonde de ces deux déités.

À moins que les deux masques soient ceux portés par Vénus et Cupidon lorsqu’ils se livrent à la comédie de l’Amour pour faire naître ce sentiment chez les Dieux et les mortels. On retrouve deux masques abandonnés, dans de nombreux tableaux montrant Eros et Aphrodite dans leur intimité. Les deux masques abandonnés comme des coquilles brisées, renvoient aux deux colombes se béquetant dont la matière cornée des becs rappelle celle des masques ; une façon parmi d’autres de mettre en lumière le baiser d’Éros et d’Aphrodite.

Plus naïvement, le masque bronzé, dans l’angle inférieur droit du tableau est peut-être une coquetterie du peintre pour, sans avoir à signer son œuvre, indiquer qu’il en est l’auteur (le surnom de Bronzino signifie le bronzé, eu égard à la couleur foncée de la peau d’Angelo di Cosimo)34. Une façon originale, pour l’artiste, de lutter contre l’oubli et de passer à la postérité – nous en sommes tous là. Ce type de tableau est destiné à la sphère très privée des amateurs avertis ; personnellement je n’ai fait inscrire Le Triomphe de Vénus sur aucun de mes registres.

D’habitude, Himéros a le front ceint d’une tænia35. Ici, il porte à la cheville une chevillière ornée de grelots de cuivres (p) et semble danser une tarentelle. Il a la position des joueurs de tambourin qui accompagnent en dansant les artistes de premier plan. La main de Vénus tenant la pomme d’or est superposée au pied portant la chevillière. Cela indique le lien fort de l’Érote avec Vénus, chaque grelot de cuivre rappelant le fruit d’or par sa couleur et un bouton de rose par sa forme. Par un jeu de correspondances, Himéros nous dit à sa manière que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas : les roses entre ses mains, en place d’un tambourin, sont comme ces clochettes en forme de bouton de fleur, accrochées à sa cheville, qui font de la musique.

Est-ce en raison de ce tintamarre et de ce qu’il réveille de souvenirs cuisants, que la vieille femme (g) détourne le visage en serrant sa tête entre ses mains ? Le majeur et l’annulaire de sa main droite séparent le majeur et l’annulaire de sa main gauche, pour signifier l’incapacité d’unifier ce qui est en haut et ce qui est en bas. C’est le propre de la Jalousie, contrariée dans son élan fusionnel et obsédée par l’élément extérieur qui met en péril son phantasme. Il s’agit peut-être de Phtonos36, fille de la Nuit (d’aucuns prétendent qu’elle serait la fille d’Aphrodite, voire de Dionysos).

Elle me fait penser à Jeanne la Folle, la mère de Charles Quint, qui refusa longtemps l’inhumation de son époux, Philippe le beau37, dont elle était éperdument éprise ; elle me fait penser aux pestes, aux guerres et à la convoitise des princes, qui affament les artistes et les éparpillent aux quatre coins de l’Empire ; elle me fait penser à la santé mentale ravagée des grands vérolés en phase terminale. Vais-je m’éteindre moi aussi dans une crise de démence, ou bien mon corps fera-t-il preuve de mansuétude en laissant partir mon âme sans la spolier ? Peut-être Bronzino nous confie-t-il que, derrière la virtuosité, il met en jeu son âme tourmentée pour faire triompher la vénusté.

La vieille femme (g) – Himéros et les roses (f) – Chevillière (p)

Signalons que le pied droit d’Himéros écrase une banche épineuse (r) sans éprouver aucune douleur apparente (le désir voué au malheur ou se jouant de lui). Blasphème ? Après avoir confisqué la couronne de rose d’Éros, Himéros piétinerait la couronne du Christ ? Son pied gauche, dessiné vu de face, ressemble de façon troublante à celui de la chimère, vu de profil, qu’il croise, indiquant qu’il est une part symbolique de celle-ci. En outre, la queue de serpent de la chimère (q) passe entre les jambes de l’Érote (représentation familière de la figure venant vers le spectateur en enjambant un obstacle).

Des pieds et des épines

On remarque aussi qu’Himéros regarde par dessus son épaule, le bras tendu en travers du torse. Ces faisceaux d’indices me portent à croire que cette représentation de l’Érote célébrant le triomphe de Vénus, fait référence à la pose de Mithra tauroctone38 participant à la régénération du monde, dieu de la victoire des soldats romains chevauchant un taureau qu’il met à mort ; et plus largement, à Éon mithriaque qui associe Mithra au concept d’éternité et de renaissance figuré par Éon, une antique figure anthropomorphique du temps cyclique, à tête de lion et pieds de bouc, dont le corps est ceint d’un serpent qui parfois se mort la queue.

Éon mithriaque et Mithra tauroctone (IIe siècle après J.-C.)

Dans le tableau, la chimère ne se mort pas la queue mais elle tient néanmoins l’extrémité de celle-ci dans sa main (j), refermant le cercle du recommencement du temps d’Éon.

Par ailleurs, les mains d’Himéros serrant les roses (f) sont en contact avec une main de Cronos. Serait-ce pour éclairer le mystère du temps ? Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas : le temps empirique et linéaire de Cronos, figuré par le bras tendu du dieu, avec l’Oubli comme origine, serait-il la version simplifiée du temps circulaire d’Éon, incarné par Himéros et la chimère, le temps de l’Amour qui meurt et toujours renaît ?

Himéros est le personnage clé de ce tableau. Il est en relation directe avec Cronos, la chimère et Vénus. Par ailleurs, Éros et lui sont jumeaux. Enfin, il est le seul personnage en déplacement dans ce tableau. Le désir incontrôlable serait-il le moteur qui fait tourner le monde ?

Venons-en à cette jeune fille en robe verte, au visage doucereux (h), qui n’est autre qu’une chimère : écailles de poisson, arrière-train de lion, queue de serpent, dard de scorpion. De son bras droit pourvu d’une main gauche, elle tend un rayon de miel (i) symbolisant le plaisir. Son autre main, la droite au bout de son bras gauche, cache l’aiguillon (j) perfide et son ampoule à venin qui terminent sa queue (q) – paix à ton âme, mon François.

Chimère (h) – Rayon de miel (i) – Aiguillon (j)

Cette chimère est ce que les spécialistes appellent une fraude. Mais tous les portraits ne sont-ils pas des fraudes ? En particulier chez Bronzino qui, je le répète, accentue l’insondabilité des visages pour faire du portrait un exercice d’escamotage du soi.

Portraits réalisés par Bronzino entre 1542 et 1545

Aux pieds de Cupidon, outre le carquois (k), on distingue des attributs de Vénus : un pied de myrte (m) et une paire de colombes se béquetant (s). Cupidon est agenouillé sur un coussin qui symbolise la luxure. Les jambes repliées et la cambrure obscène de l’Érote miment celles de la chimère (l). Il est possible que cette dénonciation complaisante de la luxure ne masque en réalité une kabbalistique39 plus profonde, voire une eschatologie40.

Carquois (k) – Myrte (m) – Coussin (n)

Vénus serre dans sa main gauche une pomme d’or (o) symbole de beauté pure, comme un talisman garant de son intégrité. On ne peut s’empêcher de rapprocher cette pomme d’or, du rayon de miel symbolisant le désir, tendu par la chimère (i), un bras au-dessus d’elle. Que serait le Désir sans la Beauté ?

Rayon de miel (i) – Pomme d’or (o)

Il se peut que le rayon de miel soit une allusion à la pierre philosophale (or, éternité, guérison). Cette idée est renforcée par la tunique verte de la chimère qui connaîtrait la « langue verte » des alchimistes, référence à la table d’émeraude d’Hermès Trismégiste. Selon les cabalistes, la ligne verte qui entoure l’univers est l’âme du monde qui contient celui-ci, comme la couleur verte contient toutes les autres couleurs.

Je note que le carquois d’Éros qui contient ses flèches, est vert également, ainsi que certaines de ses plumes. Le vert, symbolisant éternité, résurrection et espérance, est aussi la couleur de Vénus. Ils sont tous de mèche, ces rouquins !

Sur le trajet Villepreux-Limours

L’intendant a proposé de ne pas couvrir les dix lieues d’une traite et de faire étape au château de la Madeleine, dans la baronnie de Chevreuse qui a été élevée en duché il y a deux ans. J’ai préféré faire étape un peu avant, à l’abbaye de Port-Royal des Champshaut-lieu. La sécurité y est plus difficile à assurer mais l’hospitalité des nones y est légendaire. Ça m’a rappelé de bons souvenirs.

La rigueur du lieu m’a ramené à des dispositions d’esprit plus sévère. Toutefois, afin de la protéger du Triomphe de Vénus, j’ai bandé les yeux de la none qu’on avait mise à mon service. Elle avait le fessier fort replet et la peau d’une douceur exquise. Je me suis contenté de la fesser comme il convient qu’une none soit fessée.

Maleoit gré de ma cheoite41
Mon cœur courtois me fait d’une amourette
Si doux présent qu’il faut en faire emploitte42
Que celle où j’ai mon cœur pressé
Je la tienne une fois entre mes bras nuette
Avant que j’aille outre-passer43.44

Un œil plus académique que le mien aurait sans doute commencé par considérer l’architecture du tableau. Mais mon œil profane est gourmand de détails, de bubons, d’écrouelles, de fistules, de lèpres et d’ulcères.

Il y a deux ans, j’ai perdu mon plus jeune fils, Charles, le plus beau, bien qu’il fût borgne des suites d’une petite vérole45. C’était mon préféré, il avait mon caractère enjoué et emporté. Il était populaire, gai, galant, plaisantin, extravagant. Efféminé, peut-être. Frivole, sans doute. Je lui avais donné comme page un petit poète de deux ans son cadet, Pierre de Ronsard46. Anne de Pisseleu avait pris Charles sous son aile et comptait arranger son mariage. Elle espérait sans doute à terme devenir sa favorite pour assurer son avenir.

Charles ne s’entendait pas avec son frère Henri mais il avait fallu par trois fois empêcher le seul fils qui me restait de se rendre à son chevet, à cause des risques de contamination. Malgré les mises en garde, Charles avait organisé une bataille de polochons dans une demeure réquisitionnée dont les occupants venaient de succomber à une épidémie de peste. Il se croyait invincible, comme son père.

Je n’avais pas pu m’empêcher de lui rendre visite malgré le danger. Je n’avais que peu à perdre. « Ah ! mon seigneur, je me meurs, mais puisque je vois votre majesté, je meurs content. » Telles furent ses dernières paroles. Je m’étais évanoui de douleur avant de me reprendre et d’ordonner l’évacuation des lieux contaminés. Ma vie venait de perdre le peu de sens qui lui restait. Maintenant, je m’accroche aux détails. Chaque nastreté47 minuscule du Triomphe de Vénus esflame mon esgardance48.

Cependant, les enseignements acquis durant toutes ces années passées au contact des artistes italiens, restent présents dans mon esprit. Je distingue notamment les lignes de force qui charpentent la représentation de ce tableau.

La première qui me saute aux yeux est la diagonale descendante gauche droite, en haut de laquelle se trouve l’Oubli et du haut de laquelle descend la lumière. Vénus est la seule qui regarde vers la lumière et son corps s’étire harmonieusement le long de cette ligne.

Sur la deuxième diagonale sont alignées les têtes de Cronos et de Chiméros (Himéros et la chimère), et la jambe droite de Cupidon dont la plante du pied semble vouloir faire sortir du tableau, les deux colombes émoustillées – à moins que l’Érote aux ailes rognées prenne appui sur les oiseaux.

Pour simplifier, disons que la diagonale des forces lumineuses croise celle des forces obscures.

La médiane verticale est tenue par Vénus qui reste droite, quoiqu’alanguie, comme suspendue, seulement vêtue d’un diadème et lestée d’une pomme d’or.

Sur le cercle inscrit dans le tableau, se positionnent un bras de Vénus, un bras de Cronos, un bras et un pied d’Himéros, une main de la chimère, les jambes repliées de Vénus, un bras et une main de la vieille femme, un pied du très affairé Cupidon qui par ailleurs redouble d’efforts pour faire en sorte que son cul vienne toucher le cercle. L’espace, saturé de figures, à la fois pesantes et flottantes, semble uniquement structuré par de la gestuelle. Les mains de Vénus et d’Himéros semblent entraîner le cercle, comme une roue, dans un mouvement rétrograde49.

Dans la nébuleuse du cercle, on retrouve également la plupart des symboles que j’ai déjà identifiés : la flèche d’or, les roses, l’aiguillon de la chimère, les épines sous le pied d’Himéros, les masques, la pomme d’or, le coussin, le myrte et le carquois. Plus excentrés, à chaque extrémité de la diagonale, on trouve le sablier et les deux colombes. Les deux becs joints figurent un sablier couché : l’Amour serait-il en mesure d’arrêter le temps ?

Le seul symbole qui ne figure pas sur le cercle est le rayon de miel tendu par la chimère. Je me demande pourquoi il se trouve proche du centre du cercle et non à son périmètre. Si mon ami Léonard50 était encore de ce monde, la raison lui en serait évidente. Je suis tenté de supposer que le rayon de miel tendu par la chimère est la clé du tableau. Le tableau tout entier est une chimère créée par la chimère qu’il contient et qui tend la clé de cette mise en abysme.

Enfin, je remarque que les têtes des trois personnages vénusiens majeurs sont dans la lumière, portent des cheveux roux (la chimère aussi) et sont positionnés sur une ligne horizontale qui partage également la moitié supérieure du tableau, juste en dessous du bras de Cronos. Une remarque qui n’est pas d’un grand intérêt.

Une analyse basée sur les triangles rectangles isocèles, ou un hexagone, chers à la manière italienne, est aussi possible.

Triangles et hexagone

Différentes zones s’organisent dans les triangles rectangles isocèles ; de haut en bas : épaules, têtes, sexes, pieds. Rien de bien original.

L’hexagone a l’avantage de ne pas superposer les triangles équilatéraux :

  1. Les deux figures majeures (Adam et Eve) sous le bras de Cronos (Dieu)
  2. Les visages de la tentation
  3. Le serpent à sonnettes
  4. Le pécher originel (pomme et sexe)
  5. La luxure (hanches et coussin)
  6. Plaisir (mamelon), souffrance (vieille femme) et rédemption (bras levé) : curieusement, les bras droits de la vielle femmeet de Vénus sont dans la même position.

Si l’on considères deux à deux, les triangles rectangles isocèles, la structure la plus prégnante est celle du sablier.

Losange et sablier

Nous tenons là une indication admirable qui établit ostensiblement que le tableau tout entier est une réflexion sur le temps. La main de Cupidon pressant le sein de Vénus et la main de la chimère pressant le rayon de miel, semblent comprimer le goulet d’étranglement du sablier, comme pour arrêter ou ralentir le temps.

Trois jours chez la Pisseleu

Malgré les infidélités que je lui fais, Anne de Pisseleu reste ma favorite51. Elle sera ma dernière compagne. J’ai tenu à faire une halte chez elle pour afficher aux yeux de tous la considération que je lui porte et lui donner l’occasion de cajoler Henri. Je ne me fais pas d’illusion mais je lui dois bien ça.

En me réveillant ce matin, j’ai réalisé que l’Oubli et la vieille femme souffrante avaient les cheveux sombres. Peut-être que la vieille femme ne s’arrache pas les cheveux mais qu’elle les protège pour qu’ils ne deviennent pas roux comme ceux des sorciers et sorcières qui peuplent le tableau. Ou au contraire, est-elle désespérée de ne pas répondre au canon de l’aristocratie de l’Amour. Peut-être n’arrive-t-elle pas à oublier quelque chose ou quelqu’un. Peut-être est-ce un avatar de la Vérité ou de l’Oubli, les deux ayant de bonnes raisons de s’arracher les cheveux. Peut-être se protège-t-elle le crâne contre la flèche dont la pointe la vise directement. Son bras droit est une réplication de celui de Vénus. Je n’ose imaginer la flèche fichée dans le crâne de cette femme, si c’était elle qui la tenait. Quand la flèche de l’Amour perce le cœur, l’être est subjugué, si la flèche d’aventure vise la tête, l’être sombre dans la folie. Cronos veut-il faire d’Aphrodite une déesse de la transformation, représentant le pouvoir destructeur du temps, en particulier sur les branches de l’ignorance que sont la jalousie et la passion ?

Cette vieille femme se tient peut-être la tête pour nous indiquer que nous sommes à l’intérieur de la tête de Vénus affrontant ses démons et luttant contre les forces qui l’écartèlent. Ou dans celle de Bronzino.

Je n’avance pas d’un pouce !

Cronos n’a pas de cheveux. Mais n’est-il pas pour autant concerné par ce qui se trame en-dessous ? C’est le seul personnage viril du tableau. Himéros, qui se déhanche comme une danseuse, et Éros, qui tend sa croupe comme un mignon, ont des grâces de courtisanes et appartiennent à l’univers féminin de Vénus.

Non, décidément, je n’avance pas d’un pouce !

Mes cheveux aussi se font rares. Le miroir est le seul de mes courtisans à ne pas me flatter. J’ai toujours eu le teint laiteux mais il tire maintenant sur le vert. La petite vérole ne m’a pas épargné. Il me reste quelque dents. Mes yeux sont injectés de sang dès le mois de mars. Pour les détendre, je les écarquille et les fait rouler en direction du ciel, puis les referme violemment plusieurs fois de suite. Heureusement, je suis très grand, peu de gens croisent mon regard et personne n’a envie de perdre sa tête.

Concernant Éros, je ne suis pas fixé. Les anciens le font apparaître en même temps que le Chaos et Gaïa, la Terre. Lorsqu’Aphrodite, demi-sœur de Cronos, est sortie de l’écume (où s’était répandu le sperme d’Ouranos, le ciel étoilé, châtré par son fils Cronos), les jumeaux Éros et Himéros était présents et n’ont depuis jamais quittée la déesse. Puis l’on a dit qu’Aphrodite était enceinte des jumeaux lorsqu’elle est sortie de l’écume. Enfin, on a raconté que Vénus était née de Zeus et de Dioné (une nièce de Cronos) et que Cupidon et Himéros étaient les fruits de ses amours adultères avec son demi-frère Arès.

Si le peintre a voulu nous mettre en garde contre la luxure, le temps lève le voile sur une scène incestueuse représentant Vénus dans les bras de son fils Cupidon. S’il a voulu ranimer la grandeur des dieux primitifs, Éros est ce dieux premier qui attendait l’arrivée de sa dame Aphrodite pour promouvoir l’amour et régner sur les dieux et sur les hommes. Si c’est le cas, le tableau représente l’Amour séduit par la Beauté. Il n’y a d’amour vrai que celui de la beauté et il n’y a de beauté que couronnée par l’Amour. Dans ce cas, Éros ne dérobe pas le diadème d’Aphrodite mais le met ou le remet en place. Et sa pose provocante n’est que le résultat de ses efforts pour soutenir sa reine qui semble entre ses mains une marionnette qu’il ranime (la renaissance de Vénus). J’y vois même, malgré moi, une descente de croix ou une déposition du grand corps de Vénus dont la spirale dextrogyre s’affaisse lentement, soutenue par Éros. Il s’agirait d’une fabuleuse inversion des rôles, Vénus prenant la place du Christ et Cupidon celle de Marie. Vénus, fille du ciel, surgie de l’écume pour sauver les hommes ! Des bûchers se sont allumés pour des fables plus anodines.

Par les temps qui courent, le chaos social et politique, figuré par la chimère et la folle, angoisse les artistes qui sentent glisser sous leurs pieds toute fois et toute certitude. Afin d’exorciser leurs craintes, ils plongent les anciens mythes dans le chaos pour les reconstruire à partir de celui-ci (la chimère tend le rayon de miel). Éros fait en sorte qu’Aphrodite se redresse et il la ranime, bouche contre bouche, encouragé par Himéros.

Afin de ne pas être soupçonné d’hérétisme, l’artiste dissimule ses angoisses sous le masque de la froideur, derrière une débauche de virtuosité, mélange de sophistication et de complexité. L’esthétisme évolue vers la négation de l’espace fictif des perspectives, au profit d’une surface close où les figures composites s’accumulent et s’équilibrent dans l’apesanteur d’un monde d’idées pures – Vénus est comme suspendue -, associant les chimères et les songes de l’artiste à une profusion de significations morales et symboliques.

Michel-Ange a montré la voie. Mais quel chemin parcouru en moins de quinze ans !

Dans le dessin de Vénus et Cupidon de Michel-Ange, Vénus est massive, elle porte le petit Éros qui n’a pas la force de l’adolescent de Bronzino.

Vénus et l’Amour de  Pontormo (1533), d’après un dessin de Michel-Ange (1532)

Contrairement au tableau en huis clos du Triomphe de Vénus, une perspective est ouverte en direction d’une nature crépusculaire très codifiée (on retrouve un décor similaire dans Cupidon se plaignant à Vénus, 1526, de Cranach l’Ancien). Éros remonte le drap bleu nuit pour préserver l’intimité de la déesse. Les outils de l’Amour sont rangés dans une sorte de meuble rustique surmonté d’une vasque où macèrent des roses. Les déités grecques ont ôté leurs masques romains. On voit une marionnette abandonnée en bas du meuble. L’arc appuyé contre le meuble est trop grand pour Éros. C’est ce qui me laisse penser que la scène représente non pas Aphrodite mais Pénélope amoureuse attendant le retour d’Ulysse, marionnette soumise aux caprices des éléments, dont l’arc détendu rappelle l’absence cruelle. La main gauche de Pénélope indique Éros, sa main droite indique l’arc de l’absent : son amour pour son époux est intact. Et toujours cette flèche phallique dont l’or traduit la nature phantasmatique. Le bras d’Éros sur la gorge de Pénélope enjoint celle-ci à garder le silence, à taire sa douleur, à ne pas accepter les propositions de mariage des prétendants et à attendre les auspices favorables qui ne manqueront pas d’émerger tôt ou tard de la branloire pérenne52 du monde.

Quelle soit Vénus ou Aphrodite, la déesse triomphe sur tous les fronts chez Bronzino. Soit elle dénonce la luxure, soit elle célèbre son union avec Éros, soit elle renaît grâce à ses courtisans et frères d’arme qui la vénèrent, soit elle impose le temps de l’Amour, soit elle sauve les hommes de péché. Platon a inventé une belle histoire pour nous dire que le premier amour, c’est à dire le désir de la Beauté, est né tandis que s’écoulait en lui la splendeur imparfaite des idées53 (la Beauté venait de naître lorsque l’Amour fut conçu) : dans les jardins de Zeus, alors que les dieux célébraient la naissance de Vénus, Éros aurait été conçu par Poros ivre de nectar, une divinité allégorique, inventée par Platon, personnifiant l’expédient54, et la mendiante opportuniste Pénia (la Pauvreté). On a les favorites qu’on mérite !

Mais l’expression carnassière qui déforme le visage de Cronos dévoilant Vénus (comme Cronos dévorant ses enfants, l’amour est dévorant), est-elle celle d’un demi-frère jaloux ou secourable ? Celui d’un grand-oncle concupiscant ou protecteur ? L’esprit est un royaume où se croisent la lumière et la sanie. Si l’âme vit avec Vénus la vie concupiscible55 et avec Cronos (Saturne) la vie contemplative56, Bronzino ironise en peignant la perversité sur le visage de Cronos pour laisser entendre qu’il n’y a qu’un pas du contemplatif au concupiscible, que nous fait franchir le voyeurisme, celui de Cronos et celui du spectateur.

Aujourd’hui, je vais suivre les humus chanteurs. Sourd aux injonctions de la miasmatique, je goûte les effluves acides des parties excrémentielles et bourbeuses de ce monde inférieur. Je ne m’éloignerai pas. Les terres sont spongieuses et mon pied n’est pas sûr. L’air est étrangement doux pour la saison. Je redoute le printemps et l’explosion de ses vermines qui me fait sortir par le nez des vers comme des pouces. Il faut que je change ma chemise, elle empeste.

Rochefort en Yveline

Hier, nous avons sans encombre mais non sans douleur, couvert les quatre lieues séparant Limours de Rochefort. J’ai la ferme intention de suivre une chasse mais la fièvre pousse son fer et les douleurs sont omniprésentes. J’ai rêvé que j’étais poursuivi par une meute. Je ne vais pas pouvoir donner le change bien longtemps.

La nuit n’a été ni réparatrice ni fructueuse. Ah, si, j’ai remarqué quelque chose d’intéressant au niveau des mains des personnages du Triomphe de Vénus. Les figures principales sont absorbées dans des actions contradictoires ou complémentaires, c’est selon. La mobilité et les intentions des corps en quête d’infini témoignent de la dignité de l’homme, seule créature susceptible de se mouvoir à travers l’échelle des êtres. Les corps ne sont plus inscrits sur la grille contraignante de la perspective mais hiérarchisés en fonction de leur volume et leur capacité à prendre la lumière et se mouvoir ; dans l’ordre, Aphrodite, Éros, Himéros, Cronos, la chimère, la vieille femme, l’Oubli, les colombes, les masques.

Vénus serre dans sa main gauche la pomme d’or que lui offrit jadis Paris pour glorifier sa beauté insurpassable ; dans sa main droite, elle brandit une flèche d’or dans le prolongement du bras de Cronos ; ce qui n’est pas sans rappeler La Création d’Adam de Michel-Ange – c’est amusant, il a terminé cette fresque l’année où la Jacquette57 m’a fait homme. À moins qu’il ne s’agisse de la création d’Ève à partir d’une côte d’Adam – la flèche prise au carquois d’Éros serait cette côte.

La Création d’Adam de Michel-Ange

Vénus regarde à contre jour la flèche qu’elle élève dans la lumière. La pomme d’or au creux de la main enveloppante, associée à la flèche d’or dans la main à l’index pointé, rappelle le premier principe hermétique : le Tout est esprit, l’univers est mental.58

Vénus maîtrise la beauté, le désir et la lumière de l’amour toujours renouvelé, n’en déplaise au sombre Cronos qu’elle défie en opposant au bras tendu de celui-ci le signe de protection contre le mal qu’elle esquisse avec ses doigts « en cornes de diable » posés sur la flèches59. Elle triomphe et ne craint rien ni personne. Dans le langage vert des initiés, son auriculaire pointé symbolise et honore le mystère féminin et la régénération naturelle de la vie.

Vénus ne craint certainement pas Cupidon le hardi qui d’une main érige le téton de la déesse et de l’autre essaie de la détrôner en lui ôtant son diadème.

Craint-elle davantage la chimère qui, singeant la déesse, serre dans la main gauche un rayon de miel, quintessence du désir éternel (le miel entre dans la composition de l’ambroisie), et tient dans sa main droite l’aiguillon de sa queue de scorpion ? Cette chimère est la matérialisation des dérèglements engendrés par l’amour dans le cerveaux des hommes sans foi, ici mis en scène en utilisant les protagonistes de cette confrérie de la jarretière (chevillière, diadème, carquois en bandoulière) qui n’est qu’un théâtre d’ombres sur le drap du vieux Cronos.

J’ai aussi remarqué qu’aucun arc ne figure dans ce tableau. Cependant, certains personnage adoptent la position du tireur à l’arc. Cronos le premier, dont la main gauche semble avoir décoché une flèche en direction de l’Oubli. Est-ce cette flèche que Vénus a interceptée ? La main droite de l’Oubli semble quant à elle toujours en train de tendre la corde d’un arc imaginaire.

Les deux mains des tireurs sont naturellement placées au niveau de leurs gorges. Ce qui signifie qu’ils sont tenus au silence. La scène dévoilée est donc par nature ésotérique et cryptée.

Déformation professionnelle, la main droite de Cupidon pince le téton entre l’index et le majeur comme le talon d’une flèche. Mêmement, la main de la chimère dorlote sa queue de scorpion.

La tête et les bras de Vénus figurent peut-être l’arc ultime que Cupidon tente en vain d’apprivoiser tel l’Antinoos60 de l’Odyssée.

Ces considérations cynégétiques ne doivent pas m’égarer. Vivement que je retrouve la force de suivre une chasse. En attendant, je dois me contenter de la meute que j’ai fait venir sous mes fenêtres. Les jappements des bêtes trépignant sur le gravier calment mon grand corps malade.

Le château de Rambouillet

La dernière nuit à Rochefort a été un enfer. Il n’est plus question de chasse. Pour la première fois j’ai écouté mes médecins qui n’ont pas mis plus de deux jours à me convaincre de rentrer à Paris. Je savais que je ne pourrais pas faire le trajet d’une seule traite. Hier, les cinq lieues qui séparent Rochefort du château de Rambouillet ont été un écartèlement.

Rambouillet n’était pas précisément sur le chemin de Paris. Je soupçonne l’entourage de vouloir faire étape dans un domaine digne de la mort d’un roi. Je suis en observation dans un lieu où la cours trouvera peut-être à se loger. Les carrosses ne cessent d’accourir. La cour toute entière veut assister à mon agonie.

Le fait est que depuis mon arrivée à Rambouillet, je garde le lit comme une femme en couche.

Cette nuit, Léonard m’est apparu en rêve. Je ne sais pas si c’est de bon augure. Nous étions en conversation, comme tant de fois de son vivant. J’ai commencé mon règne avec lui et il nous a quitté un mois après la naissance d’Henri, qui va me succéder. C’est le privilège des rois de pouvoir s’entretenir avec les grands esprits. Dans ce rêve, il m’a dit ceci :

Tend un fil entre l’effet et le rayon et jusqu’à la cause, prolonge-le.

Il a ajouté :

Avec le temps tu comprendras intimement la signification de ce tableau.

Heureusement que je suis rompu aux circonvolutions de Léonard !

Le temps n’est autre que le vieux Cronos. Heureusement, car du temps je n’en dispose plus.

Et le rayon n’est pas celui du cercle mais celui du miel. En l’occurrence, un rayon de miel n’a jamais aussi bien porté son nom.

J’ai donc à ma disposition deux clés. D’une part le Temps et d’autre part le rayon de miel tendu par la chimère, le seul attribut de Vénus qui ne soit pas sur le cercle circonscrit au tableau, mais proche de son centre. Mettons à l’épreuve de cette clé la recommandation de Léonard.

Par exemple, pourquoi le fessier cambré de Cupidon (a) ?

Le fil tendu passant par le rayon de miel nous conduit à la croupe de la chimère. La chimère provoquerait un dérèglement des esprits, les conduisant à une forme de mimétisme inconscient à l’origine d’une forme de chaos. La chimère elle-même est un être indifférencié composé de membres empruntés à diverses espèces, capable de mimer tout ce qu’il voit, chaque partie étant la capture d’un reflet. Son mimétisme étant communicatif, elle fait en sorte que chacun désir ce que l’autre désir, faisant de l’homme un éternel insatisfait. Seul les dieux, qui sont infinis, sont en mesure de résister à cet engrenage qui conduit les hommes à l’indifférenciation et à la folie. C’est la raison pour laquelle il est préférable d’aimer Dieu qui est aimé de tous et qui vous aime d’un amour infini et inconditionnel.

Mais avant de parvenir à la croupe de la chimère, le fil passe par le ventre d’Himéros, le « désir incontrôlé ». Cupidon appelle-t-il ce ventre à venir se poser sur ses reins ? Un clin d’œil aux passions notoires de Bronzino que la Chimère, avide d’indifférenciation, considère comme bienvenues en son royaume ? Ou bien, tout simplement, le peintre proclame-t-il que l’Amour n’est pas le privilège des hétérosexuels ?

L’homme s’étant vu gratifié, selon la formule chaldéenne, d’une « nature variable, multiforme et voltigeante », lui donnant le pouvoir d’avoir ce qu’il souhaite et d’être ce qu’il veut, la chimère montre le cauchemar qui peut advenir s’il se contente du sort des créatures sensibles en s’abandonnant au mimétisme et à la luxure, au lieu de rassembler le multiple dans l’un, tels les membres d’Osiris, et de se recueillir au centre de son unité pour former avec Dieu un seul esprit, dans l’ineffable opacité du Père dressé au-dessus de toutes choses, ici figuré par Cronos.

Pourquoi la vieille femme souffre-t-elle en se tenant la tête dans les mains (b) ?

Nous venons de voir que l’obsession mimétique, conduisant au désir du partenaire d’autrui, ronge les hommes jusqu’à la folie. Par ailleurs, Cronos met un terme cruel à ce vertige en instruisant la décrépitude, lente ou accélérée, dans le corps et dans le cœur de l’homme. Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit au sexe d’Himéros, le désir incontrôlé. L’obsession a rendu folle cette femme dont la bouche grande ouverte encore pourvue de dent est prête à châtrer le porteur du phallus pour que cesse son tourment.

Pourquoi la Vérité a-t-elle le visage aussi peu expressif (c) ?

Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit à une paire de masques dont l’un est jeune et pâle et l’autre âgé et bronzé. Le visage de la Vérité est inexpressif car il porte encore le masque de l’Oubli. Le propre de l’Oubli est de semer la confusion et de brouiller les identités, comme le font les masques. La chimère compte sur cet égarement pour prendre le pouvoir.

Pourquoi Vénus brandit-elle une flèche d’or derrière la tête de Cupidon et pourquoi Cupidon pose-t-il sa bouche sur celle de Vénus (c) ?

Habituellement, Vénus tend la flèche d’or à Cupidon. Ici, elle la brandit derrière son dos. Peut-être même l’a-t-elle tirée de son carquois.

Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit également à la paire de masques déposés sur le sol, symbolisant une révélation. Le temps s’inverse. Vénus contemple la flèche d’or, le visage tourné vers la lumière, tel Jésus contemplant la croix que son cousin Jean-Baptiste vient de lui offrir, dans La Vierge à l’Enfant avec les saints que Bronzino a peinte cinq ans plus tôt.

Le Triomphe de Vénus et La Vierge à l’Enfant avec les saints

Dans ce tableau, la vierge tient son visage tout près de celui de Jésus pour sublimer son rôle de mère nourricière. Les rôles s’inversent dans Le Triomphe de Vénus où, tel une abeille ouvrière nourrissant sa reine de langue à langue61, Cupidon nourrit et stimule sa déesse. Vénus est une pondeuse d’idylles, une source de félicité dont dépend l’avenir du monde. Les masques ôtés symbolisent la révélation et l’illumination.

Quelles sont les intentions de Cronos, d’Himéros – le désir incontrôlable – et de la chimère (d) ?

Pour les trois têtes alignées, le fil tendu passant par le rayon de miel conduit au sexe de Vénus. Cronos veut percer un mystère, Himéros recherche l’objet de son désir incontrôlable et la chimère veut prendre ou reprendre le pouvoir par et sur le sexe de la déesse. Le rayon de miel en est la quintessence. Vénus est une fontaine de jouvence à laquelle tous viennent s’abreuver. L’abeille est le symbole de la maternité virginale. Le miel est comparé au lait maternel de la Vierge et, selon Hadewijch d’Anvers, « Jésus est miel à notre bouche ». La chimère presse le rayon de miel – symbole du sexe de la déesse – comme Cupidon presse le téton de Vénus.

Pourquoi ces fleurs de rose brandies entre les mains d’Himéros, le désir incontrôlable ? Il est probable qu’il souhaite les offrir à Vénus pour lui témoigner son allégeance, comme il est d’usage à un vassal envers son seigneur. Mais il les porte comme un trophée. Quelle est leur provenance ?

Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit aux deux colombes se bécotant. Il devient clair à mes yeux que ces roses sont les virginités arrachées aux belles par le désir incontrôlable, en dépit des souffrances et des regrets. La seule vocation de l’Érote est d’obéir à sa reine en dépit des souffrances qui pourraient advenir. Son pied ne foule-t-il pas une branche épineuse, indifférent à toutes les souffrances ? Le symbole de la flèche d’or perçant les cœurs laisse entendre que l’amour n’exonère pas de la souffrance. Les femmes en savent quelque chose lorsqu’elles se retrouvent les jambes en croix, à l’heure de la délivrance. Certes, la souffrance rédemptrice n’est pas le fond de commerce de Vénus. Mais cette déesse entourée de ses Érotes aux ailes bruissantes – Éros, Himéros, Antéros l’amour réciproque, Pothos l’amour de l’absent, Hédylogos le beau-parleur, Hyménaios l’hymne nuptial, Hermaphroditos, Phtonos la jalousie, et j’en passe – n’est-elle pas elle-même une chimère aux expansions multiples, comme peut l’être une ruche, ou un roi ? Au même titre que les colombe, l’Érote est un attribut de Vénus. Ni plus ni moins.

Enfin, quel est le rôle de la pomme d’or que serre Vénus dans sa main gauche, au bout de son bras ballant, comme pour tenir le trophée à distances des protagonistes qui s’agitent autour d’elle avec des intentions inégales et ambigües ?

Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit en premier lieu à la main d’Éros-Cupidon posée sur le diadème de la déesse. Geste tendre ou geste fourbe ? La possession de la pomme d’or attribuée à Vénus par Paris pour récompenser sa beauté, rappelle que Vénus est l’élue indétrônable, ce que rien ni personne ne peut remettre en question ou faire oublier. Ni Éros, ni la déesse de l’Oubli dont la main semble vouloir rabattre le drap pour masquer la scènes que nous avons sous les yeux. C’est en effet à cette seconde main que conduit le fil tendu passant par le rayon de miel.

Enfin, l’on peut se demander s’il n’y a pas un tableau dans le tableau, centré sur le rayon de miel. La chimère dessinerait son propre tableau à partir du rayon de miel, dans un rayon d’action qui irait jusqu’au bord droit du tableau, là où se trouve le dard et son ampoule à venin.

Le cercle à mi-parcours délimiterait une première sphère sensible comprenant les yeux de la chimère, le sexe d’Himérios et la main de Cupidon sur le téton de Vénus.

Plus largement, le cercle de l’intelligible mettrait en relation le dard de la chimère, la chevillière d’Himéros, la pomme d’or, le sexe de Vénus, la tête de Cupidon, la tête d’Himéros et la poignée de roses.

Eros, est amoureux de la beauté (la pomme d’or et le sexe de Vénus), poussé vers elle par un désir incontrôlable (Himéros, les roses et la chevillière) comme sous l’emprise d’un philtre (le dard et son venin), tel ce vin herbé destiné au roi Marc et à la reine Iseut, « afin qu’ils s’aiment de tous leurs sens et de toute leur pensée, à toujours, dans la vie et dans la mort ».

L’on voit une fois encore qu’Himéros est le personnage principal, celui auquel peut s’identifier le spectateur. Son corps occupe toute la hauteur du tableau et ses membres donnent la direction des diagonales.

J’ai bien avancé ce jour sur les tenants et les aboutissants de cet énigmatique tableau. Le Temps devrait m’aider à dégager une signification claire de l’ensemble. Je sais d’ores et déjà qu’elle ne sera définitive que pour moi dont la mort approche et dont l’esprit se fragmente telle une chimère putride.

L’agonie du roi

On est le 20 février. Ma santé s’est encore détériorée. Je n’ai pas quitté le lit depuis mon arrivée à Rambouillet, mi-février. On m’a percé les émonctoires afin d’évacuer le pus nauséabond que mes entrailles produisent. Il n’est pas envisageable que je reprenne la route de Paris dans cet état. L’on commence à me parler de confessions générales et d’extrêmes-onctions. Au cas où, cela s’entend. En vérité, je crois que j’agonise. Je ne suis pas seul à le penser.

J’ai confessé l’alliance que j’ai mise en place avec le roi d’Angleterre Henri VIII, l’ennemi héréditaire de la France, ainsi que d’autres arrangements avec les princes protestants de l’Empire et le sultan ottoman Soliman le Magnifique – arrangements contraires aux intérêts chrétiens dont je suis censé être le garant.

Il fallait aussi que je confesse l’exécution de l’édit de Mérindol et la croisade contre les Vaudois protestants de Provence. Le président du Parlement d’Aix et le baron d’Ollières exécutèrent mes ordres au cœur joie. La cruauté mise en œuvre fut sans précédent. Même Charles Quint s’en était ému. Je devais donner une preuve de ma bonne volonté malgré mon soutien aux princes protestants de Germanie. J’ai fait d’une pierre deux coups en purgeant la France de ces hérétiques tout en entretenant la fronde dans l’Empire. Anne de Pisseleu, j’implore votre pardon.

Je suis aussi censé préparer une harangue à l’attention de mon fils Henri, mais mon cœur est tari. J’improviserai quelques banalités. Je préfère me concentrer sur Le Triomphe de Vénus.

Même si ma raison s’égare, j’ai maintenant, sur cette œuvre, les idées assez claires. Pourquoi faire tant de mystère autour de ce tableau dont le sens est dans le titre. L’Amour triomphe dans la lumière face aux enfants de la nuit (Nyx) relégués dans l’ombre ou en arrière plan, Phtonos (la jalousie), Apaté (la Fraude) et Léthé (l’oubli), ceux qu’Empédocle regroupe derrière l’étendard de Neikos (la querelle)62.

Vénus triomphe en dépit de sa nature chimérique qui n’est pas étrangère à celle du monde qui advient. J’ai le sentiment d’une irréductible complexité, plus précieuse en définitive que l’ordre, l’équilibre ou la raison, et qui n’est pas étrangère aux mystères de la conscience.

Les déités au service d’Aphrodite obéissent aveuglément à la déesse car elles forment avec elle une entité complexe et protéiforme. L’Amour éphémère, sans cesse nous dévore et nous recrache dans les cendres fumantes de notre mémoire afin que nous poursuivions notre route vers le prochain amour, jusqu’à l’amante ultime dont nous implorerons le coup de grâce et le mortel venin. Purifiés par l’Amour peut-être renaîtrons-nous comme lui, dans l’unité du seigneur ou ailleurs.

Par-delà les spéculations mythologiques et religieuses, et par-delà la grâce, qui est subjectivement dans la volonté et non dans l’essence de l’âme63, Bronzino pose à travers son art subjectif, la question philosophique de la possibilité de la représentation de la vénusté (la beauté). Derrière l’ironie, la virtuosité et l’apparente facilité, la beauté triomphe au prix d’un embrasement de l’âme. Les artifices ont pour enjeu une eschatologie de l’art.

Toutefois, je soupçonne Bronzino, qui est persuadé que le péché est soluble dans la grâce64, d’espérer que la grâce de ses personnages rejaillira sur lui et lui vaudra d’être accueilli par Dieu dans la vie éternelle.65

La mort du roi

Hier, j’ai reconnu mon fils Henri comme héritier légitime.

J’ai pressé Anne de Pisseleu de gagner Limours. Je crains pour sa vie bien que j’ai fait jurer à Henri de lui accorder la vie sauve.

Je souffre atrocement. Il est temps d’en finir avec Cronos.

Quel est la devise du temps ?

Celle de notre famille fut instituée par mon maître, François Demoulins : « Nutrisco et extinguo » , « Je nourris et j’éteins » . Mon grand-père Jean d’Orléans, comte d’Angoulême, avait choisi la salamandre comme emblème, après être parvenu à éteindre les vieilles querelles et accessoirement être resté détenu en otage en Angleterre pas moins de 33 ans.

La croyance veut que cet animal mythique soit insensible au feu. La salamandre est capable de vivre dans le feu qu’elle nourrit, et de l’éteindre. On a coutume de la représenter comme un gros lézard à tête de dragon, environné de flammes.

Des flammes semblent sortir de sa bouche mais il est plus exact d’affirmer qu’elles y entrent, puisque la bête s’en nourrit – ce qui a pour effet d’éteindre le feu. D’où la devise « Je nourris et j’éteins » : insensible, la salamandre nourrit le feu qui l’environne, et en le dévorant l’éteint.

Ainsi procède Vénus quand elle enflamme le cœur des hommes d’une flamme dont ils se nourrissent au lieu que d’en périr.

On dit qu’en Cypre estoit jadis une fournaise,
En qui la Salamandre au milieu de la braise
Entretenoit sa vie, et se mouroit alors
Que la flamme sa mere abandonnoit son corps.
Nos pensers, qui tousjours tournent tout à l’entour
De la personne aimée, et se meuvent d’Amour
(Comme tout mouvement est chaud de sa nature)
Nous enflamme le cœur d’une flamme si pure
Et si belle, qu’en lieu de nous faire mourir
Nous sentons son ardeur doucement nous nourrir.66

Mais bientôt insensible, le corps n’entretient plus le feu et l’amour s’éteint. Aux châteaux de Fontainebleau et de Chambord, foin de l’Amour, aucune flamme n’entre ni ne sort de la bouche de mes salamandres. J’ai tenu à écarter tout malentendu en leur faisant cracher des épis de blé tendre.

C’est, me semble-t-il, plus valorisant pour notre famille et plus compréhensible par le vulgaire qui n’imagine pas un dragon avaler du feu.

Par ailleurs, la France étant de toutes parts, entourée d’ennemis auxquels elle résiste avec courage et succès, j’ai conservé les flammes dont l’animal est environné.

Le roi nourrit la France et neutralise ses ennemis !

Ce gros lézard disgracieux me rappelle ma première épouse, Claude de France. Cette fille de Louis XII était bigle, boiteuse et obèse. Elle m’a tout de même donné trois fils. La vérité est que, malgré sa laideur, elle avait la coquille juteuse comme la reine-claude à laquelle elle a donné son nom, et elle gamahuchait dans les bosquets avec une telle ardeur, qu’il était difficile de lui résister.

A-peine eut dit qu’elle s’approche,
Et le bon François qui l’embroche
Fist trepigner tous les Sylvains
Du dru maniment de ses reins.67

Cela dit, « Je nourris et j’éteins » pourrait être la devise de Cronos qui fait naître et mourir toute chose.

De même, Vénus fait naître le feu de l’amour qui ne tarde pas à s’éteindre.

Elle doit bien y être pour quelque chose. L’amour protéiforme qu’elle inspire, manque le plus souvent de vigueur. Cronos s’en amuse avec un rictus de vieux fripon. La distraction favorite de ce psychopathe consiste à écarter un rideau pour dévoiler un miroir dénonçant les ravages du temps. Un amour de la Vérité qui tourne au quauquemaire68.

Seul l’amour du Christ est infini. Le Christ ne meurt qu’une fois mais Vénus doit renaître sans cesse. Vénus l’indestructible nourrit le feu de l’amour puis l’étouffe. Des milliers de pétales de roses ne cacheront pas le tapis de cendre qu’elle laisse derrière elle. C’est à se demander si son mari, Héphaïstos, dieu du feu et de la forge – boiteux comme feu la reine Claude – ne serait pas derrière tout ça, afin de se venger des trop nombreux amants de sa femme.

Vénus est une grosse salamandre aux pieds de laquelle je me suis souvent agenouillé. Vénus, faites cesser ma douleur, éteignez le feu qui me dévore les entrailles, au nom de la salamandre, je vous en conjure ! Faites en sorte que je n’arrache pas les derniers cheveux qui me restent. Abrégez mes souffrances et délivrez-moi des puanteurs. Abaissez sur mes yeux votre drap bleu comme le ciel étoilé dont vous êtes la fille. Que vos anges m’emportent et lâchent au-dessus des eaux de l’océan ma carcasse suintante. Éros, Himéros, Antéros, Pothos, êtes-vous là ?

Nous sommes le 31 mars. Je dois souhaiter son anniversaire au nouveau roi Henri II. J’ai peur de lui porter la poisse. Il va falloir que je meure avant la fin du jour pour éviter cette situation importune.

La salamandre est allongée dans la cheminée ; à moins que ça ne soit la gravure qui orne le contrecœur69. Elle me rappelle le dragon qui se mort la queue, cette ancienne figure du temps cyclique d’Éon et d’Aphrodite. Elle s’est retournée. Elle me regarde de ces grands yeux mélancoliques. Je crois que je délire. Elle s’est levée. Elle s’approche. Elle est majestueuse. C’est une déesse. Elle tend vers moi son mufle plus doux que le cul de Cupidon. Elle va me dévorer, et avec moi ce feu qui me dévore.

En place du nœud de Savoie de ma mère Louise, qui symbolise la concorde et les liens familiaux, un dard équipe l’extrémité de la queue de l’animal : passée la naissance, faut-il donc que l’on meurt ? L’horloge vient de sonner treize heures. À l’abri dans la salamandre, serais-je protégé des flammes de l’enfer ? Serai-je libéré de ce feu qui, depuis des années, les entrailles me ronge ? J’espère au moins que mes péchés, qui finissent avec moi, ne justifieront pas des peines infinies.70

Pardonnez-moi, mais je crois qu’il faut que je meure.

Je vous salue heureuses flames,
Estoiles filles de la Nuit,
Et ce destin qui nous conduit
Que vous pendistes à nos trames71.72

« In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum ».73 Adieu Marguerite74, Henri, Anne de Pisseleu, Pierre du Chastel75 ! Je pars !

Adieu chers compaignons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vay le premier vous preparer la place.76

Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, peut-être vais-je pouvoir suivre le cerf dans les guérets du Seigneur. Jésus , ma mère, Claude, Vénus, Léonard, me voici !


ANNEXES

Genèse de l’article

Lors d’une visite à la National Gallery de Londres, en été 2024, deux tableaux de Bronzino, La Vierge à l’Enfant avec les saints et Le Triomphe de Vénus avaient retenu mon attention. J’avais été sidéré par l’indigence des présentations accrochées sous les tableaux. Certaines similitudes entre les deux tableaux m’avaient frappé malgré leurs sujets a priori très différents. Il y avait matière à réflexion. J’ai présenté succinctement ces deux tableaux dans mon article précédent, Tensions superficielles.

Très vite j’ai su que Le Triomphe de Vénus allait faire l’objet d’un article à part entière.

J’ai appris que la représentation du Triomphe de Vénus avait été détournée de sa fin première pour devenir un tableau destiné à être offert à François 1er.

En m’apercevant que le roi était mort en 1547, soit moins d’un an plus tard, j’ai eu l’idée de faire analyser le tableau par François 1er, durant le court voyage qu’il entreprit environ un mois avant sa mort.

Evidemment, tout cela est romancé.

J’ai exploré Wikipédia et les quelques sites que voici :

J’ai lu ou parcouru quelques livres dont voici la liste :

  • De la dignité de l’homme (1485) de Pico della Mirandola*
  • Anthologie de la poésie française du moyen âge au XVIIe siècle, Pléiade*
  • 900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques (1485) de Pico della Mirandola*
  • Essais d’iconologie (1939) d’Erwin Panofsky*
  • La Renaissance maniériste (1997) de Daniel Arasse*
  • If the Paintings could talk (2008) de Michel Wilson*
  • L’histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça (2012) de Catherine Dufour*
  • Renaissance italienne – Les messages cachés des grands maîtres (2022) de Renee Mulcahy et Armand d’Apremont*
  • La société du mystère (2017), roman de Dominique Fernandez

* contenu utilisé pour écrire l’article.

Généalogie des dieux grecs

Chaos est la personnification du Vide primordial. Selon Hésiode (La Théogonie), il est le premier à naître, suivi de Gaïa (la Terre) puis d’Eros.

En pointillés verts, une autre hypothèse concernant les naissances de Vénus et des Érotes.

En gras, les personnages du Triomphe de Vénus.

Correspondances entre dieux grecs et romains

En gras, les personnages du Triomphe de Vénus.

Dieu grecDieu romain
Ouranos (ciel étoilé)Cœlus puis Uranus
Cronos (temps)Saturne
Léthé (oubli)Léthé
Aletheia (vérité débarrassée du voile de l’oubli)Veritas (véracité, justesse)
Apaté (trahison, tromperie)Fraus (fraude, déception)
Aphrodite (amour sous toutes ses formes)Vénus (amour, beauté)
Éros (amour, puissance créatrice)Cupidon (désir, amour)
Himéros (désir incontrôlable)Cupidon (désir, amour)
Phtonos (jalousie)Invidia
Héphaïstos (feu, forge)Vulcain
Zeus (roi des dieux)Jupiter
Arès (guerre)Mars
Dionysos (vigne, excès)Bacchus
Ménades (adoratrices de Dionysos)Bacchantes

Chronologie

1494-1559 : onze Guerres d’Italie ; les Espagnols ont peut-être rapporté la syphilis d’Amérique du Sud.

1494 : naissance de François 1er.

1500 : naissance de Charles Quint.

1503 : naissance deBronzino.

1508-1512 : La Création d’Adam (Michel-Ange) – Chapelle Sixtine.

1512 : De sa relation avec François 1er, Jacquette de Lanssac (1490-1532) eut un fils, Louis de Saint-Gelais, né en 1513, ainsi qu’une fille.

1514 : mariage de François 1er (20 ans) avec Claude de France, fille de Louis XII. Claude de France est bigle, boiteuse et obèse. François l’engrosse à 15, 16, 18, 19, 20, 22, 23 et 24 ans ; elle meurt en couche.

1514-1519 : Mary Boleyn (1499-1543) maîtresse de François 1er. Entre 1520 et 1526 elle sera maîtresse d’Henri VIII d’Angleterre.

1515 : François 1er roi de France. Marignan. Pendant toute la durée de son règne, le roi n’a de cesse de revendiquer ses droits sur le duché de Milan

1515 : Marie Gaudin (née en 1490 ou 1495 et morte en 1580), qui passait pour la plus belle femme de son temps, a été la première maîtresse de François 1er et de Charles Quint, ainsi que la maîtresse du pape Léon X. Elle et son mari Philibert Babou, trésorier de l’Épargne de François 1er, sont proches de la famille Médicis. Elle servit de modèle à la statue de la Vierge conservée dans l’église collégiale de Notre-Dame-de-Bon-Désir, entre Tours et Amboise.

1516-1519 : Léonard de Vinci devient le protégé de François 1er jusqu’à sa mort.

1518 : naissance du 1er fils, le dauphin François.

1518 : Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant. Favorite de François 1er.

1519 : naissance d’Henri (31 mars), 2e fils et futur roi.

1519 : mort de Léonard de Vinci (2 mai, 67 ans).

1520 : maniérisme (1520-1600).

1520 : mort de Raphaël (37 ans).

1520 : portrait de François 1er d’après un soldat : « Sa tête est bien proportionnée, malgré une nuque fort épaisse. Il a des cheveux châtain, bien peignés, une barbe de trois mois d’une couleur plus foncée, un nez long, des yeux noisette injectés de sang, le teint laiteux. Ses fesses et cuisses sont musclées, mais, au-dessous des genoux, ses jambes sont maigres et arquées, ses pieds longs et complètement plats. Il a une voix agréable mais il a la manie « peu royale » de rouler ses yeux continuellement vers le ciel… »

1522 : naissance de Charles, le 3e fils. Il aura comme page le futur poète Pierre de Ronsard. Il est réputé comme le plus beau des trois fils de François Ier malgré une variole qui l’a privé d’un œil ! En grandissant, il devient nettement plus populaire que le Dauphin au sein de la cour, qui apprécie son caractère gai, galant, plaisantin, extravagant, semblable à celui de son père dont il était d’ailleurs le fils favori. Certains le décrivent toutefois comme frivole voire efféminé, tel Clément Marot (Nature étant eu esuioy de forger/Uu fille ou fils, fournit finalement/Charles si beau, si beau pour abréger/Qu’estre fait fille il cuida proprement :/Mais s’il avoit à son commandement/Quelque fillette, autant comme ly belle./Il i auroit à craindre grandement/Que trouvé feustplus mâie que femelle.)

1524 : Naissance de Pierre de Ronsard.

1524 : Selon Brantôme, le goût de François 1er pour les femmes lui vaut d’être atteint de la syphilis, contractée dès 1524 avec une de ses maîtresses, la femme de l’avocat parisien Jean Ferron, surnommée « la Belle Ferronière » (1500-1530). Selon Louis Guyon, médecin et polygraphe, conseiller du roi de France, le mari de cette dernière, contraint de « céder » sa femme, se serait vengé en ayant volontairement attrapé la syphilis auprès de prostituées pour la transmettre à son épouse et au roi. La Belle Ferronière meurt 6 ans plus tard.
N.B. : il n’est pas certain que François 1er ait contracté la Syphilis.

1524 : François 1er délaisse son ancienne favorite, Françoise de Foix ( qu’il continuera tout de même d’honorer plusieurs fois l’an), pour se concentrer sur sa nouvelle conquête Anne de Pisseleu, « la belle Heilly » (16 ans).

1525 : quatrième bataille de Pavie qui se déroule le 24 février devant Pavie en Lombardie. Fait prisonnier par Charles Quint, François 1er ne peut regagner son royaume qu’en laissant en Espagne deux otages : le dauphin François, 7 ans et son frère cadet Henri, duc d’Orléans, 6 ans. Les deux petits princes, qui ont déjà perdu leur mère l’année précédente, y restent quatre ans, de 1526 à 1530. François 1er aurait attrapé la vérole auprès de sa geôlière (petite vérole ?)

1527 : François 1er ne recule pas devant les procédés douteux pour résoudre les problèmes financiers de la couronne. L’exemple le plus frappant en est le procès intenté à Jacques de Beaune, principal intendant des finances depuis 1518 et accusé lors d’un procès intenté par le roi en 1524 de détournement des fonds destinés à la campagne d’Italie. Bien qu’ayant réussi à se justifier lors de ce procès, il est arrêté en 1527, accusé de concussion, condamné à mort et exécuté au gibet de Montfaucon. Lors de sa réhabilitation, il apparaît qu’il avait surtout eu le tort d’être un créancier important de François Ier

1528 : début du chantier Château de Fontainebleau (seul le donjon du château antérieur est conservé). Louis XII s’inquiétait déjà d’un François très dépensier.

1530 : mariage avec Éléonore de Habsbourg (1498-1558), sœur de Charles Quint :  il s’en fou, il a déjà 3 fils dont les 2 premiers viennent d’être libérés. Éléonore meurt le 18 février 1558 (28 ans plus tard). Son corps est transporté au palais de l’Escurial au nord-ouest de Madrid et déposé à côté de celui de Charles Quint, mort la même année.

1536 : mort du dauphin François. Tuberculose, pleurésie, empoisonnement par Charles Quint ou les Médicis, afin de donner le trône au futur Henri II et à sa femme Catherine de Médicis ?

1537 :  Charles Quint nomme duc de Florence, Cosme 1er de Médicis, un homme peu expérimenté qu’il pourra orienter et contrôler. Mais Cosme entend gouverner seul et s’affranchir du contrôle impérial. Il va être sans pitié avec ses ennemis et se rapprocher de la France.

Fin des années 1530 : François 1er s’est considérablement épaissi, il a une fistule entre l’anus et les testicules, cet « abcès au génitoire », le contraint à abandonner le cheval au profit d’une litière pour effectuer ses déplacements. Au cours des années suivantes, la maladie empire et la fièvre devient pratiquement continue.

1540 : Claude de Rohan-Gié, comtesse de Thoury (1519-1579) : l’une des nombreuses et dernières maîtresses du roi François 1er

1542 : construction du pavillon de La Muette, petit château en lisière de la forêt de Saint-Germain-en-Laye, non loin du château.

1544 : Louise Mistresson de La Rieux Dau (1483- ?) a un fils avec Françoi 1er, Nicolas de Vaois d’Estouteville (1545-1567).

1544 : Les deux souverains, s’en remettant aux bons office du jeune duc François Ier de Lorraine, filleul du roi de France et neveu par alliance de l’empereur. Ils finissent par consentir à une paix définitive en 1544. Le traité de Crépy-en-Laonnois reprend l’essentiel de la trêve signée en 1538. La France perd sa suzeraineté sur la Flandre et l’Artois et renonce à ses prétentions sur le Milanais et sur Naples, mais conserve temporairement la Savoie et le Piémont. Charles Quint abandonne la Bourgogne et ses dépendances et donne une de ses filles en mariage, dotée du Milanais en apanage, à Charles, duc d’Orléans et deuxième fils du roi.

1545 : massacre des Vaudois du Luberon, ralliés aux thèses de Calvin, des villages de Cabrières, Mérindol et Lourmarin, villages situés sur les terres de l’Église. Après publication d’un édit du Parlement d’Aix en 1540, François 1er reste au départ silencieux car il a besoin du soutien des Vaudois contre l’empereur Charles Quint ; il expédie donc des lettres de grâce aux habitants persécutés en Provence pour cause de religion. Mais la retraite de Charles Quint en 1545 change la donne. Le 1er janvier 1545, François 1er fait exécuter l’édit de Mérindol et commande une croisade contre les Vaudois de Provence, décidant ainsi de réprimer dans le sang les désordres de cette communauté. Grâce aux galères de Paulin de La Garde qui amènent des troupes du Piémont, Jean Maynier, président du Parlement d’Aix, et Joseph d’Agoult, baron d’Ollières, exécutent les ordres royaux avec un tel enthousiasme que même Charles Quint en exprimera son émotion.
Le durcissement de la politique de François 1er à l’égard de la religion réformée ressort aussi, vraisemblablement, en raison des accords secrets passés avec Charles Quint à l’occasion de la signature du traité de Crépy-en-Laonnois, accords qui obligent le roi de France à participer activement à l’éradication de la menace protestante en Europe et donc en France. Malgré ces accords, François 1er persiste dans sa politique de soutien aux princes protestants d’Allemagne.

1545 : Charles meurt de la peste.

1546 : Allégorie avec Vénus et Cupidon (vers 1546) de Bronzino

1547 : 28 janvier, mort d’Henry VIII

25/02/1547 : Paris-La Muette (22 km)

26/02 – 05/03 : La Muette

06/03 : La Muette-Villepreux (13 km)

07/03 : Villepreux

08/03 : Villepreux-Limours (32 km)

09/03-11/03 : Limours (3 jours chez la Pisseleu)

12/03 : Limours-Rochefort en Yveline (12 km)

13/03-14/03 : Rochefort en Yveline

15/03 : Rochefort en Yveline- château de Rambouillet (16 km)

16/03 : garder le lit

20/03 : au plus mal. Confessions générales, extrêmes-onctions, harangues à son fils Henri, vont ponctuer l’agonie du roi.

29/03 : François 1er reconnaît son fils Henri comme légitime héritier.

31/03/1547 : à 13 heures, François 1er de France s’éteint à Rambouillet, le jour de l’anniversaire de Henri II.

1548 : Pierre du Chastel est nommé Grand Aumônier de France.

1552 : mort de Pierre du Chastel (73 ans), bibliothécaire de François 1er, à Orléans en prêchant.

1558 : mort de Charles Quint (58 ans).

1564 : mort de Michel-Ange (88 ans).

1572 : mort de Bronzino (69 ans).

1580 : mort d’Anne de Pisseleu (72 ans), à Heilly.

1585 : mort de Pierre de Ronsard (61 ans), au prieuré Saint-Cosme de Tours.


NOTES

  1. Une lieue vaut 3,266 km. ↩︎
  2. Une toise vaut six pieds, soit presque deux mètres. ↩︎
  3. Vers de Pierre de Ronsard attribués à François 1er. ↩︎
  4. Cosimo I de’ Medici (1537-1574), Cosme (ou Côme) Ier de Toscane, duc de la république de Florence, puis premier grand-duc de Toscane. Féru d’art, de science, d’archéologie, d’alchimie et de sciences ésotériques. Il emprunte la devise oxymorique Festina lente (Hâte-toi lentement) à l’empereur romain Auguste. Son emblème est une tortue portant une voile sur la carapace, illustrant la devise. Il emprunte également à Auguste, le signe astrologique du capricorne.
    Ne pas le confondre avec le banquier Cosme de Médicis (1389-1464), dit Cosme l’Ancien (Cosimo il Vecchio) ou « Cosimo Pater Patriæ » (Cosme Père de la patrie) auquel on prête ces mots : « Il nous est ordonné de pardonner à nos ennemis, mais il n’est écrit nulle part que nous devons pardonner à nos amis. ». Il fut le dirigeant effectif de la république de Florence durant la majeure partie de la Renaissance italienne (Quattrocento). ↩︎
  5. brandeler : ancien français pour secouer. ↩︎
  6. loup, serpent, lion, chien : respectivement la Convoitise, la Perfidie, la Fureur et l’Envie. ↩︎
  7. à senestre : à gauche ↩︎
  8. coilles : ancien français pour couilles. ↩︎
  9. La petite vérole est la variole, la grande vérole est la syphilis. ↩︎
  10. La théorie des miasmes (du grec ancien μίασμα : pollution) est une théorie épidémiologique aujourd’hui infirmée imputant aux miasmes, une forme nocive de « mauvais air », des maladies telles que le choléra, la chlamydiose, la peste noire (qui empeste), ou encore la malaria dont la traduction italienne est littéralement « mauvais air ». ↩︎
  11. Jeu de mots avec l’expression « pas vu, pas pris  » et « Pavis, pas pris » : Pavis, pas pris car François 1er a été vaincu à Pavis qu’il n’a pas pris et où il a été fait prisonnier. Alors vous allez me dire que lui a été pris. Certes mais sa majesté n’est pas le sujet. ↩︎
  12. crépion : ancien français pour cul, croupion. ↩︎
  13. C’est ainsi que la surnomme Anne de Pisseleu qui a neuf ans de moins. ↩︎
  14. Anne de Montmorency (1493-1567) : connétable, duc et pair de France, maréchal puis grand maître de France ; il a servi cinq rois. Cet homme extrêmement puissant, qui symbolise la Renaissance française, est un ami intime des rois François Ier et Henri II. ↩︎
  15. éponyme : qui a donné son nom. ↩︎
  16. Cathay : nom de la Chine, au Moyen Âge. ↩︎
  17. Barbe Bleue : surnom d’Henri VIII, roi d’Angleterre. ↩︎
  18. Chaos (du grec ancien Kháos, Faille, Béance) : espace béant où coexistaient la Nuit (Nyx) et les Ténèbres (Érèbe) qui se sont séparés et extraits du Chaos, provoquant la naissance d’Ouranos (le Ciel) et de Gaia (la Terre). Les Dieux grecs et les hommes appartiennent donc au même monde, ce qui n’est pas le cas avec le Dieu biblique (Dictionnaire Culturel de la Mythologie gréco-romaine de Réné Martin).  
    Dans la Théogonie d’Hésiode, Chaos sort d’une profonde crevasse, suivi par Gaïa (la Terre) puis par Éros (l’Amour). Étymologiquement, Chaos est une faille. Une faille qui sort d’une crevasse est donc une méta faille ; une belle façon de décrire l’inconcevable : l’univers serait issu d’un vide sorti du vide. Gaïa « fait devenir » un être égal à elle-même et capable de la couvrir tout entière : Ouranos, le Ciel nocturne Étoilé, père d’Aphrodite (Vénus).  ↩︎
  19. satyres : associés aux Ménades, les satyres forment le cortège dionysiaque, qui accompagne Dionysos. Ils peuvent aussi s’associer au dieu Pan. Ils peuvent également accompagner les nymphes. Ils sont à l’origine représentés comme des créatures anthropomorphes à jambes de chevaux et oreilles de chevaux, souvent ithyphallique, avant d’être soit humanisés, soit transformés en hybrides mi homme, mi bouc. ↩︎
  20. ménades (du grec délirer, être furieux) : les ménades, ou Bacchantes chez les Romains, sont les adoratrices de Dionysos ou de Bacchus. ↩︎
  21. le thiase : cortège qui accompagne et sert Dionysos. Par extension, assemblée, cercle qui se réunit à certaines occasions. Ne pas confondre avec la théorie (du grec ancien theôría (contemplation, spéculation, regards sur les choses, action d’assister à une fête ; la fête elle-même et par la suite, procession solennelle) : procession, députation solennelle et sacrée. ↩︎
  22. Ampélos (du grec ancien vigne) : jeune satyre éromène aimé de son éraste Dionysos. Sa mort accidentelle donne naissance à la vigne et au vin. Le poète égyptien Nonnos de Panopolis prétend qu’il est tué par un taureau qu’il chevauchait. Cette version le rapproche d’Himéros qui, dans le Triomphe de Vénus, prend la pose de Mithra tauroctone. ↩︎
  23. Athéna : déesse, tacticienne de guerre, sortie du crâne de Zeus. Elle en veut à Aphrodite d’avoir gagné le concours de beauté organisé par le prince troyen Pâris, où elle était aussi en compétition avec Héra. Pendant la Guerre de Troie, elle est du côté des Grecs avec entre autres Ménélas, Agamemnon (le frère), les rois Grecs dont Ulysse, Héphaïstos (forgeron mari d’Aphrodite), Achille et son petit copain Patrocle ; contre Pâris (qui a récupéré Hélène, la femme de Ménélas), Priam (le père), les jumeaux Artémis et Apollon, Cycnos (fils de Poséidon), Hector (le frère). Durant cette guerre, Iphigénie (la fille d’Agamemnon) est sacrifiée pour faire avancer la flotte Grecque d’une case (un grand merci au devin Calchas), Achille tue Cycnos, Hector tue Patrocle à la faveur de la prise de choux d’Agamemnon et d’Achille, Achille et Athéna tuent Hector, Pâris et Apollon tuent Achille, Ulysse livre Troie grâce au Cheval de Troie. ↩︎
  24. « Bien que, comme l’enseigne la théologie, les hiérarchies divines soient distinctes, il faut cependant comprendre qu’elles son toutes en toutes selon leurs modes particuliers. » : 287/900e conclusion de Pico dela Mirandola, selon Proclus.  ↩︎
  25. 821/900e conclusion de Pico dela Mirandola, sur les hymnes d’Orphée. ↩︎
  26. putto : jeune garçon nu représentant l’Amour, dans la peinture italienne. ↩︎
  27. On retrouve cette posture dans tous les portraits des Médicis. ↩︎
  28. théogonique : relatif à la généalogie des dieux d’un système religieux polythéiste. ↩︎
  29. Cantique des Cantiques 1, 2. ↩︎
  30. métaphore : du grec ancien metaphorá dérivé de metaphérô « transporter« . ↩︎
  31. Vers de Pierre de Ronsard attribués à François 1er. ↩︎
  32. Ouranos, dieu du ciel étoilé, est le père d’Aphrodite : son fils Chronos l’a châtré et a jeté dans la mer, son sexe dont le sperme s’est mélangé à l’écume d’où la déesse est sortie. ↩︎
  33. « Par la double Vénus dont il est question dans le Banquet de Platon,nous ne devons rien comprendre d’autre que la double beauté, sensible et intelligible. » : 622/900e conclusion de Pico dela Mirandola, sur la doctrine de Platon. ↩︎
  34. On retrouve deux masques dans Vénus, l’Amour et la Jalousie. ↩︎
  35. tænia : dans la Grèce antique,  bandeau, ruban, ou filet porté autour du front. ↩︎
  36. Phtonos : la Jalousie, fille de Nyx, la Nuit, ou Érote, fille d’Aphrodite, ou fille de Dionysos. ↩︎
  37. Philippe le beau (1478-1506), duc de Bourgogne et roi de Castille : ne pas le confondre avec le roi de France Philippe le bel (1268-1314). ↩︎
  38. tauroctone : qui tue un taureau. ↩︎
  39. une kabbalistique : ensemble de spéculations métaphysiques sur Dieu, l’homme et l’univers. ↩︎
  40. eschatologie (du grec éskhatos, dernier, et lógos, parole, étude) : discours sur la fin des temps et l’ultime destinée du genre humain. ↩︎
  41. Maleoit gré de ma cheoite : Malgré mon malheur (ma chute). ↩︎
  42. emploitte : bénéfice au XIIᵉ siècle. Achat au XVᵉ siècle, emplette au XVIIᵉ siècle. ↩︎
  43. outre-passer : aller au-delà. Jeux de mots avec trépasser. ↩︎
  44. Vers du Chatelain de Coucy (trouvère picard du XIIᵉ siècle) réarrangés et attribués à François 1er : Li nouviaux tanz et mais et violete
    Et lousseignols me semont de chanter,

    Et mes fins cuers me fait d’une amourette
    Si douz present que ne l’os refuser.
    Or le lait Dieus en tele honeur monter
    Que cele u j’ai cuer et mon penser
    Tieigne une foiz entre mez braz nüete
    Ançois qu’aille outremer.
    ↩︎
  45. La petite vérole est la variole, la grande vérole est la syphilis. ↩︎
  46. Attention, ces vers de Ronsard concernent la mort d’un autre Charles, Charles IX, fils d’Henri :
    Je chantais ces sonnets, amoureux d’une Hélène,
    En ce funeste mois que mon prince mourut… ↩︎
  47. nastreté : bizarrerie. ↩︎
  48. esgardance : attention. ↩︎
  49. rétrograde : se dit, par convention, d’un mouvement circulaire effectué dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est-à-dire à l’inverse du sens trigonométrique ou sens direct. ↩︎
  50. Léonard : de 1516 à sa mort (1519), Léonard de Vinci est le protégé de François 1er. ↩︎
  51. Anne de Pisseleu : « La plus belle des savantes et la plus savante des belles ». ↩︎
  52. branloire pérenne : ancien français pour l’agitation permanente (Montaigne). ↩︎
  53. « Lorsque Platon dit qu’`Amour est né de l'union de Poros et de Pénia dans les jardins de Jupiter, alors que les dieux tenaient un banquet le jour de la naissance de Vénus`, il n’entend rien d’autre que ceci : dans l’intelligence de l’ange, le premier amour, c’est à dire le désir de la beauté, est né tandis que s’écoulait en lui la splendeur imparfaite des idées. » : 620/900e conclusion de Pico dela Mirandola, sur la doctrine de Platon ↩︎
  54. expédient : mesure qui permet de se tirer d’embarras momentanément, sans résoudre les difficultés. ↩︎
  55. concupiscible : l’appétit concupiscible de la philosophie scolastique, est l’appétit par lequel l’âme se porte vers un bien sensible, vers un objet qui lui plaît. ↩︎
  56. « En parlant de l’âme à la façon platonicienne, j’affirme que l’âme vit avec Saturne la vie contemplative, avec Jupiter la vie politique et pratique, avec Mars la vie irascible et ambitieuse, avec Vénus la vie concupiscible et voluptueuse, avec Mercure la vie végétale avec les sens stupides. » : 608/900e conclusion de Pico dela Mirandola, sur la doctrine de Platon. ↩︎
  57. Jacquette de Lanssac : de sa relation avec François 1er, en 1512, Jacquette de Lanssac (1490-1532) eut un fils, Louis de Saint-Gelais, né en 1513, ainsi qu’une fille. ↩︎
  58. Le plus souvent, une main du personnage a les doigts écartés, paume vers le bas, comme pour saisir le monde, et l’autre a l’index pointé vers le ciel. ↩︎
  59. L’index et l’auriculaire tendus pour figurer les cornes du diable. ↩︎
  60. Antinoos : l’un des deux éminents prétendants, avec Eurymaque, en lice pour la main de Pénélope. Il est le premier à mourir d’une flèche, décochée par Ulysse, qui lui transperce la gorge. ↩︎
  61. La langue atrophiée de la reine des abeilles ne lui permet pas de se nourrir elle-même. ↩︎
  62. Le Thanatos freudien. ↩︎
  63. « La grâce est subjectivement dans dans la volonté et non dans l’essence de l’âme. » : 80/900e conclusion de Pico dela Mirandola, selon Duns Scot. ↩︎
  64. « Au regard de la puissance absolue de Dieu, il est possible que le péché originel soit anéanti sans l’infusion de la grâce. » : 82/900e conclusion de Pico dela Mirandola selon Duns Scot. ↩︎
  65. « Qui a la grâce ne peut pas, même au regard de la puissance absolue de Dieu, ne pas être accueilli par Dieu dans la vie éternelle, et qui ne l’a pas ne peut y être accueilli. » : 24/900e conclusion de Pico dela Mirandola, selon Thomas d’Aquin. ↩︎
  66. Vers de Pierre de Ronsard réarrangés et attribués à François Ier. ↩︎
  67. Vers de Pierre de Ronsard réarrangés et attribués à François Ier. ↩︎
  68. quauquemaire : ancien français pour cauchemar. ↩︎
  69. contrecœur : plaque verticale au fond de l’âtre, protégeant le mur d’adossement. ↩︎
  70. « Le péché mortel, fini dans le temps, ne justifie pas une peine infinie selon le temps, mais seulement finie. » : 590/900e conclusion de Pico dela Mirandola (thèse condamnée par l’église). ↩︎
  71. trame : (Sens figuré) et (Poétique) La trame de sa vie, la trame de ses jours, le cours de sa vie, la durée de sa vie. ↩︎
  72. Vers de Pierre de Ronsard attribués à François Ier. ↩︎
  73. In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum : Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. ↩︎
  74. Marguerite de France : fille de François Ier et de Claude de France, née au château royal de Saint-Germain-en-Laye. ↩︎
  75. Pierre du Chastel : évêque de Mâcon, aumônier de François Ier, maître de la Librairie et lecteur ordinaire du Roi, directeur du Collège royal. Il a assisté le roi durant son agonie, jusqu’à sa mort. ↩︎
  76. Vers de Pierre de Ronsard attribués à François 1er. ↩︎

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