CHAPITRES
La vengeance est un plat qui se mange froid
Il sombre dans un coma oblique. Il ne comprend pas pourquoi la forêt, d’habitude si moite, est devenue froide et sèche. Une salamandre géante est couchée près de lui. À moins que ça ne soit son propre corps qu’il observe depuis le plafond plastifié où son âme semble avoir trouvé refuge. Ces larges taches sombres sur la peau de l’animal, est-ce qu’il rêve ? Est-ce qu’on est en train de l’opérer ? Est-ce qu’il est en train de mourir ? Des éclairs de chaleur traversent encore son cerveau dont les pistes poussiéreuses se sont effacées.
- Je me sens si seul en compagnie de ce batracien. Est-ce mon nahual1 ?
Et cette souffrance rubigineuse2 qui s’infiltre, comme si son sang se hérissait d’un milliard d’épines.
Elle se serait bien passée de cette cerise sur le gâteau bien levé de sa vengeance. Ce n’était pas prévu. Ça complique les choses. Mais pour que le gâteau ne retombe pas comme un soufflet, il fallait éliminer cette pièce à conviction. Une cerise qui a du mal à passer et qui pourrait bien l’étouffer. Une sucrerie un peu écœurante qu’elle doit apprivoiser. Il est vrai qu’il lui avait tout pris. Elle voulait cet enfant. Elle avait convaincu sa mère de le garder. Mais elle ne savait pas qu’ils ne reviendraient pas. Lui aussi voulait cet enfant. Seulement, il ne voulait pas revenir.
- Voyage de noce mes fesses ; je me suis bien fait avoir… J’aurais fait pareil.
Elle passe un coup de lavette à l’intérieur du micro-ondes. Il est trop tard pour réchauffer le passé. Toutefois elle se méfie. Il y a toujours un morceau de vérité qui vous échappe, un légume qu’on ne reconnaît pas dans le potage. Les morts ont leur coquetterie, ils ne peuvent s’empêcher de partir avec leurs secrets. À moins que ça ne soit leurs secrets qui les emportent. Et dieu sait qu’elle en a, des secrets. Son tour viendra.
Une tache de la salamandre a envahi l’univers jusqu’à ses confins observables. Un point lumineux s’éloigne en haut à gauche. Ou peut-être en bas à droite. Un point toujours plus petit qui ne veut pas s’éteindre.
- Est-ce cela l’éternité ? Un point dans l’infini ? Est-ce que je suis déjà mort ? L’esprit du jaguar m’accueille-t-il ou m’a-t-il abandonné ? Suis-je tombé dans le miroir fumant3 ?
Une pensée réjouissante bien qu’ultime déride l’urodèle4 : « un oxymore5 est un pléonasme6 dévastateur ».7
Elle est épuisée. Où a-t-elle pu trouver la force ? L’autre enfoiré n’est pas venu. Quand il s’agit de se salir les mains, il n’y a plus personne. Elle ne fait pas la vaisselle. Elle va tout jeter dans le vide-ordure. Elle referme la porte de l’appartement et appelle l’ascenseur. Las d’attendre, elle finit par prendre l’escalier. Elle sourit. Elle préfère que le sort s’acharne sur les petits riens de l’existence et ne vienne pas mettre le nez dans ses affaires.
Dehors, l’air immobile de décembre blanchit le souffle des passants ; on dirait qu’ils ont une âme. Mais l’heure n’est plus aux périlleuses fééries.8 Il n’est pas question d’attendre davantage. Elle a suffisamment mouillé la nuisette. Elle va sans plus tarder s’occuper de l’autre abruti, le ramener à de plus sages résolutions. Prise de court par la lumière scialytique9 de l’indiscrétion judiciaire, elle a procrastiné10 plus que de raison.
- Mais ce temps-là est révolu mon minou, fini de jouer les jolis cœurs avec le grisbi11 de sa légitime. Tu n’auras bientôt plus que tes dents pour pleurer.
Du côté de chez Julien Bonneuil
Julien Bonneuil vit dans le mensonge et la dissimulation depuis tout petit. Ce n’est pas toujours facile mais il ne sait pas fonctionner autrement. Il est incapable d’avouer ou de s’avouer quoi que ce soit, de se dénoncer ou de dénoncer qui que ce soit. Rassurez-vous, il n’a jamais rien à se reprocher.
Quel itinéraire bis Julien Bonneuil a-t-il emprunté pour se retrouver dans cette « impasse intellectuelle et affective » ? Quel Minotaure12 pas très futé guide ses pas ? Quel mauvais karma13 file-t-il ? Sa vie lui semble déjà longue. Non qu’elle ait passé trop lentement, mais il estime qu’elle ne lui apportera rien de nouveau malgré son jeune âge, aucune perspective. L’ennui est la seule issue.14
Depuis sa licence d’histoire, il a toujours été en activité. Il a été vacataire, pion, puis chômeur en reconversion professionnelle. Un CV sans faille de chez Lafarge15. Il n’a rien à envier ni à transmettre à ses contemporains. Depuis cinq ans, il tire des câbles et installe des box chez les particuliers. Un emploi qui lui permet de garder le contact avec ses frères humains16.
Dans sa relation avec les clients, il tient le beau rôle. On le supplie de ne pas vandaliser la déco intérieure, de poser la prise quelques centimètres plus à gauche. Il en tire un modeste sentiment de reconnaissance et quelques menus pourboires. Quant aux rencontres, ce n’est pas tous les jours qu’une super nana prend un reuteuteu17 pour se faire câbler l’appartement18 ; le plus souvent le conjoint s’y colle. Ou bien il faut affronter un vieux couple aux dents gâtées qui redoute l’ingérence de la perceuse autant que la confiture de fraise aux clous de girofle19.
Sans aucune velléité d’assiduité, sans l’aval d’aucune logique, Julien Bonneuil vit le cauchemar vrai de la vraie vie des vraies gens du vrai monde.
Heureusement, la semaine est terminée. La petite mousse du vendredi soir n’est plus très loin : changer Place de Clichy pour Gare du Nord, puis RER jusqu’à Saint-Michel pour venir narcoser20 en terrasse. Julien Bonneuil s’accroche à la vie.
Pour se dégourdir les jambes, il décide de descendre la rue Jean Leclaire et de couper par le Square des Epinettes, jusqu’à la station Guy Môquet. Ça fleure bon son Michelet21.
Sous le trottoir, le goudron éventré raconte une histoire de canalisations, de câbles et de tout-à-l’égout. Sur le porte-affiche roseau, les seins de la cover-girl sont loin d’être négligeables. Dans l’obscurité d’un café turc, un grand narguilé trône au milieu des sofas. Des hommes tendent leurs maigres doigts vers la machine à mirages. Leurs dents sont jaunes comme des lanternes de fête. Les femmes n’ont pas leur place ici, ni en Renoir ni en Buffet22. L’homme est fait de ces rapiècements et faux-semblants aux coutures fragiles, homme de compromis dont les va et les vient ont des hésitations d’oiseau marcheur.
Julien salue au passage la marchande de fleurs qui piétine dans ses mules au milieu du trottoir, un arrosoir à la main. Puis il s’engouffre dans la bouche du métro Guy Moquet.
Julien aime les transports en commun. Au hasard du réseau, dans l’odeur aigre-douce des premières hausses de température, il entre en contact avec l’humanité : c’est chamanique.
Trois cents degrés d’acier bleu mijotent au fond du creuset des paupières sans fard. La fille au nez puissamment accroché, devant laquelle il est assis, l’intimide. La lèvre supérieure en forme de chapeau melon coiffe une lèvre inférieure à consommer sur place. Les pommettes sont piquées de taches de rousseur acidulées. L’ondulation naturelle des cheveux est avalée par le mécanisme d’un chignon à banane. Avec grâce, les lignes du cou viennent se briser sans fin sur les clavicules légèrement inclinées. Le buste est pris, au-dessus du nombril, dans un gilet aux manches retroussées. Les trois premiers boutons ont été dégrafés sans compter. Moulés dans le lainage souple et affectueux, les seins débordent d’une tendresse est-ouest, jusqu’aux plis des coudes. À l’épaule et sur le flanc droit, un peu de lumière artificielle est restée piégée dans les grappes de perles des petites broches inoxydables agrippées au mohair. Les jambes sont croisées dans un pantalon à pinces en tergal gris.
Station La Fourche23. Les femmes ont ôté leurs collants. Dans la chaleur du chemin de fer métropolitain, leurs jambes ont perdu ce statut d’arme fatale que les fantasmagories masculines voulaient bien leur prêter. La noirceur bureaucratique des fibres synthétiques a cédé la place à toute une gamme de couleurs, allant de la blancheur bleutée de l’iceberg, à la plastique brune des amazones musclées, en passant par le rose orangé des molles cinquantenaires. La précision anatomique des chairs ainsi exposées trouble l’esprit galvaudeur de Julien. Les reliefs des masses musculaires, les grains de beauté, le réseau veineux qui court à fleur de peau, les traces de la dernière épilation, le fourreau graisseux des tendons, les sourires des chairs appesanties, l’adhérence plus ou moins prononcée des épithéliums suants, tout cela est inhabituel et affole sa sagacité.
Une femme a repéré son petit manège. Elle voit qu’il s’en aperçoit et remet promptement le nez dans son Dumas, les paupières scellées d’un trait de khôl provisoire, la bouche peinte en orange, comme les serrures haute sécurité du centre de détention de Portland. Sa minijupe trois fois fendue s’accroche désespérément à ses cuisses puissantes et saines. Des ors discrets mais efficaces confirment ce dont personne n’a jamais douté, pour que les hommes jettent sur elle leurs yeux égarés de fauteurs impénitents. Être Alexandre Dumas, Alexandre Dumas un instant seulement24, et poser la joue sur sa musculature, s’enivrer de l’odeur de sa reliure, et avoir le privilège d’être par la grâce de sa plume effleuré. Ses longs cheveux de sainte en disent long sur les possibilités d’un cœur solitaire auquel se cramponnent deux seins classiques sous le débardeur amphibie qui se résume au vert de ses yeux verts.
- Dis maman, Mamie elle est gentille ou elle est méchante, demande un petit garçon ?
Sur la droite, généreuse couche de meringue sur sa fine semelle de biscuit, un pied au citron d’une blancheur aveuglante flotte, incertain fanal, dans les nuées de la vision latérale de Julien Bonneuil. Il tourne la tête vers le membre à la dérive pour le mettre à une place de choix dans le salon Art déco de son champ oculaire. Cinq champignons de Paris en rang d’oignon, aux lunules parfaitement dessinées sous deux couches de vernis transparent. Après avoir longtemps dodiné25 le berceau du désœuvrement26, le membre entre plusieurs fois en érection avec l’erratisme27 d’un sismographe28 à la merci des laves profondes, le gros orteil pointé en direction du genou. Le tendon d’Achille tire délicieusement sur le mollet dans lequel se diffuse l’agréable sensation qu’elle éprouve lorsqu’elle se penche en avant pour ranger les courgettes dans le bas de son réfrigérateur.
En face d’elle, la cinquantaine gravée sur un visage curieusement plat, bottes à lacets, bracelet-montre sang de bœuf, sac en peau de fennec, pourpoint sombre à double rangée de boutons dorés, brosse à cheveux abricot, écouteurs high-techs en alu brossé, pantacuirs moulant les cuisses à angle droit, iphone coincé entre le siège de skaï bonnet bleu et ses formes sculptées, la femme extrait l’appareil de son étui plat, comme le scolex escamotable29 d’un cestode. Etrange et plus si affinité.
- Le Torculus30 conserve son nom même quand il est liquescent31, pontifie, avec un sourire de carnivore compétent, un homme qui ressemble à Jack Lang.
Station Blanche, un homme courbe et maigre, barbe noire hirsute, vêtements flottants. Cœurs sensibles ne pas s’abstenir, compassion correcte exigée.
- Bonjour monsieur, manger madame, monsieur bonjour, manger monsieur, s’il vous plaît madame, s’il vous plaît monsieur, madame bonjour, manger madame…
Sa voix qui traine et supplie ramollie les âmes avec des nasalités de fin de vie.
Il se fait rembarrer par une dame à la chair abondante, en pleine communication téléphonique. Elle est cinq fois plus grosse que lui. Emballée de pied en cap dans un boubou aux motifs néo-ethniques, les épaules luisantes d’huile de coco, elle est tendue comme un djembé.
- Dégage ! Mignou mignou Bénice palou glabi, laisse tomber, ya ma gnéné majoumali, chépaquoi, loumagnachou ya ma tani… Allez.
- Je vous remercie, Madame, Monsieur, infiniment à tout le monde. Bonjour Monsieur Madame, bonjour Madame…
À la station Anvers, le métro fait une halte.
- Le trafic est momentanément interrompu pour régulation, annonce le conducteur ; profitez-en pour prendre connaissance des annonces publicitaires affichées sur les murs de la station ; interrogation écrite dans cinq minutes.
Sur le mur d’en face, Julien a repéré Nancy. Qui est-elle ? Une ville de rêve ? Une marque de vêtement ? Un festival du rire ? Une addiction chocolatée ?
Nancy est rousse. Encore un peu perchée, elle tourne vers le jeune homme son visage rieur de lendemain de grosse teuf. Comme ceux de certains oiseaux, ses yeux cerclés de rouge ne semblent pas se souvenir de la dernière nuit.
Accroupie avec distinction, genoux serrés. elle présente son meilleur profil. Le parcours du combattant qu’elle propose part d’un pouce en contact avec la dernière incisive supérieure droite. La tête ne s’appuie pas sur le doigt qui supine32, elle semble suspendue, en attente de quelque approbation. Ourlé de lèvres roses, l’œil réjoui répond à la bouche triomphale qui s’esclaffe en silence33. Jamais pouce retourné ne fit davantage penser au gland manucuré de l’homme invisible qui a hanté les publicités du XXe siècle. Depuis l’absence encombrante34 de ce cinquième élément35, l’on suit le sillon creusé dans le poignet dont la finesse tendineuse structure la proue victorieuse du navire à l’amarre des phantasmes de Julien. Le coude qui repose en deçà du genou invite à descendre la pente douce de la cuisse gainée dans un tissu dont la légèreté souligne le relief de la longue musculature. Surfant sur les motifs transparents qui décorent la chair tendue, le regard de Bonneuil n’en finit pas de dévaler, Durandal36 au clair, le pays de la carolingerie37. La randonnée est interrompue par la large besace qui protège la hanche. Décontenancé, il questionne les châsses cramoisis de la belle captive38 qui le renseigne tôt. Rassuré, il poursuit sa descente. Passé le guet, la courbure du dos est une formalité. L’œil remonte, tel un funiculaire, le long de la crémaillère des vertèbres, jusqu’à la chevelure négligée avec science39 qui semble flotter dans un désordre permanent, comme si le bel oiseau suspendu pouvait d’un moment à l’autre, d’un simple basculement dans le vide, prendre son vol pour aller se poser sur la voute du quai d’en face.
Le trafic reprend dans le crépitement vibromassant40 des transports en commun, responsable chaque année de millions de décollements de rétine, de millions de décibels de déficit d’acuité auditive, de millions de descentes d’organes – ce n’est pas faute d’être mis en garde par la RATP : « les organes des voyageuses sont invités à descendre » – et accessoirement de la déstructuration du sperme de millions d’abonnés.
- Quand y en a plus, ça n’existe plus, demande une petite fille à son papa ?
Gare du Nord. Une fille marche devant Julien, sur le tapi roulant. La chatière de sa casquette rose fuchsia maintient l’or massif de sa queue de cheval. Ses fessiers tendent un short vert métallisé duquel descendent jusqu’aux tongs, une paire de jambes bronzées au troisième degré.
Ils croisent une grande femme qui marche en canard à contrecourant, complètement nue, exception faite du chouchou qui retient ses cheveux relevés en choucroute sur le sommet de son crâne. Ses cuisses massives41 jouent avec la clarté valétudinaire42 des néons crasseux. Elle sent la nuit fauve et le parfum sans numéro. Julien se demande si l’odeur d’œuf pourri qui rend les stations du réseau express régional43 infréquentables est hallucinogène. Les émanations sont dues, paraît-il, à des bactéries sulfatoréductrices anaérobies que l’ouverture de nouveaux tunnels a tirées d’un sommeil millénaire.
L’esprit désossé par la lumière chlorotique44 du RER45 B, Julien ne pense à rien. Comme dans un roman de Brautigan46, ce qui se passe n’est pas le plus important. En face de lui, grande amateur de cuticules47, une ado se bouffe une envie48 en grimaçant. Elle écoute distraitement le boniment d’un jeune homme vouté qui, pour se faire entendre d’un maximum de gens, parle en tournant la tête par à-coups, comme ces systèmes d’arrosage automatique qui imitent le bruit des cigales certains soirs d’été. Incapables de se concentrer davantage, quelques personnes font semblant de lire ; d’autres, qui n’ont besoin de personne avec leur smartphone49, continuent de caresser leurs écrans. Une fille assise près de la porte a les yeux dans le vide. Julien se demande pourquoi les filles assises près de la porte ont toujours les yeux dans le vide.
- Bonjour, bonsoir à tous, bon, moi je suis actuellement parmi vous pour essayer de vous présenter le guide des restaurants itinérants. Bon alors, nous, vendeurs, nous le vendons deux euros ou un ticket restaurant, alors je vais passer parmi vous pour vous le proposer. Bonsoir à tous et merci d’avoir écouté, au moins pour ceux qui ont pu entendre, merci à tous et Bonsoir, je vous souhaite une très bonne soirée et un excellent weekend. Encore merci, bonsoir à tous et à bientôt !
Le jeune vendeur frôle Julien qui n’achète pas la revue, même s’il se demande à quoi peut bien ressembler un « restaurant itinérant ». Il ne pousse pas plus loin l’investigation, sachant à quel point il est difficile de se connecter au monde, à l’appareil maussade des ciels.
Sortie 6, l’ascenseur de la rue Xavier Privas est rempli d’indiens des banlieues nord au cheveux ras qui viennent en souriant travailler dans les restos grecs du quartier. Quelques touristes aussi, en provenance de la Gare du Nord ou de Roissy. Une tête au-dessus, la chevelure blanche d’un résident privilégié ondule comme une rhapsodie50 ; c’est l’apanage des maîtres du monde (l’apanage blanc bien sûr). L’élévateur vous fait passer directement du quai du RER B au quai Saint-Michel. De l’autre côté de la Seine, sur l’île de la Cité, les incisives du bonheur de Notre Dame de Paris et le cure-dents51 d’Eugène52 qui paraît si fragile53 ; sur la gauche, le marché aux poulets du 36, quai des Orfèvres.
Tournant le dos à la Seine, Julien Bonneuil s’enfonce dans la rue du goguettier Privas, prend à droite rue de la Huchette jusqu’à la terrasse du Saint Séverin. Face à la Fontaine Saint-Michel où le héros éponyme54 piétine, sous l’œil nazi de deux chimères aux dents gâtées, un démon au visage d’aviateur qui considère dégoûté son genou fienté en se demandant comment il va bien pouvoir réparer cette panne en plein Quartier latin, Julien s’attable afin de s’adonner à la vie pétillante55 et contemplative56 des buveurs de bière du vendredi soir (vendredis vespéraux57, vendredis apéro),58 amateurs de roses en chaleur – amis rhodologues,59 bonsoir –, de celles qui ouvrent leur robe dès potron-minet60 sans avoir perdu, le soir venu, les plis de leur fente pourprée61. Vénus62, si tu nous entends cette vesprée63… Santé ! L’archange a un visage de femme ; ses yeux clos se souviennent d’un plaisir archaïque tandis que le glaive levé du milicien céleste est guidé par un dieu indécis.
Et soudain, cette fille !
La sirène de la police
Paris, vendredi en fin d’après-midi, le commissaire Burandeau sort du Palais de Justice. La voiture qui devait l’attendre n’est pas là. Il a l’habitude.
Ce séminaire l’a épuisé. C’est le nom dont on a prétentieusement baptisé cet exposé de deux heures sur les nouveaux enjeux de la sécurité intérieure. C’était l’occasion de revoir d’anciens collègues mutés en province. Avant de se quitter, on s’est goinfrés de souvenirs et de cacahuètes un peu rances. Sous les costumes gris jaco64, l’alcoolémie a pris de l’altitude.
Burandeau décide de rentrer à pied au commissariat du VIe. Sa femme, naturellement svelte et musclée, fait plus de sport que lui. Burandeau hait la Nature. Il va remonter la rue Saint-André des Arts, puis la rue de Buci, jusqu’à la rue de l’Abbaye. Ça fera toujours quelques cacahuètes en moins. Il a le temps. En ce moment, c’est calme. L’été, les délinquants suivent les vacanciers comme les taons suivent les troupeaux.
Et puis il ne faut pas trop faire de zèle. « Le mieux est le meilleur ami du mal65 » avait affirmé l’intervenant pour détendre l’atmosphère. Par exemple, la chasse au renard a propagé la rage en dispersant les animaux vecteurs de la maladie. C’est ce qui s’est passé en France en 1968, a expliqué le conférencier. Burandeau trouve l’exemple saisissant. C’est en 2001, après avoir fait taire la poudre, qu’on a fini par venir à bout du fléau en utilisant des oraux-vaccins introduits dans des appâts. Depuis, l’on s’est rendu compte que la rage régularisait la population des renards, qui maintenant explose. Qu’on se rassure, à l’aube du troisième millénaire, les bouffées de chaleur de 68 étaient retombées depuis longtemps ; Mister Renard66 s’était rangé67 des camemberts68. La société de consommation avait proposé des alternatives alléchantes69 à une liberté qui avait du mal à trouver la sortie – cela dit, on n’avait pas attendu 68 pour faire des 69. Puis, le SIDA avait refermé la parenthèse spinosienne70. Comme dit Nougaro, « chacun est rentré chez son automobile ». Mais c’en était fini des 2CV et des 4L qu’on pouvait réparer soi-même. Place aux grosses berlines bourrées d’électronique et aux petites familiales de la classe moyenne, en forme de chaussures de sport ; maintenant, le moindre rétroviseur coûte un bras ; il devient dangereux de se pencher. En parallèle, de crise en crise, le spectre du chômage a carbonisé les derniers autostoppeurs et autres dealeurs de graminées ; le See-Sex-and-Sun71 a cédé la place au World-Wide-Web. Mais, selon le conférencier, il faut attendre le pire de l’hégémonie72 des GAFAM73 qui, sur fond d’hystérie financière, confondent investissement et travestissement74 dans les gated communities75 de leurs paradis fiscaux. Par les fenêtres76 de Microsoft, des hordes contemplent notre conformisme confortable avec une haine mêlée d’envie. L’attaque peut partir à tout moment, de n’importe où et sous n’importe quelle forme, avait mis en garde l’orateur. La mondialisation crée ses propres fractures qui s’ajoutent aux fractures historiques des Etats-nations, rendant le tissu social de moins en moins lisible. Les plus casaniers sont condamnés au nomadisme sur leur propre territoire, sans lever le petit orteil. Sous leurs pieds, la France se dérobe à grande vitesse. Sans parler du réchauffement climatique qui va mondialiser la précarité et exacerber la courses aux ressources naturelles. Telle était en substance l’analyse adamantine77 de monsieur Un Tel78 aux émoluments historiques79, maître fredonneur80 à l’oreille des décideurs.
Selon l’expert, il fallait se recentrer tout en évitant la paranoïa. Gagner en rapidité et en efficacité, échanger, partager, collaborer, se fondre dans la masse, infiltrer la bête, s’installer dans la cage thoracique du bœuf pour rester connecté, suivre le mouvement et ne pas se laisser distancer.
Le commissaire Burandeau espère seulement pouvoir continuer à bosser, si possible sans trop changer ses habitudes. On parle de collaborer alors qu’au nom de l’efficacité, la concurrence est érigée en principe cardinal au cœur des services. Faites vos jeux, rien ne va plus. L’hôpital est malade, les gardiens de la paix se suicident, le clergé déborde de tendresse et la démocratie a mal aux urnes. Paradoxalement, l’uniformisation qui est en marche, au nom de l’efficacité va tuer la concurrence. Les marques surfent sur cet océan de déjà-vu avec la complicité futile des masses perfusées aux hydrocarbures. On cède aux sirènes de la mondialisation en portant des Lewis81 et l’on perd son lapin82 avec une grande partie de ses spermatozoïdes83. Une façon comme une autre de mettre tout le monde d’accord et de limiter l’explosion démographique. Celle des hommes, pas celle des renards, vous aviez compris.
Le commissaire Burandeau a l’alcool triste. Il a apprécié l’allégorie84 des renards, mais si les appâts ne manquent pas, pour le vaccin, il va falloir continuer à investir dans la recherche. On ne trouvera pas un antidote au crime et autres terrorismes dans la poche du premier marsupial venu.
Burandeau est un pragmatique qui a appris à lire entre les poils sérés de la moquette. Il ne cherche pas à ôter au diamant cette dureté qui le rend impropre à toutes sortes d’usages.
- La société a besoin de gens qui réfléchissent, pas de gens qui pensent, copie cent fois le commissaire qui aimerait se retirer à la campagne pour cultiver le paradoxe85 – il hait la nature, rappelez-vous – et accessoirement quelques fruitiers ingrats qui se pareraient, les meilleures années, de renflements atrophiés recouverts de ce duvet pelucheux dont le toucher exaspère les sens.
Le boulevard Saint-Michel est toujours aussi bruyant. Il préfère l’éviter. De grands bus à tête de scarabée frôlent les touristes qui, le regard égaré dans les perspectives de la ville la plus romantique du monde, tâchent de reconstituer un rêve construit à partir de fables diverses issues d’ouvrages littéraires, de sites internet, de prospectus, de récits de proches, d’amis ou de collègues, de films césarisés, de tout le soft power déployé par la France et l’Europe, remasterisé par l’agence de voyage qui leur a vendu une prestation all included avec une qualité aux normes internationales : Paris sans les odeurs d’urine, l’Afrique sans les anophèles, la place Saint-Marc sans les crottes de pigeons. Bientôt, on va mettre au point des pigeons génétiquement modifiés, à la fiente non corrosive, pulvérulente86, indétectable. On va leur greffer quelques gènes d’acarien et le tour sera joué. Il paraît que le système digestif de ces petites bêtes est tellement performant qu’ils n’ont pas d’anus, il leur suffit de roter ! Burandeau l’a lu à la télé. Burandeau aime les documentaires. Ça lui permet de briller devant la machine à café ; plus rarement devant sa femme.
Sur la place Saint-Michel, au ras du sol, quelques gars de l’hémisphère sud font chacun leur tour une démonstration de epop sur une bande-son déchiquetée par une boombox qui sature. Les touristes et les amoureux qui se sont donné rendez-vous à la fontaine font un grand cercle autour des acrobates qui se disloquent en rythme. Une gosse de riche au look néoracaille passe parmi ces bâtards de bolos avec une grande casquette molle et crasseuse pour récolter des fonds. Patogazes compensées avec une touffe de poils fluos sur le dessus, pantalons cigarette sans filtres, veste simili ornée de plumes teintées, rouge à lèvres bleu87, yeux en amandes de chez Fauchon, nez en trompette Selmer. Le pavillon de l’oreille droite est lesté d’un double écrou, quelques grammes de folie dans ce monde de tarés88.
Les gros bouillons de la fontaine diffusent une odeur de Javel rassurante qui rappelle le parfum des piscines municipales où, comme des hippopotames enfermés dans la laideur humide de leur quête de bien-être, des gens excessivement malgracieux89 se déplacent en faisant des angles droits sans que leurs regards jamais ne se croisent. La javel est le meilleur moyen pour faire disparaître les traces de sang. Mais ne vous excitez pas trop. Dans cette parodie de thrilleur, il sera essentiellement question de sperme. Une autre fois peut-être… Sur la margelle, un trognon de pomme déjà brun90 ne constitue pas un élément suffisant pour ouvrir une enquête. Il va falloir patienter.
Au pied du grand platane qui desquame91, à quelques pas de la bouche fétide du métro, une femme du voyage, environnée de sacs et de couvertures, porte sur elle sa garde-robe en couches superposées, assise depuis le jurassique sur un tapi de sol en carton où elle fait la mendicité en compagnie d’un chiot sans queue ni tête.
Le commissaire se demande ce qu’il advient, à l’âge adulte, de l’animal attendrissant. Probablement barbecueté92 sous un pont ou entre deux caravanes. Burandeau ne juge pas, il envisage. Peut-être que c’est bon, le chien, préparé avec une sauce caramélisée. Comme tous ces enfants choyés à la naissance qui seront élagués, calibrés, laminés, amputés, excisés par la religion, la drogue, l’école, la famille, le système pollueur-consommateur. Boulot, resto, métro, porno, dodo, pour les mieux notés. Il y a tellement de façons d’être broyé. Bien pires. Bien infâmes. Le commissaire Burandeau est persuadé qu’il n’y a pas de bonnes causes, il n’y a que de mauvais prétextes. Vous le savez déjà, Burandeau a l’alcool triste. Il va se reprendre.
Prisonnière d’une robe en matière plastique jaune Panhard dont la fermeture éclair lui lacère le dos, une jeune femme traverse la place Saint-Michel à la vitesse d’un bulot au galop93. Comme les longs motifs douloureusement mélancoliques de la plainte sentimentale d’un violoncelle94, ses jambes s’élégissent95 jusqu’à la cheville haut perchée où scintille un or discret. L’été ruisselle sur les terrasses, elle ne porte pas de collants. Accrochée à la malléole externe96, une petite veine esquisse un sourire bleu roi. La course d’un sac à main en peau de reptile met en valeur le déhanchement ambulatoire97 de sa progression. Ses cheveux coupés courts laissent voir sa nuque d’un blanc duveteux. Elle n’est pas encore partie en vacances, remarque Burandeau.
La peau lisse de la sirène
À la terrasse du Saint Séverin, Julien se fait la réflexion que la seule position naturelle autorisée par des talons aussi hauts est celle de La Pisseuse de Picasso. À cet endroit, les pavés de la rue de la Huchette ne sont pas tendres avec les chevilles des Parisiennes. La fine lanière du sac à main a glissé le long du bras nu et s’est accrochée in extremis au bracelet-montre. Avec des cambrures de surfeuse de Samothrace98, la jeune proue à l’ensellure99 ensorcelante100 écarte les bras et, dévoilant son aisselle grenée101, rattrape l’accessoire comme le boomerang des jours passés102 (Serge, tu es encore là ?). Julien aurait pourtant aimé caresser de son regard licencieux103 le cul gonflé par l’accroupissement de ce corps rétractile104. L’exercice a tout de même remonté la jupe sur la cuisse musclée dont la blancheur a quelque chose de camusien105.
- Elle est bien foutue la garçonne !
Julien Bonneuil est un homme sans histoire auquel il arrive une histoire. Il n’est pas tombé dans un puis à la poursuite d’un lapin albinos épileptique : il a pris un ascenseur pour fuir les chats noirs de la dépression. Julien Bonneuil, c’est l’anti-Alice. Pendant une grosse demi-heure, il a sucé sa langue devant sa mousse en matant les miches qui passaient boulevard Boule106. Puis il y a eu cette fille.
Julien n’a pas terminé sa boisson au houblon. Sous l’impulsion d’un soudain engouement107, il s’est levé pour ne pas perdre la tache claire de la naïade qui dansait dans l’humeur aqueuse de son cristallin.
Des protubérances glutéales108 croupionnantes109 et des dessous très succins110 sont-ils nécessaires et suffisants pour expliquer la motivation inhabituelle qui entraine Julien dans une quête téléologique hasardeuse111 ? Une affaire de proportions, de rapport, de « règle de Troie112 ? » Il n’a pas tout son temps pour trouver une herméneutique113 à cette chorégraphie édénique114 ou questionner la contingence115 venusal116, en quête d’une causalité ultime. Le fait est que la plus belle fille du monde117 vient de passer sous son nez, la grâce première118 de son profil cambru119 courtisant les esprits osculateurs120. Elle ne semble pas pressée de rentrer chez elle et n’a a priori aucun rendez-vous à honorer, ce jour de gloire et de féroces soldats.
Dans la vie, tout est affaire de rendez-vous. Mais la vie ne prend pas les rendez-vous à votre place. Jusqu’où Julien est-il prêt à suivre cette fille ? D’entichements tragiques en adorations d’un soir, son cœur bilbaude121 dans un dépotoir sentimental. Que fera-t-il si elle s’enfonce dans le gosier puant de la RATP ? Rien, probablement. Comme d’habitude.
Plusieurs fois, la femme a regardé dans sa direction. Elle a traversé le Boulevard Saint-Michel pour tester le dragueur. Elle sait qu’il la suit, et elle sait qu’il s’en est rendu compte. La gêne qu’en éprouve Julien n’est pas étrangère à son excitation. Il aime réveiller en lui la créature de mauvaise compagnie, les instincts légitimes – ne frise-t-on pas déjà l’oxymore122 – qui selon lui ne dorment que d’un œil au fond de l’être civilisé. Bonneuil le grand veneur123. Cependant, le chasseur, dont il porte la casquette au ras de la taroupe124, devient de fait gibier appâté, menu fretin, chair à saucisse. Quelle puissance mystérieuse préside à ce carrousel125 ? Probablement le système endocrinien126, cet appareil aveugle qui obéit aux nécessités impeccables du hasard127 qui n’est lui-même rien d’autre que le visage ambulant du firmament, le sourire d’un dieu facétieux prompt à endocriner128 le glandeur129 solitaire130.
Passé le boulevard Saint-Germain, les magasins se font plus rares. Pourtant la jeune créature continue sa course improbable en direction du jardin du Luxembourg. Va-t-elle passer les grilles pour se reposer un moment sur un fauteuil cactus131 en fer laqué qui soulignera immanquablement ses cuisses de deux traits rouges ? Pour éviter cet inconvénient, appuiera-t-elle ses pieds sur un second fauteuil en vis-à-vis ? Ce qui ne sera pas sans intérêt compte tenu de la longueur insuffisante de sa robe. Julien Bonneuil ne pousse pas dans ses retranchements une imagination somme toute conventionnelle. De peur qu’ils ne l’abandonnent, il sollicite ses fantasmes en permanence, conscient que leur disparition sonnera le commencement de sa folie. Cette peur, qui caractérise sa névrose ordinaire, n’est pas sans rapport avec une timidité maladive qui met la vie hors de sa portée. Sans parler de cette absence chronique d’érection qui l’a doucement acculé à un voyeurisme bon chic associé à des rituels compulsifs quoique sophistiqués. L’inertie tue l’organe132. Au bout du compte, Julien Bonneuil est un homme tristement attendu que personne n’attend.
La femme esquisse un déhanché Lambada et jette en arrière un regard vers le quidam lambda qui lambine dans son sillage. Soudain, l’angle de la rue qui longe le parc, l’escamote133 aux regards du prédateur.
Julien allonge le pas sans empressement. Il chasse en terrain connu, il joue à domicile : elle va passer devant chez lui !
Oui, Julien Bonneuil habite en bordure du jardin du Luxembourg ! Comment est-ce possible ? Fiction gratuite d’un polar au patchouli134 ? Coquetterie d’auteur ? Non pas. Le père de Julien avait acheté cet appartement avec des pétrodollars, au début des années quatre-vingt, alors qu’il travaillait pour une multinationale qui faisait dans les hydrocarbures. Il y avait installé sa femme et son unique rejeton, tandis qu’il allait insouciant, auscultant le sous-sol africain à la recherche des nappes onctueuses dont raffolent les sociétés industrielles. Deux fois l’an, il passait en coup de vent accrocher aux murs de l’appartement les aquarelles qu’il avait réalisées au cours de ses pérégrinations135 subtropicales. Les cloisons étaient couvertes de longues pirogues voguant sur des fleuves comme des mers, de négresses aux seins ultralibéraux, de larges culs drapés dans l’étoffe chatoyante des jours sans pain, d’enfants à la nudité ocreuse136, de villes s’effritant en bordure de déserts, de cucurbitacées137 aux plastiques incongrues, de dentures éclatantes ourlées de lèvres turgescentes138, de masques inquiétants à la laideur mystique.
Le petit Julien se disait qu’un homme qui avait vu tant de merveilles ne pouvait être foncièrement méchant, contrairement à ce que laissait entendre Madame Bonneuil, sa mère.
Dans l’hémisphère nord, après avoir mis les petits écrans dans les grands139, on avait enterré les pattes d’F au cimetière des éléphants140 avec les volts de Cloclo141, et inscrit au patrimoine de l’Unesco, le tangage des gros culs des Claudettes. Place à la mièvrerie désabusée post-orgasmique des années 80 qui convenait davantage à une Madame Bonneuil ayant passé l’âge du rock’n’roll et qui n’était pas d’humeur disco. Elle avait dû élever seule, un fils qui était le portrait gerbé142 de son père. Cette ressemblance, qui puait l’absence143 du déserteur, avait scellé le malheur du petit Julien, d’autant mieux que celui-ci se prénommait ainsi en souvenir d’un premier amour qui pourrissait sous les bandelettes antiseptiques de la nostalgie de la daronne. Le garçon fut régenté d’une main de fer dans un gant de corindon144, perfusé à l’aigreur maternelle, cuit à la vapeur des thés à la bergamote, étouffé dans l’albumen, brouillé, poché, battu en neige, privé de tout oxygène social y compris de trottinette. Quant à un bateau à voile sur le bassin du Luxembourg, il eut pour en rêver toute une enfance entoilée d’interminables après-midis au fond de salons petit-bourgeois, les cuisses marquées par le rotin, avec parfois les ongles terrifiants d’une dame qui « sur son petit pénis se posent »145. Rêveur et soucieux de trouver un sens à son embryon de vie, l’enfant Julien s’était réfugié dans les livres d’histoire que son père avait abandonnés dans la bibliothèque d’angle de son bureau, une pièce dont l’accès était toléré sous réserve qu’on remît tout en ordre avant de la quitter. Sa période préférée était « La flambée de l’Islam ». Il se demandait quel ressort un démiurge146 avait libéré, pour que le monde bénéficiât d’une intumescence147 idéologique aussi considérable et d’une accélération de l’histoire aussi fulgurante. Il aurait aimé profiter lui-aussi d’un tel déchaînement du calendrier pour échapper à son enfance délétère148.
Même si la liberté n’était encore, dans l’esprit du petit Julien, qu’une notion sans consistance, même s’il portait en lui son histoire comme un prophète porte son exosquelette cruciforme, même s’il n’était pas en mesure d’attendrir l’âme fossilisée à laquelle il donnait l’hospitalité, ni même de saisir les mobiles qui poussent les êtres humains à partir au loin sans promesse ni guide, du moins pouvait-il envier les aventuriers, et les accompagner par l’imagination à travers mers et déserts.
Prisonnier d’un univers étriqué, le petit Julien était fasciné par cette époque où le monde semblait sourire à l’exalté, où les cultures se fécondaient, où dieu exauçait les vœux des plus hardis. On ne jurait que par le vent du large et la crotte de chameau. Vecteurs de sensations extrêmes, les dromadaires fréquentaient les foires de Champagne et les bateaux sillonnaient les mers, chargés d’épices d’Indonésie, de porcelaines et de soies de Chine, de poivre et de cotons indiens, d’artisanat abbasside149, de bois, d’or, d’ivoire, d’esclaves, de peau, de corne et d’autres phanères150 prodigieux arrachés à la terre africaine. Ainsi en allait-il des rêveries terraquées151 du petit détraqué.
Néanmoins, le garçon en voulait à l’Afrique de lui avoir pris son papa. Il avait constaté que les marchandises d’origine animale ou humaine provenaient toutes de ce continent menaçant qui n’hésitait pas à désosser les albinos, escarrifier152 les hommes et les femmes au fond de geôles flottantes, amputer les animaux, diminuer la terre de tout ce dont on pouvait faire commerce. Aux murs de l’appartement, les aquarelles de son père étaient autant de trophées qu’il n’osait soulever de peur de mettre à jour quelque béance avide, quelque fente meurtrière, certain nid grouillant de bouches venimeuses ou pire, une marque maléfique. Cependant, foyer de tous les mirages et de toutes les hallucinations, ce continent fantôme était aussi paré d’attraits fantasmatiques dans l’esprit chamboulé du garçon où des nones en extase se prosternaient devant des ivoires priapiques153, où des femmes du monde vêtues de peaux de panthères retournaient à l’état sauvage à quatre pattes, où des esclaves enchainés se tordaient nus aux pieds des reines de village154. Son père avait-il été le prix à payer pour jouir de toutes ces phantasmagories155 ? Le pauvre garçon le pensait et ne cessait de le déplorer, se sentant tristement coupable de participer malgré lui à ce qu’il considérait comme un enlèvement, un maraboutage en bonne et due forme.
Quoi qu’il en fût, ces années prophétiques resteraient une époque merveilleuse dont l’actualité avait débordé de vitalité. Le petit Julien s’amusait à concevoir les unes d’un journal imaginaire, sans se soucier des anachronismes.
« Les Khmers prennent le pouvoir », La cocotte en papier, an 800. Le fait est que sa mère avait pris le pouvoir, pendant que son père assoiffé de gloire était parti conquérir de nouveaux territoires.
« Nouveau record de chasse à la baleine en mer arctique » La cocotte en papier, an 852. Face à la froideur de sa mère, le petit Julien poursuivait sa quête d’un utérus accueillant. Il ne savait pas que les baleines, aussi vastes soient-elles, n’accueillaient en leur sein que de minuscules organismes infusant dans la glaire océane.
« L’étrier fait son bonhomme de chemin, la cavalerie lourde se généralise, Byzance déploie des cataphractaires156 avec Nicéphore » La cocotte en papier, an 961. Pour ne pas céder aux sirènes mortifères de la déréliction157, pendant les après-midi de plomb, le garçon orchestrait de terribles batailles où s’affrontaient les empires.
« Si vous ne savez pas où aller pour vos prochaines vacances, les dynasties rivales du centre de Java vous accueillent ; vous aurez le choix entre l’immense pyramide-mandala bouddhique de Borobudur et le complexe hindou de Prambanan ; il est conseillé de réserver » La cocotte en papier, an 851. Autant dire que la famille Bonneuil passait les vacances d’été dans des complexes hôteliers haut de gamme où l’enjeu était de faire le plein de liberté158 pour le restant de l’année, jusqu’à la prochaine réincarnation estivale.
« Les Mayas délaissent leurs cités-États au profit des banlieues potagères » La cocotte en papier, an 857. Il est vrai que Madame Bonneuil parlait souvent de rejoindre une sœur en province ; projet qu’elle n’envisageait pas de réaliser un jour, mais qui lui permettait de cultiver le mystère d’une option à faire valoir, le cas échéant, à l’approche de négociations décisives qui ne se présentaient jamais.
« L’impératrice byzantine Théodora rétablit le culte des images après le décès de son mari » La cocotte en papier, an 843. Etonnamment, Madame Bonneuil allait devenir la conservatrice exaltée des peintures de son mari, à la mort de celui-ci. Peut-être parce qu’elle sentait venir la sienne et qu’elle redoutait de voir s’écrouler brutalement le monde si elle en congédiait le moindre fragment.
Le prospecteur Bonneuil mourut héroïquement – autant dire stupidement – lors d’une visite d’immersion sur une plateforme pétrolière mal arrimée à la mâchoire du golfe de guinée, qu’un ouragan déchaussa telle une mauvaise dent (une dent de la mer, ça va de soi). Un incendie avait cautérisé le bazar et chaque famille avait reçu une urne funéraire signée par un sculpteur de renom.
Le jeune Bonneuil venait d’avoir le bac avec mention passable et n’eut pas à annoncer à son père la médiocre nouvelle.
Comme si elle attendait un signal, Madame Bonneuil mourut l’année suivante dans les affres159 déprimantes160 d’un cancer du sein tardivement diagnostiqué qui s’était généralisé.
Julien trouvait ça moche de se débarrasser ainsi des personnages. Il n’y pouvait pas grand-chose quand bien même eût-il voulu céder sa place (il s’estimait illégitime dans cette histoire où l’on ne voyait pas à une page). Certaines accélérations laissaient sur les papilles un goût de caoutchouc brûlé, l’âcre161 saveur des enfances qui mettent brutalement la clé des champs sous la porte.
Le jeune Bonneuil devint Monsieur Bonneuil ; il hérita d’actions de l’industrie pétrolière et d’un bel appartement en bordure du jardin du Luxembourg.
Il poursuivit des études d’histoire vers nulle part, dans le but de retrouver un père symbolique, sans pour autant marcher dans les traces du géniteur. Il échafaudait pour mieux échapper à la réalité mais, très vite, les échafaudages firent office d’étais162 pour consolider un monde qui n’en finissait pas de s’écrouler163. Rien de bien grave, le jeune Bonneuil était simplement désespéré. Sa curiosité névrotique masquait mal les abîmes de son affliction164. Il aimait se poser des questions sans intérêts qui interrogeaient de faux problèmes ou qui, dans le meilleur des cas, n’attendaient de réponses de personne. La vérité ne l’intéressait que dans la mesure où elle restait improbable et difficilement crédible. Julien s’isolait et cultivait le mystère pour construire des théories qui relevaient davantage de la paranoïa complotiste que d’une démarche d’historien. Cette angoisse diffuse et ce sentiment d’abandon ne devaient jamais le quitter tout à fait. La moindre contrariété prenait un malin plaisir à venir grignoter la matière la plus grise de son cerveau165.
Quand il tourne dans la rue de Médicis, à l’angle du boulevard Saint-Michel, la tache claire et dansante a disparu. D’un côté, les grilles sombres du jardin hachent la lumière crue de fin d’après-midi avec la dextérité d’un cuisinier thaï166 ; de l’autre, les façades pseudo-haussmanniennes déploient un luxe miroitant de hautes fenêtres encadrées de pierre tendre. La jeune femelle homo sapiens s’est envolée. À moins que, tel le grand buffle noir des savanes qui se sait pris en chasse, elle n’ait sournoisement biseauté par la rue Monsieur le Prince pour prendre son poursuivant à revers via la rue de Vaugirard, avec l’intention de lui transpercer le thorax d’un coup de sagaie167.
Julien Bonneuil n’a pas remarqué qu’elle portât de sagaie. Il vérifie toutefois qu’aucune pointe ne sort de son sternum, au cas où il serait déjà mort168.
L’appât humain a disparu, laissant place à toutes les sorcelleries. À deux pas de son domicile, Julien ne se sent plus en sécurité. Un guerrier au corps peint va-t-il se détacher du mur de la copropriété ? Un sorcier masqué portant une urne funéraire va-t-il lui proposer de consommer les cendres de son père, mélangées à de la purée de banane ? L’une de ces vieilles femmes ridées qui lui a jadis tripoté le pénis, va-t-elle soudain venir à sa rencontre en grinçant comme une hirondelle169 ?
- Mon petit Julien, tu ne reconnais pas ta maman ?
Monsieur Bonneuil sent déferler en lui des perles d’angoisse qui roulent de plus en plus nombreuses dans les ténèbres inclinées de sa conscience. Leur vacarme couvre les bruits de la circulation encore dense du boulevard. Il court jusqu’au 5 bis rue de Médicis, passe devant la cage vide de l’ascenseur et prend d’assaut l’escalier habillé de laine aztèque170.
Ça craque et ça sent bon la cire, comme dans les salons de massage171.
Julien attaque la dernière courbe avant le cinquième étage quand il se fige dans une pamoison d’opossum172 où la stupeur le dispute à l’espoir le plus extravagant. Là-haut, la lumière rasante qui fuse par la fenêtre oblongue de la cage d’escalier, découpe la culotte blanche de sa naïade173.
Ils sont voisins de palier !
Nom d’un anacoluthe174, depuis combien de temps cela va-t-il durer ?
L’appartement était resté inoccupé pendant plusieurs années. Il avait appartenu à une dame âgée très discrète à laquelle un fils plus vieux qu’elle rendait visite trois fois par semaine. Le petit Julien apercevait à l’occasion ses dents jaune comme l’os, jusqu’au jour où elle n’eut plus la force de se déplacer pour venir ouvrir la porte. Elle avait davantage de contacts avec les Béchamel, ses voisins du dessous, un vieux couple malsain d’humeur torpide175 avec lequel, selon Madame Bonneuil, elle échangeait des revues de salles d’attente et des pâtisseries maisons. Le petit Julien n’ayant pas droit aux pâtisseries qui rendent obèse et gâtent les dents, aucune relation de près ou de loin n’avait pu s’établir. Madame Bonneuil méprisait « la Béchamel » – comme elle se plaisait à l’appeler – avec une conviction très parisienne. Elle lui reprochait son manque de classe et l’origine obscure de ses moyens.
La fille entre sans effraction dans l’appartement et la porte se referme sur la neige du Kilimandjaro176 avec un bruit hermétique très chic, fiable et rassurant.
Un double tour de verrou met un point-virgule aux pensées de Julien Bonneuil.
Une fois dans son appartement, retenant sa respiration, Julien colle son oreille contre la cloison mitoyenne, comme sur l’ouverture d’un coquillage géant qui abriterait la déité de ses pensées. Il n’entend que le battement sourd de son cœur qu’affole un manque d’oxygène.
Une activité de surveillance intensive occupe le garçon toute la nuit du vendredi et une bonne partie du samedi.
Il s’aventure sur l’étroit balcon haussmannien, davantage conçu pour acclamer les empereurs ou pratiquer le vaudeville que pour profiter de la fraîcheur nocturne. L’éclairage urbain boxe sans relâche le corps mou des ténèbres177. Il n’y a pas de lumière chez la voisine. Est-elle encore dans l’appartement ? Il est seul, à caresser le velours de la nuit et ses espoirs insensés178. Le grand platane tout proche exhale l’odeur rassurante et tiède des jardins publics, un parfum d’écorce rehaussé d’une pointe de fumier qui rappelle les clapiers de son enfance où s’animait le nô179 des oreilles phosphorescentes devant lequel le jeune Bonneuil fasciné se laissait envahir par une incoercible180 envie de déféquer, à l’époque où il passait ses vacances dans la famille vosgienne de sa mère. Julien ferme les yeux, laissant carte blanche à la noirceur de sa psyché polymélique181. Les images affluent en hordes clairsemées. Un ricanement parcourt une meute d’éoliennes182 se disputant les restes d’une tempête récente sur les bords d’une mer sans clartés. Les chiennes du vent183 le regardent sortir des flots comme un dieu humide et sans valeur. Elles viennent à sa rencontre en meuglant, toutes truffes et glandes anales184. Julien ouvre les yeux. Il est en sueur. Ce n’est pas demain la veille qu’il chevauchera l’animal pentu185.
Craignant d’être considéré une fois de plus comme le malade mental de service, Julien se replie prestement à l’intérieur. Il s’en veut de s’être fait repérer en remontant le boulevard, alors que quelques centimètres seulement le séparent maintenant de l’objet de son délire186 érotomaniaque187. Il va encore passer pour l’individu peu fréquentable qu’au fond il n’est pas, sa timidité maladive le rendant inapte à toute grossièreté188.
Le samedi, il s’endort sur les coups de six heures du soir, le nez dans son dessus-de-lit où une abondante faunule189 dépense une énergie considérable à se reproduire.
Il sort huit heures plus tard d’un sommeil mouvementé, affamé et hagard. Il a fait un rêve très bizarre.
Jeux de mains jeux de vilains
Dimanche, une heure du matin, Le Bar à Jo190. C’est la fièvre du samedi soir mais il n’y a pas de quoi passer aux antibiotiques. Ça sent la vinasse et la sueur sur un fond de graisse chaude191. Une clarté torréfiée dissout les traces de fête. Les derniers clients se lèvent en parlant fort. Ce sont des habitués. Ils ne dérangent plus personne, ils sont chez eux pour encore une minute ou deux, puis ils regagneront leur logis à pied ou en covoiturage. La plupart sont du quartier. Ils n’ont pas les moyens d’aller en boîte. Ni le goût.
Un petit groupe de fumeurs s’attarde encore à l’extérieur. Raclements de gorges, rires étouffés, il fait doux. C’est une nuit de velours élimée192, imbibée d’urine et de chagrin, quelque part dans le XIIe arrondissement193. L’été parisien a du mal à se mettre en place, à la fois humide et poussiéreux, mi-ciel, mi-béton, mi-crotte, mi-pigeon, mi-praire, mi-chorizo, mi-uchi, mi-soto194, mi-wabi, mi-sabi195. Le parfum d’un catalpa196 change un peu la donne.
Au fond de la salle brune et beige, sur la banquette en skaï bordeaux, un peu larguée, un peu naze197, une fille pas très frileuse avec une coupe à la garçonne dort devant un pastis Duval198, la tête dans le frais cresson bleu199.
Le patron circule dans les travées, une lavette à la main. Il tire une table par-ci, retourne une chaise par-là. Tel un dompteur, il montre au mobilier de salle qui est le chef. La main libre crispée sur la toile de son falzar, il boite légèrement. Il en a plein les bottes. Jojo n’est plus tout jeune. Ce soir, il est un peu nerveux. Mais il reste familier, de l’eau à mi-cuisses, entre lassitude et compassion. Dans son rad, tout le monde se connaît et s’apprécie, on vous prend comme vous êtes, sans la tête200. Il y a des hauts, il y a des bas, on essaie de faire bonne figure. Certains passent tous leurs congés payés, au Bar à Jo. Ce n’est pas Locquirec, il n’y a pas la mer et l’on n’y baise pas dans les toilettes, mais c’est tout de même un peu l’Hôtel de la plage201.
En revanche, c’est la première fois qu’on voit traîner cette fille dans le coin. Personne ne l’a vu arriver mais Jojo aimerait bien la voir partir. Une heure trente c’est une heure trente. Les flics sont assez stricts sur les horaires. Il ne veut pas appeler les pompiers. Il les a déjà sollicités la semaine dernière. Il n’a pas envie qu’on lui suspende sa licence. Il ne voudrait pas non plus qu’on dise que son bar accueille des drogués. Jojo est inflexible, seul les alcolos sont admis dans cet établissement.
- Nanar et Lulu, j’efface vos ardoises si vous reconduisez cette fille chez elle sans faire d’histoire.
- Pour ça Jojo, tu sais que tu peux compter sur nous, on a notre diplôme d’assistante maternelle. Et on n’est même pas bourrés. Regarde !
Ils s’enlacent comme les lutteurs d’une pantomime grotesque pour démontrer que leur équilibre n’est pas altéré. On va dire qu’ils sont raisonnablement bourrés202 pour un milieu de weekend.
- Ça ne me rassure pas les gars. Je vois bien que vous avez des pulsions belliqueuses203.
- Une belle queue n’est pas forcément belliqueuse. On est des doux, mon Jojo, des tendres, tu nous connais aussi bien que ta blanquette !
- Ouai, je vous connais, vous êtes des créatures séraphiques et moi je suis Monsieur Seguin. Il n’empêche que je ne peux pas laisser cette fille comater dans mon établissement. Je devrais déjà être fermé, à c’t’heure.
- Te fais pas de bile Jojo, on va la ramener au nid ta gonzelle204. Et avec toutes ses oies encore.
- Contentez-vous de ne pas toucher à ses plumes. Allez les gars, j’ai trouvé une facture d’épilateur dans son sac à main.
- Tu vois, elle n’y tient pas plus que ça à ses plumes.
- 5 bis rue de Médicis dans le VIe, le long du jardin du Luxembourg. Pour l’étage vous n’aurez qu’à lire les étiquettes : Mademoiselle Amandine Luz.
Ce nom résonne dans la mémoire du taulier comme, à travers une cloison trop mince, le cri d’une femme dans une canicule, quelque chose d’improbable et de confus qu’on veut reconnaître à tout prix mais que la moindre évocation contribue à éloigner davantage. Il a connu un fournisseur du nom de Luz, un marchand de vin qui lui avait offert le champagne pour le mariage de son fils. Il n’avait pas pu faire autrement que l’inviter. Le bonhomme s’est retiré au Portugal pour profiter de sa retraite. Tous les ans Jojo reçoit une carte postale.
- De toute façon vous avez la clé, vous n’aurez qu’à l’essayer… La clef ! Pas la fille ! Je compte sur votre discrétion.
- On est des couvreurs, Jojo ! Tu sais que pour une ardoise205 on est prêts à grimper aux rideaux.
- Ce ne sera pas la première fois qu’on te couvrira206, Jojo.
- Ha ha ha. T’es con Nanar !
- Je vous ai à l’œil, les monte-en-l’air. Pas de casse, pas de choure, pas de fourre. Vous m’entendez ? Il ne s’agit pas de répandre votre ADN207 aux quatre vents. Vous n’êtes plus sur les toits de Paris.
- Oh là Jojo, on veut bien te rendre service mais faut rester poli !
- Bonjour les amis.
- Allez, pigeon vole, on te racontera. Au fait elle a quoi ta nana ? Elle a presque pas bu !
- Elle a dû prendre un truc. Je la connais pas cette fille. Elle est restée à somnoler toute la soirée sur sa banquette.
- T’inquiète pas pour ta biquette. On la met dans le coffre de la R12208 et c’est parti mon Lulu !
- Evitez le Boul’Mich, y a des contrôles, le weekend.
Lulu s’installe au volant de la Jaguar. C’est toujours Lulu qui conduit. Peut-être parce qu’il est petit. Pour le faire chier, ses potes l’appellent le p’tit Lu. Sacré Lucien !
Nanar, lui, il préfère avoir les mains libres. Il a le bras long, le Bernard.
Sur la banquette arrière, la fille écrase209 en bavant un peu.
- Elle est chelou cette nana, dit Lulu en jetant un coup d’œil dans le rétro.
- Arrête, on a quand-même gagné notre soirée.
- C’est vrai. Par où on passe ?
- Jojo a dit, pas touche au Boul’Mich. Prend rue de Rambouillet jusqu’au Quai de la Rapée. Ensuite, Pont d’Austerlitz, puis rue Buffon le long de Jurassic Parc, rue Buffon rue Censier, rue Censier, rue Monge, rue Monge, rue Claude Nanar210, rue Claude Nanar, rue Gay-Lulu211, et au bout de la rue Gay-Lulu, à deux pas de chez mademoiselle Luz, il y a ? La fontaine de mes roustons212 ! Le meilleur trajet pour ne pas être changé en citrouille par la patrouille.
- Messieurs-vos-papiers-les-papiers-du-véhicule-merci.
- Voilà, Monsieur l’agent de mes deux.
- La jeune-fille à l’arrière, vous la connaissez ?
- On la raccompagne chez sa mère-grand, Monsieur l’agent ; on peut emprunter votre gyrophare ?
- Ha ha ha ! T’es con Nanar !
Et les compagnons de reprendre-zan cœur :
- J’ai tombé l’bénard…
- C’est la faute à Nanar !
- Jui ai mis dans l’cul…
- C’est la faute à Lulu !
Le binôme est convenablement parti.
À l’arrière, la belette émet une drôle de plainte. Lulu jette un œil suspicieux213 au rétro.
- Faudrait pas qu’elle dégueule dans la bagnole.
- T’inquiète, elle a rien bu. Elle rêve qu’elle se fait enculer, c’est tout.
- Faudrait pas non plus qu’elle nous fasse un malaise ou qu’elle pisse sur la banquette.
- Mets le chauffage. Il fait frais et elle n’a pas grand-chose sur le cul.
- En fait, t’es une vraie nounou, Nanar. Un vrai saint-bernard !
- Je pourrais te proposer d’aller lui souffler sur les miches, mais t’as entendu Jojo ?
- Ha ha ha ! Tu sais ce qui plait aux femmes, ça on ne peut pas te l’enlever.
La fille continue de gémir en reniflant le fond d’un rêve pas très clair.
Le sourcil froncé et la lèvre inférieure boudeuse, Lulu hoche la tête devant le rétro comme un guignol.
- On dirait qu’elle bave…
La Jag remonte maintenant la rue Buffon à fond le buffet.
- Elle va réveiller le tyrannosaure, avec ses glapissements.
Les résidents permanents de la galerie paléontologique214 du Jardin des Plantes sont assoupis depuis quelques millions d’années, pour autant il ne faut pas agacer le saurien215 tapis dans le cœur de l’homme blanc.
- À propos Lulu, tu sais comment les dinosaures ont disparu ?
- Ils ont pris une comète sur le coin de la gueule ?
- Non. Ils ont été éliminés par un tirajausort216 !
- Ha ha ha ! T’es con Nanar ! Qui c’est qui te l’a racontée ?
- Mon p’tit n’veu. Il l’a trouvée dans un Carambar.
- Ça existe encore, les Carambars ?
- Oui, tiens fais gaffe. Prend à gauche dans la rue Monge.
- Et ça se monge toujours, les Carambars ?
- T’as qu’à essayer. Tous les jours, y en a un qui sort de ton cul !
- T’es vraiment grossier Nanar ; ça te jouera un tour, un de ces quatre.
On est mi-juin, ça roule dans le sens du poil, décontracté du prépuce217. Au feu rouge, on sent les bulles du jacuzzi vous remonter entre les cuisses. Tous les chats sont gris, y compris celui qui suinte sur la sellerie arrière.
- On a peut-être embarqué un vampire ?
- Arrête avec ça Nanar, tu sais que ça me fout les foies218.
- Crac ! Dans la nuque !
- Arrête, je te dis. Merde !
- Tiens, on va passer à côté de ton école. Rue d’Ulm ! Il y a le top des flèches dans cette école.
- Y a une vanne ?
- J’ai lu dans Wikipédia que la flèche de la cathédrale d’Ulm, en Bavière, était la plus haute d’Europe.
- Personne peut comprendre ça, Nanar, personne.
- Tention, à droite, rue Gay-Lulu.
- Merde, j’ai failli prendre le sens interdit !
- Tu as vu Lulu ? Chacun sa rue, moi c’est Claude, toi c’est Gay. On n’y peut rien, c’est la Nature.
- La Nature, elle t’emmerde, Madame Claude. D’abord on dit plus la Nature, on dit l’environnement. Y a pas de ministre de la Nature, que je sache !
- Y a un ministre du développement durable, en revanche.
- Tu sais qu’il faut avoir les reins solides pour se lancer dans le développement du râble !
- Lulu, qu’est-ce qui t’arrive ? C’est le gros cul de la petite qui t’inspire ?
- J’improvise. Je ne cherche pas mes vannes sur internet, moi. Je ne prémédite pas, monsieur, je rebondis, je sollicite, j’enjolive, je digresse, je suis résilient. Chez moi, l’univers est dans sa maison.
- Tu laisses le vent circuler dans tes cheveux…
- Exactement !
- Tu es une éponge tout imbibée de voie lactée…
- Je suis le petit fils caché de Gandhi.
- Tu sais qu’on est arrivé, là ?
La Fontaine de la place Edmond-Rostand est muette et un calme impérial recouvre le Jardin du Luxembourg.
- Elle est à sec, la fontaine de tes roustons, Nanar !
Pas de problème pour se garer devant le 5 bis rue de Médicis. Les ombres démesurées des platanes écrasent la façade jaunissante de l’immeuble219.
Une porte prune.
- La couleur de la porte est assortie aux godasses de la môme, remarque Lulu.
Il y a un code. Heureusement, Nanar a toujours sur lui une radio de ses poumons pour pouvoir entrer dans les endroits non-fumeurs.
- Attends-moi dans la voiture avec la marchandise.
On n’est qu’à trois cents mètres à vol d’oiseau du Sénat. Lulu garde un œil sur chaque rétro, le rétro intérieur pour s’assurer que son cadavre continue à ne manifester aucun signe de vie, et le rétro extérieur pour vérifier qu’il n’y a pas de patrouille en vue.
Lulu est content de pouvoir finir la soirée comme ça, avec son pote Nanar. Ce n’est pas méchant et ça lui rappelle leur jeunesse, le temps où ils étaient sur de vrais coups. Un peu d’adrénaline frelatée pour deux retraités de la plume220. Et pour la bonne cause encore. Lulu n’a pas d’enfant. Nanar non plus, à ce qu’il dit. Ils sont comme deux oncles attentionnés ramenant leur nièce à la maison. Livraison à domicile, service à la personne. Tendre Lulu !
Dix minutes plus tard, Nanar est de retour, fumasse221.
- Cinquième étage gauche ! J’ai dû me taper toutes les serrures. Son nom n’était pas marqué sur la porte.
Ils passent chacun un bras de la fille par-dessus leurs épaules. Elle pèse son poids d’animal mort.
- Déconne pas Lulu, c’est moi qui porte tout !
- T’as qu’à pas être aussi grand.
Nanar garde son calme : il sait qu’il aura bientôt sa revanche.
- Pas question de rester coincé dans ce piège à rat222, c’est trop risqué, dit-il, on prend les escaliers.
Le petit Lulu se retrouve à grimper à reculons et doit se contenter des petits seins circonflexes de la môme223, pendant que le grand Nanar monte peinard en mâtant le matos, de la cuisse plein les pognes.
- C’est dingue ça, c’est toujours moi qui me fais avoir !
Nanar se contente de hocher la tête. S’attaquer au physique, ce n’est pas son genre.
Une fois entrés, ils déposent la fille en vrac sur un canapé.
Puis ils en font une jolie sculpture dans le style néo-contemporain pré-futuriste chic224, dépouillé, avec des lignes très pures, mais aussi de la tenue et du volume.
- Vu comme ça, on ne peut pas nier225 qu’elle ait un bel instrument à cordes226.
- Je mettrais bien un petit coup d’archet à son Strad227 !
- Pas de bêtise Nanar, avec l’économie que tu vas faire sur ton ardoise tu pourras largement te payer une pute. Moi, j’ai trop d’arthrite pour retâter du violon228.
- On peut bien s’amuser un peu, non. On ne va pas la baiser, je veux seulement lui baisser la culotte. Je pense que ça serait plus stylé, comme dit mon p’tit n’veu.
- Taratata, y a pas besoin de ça. On ne la voit plus sa culotte tellement elle lui rentre dans le cul. Allez, on s’est assez amusés comme ça. Essuie la clef et remet la dans le sac à main.
- Tu balises, Lulu, tu balises ! T’as trop peur de ne pas pouvoir te retenir si je lui ébouriffe la chanterelle229 !
- C’est dingue ! Tu ne peux pas avoir de la sympathie pour une fille sans lui retirer sa culotte ! Tu fais ce que tu veux, moi, je t’attends dans la bagnole.
Entre les deux hommes, le ton n’a cessé de monter. Nanard fait tomber un vase. Les coups sourds d’un manche font résonner le plancher. Les deux compères détalent sans prendre la peine de claquer la porte.
Comme à Icare, la cire est fatale à l’un des deux experts qui glisse sur le bois d’une marche et perd l’équilibre en jurant dans un barouf de tous les diables. La chute ne ralentit pas pour autant la course frénétique du commando qui retrouve même un regain de vigueur au niveau du quatrième étage lorsque retentit la voix du vieux Béchamel.
- C’est pas bientôt fini ce bordel ?
Une voiture démarre brutalement. Le bruit du moteur s’effiloche dans la nuit. Une espagnolette claque.
S’infiltrant entre les lattes des parquets, un silence du troisième âge230 reprend possession du 5 bis rue de Médicis.
- Tu sais Lulu, il y a trois sortes de filles.
- Ah oui ?
- Il y a la fille qui a le cul dans la culotte et celle qui a la culotte dans le cul.
- Et la troisième alors ?
- Elle a pas de culotte… Lulu, merde !
- Ha ha ha ! T’es con Nanar !
Un amour de Julien Bonneuil
Dimanche, trois heures du matin, assis sur le bord du lit, Julien se rappelle son rêve encore fumant. Alerté par un charivari inhabituel dans un immeuble de ce standing, il colle son œil au mouchard. Deux énergumènes sortent précipitamment de chez sa voisine et dévalent les escaliers. Le héros s’avance sur le palier. La porte de sa voisine est restée ouverte. Il imagine le pire, partagé entre la volonté d’appeler la Police et celle de porter les premiers secours. Même si les deux ne sont pas antinomiques, Julien Bonneuil n’est pas homme à faire deux choses à la fois, même en rêve. Il est surtout homme à ne rien faire du tout – à sa décharge, plus par désenchantement que par paresse.
Il est secouriste du travail. Toutes choses étant dérisoires par ailleurs, il se considère comme un citoyen engagé, sinon militant. Son angoisse préférée231 est de mourir étouffé par « un cacahuète ». Il s’est inscrit aux cours du docteur Heimlich dans l’espoir secret232 de se débarrasser de cette obsession. Tous les deux ans, un pompier washlet233 passe au siège234 rafraichir235 les connaissances très approximatives des volontaires.
Trois mois plus tôt, Julien a eu l’occasion d’utiliser ses acquis lors d’un arrêt à la station de métro La Motte-Piquet-Grenelle. Assis sur son strapontin, il se faisait la réflexion que le Kamasoutra parlait plutôt de congrès236 lorsqu’il était question de motte237 et de piquet238, quand soudain un homme en complet taupe avait bondi hors de la rame pour se jeter sur un poivrot bedonnant allongé sur le quai. Peu enclin à respirer l’haleine du dormeur, dont par ailleurs Julien voyait à trois mètres se soulever la panse, l’homme providentiel avait prématurément diagnostiqué un arrêt respiratoire et démarré à la hâte un massage cardiaque peu orthodoxe. À califourchon sur le pelvis du patient, le sauveteur exerçait sur le diaphragme des pressions de bas en haut. Redoutant que l’outre239 corpulente ne régurgitât quelque liquide au risque de s’étouffer, ou qu’elle ne reprît contact avec le monde sensible en balançant un pain à son petit ami secouriste, Julien Bonneuil avait décidé d’appeler les pompiers avec son téléphone portable. Hélas, le seul numéro qui était venu sous son doigt affolé fut le 12, l’ancien numéro des renseignements ! Quand Julien fut revenu de son erreur, un agent de la RATP était sur le coup et le héros de la rame se faisait applaudir par un aréopage240 de femmes en tenue de bureau, excitées par le fumet du gueux. Le dents-sèches avait rapidement retrouvé ses esprits en éructant241 d’effervescentes242 objurgations243, probablement sous l’effet des douleurs abdominales infligées par son sauveur. En revanche, aucune érection n’avait été détectée par les caméras de surveillance.
Julien Bonneuil chasse ces souvenirs. Il craint d’oublier son rêve. Il ne sait pas encore quelle va être la nature de son intervention mais il ne veut surtout pas manquer l’occasion d’entrer en contact avec sa voisine. Il n’a pas trente ans et la vie lui sourit de toute sa gingivite244. Le parquet craque sous son poids. Il se jette en arrière avec l’impression désagréable de marcher sur un rachis et d’avoir déplacé une vertèbre.
À quelques mètres à vol d’oiseau, l’imagination à rayons X de Julien détecte les visages des époux Béchamel à l’affut, tendus vers le plafond comme deux pizzas frémissantes. Il longe le mur avec précaution pour éviter les craquements et s’apprête à entrer de plein pied dans le salon. Mais il est pris de vertige. Son rêve lui revient avec tous ses détails.
Les voilures légères de hautes fenêtres tamisent un éclairage municipal qui déverse à l’intérieur d’une grande pièce une lumière fleur de sel que des boiseries ne parviennent pas à réchauffer. Cette clarté diffuse baigne copieusement le cul d’une muse245 qui semble attirer à lui tous les photons de l’univers. Moulée dans une robe à manches courtes en coton à fines rayures horizontales rouges et blanches, pieds nus dans des chaussures plates à lacets vernies d’un quetsche kitch très chic, il a reconnu sa voisine. Elle s’exhibe dans une position provocante, les genoux joints plantés dans le rembourrage de la sellerie d’un canapé, le cul en l’air, la hanche gauche tendrement appuyée sur le dossier tendu de cuir souple, la colonne vertébrale arquée en toboggan, la tête coincée contre l’accoudoir, nuque tordue. L’ourlet de la robe retroussée sur les reins fait un angle droit avec la culotte magenta baissée à mi-cuisse. Julien se fait la réflexion qu’elle a changé de culotte depuis vendredi soir.
Tendus vers le ciel dans la torpeur luminescente qui se déverse en cascade depuis le haut du canapé, le pétale fuchsia de l’anus peut s’envoler au moindre souffle. Julien tire légèrement la porte pour éviter les courants d’air.
- Madame ? Vous allez bien ?
On entend pisser dans la pénombre, les mérinos246 de l’indifférence générale.
Des petites bulles explosent en silence247 à la commissure des lèvres de la jeune femme. Un robinet goutte dans un évier. Au bas du sillon qui sépare à l’encre de Chine les globes surexposés, deux figues jumelles frisottent dans l’ombre. Julien est surpris par le volume inattendu des petits sacs charnus. Ils lui font penser à des abdomens d’araignées ; et aussi à plein d’autres choses. La lumière artificielle joue dans le gazon inégal du jardin suspendu, criblant de grains d’ombre la chair framboisée. Il imagine la consistance soyeuse et résistante d’un tissu technique adapté à toutes sortes de performances, et crame d’envie d’évaluer, entre la poire du pouce et le fromage de l’index248, le molletonné de la parure. Une chiffonnade de jambon de Savoie fumé au bois de hêtre s’échappe des deux tranches de pain.
- Vous avez la baguette249 qui est ouverte, badine l’indiscret.
De temps à autre, venue de la forêt profonde, une plainte gazeuse plane, comme un oiseau au ras des falaises, dans la gorge tendue de la dormeuse. Tous les membres de son corps en équilibre semblent se dématérialiser vers un futur postérieur250, à destination d’une dictature sidérale sophistiquée.
D’un doigt inquisiteur, Julien sépare les deux petites sœurs. D’une mollesse inattendue, les grandes lèvres n’offrent aucune résistance. Un sourire nacré récompense son audace.
Julien Bonneuil a, dans son rêve, conscience de sa TPN251.
Le sentiment d’enfreindre un interdit majeur plongeant ses racines au cœur des sociétés animales, éclipse celui, moins glorieux et autrement inhibant, de désobéir à une mère qui avait transféré sur son fils les terribles frustrations dont son existence avait été tissée.
Il lui semble que cette érection est la première depuis son dernier cours particulier avec Mademoiselle Fugain – son professeur d’anglais en classe de troisième. Julien repousse désespérément les souvenirs de ces temps révolus. Les pontons s’éloignent dans la nuit estivale un peu orageuse de sa mémoire, une chaleur grisante circule à toute vitesse dans son bas-ventre et son gland lilas bat la mesure dans la pénombre. Le bonheur est tapi derrière la porte, pense-t-il aquoibonistement, inutile de s’épuiser à courir le monde. Ils sont loin les mirages de sables et d’alizés, inaudibles les claquements des voiles et des tentes, abolis l’inclinaison des mâts et l’amble des camélidés252.
L’accès n’est pas très commode. Afin de prendre appuie contre le dossier du canapé, Julien déplace avec précaution les hanches cérusées253 de fines vergetures de sa Danaé254. Une douceur hallucinante envahit ses paumes. Avec une merveilleuse intuition, le renflement violacé de la verge trouve son chemin entre les chairs aux textures enivrantes. Debout sur l’assise du canapé, Julien chevauche gaillardement sa paisible et luxueuse rossinante255 sous la direction bienveillante du capitaine de cavalerie Herr Krause256. Ce soir-là, devant ses grands yeux émerveillés, les silhouettes des feuillus découpent sur le vitrage, le décor du petit théâtre de guignol devant lequel il était passé durant toute son enfance sans avoir le droit d’y entrer. Brandissant fièrement son bâton victorieux chargé d’anneaux de l’extrémité jusqu’à la garde, le garçon sent pour la première fois le bois dur des chevaux du manège sous son petit cul enthousiaste. Il est tellement facile de faire plaisir à un enfant.
Pourra-t-il seulement croiser un jour le regard de cette femme pour la remercier ? La situation est précaire. L’avenir n’existe pas au-delà de quelques secondes dans la bulle de temps créée par ce bigbang onirique. L’horizon observable de Julien se réduit à peau de chagrin.
Afin d’assouplir son étreinte, il change de position pour réduire l’angle que son pénis fait avec le vagin de sa nouvelle amie. Il a maintenant les deux mains agrippées à l’accoudoir, au-dessus de la tête de la jeune femme. Il sent le parfum de sa nuque toute proche, une odeur animale de cuir chevelu et de champoing à laquelle se mêlent des fragrances synthétiques anonymes. Il sait que cette odeur sera la dernière sensation avec laquelle il partira sans espoir d’un après, à l’heure bénie de sa mort.
L’éjaculation de Monsieur Bonneuil est ressentie dans tous les arrondissements257 de ce Paris258 pascalien qui convoque de façon aléatoire259, les sept divinités en chair – et surtout en « os »260 – de la Grèce antique : Chaos le béant, Eros l’entremetteur, Pontos l’efféminé, Ouranos l’incestueux, Cronos le castrateur cannibale, Héphaïstos le cocu handicapé, Dionysos le psychopathe. Julien a peur que ses violents soubresauts ne réveillent la femme qui tend sous lui sa croupe. Mammolo261 se redresse, savourant désespérément les quelques secondes épigones262 qu’il lui reste à débâcler263 dans la pantoufle de vair264 de cette Cendrillon dont le bel hautbois d’or ment265. Le temps n’en a plus pour très longtemps, les rats et les citrouilles ne vont pas tarder à dévaler le grand escalier de sa délinquance pour suivre le joueur de flûte de Hamelin. Juju a un regard attendri pour la fleur qui s’est épanouie en une plus large corolle, maintenant marquée en son centre d’une ombre cendrée.
Après avoir extrait son sexe mouillé des chairs de la femme, Julien replace avec précaution la hanche contre le dos du canapé, remonte de trois bons décimètres la culotte qui a glissé jusqu’aux genoux et, tel un chef étoilé, essuie d’un doigt délicat la coulée de mascarpone qui zèbre l’une des deux figues cramoisies266. Il lui semble que la consistance du fruit s’est notablement raffermie et sa couleur renforcée de carmin267. Il ne peut s’empêcher de penser aux postérieurs bariolés de certains quadrumanes.
Le joyeux drille268 se ressaisit. Tous les rêves ont une fin. Il n’ose pas entrer. Il reste sur cette dernière image colorée qu’il emporte dans son appartement où l’Afrique, on le sait, est déjà très présente269. Il a une pensée émue pour son père.
En partant, il a la bonne idée de fermer la porte du paradis afin de laisser ses empreintes digitales sur la poignée de cuivre qui luit dans la demi-obscurité, comme un fruit défendu.
Sur le bord de son lit, Julien se dit qu’il finira bien par entrer en contact avec sa voisine et constate la pollution nocturne qui a souillé ses draps – souvenirs, souvenirs270. La chance lui a souri et il sourit à la chance.
- Avoir la baraka271 ça donne la frite, s’amuse-t-il.
Soudain, des voix résonnent dans le hall. Trois casquettes brodées de petits ours tournoient dans la cage d’escalier comme les baudruches du stand de tir. Le quatrième agent monitore la rue de Médicis depuis son véhicule prioritaire dont le gyrophare affiche en violet le pouls de la nuit.
On frappe à sa porte. « Police ! » Il ouvre. On l’invite à s’avancer sur le palier. Les Béchamel regardent Julien d’un œil soupçonneux, ce qui n’échappe pas à l’un des policiers. Même si les Béchamel regardent tout le monde d’un œil soupçonneux, cela met Julien mal à l’aise. Madame Béchamel est la dame aux clés272 du 5 bis et Monsieur Béchamel son ardant factotum273. Citoyens exemplaires, les Béchamel ont prévenu la police, les Béchamel ont pris en photo la voiture qui s’éloignait, les Béchamel sont restés au chevet du 5 bis rue de Médicis après le départ de deux énergumènes274.
- Tandis que toi, qu’est-ce que tu as fait, ne prononce pas, scellée d’un pli mauvais, la bouche de Monsieur Béchamel ?
On demande à Julien ce qu’il faisait avant d’ouvrir la porte.
- Je viens juste de me réveiller.
- Vous dormiez tout habillé ?
- Je me suis écroulé samedi vers dix-huit heures, j’étais crevé.
- Vous n’avez rien entendu ?
- Quand-ça ?
- Il y a moins d’une demi-heure.
- J’ai entendu du raffut chez la voisine. J’ai vu deux types s’enfuir par le judas.
- Vous êtes sorti de chez vous ?
- Je suis sorti sur le palier. J’ai refermé la porte qui était ouverte. Du coup, je ne pouvais plus entrer. Un réflexe idiot.
C’est Madame Béchamel qui a le double des clés.
- Nous louons cet appartement au père de la demoiselle.
Un policier reste en faction sur le palier, empêchant quiconque d’entrer pendant que ses deux collègues évaluent la situation.
- Madame, vous m’entendez ? Madame, si vous m’entendez, clignez des yeux.
Julien reconnait la phrase rituelle qu’il a apprise pendant ses cours de secourisme et se fait la réflexion que ça ne marcherait pas avec une étrangère.
- Madame, si vous m’entendez, serrez-moi la main.
Le policier pousse un cris de surprise.
- Inutile d’engager le pronostic vital, elle a une poigne de ferronnier.
Le policier en faction profite de la présence des témoins pour recueillir quelques informations.
- Combien y avait-il d’individus ?
- Ils étaient deux, sans doute des cambrioleurs, on les a entendu prendre la fuite, on les a même photographiés de dos quand ils sont sortis dans la rue ; ainsi que leur voiture. Vous n’aurez pas de mal à les retrouver. Tenez, on voit parfaitement la plaque minéralogique, en grossissant.
- Vous n’avez pas vu leurs visages ?
- Non. En revanche on les a bien entendus. Ils ont fait un sacré bazar en descendant les escaliers.
- Et vous ? Monsieur…
- Bonneuil.
- Monsieur Bonneuil, rien à ajouter ?
- Je sais seulement qu’une femme a emménagé récemment dans cet appartement. Je m’en suis rendu compte vendredi soir, en rentrant du boulot.
Julien a honte de ne pas avoir eu le courage d’intervenir. Les yeux rougis des Béchamel rutilent275 comme quatre rondelles de chorizo jetées au hasard de leurs faces boursouflées de mozzarelle.
L’intervention des deux policiers met fin à l’interrogatoire.
- On va emmener la dame à l’hôpital, elle a peut-être avalé quelque chose. Il faut aussi qu’on fasse des prélèvements. On a pris quelques photos. À propos, on a celle de la bagnole ?
- Oui, je l’ai récupérée sur mon mobile.
Au tour de sa majesté Béchamel de se sentir mal à l’aise. Il a peur qu’on lui prenne son téléphone. Cette manie qu’ont les hommes de prendre en photo leur sexe en érection ! Le recours au gros plan avantageux reste une alternative considérable, alors forcément, la tentation s’installe à la place du chat276.
Peur superflue, la police française n’est pas intrusive.
- Nous avons appelé les pompiers, vous pouvez regagner vos appartements. Vous serez auditionnés demain, enfin… dans la matinée, au commissariat du VIe, rue de l’Abbaye, une parallèle au boulevard Saint Germain, pas loin du Métro. Vous voyez où c’est ?
- Oui bien sûr.
- Oui.
- Bon, les époux Béchamel, dix heures, ça vous convient ?
- Oui, parfait.
- Et vous Monsieur…
- Bonneuil.
- Monsieur Bonneuil, dix heures trente, c’est possible ?
- Oui.
- Parfait. Je vous remercie d’avoir donné l’alerte et d’avoir répondu à nos questions.
- Dites aux pompiers de bien marcher sur le tapis, les escaliers sont glissants, ils ont été cirés la semaine dernière, recommande Madame Béchamel.
- Merci Madame, on leur dira.
Dix minutes plus tard, enveloppé dans une couverture de survie éblouissante, digne d’une reine égyptienne, le corps de la voisine descend sur une civière l’escalier du 5 bis rue de Médicis. Julien Bonneuil assiste à son départ à travers le judas277.
Dépositions acrobatiques
Après quelques heures d’insomnie, Julien Bonneuil se rend au commissariat. Il a pris soin de noter son rêve dans un cahier.
Julien ne s’attendait pas à croiser sa voisine sur le trajet. Elle porte une minerve. Ils échangent un regard. Elle a les yeux bleus. Malgré une lassitude278 orbiculaire279 circonstancielle et un imperméable vert canard, elle a l’air plutôt en forme pour une fille qui vient de se faire violer. Enfin, c’est ce qu’il imagine. En tous cas, c’est ce qui s’est passer dans son rêve. Il ne pouvait s’agir que de sa voisine, il ne connais pas d’autre fille. Julien pense qu’en dépit des apparences elle doit avoir l’impression que la souillure est inscrite en lettres définitives sur son visage et que le monde entier peut déchiffrer en clair l’espéranto de son désespoir280. Première nuance de Gray281, une aimable turgissure282 violâtre283 est apparue sur la joue de la conscience glabre du garçon. Peut-on rêver de tout ? Une averse a laissé quelques flaques sur les trottoirs, la température a baissée. L’idée qu’il ait pu être victime d’une crise de somnambulisme effleure le garçon. Mais il n’est pas du genre à prendre ses désirs pour des réalités.
Les Béchamel sont déjà en train de faire leur déposition.
Julien réfléchit à ce qu’il va dire. Doit-il parler de son rêve ? Ce serait déplacé, lui semble-t-il.
- Monsieur Borneuil284 ?
- Bonneuil.
Les Béchamel passent devant lui. Le copropriétaire lui adresse de la tête un signe minuscule, quasi indétectable.
- Parfait. Commissaire Burandeau, chargé de l’enquête. Merci de vous être rendu disponible. Nous n’en avons pas pour très longtemps… Entrez, je vous prie.
La pièce est sobre et lumineuse, relativement vaste pour un bureau. Les doubles vitrages donnent sur une cour dans laquelle sont garés des véhicules banalisés. Un marronnier jette une ombre abondante sur les pavés luisants. Un petit massif à l’abandon est tout entier recouvert par les vestiges rubigineux285 de ces plantules chétives que l’été calcine en bordures des départementales286. Pas de clim. La fenêtre entrouverte laisse entrer le bruit des oiseaux. Sous le plafonnier, une mouche rebondit en vol comme un chien psychopathe au bout de son attache. On se croirait en province. Une petite bibliothèque en bois vernis sans personnalité supporte des livres techniques et des revues spécialisées. Seules les armoires métalliques aux étagères chargées de boîtes à archives rappellent que nous sommes dans les locaux d’une administration au prestige usurpé. Sur le bureau en forme de haricot, un ordinateur portable orné d’une pomme rétroéclairée287 apporte une touche de modernité. Une simple chaise et un siège confortable complètent le mobilier. Pas de photos des proches sur le plan de travail, pas de sous-verres aux murs blanc phalène288, témoignant d’un secret potager289, rien qui puisse donner la moindre prise.
- Asseyez-vous, je vous prie, la chaise est en hêtre du Canada.
Comme un élève appliqué, le commissaire entonne sa récitation sans trop de nuances.
- Julien Bonneuil, français, résidant au 5 bis rue de Médicis Paris VIe, cinquième étage porte de droite, parents décédés, licence d’histoire, technicien chez un installateur, sous-traitant de différents fournisseurs d’accès. Dites-moi si je me trompe.
- Non, c’est exact.
- Âge, s’enquit le commissaire qui cherche à rendre l’entretien interactif pour amorcer le jeu des questions-réponses ?
- Trente et un balai et des poussières290, plaisante Julien.
- Vous avez été réveillé vers deux heures du matin, ce dimanche, par une discussion provenant de l’appartement de votre voisine, deux hommes, amorce le professionnel.
- Non, je me suis réveillé tout seul, un peu après, vers deux heures et demie, précise l’historien.
- Ah bon, abonne291 le commissaire ?
- Je m’étais endormi samedi vers dix-huit heures.
- Dix-huit heures ?
- J’avais fait une nuit blanche de vendredi à samedi.
- Avec des amis ?
- Non, seul, chez moi.
- Seul, s’étonne Burandeau en penchant la tête pour inspecter la semelle de son soulier ?
- Je gamberge pas mal en ce moment. J’aimerais changer de boulot, je cherche des formations sur internet.
Ça sort comme le jus d’un fruit. Julien inspire profondément pour s’assurer qu’aucune odeur de merde ne monte des couches basses de la troposphère292.
- Bien. Monsieur Béchamel nous a appelés à deux heures trente. Vous les avez contactés ?
- Non.
- Pourquoi n’avez-vous pas appelé la police ?
- Ça ne me semblait pas bien grave. Les deux hommes sont partis rapidement.
- Il semble qu’ils aient pris la fuite ?
- L’un d’eux a glissé dans les escaliers, le petit ; ça pouvait faire penser à une fuite mais sur le coup j’ai surtout craint pour son intégrité.
- Vous les avez vu ?
- Par le judas.
- Bien. Et qu’avez-vous fait jusqu’à l’arrivée de la police ?
- J’ai hésité. Ils avaient laissé la porte ouverte en partant. Je pensais que la voisine allait la refermer. Je m’étais fait des œufs brouillés. Au bout de quelques minutes la porte était toujours ouverte alors je me suis inquiété. J’ai aussi pensé que ma voisine n’était peut-être pas chez elle car je ne l’avais pas entendue.
- Vous êtes sorti de votre appartement ?
- Oui. Je me suis approché. J’ai pensé un moment, qu’il était peut-être arrivé quelque chose. Je suis secouriste du travail. Mais vous savez, on ne nous apprend pas grand-chose, tempère le témoin.
- On vous apprend surtout à donner l’alerte, appuie où ça fait mal le commissaire. Qu’avez-vous fait ?
- Je me suis approché et j’ai regardé par l’entrebâillement de la porte.
- Qu’avez-vous vu ?
- C’est gênant commissaire. Si vous pouviez éviter de répéter à ma voisine ce que j’ai vu…
La requête est touchante. Le commissaire rassure d’un « je comprends, je comprends », puis reprend la main.
- Qu’avez-vous vu ?
- Ben… Elle était dans une position bizarre… Je veux dire, très provocante.
- Continuez.
Il serait malhonnête de prétendre que le policier n’éprouve pas à cet instant une forme de jubilation en se faisant décrire la scène dont il a pu admirer les prises de vue de ses deux collègues. Pour être précis, ça lui fait l’effet d’un filet de vinaigre sur un beignet de courgette bien croustillant. Mais le jeune-homme évite pudiquement le piège.
- J’ai dit « Madame. Est-ce que vous m’entendez ? » Elle n’a rien répondu mais elle semblait respirer.
- Comment saviez-vous qu’elle respirait ?
- Des petites bulles de salive se formaient à la commissure de ses lèvres.
- Vous les avez vues depuis la porte ?
- Je me suis peut-être un peu approché.
- Et qu’avez-vous fait ?
- J’ai pensé qu’il fallait la mettre en PLS293 mais je n’ai pas osé, sa culotte était baissée. En plus elle avait le cou tordu, ça m’a fait peur. Finalement j’ai jugé qu’elle était déjà dans une position sécurisée car elle avait la tête en bas. En cas de vomissement ça ne devait pas poser de problème.
- Finalement, vous ne vous en êtes pas trop mal tiré ?
- Ça va.
- Qu’est-ce que vous avez fait après, se gratte les couilles le commissaire ?
- J’ai pensé qu’il fallait appeler les pompiers.
- Les pompiers ?
- Elle avait peut-être avalé quelque chose.
- Vous avez trouvé des médicaments ?
- Non. Je n’ai pas trop cherché.
- Vous avez appelé les pompiers ?
- Non, j’ai refermé la porte et je suis rentré chez moi. J’étais un peu abasourdi. Je suis resté assis au bord de mon lit à essayer de me rappeler un rêve.
- Décidément ! Serait-il indiscret de vous demander de raconter votre rêve ? Il arrive qu’à l’insu du dormeur, le cerveau intègre dans les rêves des informations en provenance de l’environnement extérieur.
Il serait malhonnête de prétendre que le policier n’éprouve pas à cet instant une forme de jubilation. Pour être précis, ça lui fait l’effet d’un filet de vinaigre sur un beignet de courgette bien croustillant. Mais vous savez déjà tout ça. Le jeune-homme évite pudiquement le piège :
- Vous savez, les rêves ne sont pas très cohérents. Il était question d’une fille que j’ai connu au lycée, j’étais amoureux d’elle mais ce n’était pas réciproque.
- Et que s’est-il passé ?
- La police a frappé à ma porte.
- Je veux dire, dans votre rêve.
- Je crois que j’ai acheté du pain dans une supérette. Il était mou.
- Une petite amie ?
- Vous savez, je ne la connais pas vraiment. Elle a emménagé il y a quelques jours. Je ne sais même pas comment elle s’appelle.
- Je voulais dire, avez-vous une petite amie ?
- Ah ! Excusez-moi. Non.
- La dernière séparation remonte à quand ?
- J’étais en 3e B. Une femme beaucoup plus âgée que moi.
- En 3e B ! Vous aviez quel âge ?
- Quatorze ans.
- Et depuis, rien ?
- Rien commissaire. Je dois dire que je ne suis pas bien fixé sur mes orientations sexuelles.
- Bon. Je vous remercie pour toutes ces précisions. Nous vous recontacterons si nécessaire. Maintenant vous êtes libre… Je plaisante ! Vous avez des congés à prendre cet été ?
- Vous savez, moi, je préfère partir hors saison.
- Je comprends. Au plaisir Monsieur Bonneuil. Et encore merci.
- Au revoir commissaire.
Julien est assez satisfait de sa prestation. Il en avait un peu rajouté. L’amour-propre reste encore la meilleur solution contre les MST. Il se demande ce qui se serait passé s’il avait raconté son rêve. Il a menti pour éviter à la police de perdre son temps. Ils auraient fini par apprendre qu’il était sujet à des crises de somnambulisme lorsqu’il était enfant, et par se faire des idées, inévitablement.
Le corps basculé dans son fauteuil ergonomique, le commissaire Burandeau repense à la déposition d’Amandine Luz – un sacré numéro cette cliente. Le délit a tout de même eu lieu à son domicile et on l’a retrouvée dans une position qui est plus celle d’une femme qui va se faire violer que celle d’une femme qui vient de se faire violer. Elle ne se souvient de rien mais elle a été généreusement inséminée. Elle a retrouvé ses esprits à l’hôpital. Elle a été droguée, violée, abandonnée puis raccompagnée et peut-être reviolée. L’enchainement ne va pas de soi mais l’enquête ne fait que commencer. Un vieux cochon échappé du Sénat a dû faire le coup294 ! Le commissaire Burandeau chasse cette facétie de son esprit et se repasse en V.O.295 non sous-titrée, la déposition de la jeune femme.
- Madame Amandine Luz, nationalité franco-brésilienne, résidant au 5 bis rue de Médicis dans le VIe arrondissement, cinquième étage porte de gauche, vingt-sept ans, célibataire, père franco-brésilien, mère française décédée à votre naissance. Enfant unique ?
- Unique enfant, restons modeste.
- De quoi vivez-vous ?
- Je viens de terminer l’Ecole du Louvre. Je veux être écrivaine. Je fais des piges à droite à gauche. Je pose aussi pour des petits créateurs de lingerie fine. Mon père m’aide quand je lui demande. C’est lui qui paie l’appartement.
- Comptez-vous porter plainte, Madame Luz ?
- Je ne devrais pas, commissaire ?
- Cette décision vous appartient. Sans elle, l’enquête ne peut pas commencer.
- J’ai donc intérêt à porter plainte ?
- Si vous voulez que la lumière soit faite sur cette affaire, oui. Sans compter les milliers de lecteurs qui ont eu l’obligeance d’acheter ce livre et qui n’attendent que ça.
- Vous êtes certain que toute la lumière sera faite, commissaire ?
- Nous nous y efforcerons, mademoiselle Luz. Je vous demande ça parce que certaines personnes ne portent pas plainte ; soit parce qu’elles ne veulent pas savoir, soit parce qu’elles savent déjà et n’ont pas intérêt à ce que la lumière soit faite – du moins le croient-elles.
- Alors je vais porter plainte, commissaire.
- Parfait. N’oubliez pas de vous constituer partie civile si vous souhaitez obtenir une réparation.
- Une réparation ?
- Un dédommagement matériel pour le préjudice que vous avez subi, un pretium doloris.
- Ce n’est pas nécessaire, je souhaite seulement que la lumière soit faite.
- Dans ce cas , sachez que vous n’aurez pas non plus accès au dossier.
- Puisque vous me le conseillez fortement, je me constituerai partie civile, avait condescendu Mademoiselle Luz en retenant un soupir qui aurait été mal perçu par ce commissaire à la pédagogie envahissante.
- Bien. Sachez que nous sommes dans le cadre d’une enquête de flagrant délit. Nous restons sur une agression sexuelle et non un viol caractérisé dans la mesure où vous n’avez pas souvenir d’avoir été abusée. Le sperme que vous avez reçu peut très bien être celui d’un ami. Je ne vous cache pas que, pour que cette affaire ne soit pas classée sans suite par le procureur, il va falloir, d’une part qu’on identifie le violeur, et d’autre part qu’on prouve que c’est lui qui vous a droguée à votre insu, ou à la rigueur qu’il a abusé de vous en ayant conscience que vous n’étiez en mesure ni d’accepter ni de refuser sa prestation. Si on le retrouve, il est fort probable que votre agresseur déclarera vous avoir trouvée un peu barrée et pas farouche, et avoir partagé un moment de plaisir entre adultes consentants. En supposant que l’enquête aboutisse, le jugement relèvera de la correctionnelle – il ne faut pas rêver aller aux assises avec ça. Mais on gagne en rapidité et c’est moins onéreux pour le contribuable.
- Je veux seulement connaître le nom et le visage de mon agresseur.
- Vous connaîtrez tout ça lors du jugement, si l’enquête aboutit.
- J’ai hâte.
- Autre chose. Je tiens à vous mettre en garde. Nous allons faire le tour des personnes qui vous ont côtoyée de près ou de loin ces dernières heures. Si nous ne trouvons rien nous élargirons le cercle et il faudra nous donner la liste exhaustive de vos connaissances masculines… qui devront se soumettre à un test ADN. Etes-vous prête à demander ce service à vos amis ?
- J’ai envoyé ce matin un email à tous mes amis, demandant au coupable de se dénoncer. S’il se dénonce, vous vérifierez et je retirerai ma plainte.
- Attention, seul le procureur juge de l’opportunité des poursuites, quelle que soit l’attitude de la victime à l’égard de l’auteur présumé des faits. Il ne faudra pas dénoncer votre ami et a fortiori nous demander une vérification, si vous ne voulez pas qu’on le poursuive.
- Ah, c’est compliqué. On verra.
- Oui, on verra. Par ailleurs, je vous demande de ne pas prendre d’initiative concernant l’enquête, afin de ne pas alerter ou informer d’éventuels coupables. Rassurez-moi, vous avez beaucoup d’amis ?
- Une cinquantaine. Des artistes, essentiellement.
- Des hommes ?
- Soixante pour cent.
- Souhaitons qu’on en n’arrive pas à cette extrémité parce qu’à trois-cents euros l’analyse ADN, ça pourrait monter jusqu’à soixante pour cent de quinze mille euros, soit neuf mille euros, sans garantie de résultat. Je ne vous cache pas que la justice française n’a pas les moyens d’un tel train de vie.
- Eh bien on verra, vous avez dit que le coupable se trouvait peut-être parmi les personnes qui m’ont côtoyée ces dernières heures. Autrement, je vous proposerai un classement. Rassurez-vous les deux tiers de mes amis sont homosexuels. Je viens de vous faire économiser six mille euros !
- Un hétérosexuel sur dix a eu au moins un rapport homosexuel. Et les homosexuels ont en moyenne plus d’enfants que les hétérosexuels. Mais venons aux faits, à quand remonte votre dernier souvenir ?
- Je me rappelle m’être fait draguer sur le boulevard Saint-Michel en rentrant chez moi vendredi soir. Un type qui me suivait plus ou moins.
- Vous sauriez le reconnaître ?
- Sans doute.
- Pouvez-vous le décrire.
- Assez grand, mince, un peu vouté, les cheveux châtains, légèrement ondulés, pas très bien habillé.
- Un signe particulier ?
- Il avait une veste avec des pièces aux coudes. C’est tendance.
Le commissaire réalise soudain que c’est l’homme qui vient de sortir de son bureau.
- À quand remonte votre dernier rapport sexuel consentant ?
- Consentant ? Quel vilain mot ! Il n’en reste pas moins que j’ai un souci avec ça commissaire. Je ne peux m’abandonner que pendant mon sommeil. Le problème, c’est qu’avec les capotes je ne sais jamais trop qui en a profité. Les vrais enterrements viennent de commencer296 !
- Quels enterrements ?
- Les obsèques !
- Joli ! Surtout dans la bouche d’une femme297 ! De quoi vous souvenez-vous d’autre ?
- De rien. C’est un peu le problème.
- Vous souvenez-vous être allé dans un Bar, dans le XIIe ?
- Je suis plutôt Rive gauche.
- Vous souvenez-vous avoir passé une partie de la soirée avec deux hommes, un grand et un petit ?
- Pas du tout.
- Vous souvenez-vous avoir pris un moyen de transport, voiture, métro, bus, train ?
- Je ne voyage qu’à pied ou en avion.
- Avez-vous une douleur quelque part, même légère, ou des courbatures ?
- Je ne suis pas en sucre, commissaire.
- Avez-vous le souvenir de sensations particulières, ou d’un rêve ?
- J’ai fait un rêve érotique la nuit dernière.
- Pourriez-vous me le raconter ?
- C’était très agréable. Avez-vous déjà rêvé que vous voliez, commissaire ?
- Voliez…
- Oui, comme les oiseaux.
- Quelques fois, assez rarement.
- Eh bien, on me faisait l’amour en plein vol.
- Vous avez identifié l’homme ?
- Non, on me prenait par derrière.
- Une seule fois ?
- De ce que je me rappelle, oui.
- À propos de vol, vous a-t-on dérobé quelque chose ?
- Non, juste un vase brisé.
- Avez-vous des projets ou des idées qui vous trottent dans la tête, depuis la nuit dernière ?
- Je suis obsédée par le désir de retrouver mon agresseur.
- Le désir ? Vous en parlez comme si vous vouliez vous marier avec lui.
- Pourquoi pas.
- Consommez-vous des antidépresseurs, régulièrement ou occasionnellement ?
- Comme vous, commissaire, un petit joint de temps en temps.
- D’autres médicaments ?
- Il m’est arrivé de prendre certains remèdes.
- Lesquels ?
- Tilleul, bain chaud… Je suis très écolo vous savez. En fait, le plus souvent, je m’endors comme un bébé, n’importe où, n’importe quand.
- Narcolepsie298 ?
- Non. Seulement l’amour du sommeil.
Qui en l’occurrence n’est pas le sommeil de l’amour, raisonne Burandeau.
- Utilisez-vous un moyen de contraception ? Je vous pose cette question compte tenu de la nature de l’agression.
- Contraception naturelle.
- Vous n’êtes pas enceinte ? Vous n’êtes pas obligée de répondre.
- J’ai eu mes règles ce matin.
- Pratiquez-vous une religion ?
- Plusieurs.
- Lesquelles ?
- Le chamanisme Yanomami, l’oniromancie299 celte et la hiérogamie gréco-romaine.
- Hiérogamie300 ?
- Les rapports sexuels avec des déités.
- Des additifs301 alimentaires ?
- Non. Peut-être à l’insu de mon plein gré, comme disait le moraliste Richard Virenque302.
- Quelle race de sorcière êtes-vous ?
- Une sorcière bienaimée.
- Si vous étiez un animal vous seriez ?
- Un chien.
- Pourquoi ?
- L’homme caresse le chien, nourrit le chien, se lève de bonne heure pour descendre faire pisser le chien, ramasse les crottes du chien avec ses mains ; tout cela sans contreparties notables, qu’un regard doux et un peu de bave sur la cuisse. Le chien a su domestiquer l’homme !
- Le morpion303 aussi.
- Plus, depuis que le Brésil a modernisé ses transports en commun : le ticket de métro304 a tué le morpion.
- Sans doute pour venger le billet de loterie305. Mais on commence par s’épiler le maillot et toute la forêt amazonienne y passe.
- L’homme est un défricheur, c’est plus fort que lui.
- Vous sentez-vous affectée par ce qui vient de vous arriver la nuit dernière ?
- Confusément. Je ne sais pas exactement ce qui m’est arrivé. C’est ce qui m’inquiète le plus pour le moment. D’autre part, je dois vous informer commissaire, que je souffre d’amnésie chronique et que je suis particulièrement sensible aux psycho-chai-pas-quoi.
- Aux psychopathes ? Aux psychotropes306 ! Vous ne vous rappelez pas, parce que vous avez du mal à vous rappeler ou parce que vous n’êtes pas consciente de ce qui vous arrive ?
- Allez savoir !
Le commissaire est prudent avec les femmes, il ne les sous-estime jamais. Il a du mal à cerner la victime. Il lui semble que son état d’esprit est assez peu compatible avec les exigences d’un exercice rigoureux de la justice. Il a très envie d’un jus de carotte au gingembre.
Un sperme peut en cacher un autre
Mardi, quinze heures. Le commissaire divisionnaire est contrarié. Il vient de rappeler ses troupes à l’ordre.
- Burandeau, les analyses ADN nous coutent la peau de la tête307 alors que les aveux sont ?
- Gratuits, commissaire.
- Pensez-y Burandeau, pensez-y !
Entre temps, on avait retrouvé les deux suspects.
Pas très futés mais pas méchants. De là à rester insensibles au cul d’Amandine Luz, il y a un monde peuplé de goules et de succubes. Ce ne sont ni des monstres ni des enfants de cœur. Des roublards qui n’ont plus l’âge de passer par les toits. Ils ont ramené la petite chez elle à la demande du patron du Bar à Jo.
Les premiers résultats des analyses sont tombés ce matin. On a détecté deux spermes dans le vagin de la fille et du flunitrazépam308 dans ses urines. Le sperme a été inoculé entre samedi et dimanche, soit par nanar et Lulu, soit par l’un des deux hommes et Julien Bonneuil… Sinon ça va être plus compliqué.
Le commissaire avait interrogé le patron du bistrot. Jojo avait confirmé qu’il avait missionné les deux gars. Ce soir-là, la fille était dans les vaps et personne ne l’accompagnait. C’était la première fois qu’il la voyait. Le bonhomme semblait sincère.
- Ce n’est pas elle qui avait commandé son pastis. En plus, c’est pas une boisson de nana. D’ailleurs, elle n’a pas consommé. Aucun client ne s’est approché d’elle. Enfin, de ce que j’en sais. J’ai pas l’œil partout… Quant à Nanar et Lulu, j’dis pas qu’ils crachent dans le potage mais ils savent ce que ça peut coûter de retirer son chapeau devant une bourgeoise309.
Par ailleurs, la franchise avec laquelle Nanar et Lulu ont restitué le motif de leur altercation, turlupine310 Burandeau. Le commissaire les avait interrogés l’un après l’autre et leurs deux versions étaient raccords. Par-dessus tout, les deux hommes étaient formels : assurément ils avaient, pour s’amuser, mis la fille dans une position équivoque. Indéniablement, Nanar avait été tenté de baisser sa culotte (celle de la fille) ; mais en aucun cas ne l’avait fait : l’intervention du voisin du dessous les avaient opportunément chassés de leur bac à sable.
- Et la culotte n’a pas pu glisser toute seule compte tenu qu’elle était techniquement coincée profond dans la raie, dixit Lulu.
Nonobstant le flunitrazépam, la fille a très bien pu baisser sa culotte inconsciemment.
En tout état de cause, les dépositions de Nanar et Lulu projettent Julien Bonneuil au centre de l’arène311. Il était le seul individu de sexe masculin suffisamment proche pour pouvoir intervenir entre le départ des deux abrutis et l’arrivée de la police.
Le commissaire n’a pas encore demandé les analyses ADN des deux loustics… Questions de budget et d’amour-propre.
- L’amour-propre est un amour stérile312, lui répète sa femme ; un peu d’humilité Burandeau !
Sacrée bonne-femme ! Mais son petit doigt lui dit qu’il pourrait y avoir des surprises et de la déconvenue. Dans un premier temps, le commissaire préfère la jouer à l’ancienne en ayant recours aux méthodes qui ont fait leur preuve : intimider, éliminer. Un choix motivé par un dosage espiègle de contrainte budgétaire et d’instinct cynégétique313.
Il va se concentrer sur la variable Bonneuil, la plus volatile selon lui. Soit il l’éliminera soit il la valorisera en poussant aux aveux son client.
- Allo, Cécile ?
- Oui commissaireu.
- Soyez gentille de me convoquer Monsieur Bonneuil pour dix-huit heures.
- Bieng commissaireu.
Julien n’est pas serein. Il est soupçonné, c’est sûr. Pourquoi ne font-ils pas des analyse ADN, qu’on en finisse ?
La nuit précédente, Julien a fait un nouveau rêve qui, en cette période troublée de peau d’ours et de fer chaud314, l’a profondément interpelé. Par habitude il a pris des notes à son réveil pour pouvoir cogiter. Bonneuil se pique de psychologie.
« Un ami et moi construisons un vaisseau spatial. Ce n’est pas notre premier essai. Ce nouveau modèle doit mettre à profit certaines facultés mal connues de l’esprit pour permettre de franchir des distances plus grandes.
Alors que je m’affaire au pied du vaisseau, une main noire semblant sortir de l’appareil veut m’attraper à plusieurs reprises, tour à tour agressive ou simplement menaçante.
Terrorisé, je recule et appelle mon ami. Il est attaqué à son tour par la main noire. Il éprouve la même terreur.
Nous faisons alors appel à une sorcière scientifique. Notre problème semble beaucoup l’intéresser. Elle propose de nous aider. Selon elle, il nous manque certaines connaissances. Pour les acquérir nous devons nous rendre sur une planète quasiment inexplorée. La magicienne nous donne deux instructions : rapporter de cette planète le rhizome d’une plante rare qui pousse dans les montagnes et, tout le temps que va durer l’initiation, conserver des lentilles circulaires dans un liquide physiologique à l’intérieur d’une petite boîte étanche.
Les préparatifs prennent un certain temps. Nous convenons qu’une fois arrivés nous nous séparerons. Nous n’allons pas sur cette planète dans l’intention de lutter contre un autre ennemi que nous-mêmes. Nous serons seuls et sans armes.
À l’arrivée, protégée par de hauts murs, la zone d’accès autorisée se limite à la gare spatiale et ses environs immédiats. Nous sommes pris en charge par le personnel de la station.
Notre guide est une femme énergique sanglée dans une élégante tunique rose à l’épreuve des particules solaires. Les fentes de son corps gracieusement plissé315 ont été dessinées sur sa combi avec un réalisme outrageant, mais personne ne s’en offusque ; il semble que ce soit la signature de la franchise316 interplanétaire qui s’applique à sanctuariser317 ce petit morceau de planète. L’employée nous met en garde contre une liste d’infractions aux sanctions diversement onéreuses. Puis ses mains abandonnent brusquement le ballon de rugby invisible318 qu’elles ont puissamment comprimé durant l’allocution, et son visage prend une expression plus douce, presque mièvre, pour nous souhaiter un agréable séjour.
Il faut rester groupés. La visite ne permet d’entrevoir aucunes des particularités de la planète. Nous sommes nombreux à avoir fait le voyage. Bouglione et ses tigres nous accompagnent. Les animaux parlent le langage des hommes.
Nous nous mêlons à des enfants qui se poursuivent dans le labyrinthe artificiel d’un petit parc d’attraction. Chacun suit la méthode dictée par son tempérament. Un enfant plus costaud que les autres écarte violement son camarade pour se jeter dans une ouverture qui se révèle être un cul-de-sac. Sans savoir comment, je me retrouve soudain en zone interdite, de l’autre côté du mur. Un sentiment d’insécurité gâche l’excitation que j’éprouve alors.
Drapées dans des manteaux à capuche en toile raide, le dos courbé, trois femmes avancent en file indienne sur un chemin aux bordures empierrés. Deux d’entre elles ont le nez exagérément crochu, signe de maturité. J’ai peur que l’une d’elles soit la sorcière de Blanche Neige. La troisième, qui est jeune, se détache du groupe et vient dans ma direction sans que je me sois manifesté. Elle a deviné ma présence. Elle a les cheveux très noirs et la peau couleur de lait de soja. Elle porte une robe violette. Elle s’arrête devant moi. Sans laisser paraître ma peur, j’essaie de retenir la fille en lui montrant différents objets que j’ai apportés de la Terre. Lentement, je gagne sa confiance.
Plus tard, nous parlons très doucement, allongés sur des chaises longues en bois, il y a un soleil, il n’y a pas de piscine, je m’endors.
À mon réveil, le soleil est toujours là mais la fille a disparu. Un liquide incarnat319 légèrement sirupeux attend sur une table basse dans un grand verre. Je sais que cette drogue m’est destinée et que je dois la boire si je veux revoir la fille et poursuivre notre relation. Je savoure la réalité un peu molle de mon être avec le sentiment que c’est peut-être la dernière fois. Je sais que je vais basculer dans un nouvel état de conscience que je redoute et souhaite à la fois. Je bois.
Je ne sens aucune modification perceptible de ma condition. L’angoisse m’envahit. Quelle partie inconnue de mon cerveau a-t-elle été affectée par cette urine de reine rouge320 ? Mystère.
Je peux revoir la fille, devenir son ami. Elle m’invite à la suivre chez elle. Je ne sais pas si je l’aime.
Les hommes sont absents de cet univers dont sa mère est la régente.
Il faut préparer la maison car son frère va bientôt nous rendre visite. »
Quels enseignements Julien va-t-il tirer de ce rêve ? Si l’on s’en tient à un proverbe Pygmée, il faut chercher dans le singe la clé du singe et dans le songe la clé du songe. Mais si dans monkey321, il y a key322, dans dream323 il y ream324, avec le danger qu’à force d’élargir le trou, la clé tourne dans le vide.
Il semble que le rêve exprime diversement un besoin de liberté, la volonté d’échapper à l’emprise maternelle, une quête sexuelle. Eliminons d’emblée le besoin de liberté qui ne veut rien dire : nous n’avons pas les moyens de le faire parler. Julien ne doit rien attendre de ses ressources intérieures qui sont verrouillées. L’ami, probablement un double de lui-même, est également terrorisé. Tout son être est paralysé, l’aide ne peut venir que de l’extérieur.
En supposant que sa voisine soit la mystérieuse sorcière scientifique, en quoi peut-elle lui être utile ?
La planète touristique sur laquelle il doit se rendre abrite une société aux règles contraignantes avec des zones interdites et des aberrations. Mais comme dans tous les rêves, chacun s’exprime dans un langage universel, le sien325.
Que symbolise le rhizome326 qu’il doit ramener de cette planète ? Et ces lentilles de contacts qu’il ne faut pas utiliser ? La promotion de l’amour libre, voire aveugle ? Outre le viol, cela rappelle l’histoire de ce parricide malgré lui, qui épousa fortuitement sa mère et se creva les yeux après avoir réalisé sa méprise. Julien doit peut-être résoudre des problèmes œdipiens liés à une mère castratrice et un père uniquement présent à travers son regard qui tapisse les murs de l’appartement familial. Un sentiment de solitude et d’impuissance épaissit le rêve. Cependant, la volonté de dépasser le mécanisme de défense offert par la dualité schizoïde où l’ami n’est qu’un double hallucinatoire, semble réelle. Dans ce contexte, il doit assimiler les codes permettant d’avoir des rapports normaux avec ses semblables, sans se perdre dans les rhizomes des passions327 toxiques.
En se retrouvant brusquement en zone interdite, il transgresse les interdits sans en avoir clairement conscience. Adhérence avec son aventure sexuelle onirique récente ou opportunité de passer de l’autre côté d’un miroir aux reflets mimétiques trompeurs, dans ces contrées de l’inconscient où les yeux ne sont d’aucune aide ?
Il reste prisonnier de son désir de mère. Les femmes rencontrées sont mystérieuses. Les nez crochus des deux vieilles rappellent la sorcière scientifique du rêve – qui les a peut-être suivis -, les amies perverses de sa mère, sa mère elle-même, Mademoiselle Fugain – l’initiatrice émotionnelle, professeur au nez busqué qui forçait le respect -, et une fille au nez puissamment accroché qui l’avait intimidé dans le métro, vendredi soir.
La troisième femme, plus jeune, peut, comme sa voisine, représenter un idéal qui l’intimide pour toutes les raisons qu’il sait et qu’il ne sait pas. Il évite de se montrer et de laisser paraître sa peur. Complexé ? Honteux ? Se sent-il seulement coupable ?
Les objets qu’il utilise pour séduire la fille sont des objets simples. S’agit-il encore d’une réplique du comportement indigne et primitif de son rêve précédent, ou bien désire-t-il réellement séduire sans recours à la fourberie ? Il ne faut pas confondre trivialité et véracité.
En fin de compte, sa conscience vacillante ne l’a-t-elle pas déjà engagé trop loin sur le chemin de la damnation ? Existe-t-il une galerie permettant de regagner le côté lumineux de la force ?
Le liquide pose un problème. La fille a prescrit la potion, comme si l’ordre des choses était inversé… ou réversible ! Cela signifie-t-il que sa voisine lui offre la potion qu’elle a absorbée, pour lui permettre d’entrer en contact avec elle, pour l’inviter dans son univers, donnant suite à la pathétique filature du boulevard Saint-Michel ? Est-ce le philtre d’un amour impossible, quelques larmes d’isolement328 dans un verre de tristesse329 ? Quelques larmes d’Iseult dans le verre de Tristan ? Le désir d’oublier pour tout reconstruire330 ? Du rhizome râpé entre-t-il dans la composition de ce mystérieux breuvage ?
Enfin, le pire scénario est sur le point de se réaliser : le breuvage semble ne pas avoir d’effet. À la fin du rêve, Julien se retrouve dans une situation qui n’a jamais cessé d’être la sienne : la femme gère pendant que l’homme se fait attendre.
Y a-t-il une suite possible à son rêve ? Faut-il aller chercher plus loin, dans la montagne, la racine du mal ? Peut-être va-t-il devoir expier pour accéder à un peu de lumière… Cette perspective n’enchante pas Julien ; aussi est-ce avec une certaine appréhension qu’il se rend à confesse rue de l’Abbaye331.
Le commissaire Burandeau est toujours aussi courtois. Courtois mais direct. Même quand il tourne autour du pot, il serre son sujet de suffisamment près pour gratter de l’information.
De son côté, Julien affiche une assurance que n’avait pas le Bonneuil auditionné dimanche matin.
Le commissaire a déjà vérifié auprès de Mademoiselle Luz que Julien est bien son dragueur du Boul’mich. Sa veste porte des pièces aux coudes, comme la sienne.
- Installez-vous, Monsieur Bonneuil. Je vous ai fait venir car nous avons besoin de vous.
Le commissaire prend le temps de considérer l’effet de son annonce.
Julien a appris à se méfier des cadeaux empoisonnés des amies de maman.
- Je ne demande pas mieux que de vous être utile, commissaire.
Burandeau ne décèle aucun enthousiasme dans la bouche de ce jeune homme un peu coincé.
- Vous avez quel âge ?
- Trente et un.
- Il faut que vous nous aidiez à mettre la main sur les deux individus. Vous allez comprendre. On a retrouvé la voiture mais pas les types. Une voiture volée, il fallait s’y attendre. On a récupéré pas mal d’ADN sur les banquettes, y compris celui de la victime. Mais de là à mettre la main sur les deux lascars… Et puis les analyses ADN sont coûteuses. On nous demande de réduire les budgets. Maintenant, pour obtenir une expertise, il faut passer devant un comité décisionnaire au plus haut niveau. L’année prochaine on va nous demander de photocopier le calendrier de cette année. Bientôt il faudra la signature de Matignon pour se faire ravitailler en S8Q332 – s’ils ne digitalisent pas le formulaire d’ici là. Quand par miracle on obtient gain de cause, ça tergiverse, ça traine en longueur, on perd le fil, les affaires s’empilent, les dossiers changent de main, quand ce n’est pas de circonscription… Bref, je vais arrêter de faire mon fonctionnaire. Une seule chose est certaine à l’heure actuelle : il y avait deux types chez Mademoiselle Amandine Luz et, dit assez crument, il y avait deux spermes dans son vagin.
Amandine Luz ! Il entend ce nom pour la première fois. Il est toujours agréable de mettre un nom sur un vagin, même rêvé. Le côté gourmand de l’amande et du dîner, l’âme andine – des origines sud-américaines peut-être – et le dernier repas d’un amant se disputent la primeur sémantique. Luz enfin, qui se prononce « luce », renvoie à quelque délice, à la lumière d’un dîner aux chandelles avec Lucifer. Amandine Luz, ma sauveuse, ma Sainte-Geneviève face aux barbares333, lumière de ma vie334.
- Monsieur Bonneuil, vous êtes avec moi ?
- Oui, excusez-moi, j’essayais de me rappeler leur conversation, ment Julien avec ce naturel qui n’appartient qu’à la marée montante335 et à ceux qui détiennent la vérité.
- Justement. Etes-vous sûr de ne pas avoir aperçu leur visage ?
- Certain.
- Même de profil quand ils prenaient la fuite ?
- Le mince était déjà à moitié engagé dans l’escalier côté rampe et le petit était à terre. Le grand essayait de le retenir, il était tourné vers lui.
- Le mince, c’est le grand ?
- Oui, il m’a semblé qu’il était grand, même si je n’en ai vu que la moitié.
- Quoi d’autre ?
- Le grand avait des cheveux noirs, un peu longs sur la nuque. Je n’ai pas bien vu la tête du petit. Il avait les cheveux clairs, coupés courts. Plutôt gris. Comme les vôtres.
Le commissaire encaisse plus qu’il n’apprécie.
- Il était vraiment si petit que ça ?
- Non, c’est vrai. Je dis peut-être ça parce qu’il avait la voix aigüe.
- Ce que vous dites là est important. Ça nous permet d’établir le profil d’un couple. Il est toujours plus facile d’identifier un couple qu’un individu isolé, voyez-vous. Or, des couples, on en connait pas mal dans la profession. Il est notoire que ces oiseaux-là agissent le plus souvent à deux. Rien de plus difficile à retrouver qu’un individu solitaire. En revanche, un couple constitue déjà une petite société.
Oui, quelle évidence. Ils sont forts ces policiers. Julien s’en veut d’en avoir trop dit. Pourquoi a-t-il mentionné cette voix aigüe si caractéristique ?
- Vous rappelez-vous leur conversation ?
- Le seul mot que j’ai retenu est « culotte ». Il me semble l’avoir entendu à deux reprises.
- La culotte était reprisée à deux endroits, se hasarde le commissaire avec un rétrécissement soudain de la pupille ?
Julien reste impavide à la saillie et tamise son visage d’un sourire semi-mondain.
- Vous n’avez rien distingué d’autre, enchaîne le bureaucrate ?
- Non, à part le mot « culotte ». Ils avaient l’air de se disputer comme des chiffonniers336.
- Je ne vous fais pas le coup du détail qui vous reviendrait mais je vais quand-même vous présenter des portraits, on ne sait jamais.
Le commissaire Burandeau avait pris soin de retirer de son catalogue les photographies de Nanar et Lulu (les deux individus sont fichés comme cambrioleurs).
En ce qui le concerne, Julien n’a aucun intérêt à ce qu’on retrouve les deux fuyards. Deux hommes, deux spermes. Ça fait quatre raisons de la fermer. La police semble convaincue de leur culpabilité et Julien n’est convaincu de son innocence qu’à moitié. Aucune analyse ADN ne sera demandée tant qu’on n’aura pas retrouvé les deux oiseaux. C’est ce que Julien comprend des épanchements un doigt confus du commissaire. Julien, qui n’est pas très famille, parcours néanmoins l’album avec intérêt. Il est soulagé de ne trouver les portraits ni du grand Nanar ni du petit Lulu. Témoigner aurait été au-dessus de ses forces.
- Non, je suis désolé.
Le commissaire est ravi, il est parvenu à donner le change.
- Pourtant il faut absolument que je retrouve ces deux loustics. C’est important pour eux comme pour leur entourage.
Burandeau farfouille dans son dossier avec l’air gêné de celui qui a sur la langue une pastille verte337 qui ne veut pas fondre.
- Je ne devrais pas vous le dire mais il semble qu’Amandine Luz soit séropositive. Les gars finiront bien par s’en apercevoir, mais combien de femmes auront été contaminées d’ici-là ?
- C’est affreux.
- L’horreur338 est humaine. Vous comprenez mon insistance. C’est mon côté Restos du Cœur339.
- Elle le sait ?
- Chaque chose en son temps. Elle est encore un peu bizarre. Elle dit qu’elle ne se souvient de rien, je ne veux pas la brusquer.
- Elle a été droguée ?
- Probablement. On a retrouvé des traces de flunitrazépam dans son urine. Mais il y a plus grave, elle souffre d’amnésie chronique, sans doute d’origine psychologique. Du coup, si elle est séropositive, elle constitue un véritable danger public. Elle ne sait même pas avec qui elle couche. Aucune traçabilité !
Julien est livide.
- Monsieur Bonneuil ? Vous allez bien ? Vous voulez un petit café ? Allo, Cécile ?
- Oui commissaireu.
- Soyez gentil de nous apporter deux cafés.
- Bieng commissaireu.
- Ne vous faites pas de bile Monsieur Bonneuil. Ah, je n’aurais jamais dû vous raconter ça. Vous savez dans la police on en voit de toutes les couleurs. On répare beaucoup les pots cassés ; alors, quand on a l’occasion de faire un peu de prévention, on ne s’en prive pas.
Une vestale340 resplendissante aux rondeurs parfumées fait son entrée341, les yeux bienveillants des brunes fortunée. Bien qu’elle ait un prénom qui respire la jeunesse, et qu’hormonalement elle ne fasse pas son âge, Cécile a la cinquantaine et la beauté de son visage est déjà très endettée. Elle passe sans modération ses gros seins sous le nez des invités. Un médaillon en or à l’effigie de la Sainte-Vierge sautille d’une mamelle à l’autre pour échapper à la fente affamée qui n’en finit pas de s’ouvrir et de se fermer comme les mâchoires d’un appareil de fête foraine.
- Ôtre chô zecommissaireu ?
- Sucre, pas sucre ?
- Sans sucre, merci.
- Moi non plus. Merci Cécile.
- Chouchou, barbe à papa ?
- Cécile ! Nous sommes occupés !
Les oreilles encore toutes encaguées342 de l’accent guttural343 de la gnomide344, Julien se concentre sur sa tasse remplie à ras bord. Une épaisse mousse couleur puce345 rend le piège quasi indétectable. Il se demande si la fonction des seins de Cécile n’est pas de faire régresser le suspect au stade oral pour le pousser à l’aveu, l’encourager à faire un beau gros rototo sur l’épaule du commissaire. Areu, aveu !
Julien pratique plusieurs respirations ventrales avant de saisir sa tasse.
- Alors, aucun détail, même anodin, ne vous revient à l’esprit ?
- Non, pas comme ça.
Le café. Encore une épreuve archaïque dont raffole Burandeau. Ce service à café lui tient lieu de détecteur de mensonges. Combien de tasses se sont renversées dans ce bureau ? Cécile a toujours en réserve plusieurs rouleaux de papier absorbant – appelé sopalaing en provençal. Ce mode opératoire a décidé le commissaire pour un parquet flottant plastifié lorsque le divisionnaire a proposé que son bureau soit refait à neuf.
Le commissaire connaît par cœur le dialogue de la tasse et de la soucoupe :
- Non, laisse-moi !
- Tu es coupable !
- Et alors, qu’est-ce que ça change ?
- Et alors ? Digue dingue donc, tu vas te faire sonner les matines !
- Et merde ! Regarde ce que tu m’as fait faire !
Julien boit avec application sans renverser une goutte, comme sa mère lui a appris. Merci maman.
D’une certaine façon, ça rassure le commissaire. Au moins, si Bonneuil est coupable – il en est convaincu – alors il saura encaisser. Les hommes sont plus fragiles et moins têtus que les femmes – l’homme si mol346, la femme si mule347. Il n’a pas besoin qu’un suicide vienne pourrir son état de services. Question d’éthique. Même si indirectement ça fait faire des économies au contribuable ; sous réserve qu’il n’y ait pas une veuve et des enfants à nourrir. On en revient toujours à ces foutus budgets.
- Sur ce…
- Au revoir commissaire.
- Au revoir Monsieur Bonneuil. Et encore merci pour votre aide.
Julien sort du commissariat et s’éloigne, la tête inclinée, le dos légèrement vouté.
- Allo, Cécile ?
- Oui commissaireu.
- Soyez gentil de vous assurer que Fargeot prend bien Bonneuil en filature.
- Bieng commissaireu.
Le commissaire est assez content de lui. Il oscille entre euphorie et jubilation (luxe et volupté du pléonasme). Il a hâte de raconter sa manigance à la brillante avocate, Maître Burandeau.
Le commissaire est raide dingue de sa femme. Il économise depuis deux ans pour lui offrir le voyage au Japon de ses rêves. Elle pourrait aisément se le payer mais ça ne serait pas pareil. Il y tient. Le commissaire fait régulièrement diversion348 en passant la prendre au palais de justice avec la Mercédès, pour l’emmener s’empiffrer de sushis. L’amour fait souvent renoncer à un idéal en échange de plaisirs minuscules ; il préserve l’homme de ces grands desseins ambitieux et solitaires, au rapport qualité-prix souvent décevant.
La peau de l’ours
Madame Burandeau est grande, fine, élancée. Ses tailleurs à carreaux Yvette Slowine et ses chaussures plates avec un gros nœud posé sur le dessus ne viennent pas à bout de sa haute silhouette d’oiseau échassier. Elle a une façon bien à elle de tourner brusquement la tête pour s’assurer qu’on n’est pas en train de se payer sa fiole. Cheveux noirs, visage osseux, nez busqué, rouge à lèvre éclatant sur un sourire qui va s’élargissant à la limite de la peine de mort349. Au bout de ses longs doigts, ses ongles sont coupés courts et simplement recouverts d’une couche de vernis transparent. Maître Burandeau est de bonne compagnie mais peut faire peur aux enfants de ses amies. Sa lèvre supérieure est ornée d’une fine moustache anticonceptionnelle qu’elle décolore à l’eau oxygénée. Le débit rapide de cette hyperthyroïdienne laisse souvent sur place son interlocuteur. Le commissaire sait qu’il suffit de lui poser des questions pour la tranquilliser. Quand elle est interrogée, elle redoute moins de se faire émincer le pipeau350. Elle adore donner son avis, quitte à improviser lorsque le domaine lui est étranger ; elle a l’art d’établir promptement des correspondances avec les sujets qu’elle maîtrise, afin de ramener la discussion dans ses cordes. Aussi, le commissaire lui demande-t-il son avis sur tout et n’importe quoi. L’interrogatoire étant un peu sa spécialité, il s’en sort assez bien quoique sa femme soit, par sa profession, attentive aux questions qu’on n’a pas le droit de poser sous peine de se faire débouter pour vice de procédure. Le commissaire doit prendre soin de bien préparer ses questions s’il veut avoir une chance de faire un strike351 et d’atteindre le point d’interrogation qui le nargue au bout de la phrase. Madame Burandeau a en effet la fâcheuse habitude de répondre avant que la question ne soit entièrement formulée par son interlocuteur (parfois même avant que celle-ci ne soit clairement conçue dans l’esprit de celui-ci). Il y a de quoi perdre la boule. Le signe de ponctuation demeure alors planté au bout de l’érable352, remisé par le couperet implacable de la défense et il ne vous reste plus que les rigoles353 pour pleurer. Cela étant, tout au polissage de sa prochaine question, le commissaire n’a jamais le temps d’écouter la réponse de son épouse. Madame Burandeau parle pour ne rien dire, le commissaire écoute pour ne rien ouïr.
Vous l’avez compris, maître Burandeau est un esprit brillant et toute la magistrature se demande pourquoi elle a épousé ce commissaire d’arrondissement arrondi, voire rondouillard, qui vient la chercher avec une Mercédès beige dont le modèle n’est plus coté qu’en Afrique subsaharienne. Question que personne au demeurant ne s’est encore permis de poser à la chasseresse du barreau.
Madame Burandeau passe à côté de la voiture sans s’arrêter.
Monsieur Burandeau klaxonne légèrement. Sa femme sursaute, se retourne comme une toupie et s’engouffre dans le véhicule avec sa liasse de dossiers.
- Je n’ai pas reconnu la voiture.
- Chérie, ça fait dix-huit ans qu’on l’a.
- Ça doit être pour ça, j’ai cru qu’on en avait acheté une autre, depuis le temps.
- Tu aurais au moins pu te retourner par curiosité, pour voir à quoi ressemblait le type à qui je l’avait vendu ; ça ne court pas les rues ces anciens modèles.
- J’ai pensé qu’elle appartenait à des gens du voyage. On a un procès en cours avec eux.
- Je t’emmène au restaurant Japonais.
- Dans ce cas, on changera de voiture plus tard.
Ça faisait cher la bouchée mais qu’est-che que ch’était bon !
Entre deux sushis, le commichaire avait expliqué de quelle mychtificachion, il avait fait du chuchepect Bonneuil le jouet inarticulé.
- Alors, qu’est-ce que t’en dis ?
- Papa Noël.
- Tu penses que ça ne va pas marcher ?
- J’en dis354 Papa Noël… Quand tu descendras du ciel.
- Va bene.
Sa femme accuse le tortionnaire et réprouve la méthode. Elle explique qu’en soumettant les gens à de pareilles épreuves on les enferme dans leurs convictions. Il ne doit attendre aucun résultat de ce stratagème inqualifiable. Bonneuil va s’apercevoir qu’il a été dupé et nourrira de la rancœur vis-à-vis de « ce faux-cul de commissaire » ; ce qui ne facilitera certainement pas l’enquête.
- Quand tu veux obtenir quelque chose de quelqu’un, tu dois commencer par lui demander un truc qu’il ne te refusera pas, reprend-elle. L’heure, par exemple. Toi, au contraire, tu lui arraches une information en le bernant. Tu l’as vacciné, voilà tout. Tu n’éviteras pas les expertises ADN. D’ailleurs ce n’est pas plus mal car si tu ne les demandes pas, on te le reprochera en cas de pépin.
- Je sais mais je ne veux pas que ça passe pour une solution de facilité aux yeux du divisionnaire. Il nous rabâche qu’on lui serre les budgets.
- Si tu faisais expertiser tes suspects, l’enquête serait terminée et tu pourrais passer à une autre affaire, au lieu de tourner autour du pot pendant des jours. Il n’a pas compris ça le visionnaire355 de mes deux356 ?
- Tu ne veux pas admettre que mon temps plein et le labo, ce n’est pas la même caisse ! Le fonctionnaire n’est pas un centre de coût, c’est un élément assoupi de la démocratie, l’arrière-garde de la paix sociale, un spermatozoïde dysfonctionnel dont l’unique devoir est de ralentir l’envahisseur. Quoi qu’il en soit, quelque chose me dit que ça ne va pas être aussi simple. De toute façon plus personne ne demande l’heure, de nos jours.
- On m’a toujours appris que les coupables n’attendent qu’une chose : qu’on les accuse. Ils sont prêts à payer pour peu qu’on ne leur mette pas le nez trop profond dans leur caca. Ce n’est pas en remuant le clou dans la plaie357 qu’on suscite les rédemptions358.
- Tu as peut-être sans doute359 raison, il faut les accuser sans les culpabiliser les chéris, de telle sorte qu’ils récidivent, s’enhardit le mari.
- Je reste persuadée que la culpabilisation est contreproductive. Dans tous les domaines. Et tu viens encore d’en user avec moi.
De toute façon, la machine était lancée. Dès le lendemain midi, au téléphone :
- Commissaire ?
- Fargeot !
- Bonneuil est allé au Pavillon Tarnier, le centre de dépistage de la rue d’Assas. Il aura ses résultats demain soir à dix-sept heures trente. C’est du rapide !
- Je suis au courant, il habite à deux pas, je leur ai demandé de le faire passer en priorité.
- Et moi alors, à quoi je sers dans l’histoire, patron ?
- Il aurait pu aller dans un autre labo. On n’est jamais assez prudent.
- Vous n’avez plus besoin de moi, alors ?
- C’est bon, Fargeot. Demain soir, au Pavillon Tarnier, je rencontrerai Bonneuil par hasard, la gueule enfarinée, un dossier sous le bras. J’aurai quelques nouvelles importantes à lui communiquer. De quoi le faire murir pour qu’il nous tombe tout moelleux dans le creux de la main. Ça nous économisera des analyses ADN. Je vais demander une seule analyse au lieu de deux ! Peut-être même aucune, s’il craque. Il faut donner sa chance au hasard, Fargeot !
- Le hasard fait parfois bien les choses, j’en suis la preuve vivante.
- Comme tu dis toujours…
- Mieux vaut une grande courageuse qu’une petite paresseuse, ha ha ha. Allez, salut patron, et bon courage quand-même360.
Le lendemain soir, comme prévu, Julien croise la gueule enfarinée du commissaire, au Pavillon Tarnier. Le médecin vient de lui annoncer que son test est négatif ; il devra refaire une analyse dans trois mois en se protégeant d’ici là. Et jusqu’à la fin de ses jours si affinité.
- Si vous saviez le nombre de gens qui croient que le SIDA est une maladie comme une autre. Même des gens bien, des gens instruits. C’est à pleurer.
Ce premier résultat n’est qu’une étape. Mais Julien n’est pas inquiet. Il estime que la probabilité pour que son rêve soit une réminiscence d’un épisode vécu est infime. C’est quand le commissaire sort d’un bureau et manque de le heurter dans le couloir des consultations que Julien réalise qu’il a été berné. Il est en ligne de mire.
- Monsieur Bonneuil ! Quelle surprise ! Vous tombez bien j’ai une bonne nouvelle.
- Ah bon, se force Juju, le surmulot échappé du labo ?
- Figurez-vous que la contre-analyse a révélé que votre voisine n’était pas séropositive ; nous travaillons beaucoup avec ce labo, ils sont sérieux. Je suis soulagé. Ça nous ôte une sacrée pression. L’enquête va être beaucoup plus sereine maintenant.
- Et les deux hommes ?
- Ça avance, on a une piste, un bar que fréquentait la petite… Bon… Monsieur Bonneuil…
La main du commissaire est poisseuse de bonne humeur361. On dirait qu’il vient de marier la cadette, son visage épanoui resplendit. Julien trouve qu’il en fait un peu trop.
- Au moins, vous n’avez pas de problème, s’enquit le commissaire en gardant prisonnière la main de Julien, lançant alentour une salve de regards interrogateurs eu égard au lieu très branché362 où ils se trouvent ?
- Non, tout va bien. Lorsque vous avez parlé de séropositivité, ça m’a fait peur. Ça faisait longtemps que je devais faire ce test… Une rencontre, il y a quelques mois.
- J’avais compris que votre dernière relation remontait à la 3e B ?
- Nous parlions des femmes, commissaire. Je vous répète, je ne suis pas bien fixé sur mes orientations sexuelles.
- Excusez-moi. Dans tous les cas il faut se protéger, Bonneuil, se protéger !
- Je sais bien.
C’est la première fois qu’il l’appelle Bonneuil. Cet excès de familiarité laisse penser que son nom doit pas mal circuler au commissariat du VIe. Il n’y a pas de quoi se réjouir. L’hypothèse Bonneuil doit se trouver en bonne position, sinon sur le dessus du panier.
- Vous êtes sûr que le sperme n’est pas contaminé non plus ?
- Il va d’abord falloir retrouver l’appareil génital. Ça sera plus simple et moins couteux de faire une analyse de sang.
En tout état de cause, cette rencontre avec le commissaire pue l’arnaque. Je me suis fait ramoner en profondeur, maronne363 Julien, il sait tout de moi et il sait que je le sais, l’enfoiré ; il n’attend qu’une chose, que je me mette à poil au milieu du couloir, là, maintenant. Ce type est un nuisible, un détraqué, un excrément.
Le commissaire rend sa main au jeune homme. Venue du fond du couloir, les échos de la sonate pour harmonica en ut mineur de Jean-Sébastien Bach leur chatouillent le limaçon364. Ténébreux et solitaires, les deux ennemis partent chacun vers leur destin. Leurs chemins ne tarderont pas à se croiser de nouveau. Une partie serrée va se jouer entre les deux gaillards, une partie sans merci à l’issue de laquelle il n’en restera qu’un. L’un d’eux a rendez-vous avec la mort, une mort de fourmis rouge et d’araignée-scorpion au fond d’une fosse hérissée de tiges de fer. Mais la mort ne leur fait pas peur, personne ne les attend au bout du chemin à part le seigneur des acarides365.
Julien Bonneuil en a lourd sur le tubercule366 mais son point de démence n’est pas à l’ordre du jour. Il faut se reprendre. Rira bien qui rira le dernier quand l’ADN aura parlé.
- Au revoir commissaire.
- À bientôt Bonneuil.
La journée n’est pas encore terminée pour Burandeau. La voiture qui devait l’attendre devant le centre, n’est pas présente. Il a l’habitude.
Il est sûr de son coup. Il va patienter un jour ou deux, pas davantage. Si son client ne se dénonce pas, il en sera quitte pour une analyse ADN qu’on ne lui reprochera pas car il y aura, au bout, la promesse d’un coupable.
De son côté, Julien décide de passer par le jardin. Il a besoin de réfléchir. Il ne doit rien laisser au hasard. Un coup de dé est si vite arrivé. Comment devrait-il se comporter s’il était assurément coupable ?
Comment sortir d’une telle impasse ? Comme ces grands chiens de race qui promènent de salle en salle leur conjonctivite chronique dans les maisons coloniales de la Louisiane, le mensonge a la santé fragile. Il exige des soins permanents et requiert de la part de ses maîtres une attention phénoménale. Quand Julien se prétend innocent, ment-il au monde ou se ment-il à lui-même ? Qu’est-il prêt à céder pour être coupable ?
L’histoire du monde est remplie de faux-semblants, de tergiversations, de malentendus, de vérités fallacieuses367.
La vérité pure est trop grande pour l’humain. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de vérité qui ne soit fondée sur un mensonge. La vérité a du mensonge le parfum, le prix et l’éclat. Elle est par ailleurs un héritage très lourd. Par exemple, lorsqu’un être exceptionnel, illuminé par la vérité, meurt au sommet de sa gloire, ses compagnons d’aventure reprennent le flambeau et poursuivent la chevauchée pendant un certain temps. Lorsque le mouvement s’essouffle, les luttes de pouvoir commencent. Elles peuvent durer des siècles. Plusieurs personnages s’étant illustrés, la question se pose de savoir comment doit s’incarner la pérennité de cette vérité : par le sang transmis ou par le sang versé, par la descendance ou par le mérite ?
Généralement, deux clans se forment et se mettent sur la gueule, ce qui, soit dit en passant, laisse un peu de répit à leurs voisins.
Il se trouve toujours quelqu’un pour revendiquer une accointance hématologique368 ou matrimoniale369 avec le grand homme ou l’un de ses proches. Son but est d’imposer sa généalogie envers et contre tous. Par principe, il ne peut admettre aucune remise en cause, il refuse en bloc dissertations, parleries, dialectique et toute épreuve quelle qu’elle soit. Il n’y a de son point de vue pas d’arbitrage possible car la transmission héréditaire fait également partie de son interprétation d’une vérité vouée aux principes d’une Nature orphique370 qui accorde à certains, des dons et des avantages innés. Son clan est partisan de l’homme providentiel, du hasard voulu par Dieu avec un grand dé371.
Le second clan est constitué de ceux qui, ne pouvant revendiquer aucune hérédité, s’estiment légitimes eu égard à leurs états de services glorieux. Leur bras est guidé par un dieu paresseux qui prête son nom aux hommes afin que les tourments de la raison ne brouillent pas leurs aspirations. Ils sont partisans de l’arbitrage selon le mérite, l’élu doit être désigné par la communauté comme étant le plus étourdissant ou le plus sage. Selon eux, l’arbitrage du box-office est requis dans l’épreuve fondatrice de l’île aux million d’yeux372 qui respecte les principes d’une Nature prométhéenne373 donnant aux êtres les moyens de conquérir leur dignité.
Dans ces conditions, chaque clan accuse l’autre de falsification, d’usurpation, de tartufferie. Ainsi, mécaniquement, la vérité marchandisée est juchée sur les épaules bancales du mensonge.
En ce qui le concerne, un Julien coupable aurait intérêt à revendiquer l’accointance parentélaire374 et à jouer la carte de l’immunité matrimoniale.
Bien que ce soit la voie la moins contestable, il peut se faire broyer par le paradoxe qui menace les promoteurs de la généalogie375. En utilisant l’argument que bon sang ne saurait mentir, ils échappent à la mise à l’épreuve mais leur aristocratie sème la rancœur et cultive la révolte. Heureusement, chaque problème portant en lui sa solution, cette voie royale cannibalise la violence en institutionnalisant le rôle du bouc émissaire. Le roi en sursis sera sacrifié à la première crise, à moins qu’il n’ait le temps de mettre en place des lois, des rites et des polices en mesure d’administrer la fureur sociale376.
En supposant que son rêve fût un genre de somnambulisme et qu’il fût coupable, Julien devait utiliser les institutions pour asseoir sa légitimité et faire en sorte d’inverser les rôles en devenant une victime sacrée, un saint homme377, un intouchable ; le code civil ferait le reste.
Evidemment, les partisans du mérite et autres Burandeau reprocheront jusqu’à la fin de la civilisation leur opportunisme arbitraire aux partisans de l’hérédité. Cela dit, lorsqu’ils prennent le pouvoir, les enragés du mérite sont les premiers à tourner casaque en pratiquant le népotisme378. Tous des enfoirés.
Il est temps pour Julien de choisir son camp pour avoir une chance de tenir face à ses juges imaginaires. Pour cet homme sans qualité379, amant minable et feignant patenté, le sentiment que la vie est truquée n’est pas nouveau. Tantôt l’on vous persuade que chacun peut prétendre tirer son épingle du jeu : pour cela tous les coups sont permis et il devient utile pour se faire élire, d’avoir un réseau solide et de coucher dans les bons lits ; tantôt l’on vous fait accroire qu’il existe un ordre du monde rassurant où chacun a une place à laquelle il doit se tenir : il est alors préférable d’être né dans le bon trois pièces, qu’il soit de pierre ou de tissu. À l’arrivée, les deux modèles se rejoignent : il faut être du bon côté du manche et habile au maniement des outils, des passions et des codes. Julien en conclu qu’il doit faire un choix et pousser le bouchon le plus loin possible à l’intérieur de la bouteille pour désobstruer ce qu’il ose encore appeler son avenir. Le plus grand risque serait de ne pas en prendre. Il y aura sans doute un prix à payer mais il doit assumer ses actes, même fictifs, et leur donner un sens qui s’impose aux autres. Il va s’appuyer sur les institutions qui officialisent et normalisent les relations entre les bourreaux et les victimes.
Julien Bonneuil à travers le miroir
Selon Julien, le commissaire s’était fait une idée depuis leur première entrevue. Il avait donné dans son piège bille en tête. Une angoisse résidentielle380 avance dans les allées gravillonnées381 du cadastre mental de ses turpitudes382. Qu’attend-on au juste pour l’inculper ? Burandeau dispose maintenant des présomptions nécessaires à sa demande d’expertise. Selon ses propres termes, il cherche l’homme avant l’ADN. Un fonctionnaire de la vieille école, un orthodoxe, un esthète, un salaud.
Julien va donc bientôt entrer officiellement dans le cercle très ouvert des fournisseurs de sperme officiels de mademoiselle Luz. Mais il lui faut d’abord se convaincre qu’il est coupable. Si la liberté est la condition de possibilité de la morale, l’asservissement sera celle de son bonheur. Une fois de plus, le bonheur et la morale ne seront pas élus couple de l’année. C’était en résumé les convictions rudérales383 du quant-à-soi384 dystrophique385 dans lequel le jeune-homme aux abois lantiponnait386. Etait-il prêt à pousser son asservissement jusqu’à l’emprisonnement ?
Julien se rappelle son rêve. Un mélange d’ombre et de lumière efface peu à peu son âme disloquée387. Un étrange animal rôde au bord de la piscine azurine388 de son affliction, quelque part dans la diagonale du vide de sa géographie sentimentale. Il n’a pas grand-chose à perdre et entrevoie une solution improbable. Il doit aller à contresens de son histoire en persévérant dans ses œuvres.
C’est ainsi qu’en arrivant au 5 bis rue Médicis, surmontant sa timidité pathologique, Julien Bonneuil frappe directement chez Amandine Luz, l’imagination en chaussettes389 et son certificat de séronégativité390 en poche.
- Bonjour Madame, je tenais à me présenter, je suis Julien Bonneuil votre voisin de palier.
- Ah, entrez, je vous en prie.
- Je ne veux pas vous déranger.
- Mais non, c’est gentil.
Elle ne porte plus de minerve. Amandine Luz ne donne pas l’impression d’avoir la tête ailleurs que sur les épaules, même si ses épaules ne sont pas toujours là où on s’attend à les trouver. Sa coiffure à la garçonne fait ressortir les pervenches de ses yeux et son corps souple et sportif renifle la santé. Elle porte jusqu’aux chevilles une robe moulante à manches longues en coton côtelé fiente de bécasse. Elle est chaussée d’écrase-merdes vernis anthracite à plateformes crantées avec de gros lacets et des claques à motifs écossais. Ses pieds sont protégés par des socquettes blanches dont la dentelle est repliée sur le revers de la chaussure.
- J’étais sur le point de faire du thé, ça vous dit ?
- Son visage diaphane391 resplendit d’une lumière intérieure comme une lithophanie392 romantique du Second Empire. Ses lèvres sont comme deux sucres d’orge à sucer jusqu’au bâton.
- Oui, pourquoi pas, merci, répond simplement le garçon, imaginant son hôtesse vêtue d’un simple numéro393 et de lumière nue394.
- Asseyez-vous sur le canapé.
Julien s’installe à sa place préférée.
Comme dans son rêve, une lumière grise nimbe395 mollement396 les objets, prêtant au désordre de la pièce un mystère ordinaire397. Amandine a disparu dans la cuisine et reste silencieuse. Comme une tiède suffusion398 de douceur inféconde399, Julien sent couler sur son cœur le sirop translucide400 des réminiscences401. La mémoire de l’élasticité humide des hanches de sa voisine soulève ses paumes402. Sur la table basse, un livre de poche très abimé retrousse ses lèvres de papier à l’indécence énigmatique. Edition Folio 1977, Lolita de Nabokov. Un robinet goutte dans un évier.
Elle revient avec un plateau chargé de petits gâteaux, d’une théière brûlante et de deux tasses à soucoupes. Elle a rapidement alourdi ses cils et passé un gloss sur ses lèvres. Ses fragrantes403 déambulations404 colorient l’espace avec un mélange d’essences référencées.
- Je n’ai pas de sucre, je peux descendre en acheter si vous voulez ?
- Non merci, je ne prends pas de sucre, moi non plus. En revanche, ces petits gâteaux m’ont l’air délicieux. Jamais je ne parle ainsi dans la vraie vie, pense Julien. C’est bon signe. Je dois faire confiance au rêve.
Il suppose que les gâteaux n’ont pas été faits par Amandine puisqu’elle n’a pas de sucre. Un parent ou des voisins peut-être.
- Servez-vous.
Un large sourire agrandit la bouche d’Amandine.
- C’est une recette de ma grand-mère, simplifie-t-elle.
Amandine Luz sourit à Julien Bonneuil pour la première fois. Ce sourire habille un mensonge anodin. Julien a une pensée pour le commissaire à qui il doit d’être assis ce soir en compagnie de la plus charmante des victimes, sur le lieu de ce crime qu’il essaie d’apprivoiser.
- Aux amandes, il dit, des miettes entre les dents.
- Oui, aux amandes.
- Comme Amandine !
- Vous connaissez mon nom ?
- Ce n’est pas la première fois que je vous rencontre.
- C’est vous que j’ai croisé en revenant du commissariat dimanche dernier, n’est-ce pas ?
La jeune fille s’est assise sur l’accoudoir à l’autre bout du canapé dans une position dominante, un bras replié sur le sommet du dossier. On dirait, perché dans les frondaisons405 à la lisière de son repaire, un animal sauvage à l’affut d’une proie très particulière.
- Oui, c’était moi. J’avais entendu des voix cette nuit-là, vers deux ou trois heures du matin. La police m’a demandé de témoigner. Vous avez été cambriolée, je crois, biaise-t-il ?
- Oui, une drôle d’histoire. Une enquête est en cours.
- Je pense que je vais ajouter un verrou à ma porte. On retrouve rarement les voleurs.
- Au Brésil on ne porte jamais plainte pour vol.
- Vous êtes brésilienne ?
- Oui, mais mes parents sont d’origine française.
- Vous n’avez pas d’accent.
L’index de la jeune fille joue avec une mèche de cheveux fictive.
- J’ai fait mes études dans un lycée français. Et je viens de terminer l’école du Louvre.
- Ça fait longtemps que vous avez emménagé rue de Médicis ?
- Environ trois mois. Avant j’étais logée à la cité universitaire, dans le XIVe.
Julien manque de s’étouffer avec un éclat d’amande, ça lui rappelle des souvenirs.
- Moi, j’ai toujours vécu ici, dit-il en plissant les yeux.
- Vous avez l’air très parisien, se moque-t-elle.
Julien ne fait aucun effort pour paraître à son avantage, poursuivant son itinéraire aberrant406, tel le ménechme407 de lui-même408. Concentré, il avance ses pions méthodiquement, comme s’il suivait un mode d’emploi écrit en police cinq.
- Je vous ai vu faire du lèche-vitrine dans le boulevard Saint-Michel. Je passe souvent par là quand je rentre du travail.
- C’est possible. J’aime bien le boulevard Saint-Michel, il y a tout le temps du monde. Comme je n’ai pas d’emploi fixe, je m’habille en touriste pour me sentir moins décalée. Parfois on me suit jusqu’au jardin du Luxembourg, rarement au-delà.
Julien ignore le bâton merdeux.
- Je vous ai aussi rencontrée, il y a une quinzaine de jours. Je m’étais présenté à vous comme aujourd’hui, le voisin de palier, risqua Julien dans un état second – cette friction hystérique du caoutchouc sur le sol aréneux409 d’une banlieue du Mont-Saint-Michel, est-ce un rêve ou bien le souvenir d’un raccourci qui a mal tourné ?
Le tissu élastique de la robe s’adapte merveilleusement aux changements de position de la grimpeuse.
- Vous m’aviez invité à prendre le thé, poursuit-il en priant un dieu provisoire410 pour que la pénombre masque le désarroi qui pixellise411 son visage. Nous avions discuté tard et vous m’aviez invité à passer la nuit chez vous. La solitude vous pesait. Nous avons passé la nuit tendrement enlacés.
Prisonnière d’une rage vermeille412 ocellée de gueules de tigres d’un rose plus serein413, Amandine regarde414 avec attention le doux dingue qui la mène en bateau. Une façon de draguer originale qui substitue au banal « votre visage me dit quelque chose, on ne s’est pas déjà rencontrés ? », la version moins timorée « votre prénom me dit quelque chose, on n’a pas déjà couché ensemble ? » Il doit bien connaître le commissaire pour être au courant de ses amnésies415 chroniques416. Impossible autrement. Partie civile mon cul ! N’importe qui a accès au dossier ! Peut-être même, est-il de la police et a-t-il pour mission de confondre la plaignante. Il va falloir jouer serré ma douce, moulant-moulant.
- Vous faites quoi dans la vie ?
- Je suis installateur de box pour le compte d’un fournisseur d’accès.
- En somme, vous installez des boîtes pour le compte d’une boîte !
- C’est ça. Je ne sais pas si on a le droit de citer des marques dans un roman.
- Je ne sais pas non plus, c’est mon premier roman – elle imagine déjà le chroniqueur littéraire lui déclarant, en fait, Bonneuil c’est vous ! Combien de fois avez-vous dû me séduire ?
- Après chacune de nos rencontres, vous m’oubliez.
Julien sent qu’une petite musique s’est mise en marche. Il faut maintenant tenir le tempo.
- Et chaque fois vous renouvelez l’exercice ?
- Oui, comme Schéhérazade. Mais en passant outre une timidité maladive.
- Vous vous en sortez plutôt bien pour un timide.
- La timidité est la partie émergée de la culpabilité.
Amandine est maintenant assise sur le haut du canapé, un pied férocement enfoncé dans le coussin, une jambe dans le vide explorant rageusement les alentours à la recherche d’une gueule à éclater. Sa robe distendue par le mouvement lui donne l’allure d’un samouraï en kimono de combat.
- Le fait de savoir que vous allez m’oublier efface ma timidité. Le timide a honte du passé et peur de l’avenir. Avec vous je n’ai ni passé ni avenir, je n’ai donc aucune raison d’être timide.
Julien commence à intriguer Amandine. Ses paroles ont réveillé sur son visage blanc, l’ombre de cet oiseau qui passe très haut dans le ciel.
- Racontez-moi comment vous avez fait pour me séduire la première fois.
- Je vous ai attirée chez moi, de l’autre côté de cette cloison. Je ne suis pas certain que ce soit un mur porteur. Les immeubles haussmanniens sont tellement morcelés. Je savais que vous veniez de terminer l’Ecole du Louvre, je vous ai fait croire que j’avais peint les aquarelles qui recouvrent les murs de mon appartement. La vérité est que mon père en est l’auteur. Il travaillait en Afrique.
- Le coup de l’estampe… Et ça a marché ?
- Je vous ai raconté que j’avais fait ma coopération en Afrique et que j’en étais revenu des images plein la tête. Vous m’avez embrassé.
- Et ?
- Vous m’avez invité à diner et je me suis endormi sur ce canapé.
- Nous n’avons pas fait l’amour ?
- Pas cette nuit-là, une autre fois.
- Vous vous sentiez coupable ?
- Vous ne pouvez pas savoir à quel point. Je ne sais que mentir, je ne sais pas dire la vérité autrement.
- Ah, ah, ah.
Le rire d’Amandine est clair et distinct, comme les idées de Descartes. Ce grand malade commence à intéresser l’amphitryonne417. Pas Descartes l’ergoteur418, mais Julien bon pied419 dans la porte.
- Puisque nous en sommes aux confidences, je vais vous faire un aveu. Mon âme et mon corps ne s’appartiennent pas. Conformément à ce qu’affirme la sixième méditation420 de René421, je ne compose pas un tout avec mon corps. Notamment, je ne jouis qu’en rêve, lorsque mon âme s’est envolée. Je fais des rêves érotiques et m’envoie en l’air pendant mon sommeil. C’est ma seule possibilité d’accéder à l’orgasme.
- Comment le savez-vous ?
- On me l’a raconté.
- Vous ne vous souvenez de rien ?
- Depuis que je suis en France, seulement de mes rêves.
- Il m’arrive d’avoir le sentiment d’être sous l’emprise d’un esprit étranger, pas vous ?
La jeune fille prend soudain un air sérieux. Afin de donner plus de sincérité à sa déclaration elle descend du canapé où elle faisait de l’acrobranche, et s’assoit sur la table basse à côté de la théière, face à un Julien subjugué par le gazouillis graphique422 du guillochis423 de ses cils goudronnés à la hâte424.
- Voici ce que je vous propose (elle contemple ses lèvres)425. On se dira « vous » et vous ne chercherez pas à me connaître. Vous me direz qui vous êtes chaque matin, Monsieur Bonneuil, et chaque soir vous devrez me séduire de nouveau. Vous serez protégé par mon oubli et vous me ferez jouir nuitamment pendant mon sommeil paradoxal. Vous vous sentirez affreusement coupable d’abuser ainsi de mon handicap, mais jamais vous ne tenterez de découvrir mon secret. Je suppose que je vous ai dit la même chose, la dernière fois où vous m’avez séduite ?
Julien prend les mains d’Amandine entre les siennes et les serre pour en mémoriser à jamais l’empreinte, comme font les dentistes avec les dentures de leurs patients avant d’installer une prothèse.
La soirée est délicieuse. Le chiasme426 tératogène427 de deux esprits qui aberrent428 ne rebute pas cette fille aux yeux hyalins429.
- Et si nous allions revoir ces aquarelles, un petit chez-moi430 vaut mieux qu’un long discours ?
- Et un brin de causette vaut mieux qu’un brainstorming431 ! Allons-y, Monsieur Bonneuil.
- Je n’ai pas beaucoup connu mon père mais il est très présent à travers ses œuvres.
- Les œuvres d’art existent-elles seulement pour que les générations futures gardent un souvenir de leurs créateurs ?
- Certes non. Qui connaît un Mallarmé dépressif, un Gauguin pédophile, un Mozart alcoolique ? D’ailleurs, la présence de ces œuvres ne m’ont pas permis de mieux connaître mon père. Pour mieux connaître quelqu’un, faut-il encore l’avoir connu. Ces œuvres ne sont pour moi qu’un prétexte à imaginer mon père, un point de départ vers une forme d’amour.
- Et moi, de quoi suis-je le prétexte ?
- Il faut bien un point d’embarquement. Vous serez à la fois mon ponton et ma terre promise.
- Prenez garde, je suis comme ces fleurs carnivores qui se referment sur leur proie pour les digérer toutes entières sans en laisser la moindre trace.
- Pour nous soustraire au monde, nous n’avons pas d’autre solution que de faire la somme de ce que nous ne sommes pas432.
- Je vous oublierai, comme il se doit. Mais votre culpabilité restera entière, irréductible, phénoménale, indépassable. Promis ?
- Je vous donnerai tout car vous m’oublierez, comme il se doit. Prisonnier de ma honte, sans votre oubli je ne puis rien. L’oubli vaut mille pardons.
Sa robe donne maintenant à Amandine des allures de tragédienne. Arrivée sur le palier, elle prend des poses à la sophistication caricaturale, mi-Iphigénie, mi-flamenco.
- Je m’enfuis déjà433. L’apostasie434 guide mes pas. Dans mes veines coulent les eaux du Léthé435. J’attendrai chaque soir mon Orphée qui chaque matin fautera en se retournant sur sa morte. Monstre amnésique que les ombres chavirent, en mourant je renaitrai, et en vous oubliant je vous donnerai naissance.
- Votre éloquence a la prestesse du poulpe à trois cœurs et neuf cerveaux, s’enflamme Julien avec des « simagrées de sigisbée436 ». Vous êtes ma Dourga437, ma reine égyptienne, ma dryade438… Excusez-moi, je vous l’ai déjà dit, se ressaisit le garçon. Ha, j’allai oublier, voici le certificat de séronégativité que vous m’avez demandé.
Les nouveaux amants s’endorment l’un contre l’autre dans la chambre de Julien Bonneuil. Elle a insisté. Au moins la première nuit. Les présentations seront plus faciles demain matin. Le lieu témoignera de leur bonne foi mutuelle et du caractère officiel de la situation. Il n’est pas nécessaire de se mettre la pression le premier jour.
Dans le milieu de la nuit, aux alentours de deux heures et demie, Julien est réveillé par une plainte d’abord lointaine puis qui va s’amplifiant, à la fois sinueuse, insinuante, impérieuse ; une plainte qui a survolé de grouillantes canopées439, frôlé des habitations de sable en bordure des déserts, remonté des fleuves comme des mers.
Julien se réveille tout à fait. La lumière de l’éclairage urbain filtre entre les rideaux mal joints, baignant le lit défait d’une candeur gris perle440. À côté de lui, dressé vers le plafond et chargé de luciférine441, un cul marmoréen442 oscille doucement telle une anémone de mer bercée par un reflux balinais. Comme un roucoulement, la plainte tourne dans la gorge tendue de la jeune-fille. Ecartelé de gueules et d’or, l’anus palpite faiblement, jouant sa partition443 héraldique444. Julien contourne le corps arcbouté et reconnait, logées en haut des cuisses, les abdomens charnus des deux araignées jumelles. Bonneuil bande comme le taureau de Pasiphaé – fille d’Hélios et de Persé, sœur de Circée, tante de Médée, épouse de Minos, mère de Phèdre, d’Ariane et du Minotaure, le petit dernier handicapé. Tel un Ulysse retrouvant son Ithaque il s’accroupit et pose sa langue comme une clef sur la fleur sommitale. L’appendice est aspiré avec force. Pour garder son équilibre il encercle les reins de la dormeuse en une étreinte capiteuse445 de varech446 et de mustélidé447. Sa langue va et vient doucement dans son étui parfumé aux plantes sauvages lorsqu’une douleur torride lui remonte du périnée jusqu’à la thyroïde. Jaillissant d’entre les genoux d’Amandine, telle la main gauche de la Madeleine au Bois d’Amour448 surgissant d’outre-tombe, une poigne ligneuse449 a saisi les couilles de Julien Bonneuil. Affolé, il mêle sa plainte inarticulée à celle de la fille, tout en faisant courir sur ses chemins de ronde450, les kelvins451 de ses caresses.
Lorsque Julien met fin à son butinage, la main relâche sa prise et il peut se hisser lentement, les ongles arrimés452 à la douceur des hanches. Son gland soyeux retrouve le chemin de la chair crénelée d’Amandine. La verge glisse contre les parois, jusqu’à la tête utérine et sa source féconde. Tel un oiseau surpris par le sourire de l’aube, un pet vaginal fuse soudain.
Le couple bascule sur le flanc. La gorge marbrée de plaques incarnadines453, les yeux révulsés comme ceux des sculptures antiques, Amandine pivote face à Julien. Le couple jouit dans une dernière étreinte, puis les corps se détachent l’un de l’autre, abandonnés à leur dérive périclitante entre les îles d’un sommeil sans rêves.
Amandine sait que Julien se sent terriblement coupable. Elle a accepté cette relation étrange uniquement pour cette raison. Elle est d’autant plus ravie lorsqu’elle croit reconnaitre en lui le violeur de la nuit du samedi au dimanche. Il est coupable sur toute la ligne, traqué par une justice implacable qui ne tardera pas à révéler au grand jour l’ignominie454 de sa perversité. Elle savoure ce moment où elle est encore la seule à savoir, emplie d’une solitude intense, insoluble dans le grouillement des mondes et des êtres.
Amandine n’est plus à côté de lui quand Julien se réveille.
Le geste héroïque d’Amandine Luz
Compte tenu de l’empressement de Bonneuil à faire un test de dépistage, il est probable, selon Burandeau, que la dernière giclée de sperme fût la sienne. Mais Bonneuil ne s’étant pas dénoncé dans les deux jours qui ont suivi sa mise en cause grandguignolesque dans un couloir du Pavillon Tarnier, le commissaire considère que c’est mort. Il doit se résoudre à demander une expertise ADN pour offrir à la justice celui qui s’est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, avec le mauvais taux de testostérone et la mauvaise éducation. Au moins, le policier a maintenant la possibilité de justifier sa demande auprès d’une administration parcimonieuse.
Préalablement, Burandeau avait convoqué Amandine Luz en début de semaine à cause de cette histoire de culotte. Cette femme à laquelle on ne connaissait pas de relation stable semblait avoir une vie sexuelle assez riche, autant dire disparate. Il n’était pas exclu que son amnésie chronique fût due à la consommation de drogues, peut-être pour ne pas avoir à assumer des pratiques sexuelles non conventionnelles. Le commissaire avait abandonné les quelques pistes explorées du côté du vaudou brésilien car il était difficile de faire la part de l’affabulation ; les pratiques étaient très diverses et cette liberté dans le culte ne permettait pas de caractériser le cas Luz. Il restait la relation père-fille que le commissaire hésitait à explorer ; il n’était pas dit que le divisionnaire visse455 d’un bon œil456 une expertise psychologique qu’il jugerait par principe fallacieuse.
- Des faits Burandeau, des faits, pas des frais !
Même si c’est toujours délicat en matière de viol, Burandeau doit envisager l’éventualité d’une part de consentement chez la victime. Pour jouer avec le feu, il préfère convoquer Amandine Luz de façon informelle.
Elle se présente à son bureau, vêtue d’une longue robe de coton blanc, une coupe vaguement coloniale, et chaussée de ballerines bleu marine assorties à un foulard en berne au bout de son bras maigre. Des bracelets de corde multicolores apportent une touche tropicale non sourcée. La blancheur de la robe n’améliore pas le teint de cette éternelle convalescente, le ras-du-cou efface le peu de poitrine et la coiffure de garçonne n’est pas dans l’aire457 des vents insulaires458. Ces fautes de goût mettent le commissaire Burandeau mal à l’aise. Ne m’aimez pas, semble-t-elle crier au monde, la pureté me défigure459.
- Bonjour Madame Luz, comment vous sentez-vous ?
- Ça va commissaire, je suis amoureuse !
- Vous ne me facilitez pas la tâche. J’ai des éléments à vous communiquer concernant notre enquête.
- Je suis prête à les entendre commissaire. Avez-vous du thé ?
- Allo, Cécile… Soyez gentil de nous apporter un thé et un café… Bergamote ?
- Bergamote.
- Bergamote ! Bien… Tout d’abord, Madame Luz, le laboratoire a trouvé non pas un mais deux spermes, l’un étant a priori légèrement plus frais que l’autre.
Le commissaire a communiqué cette information, la bouche gourmande.
- Comment parvenez-vous à dater les spermes commissaire ? Vous les goutez ?
- C’est d’un chic dans la bouche d’une jeune femme ! Au moins, vous connaissez votre Horace : sapere aude460 ! Cela-dit, même si la technique que je vais vous exposer n’est pas fiable à cent pour cent, elle mérite qu’on la considère.
Le commissaire n’est pas mécontent de pouvoir aborder les choses sous un angle technique dans cet échange un peu cru avec cette jeune fille couverte de colombes.
- Il se trouve qu’il existe trois sortes de spermatozoïdes… Voici votre thé. Lait ? Sucre ?
- Nature.
- Merci Cécile. Oui, je disais, selon les études des biologistes Robert Boulanger et Marcus Batailles, il existe trois sortes de spermatozoïdes. Tout d’abord une minorité de spermatozoïdes messagers est chargée de féconder l’ovule, très en amont dans l’oviducte. Des spermatozoïdes tueurs équipés d’une sorte de dard ont quant à eux pour mission d’éliminer de possibles spermatozoïdes concurrents, en provenance d’un donneur antérieur par exemple. Enfin des spermatozoïdes malformés, avec deux têtes et trois flagelles, s’agglutinent en une sorte de maquis spongieux pour constituer une arrière-garde chargée de piéger ou de ralentir les spermatozoïdes concurrents en provenance d’un donneur ultérieur.
- Laissez-moi deviner, le sperme le plus ancien est celui dont le maquis est le plus profond ?
- Exactement, Mademoiselle. Les couches de maquis se superposent comme des strates géologiques et le temps en altère l’apparence. Dites, nous allons vous embaucher dans la police !
- C’est passionnant. Je ne savais pas que tout ce petit monde était en guerre !
- Une véritable Bérézina. Le sperme le plus ancien était aussi celui dont la couche était la plus mince.
- Ah bon, le maquis réduit ?
- Il fond. D’autre part, le dernier donneur, s’il n’a pas l’avantage de la primeur, a la faculté d’aspirer littéralement une partie du sperme précédent grâce aux allées et venues de la verge, combinées à l’effet ventouse du gland et aux facultés d’un prépuce préhensible.
- Comme avec une paille ?
- Non, comme avec un débouche évier de type ventouse.
- Charmant… L’efficacité du pompage persiste-t-elle si l’homme est circoncis ?
- Vous me posez une colle, mademoiselle !
- Ça pourrait expliquer pourquoi les femmes sont plus étroitement surveillées dans les cultures où les hommes son circoncis.
- Ah oui ?
- Parce qu’elles seraient, selon votre théorie, plus difficiles à vidanger en cas de débordement.
- Là, ça dépasse mes compétences. Soit dit en passant, je ne surveille personne et, soyons bien clair, je ne suis pas l’auteur de cette théorie. Je vais tout de même signaler ce point aux tordus du labo.
- Quoi qu’il en soit commissaire, si l’évolution a mis en place un tel arsenal, c’est indubitablement pour s’adapter à des pratiques sexuelles tous azimuts461. Votre théorie fait clairement l’apologie462 de l’adultère, de la partouze, du viol et de la polyandrie463. Je comprends qu’une telle théorie ne soit pas enseignée dans nos sociétés fondées sur le couple misogyne. C’est de la nitro464 votre truc ! Il faudrait glisser ça dans les prochains manuels scolaires !
- Mon truc est le résultat d’observations, ce n’est pas une théorie. De surcroit ce n’est pas « mon » truc. Certes, votre point de vue est intéressant, mais il n’y a pas de quoi se carboniser le chamallow. Nous savons déjà que le père d’un enfant sur dix n’est pas son père biologique. Le couple est notoirement ouvert, tous les privés465 en font leurs choux gras.
- En vous écoutant, je comprends que vous supposez qu’il y a eu deux donneurs différents. Qu’est-ce qui vous permet de l’affirmer ?
- Il se trouve que le dernier donneur présumé n’a a priori pas eu le temps d’éjaculer deux fois.
- Et qui suspectez-vous ?
- Pour différentes raisons, nous sommes persuadés que le dernier sperme appartient à Monsieur Bonneuil.
- Je sais commissaire.
- Il vous l’a dit ?
- Non, ça fait quatre nuits que je couche avec lui… J’ai reconnu son coït.
- Vous étiez donc consciente lors du viol ?
- Quand je fais l’amour, je suis dans les vapes ; cependant mon corps enregistre des informations.
- Vous avez déclaré n’avoir le souvenir d’aucune sensation ?
- C’était bien le cas, commissaire. Seulement l’information ça monologue466, ça s’insinue puis ça émerge et ça finit par surnager, comme les débris d’un avion qui s’est abîmé dans l’océan. De même qu’il y a plusieurs sortes de spermatozoïdes, il y a plusieurs sortes de mémoires ; j’ai eu à cœur d’étudier la question.
- Une mémoire vaginale ?
- Peut-être. Mais surtout, le souvenir nécessite deux opérations : le stockage et l’extraction. Disons que j’avais bien stocké des choses. Il m’a simplement fallu du temps pour les récupérer.
- Et ce que vous avez récupéré, ce sont des certitudes ?
- Du lourd, commissaire, des certitudes gravées dans de l’omoplate de mammouth.
- Vous avez pris du plaisir ?
- Vaporeusement. J’ai fait un rêve érotique cette nuit-là ; rappelez-vous, je vous l’ai raconté.
- Vous êtes amoureuse de Julien Bonneuil ?
- Techniquement467, oui.
- Vous allez donc retirer votre plainte ?
- Vous m’avez dit que ça ne changerait rien au cours de la justice ?
- Pas si vous apportez des éléments nouveaux au dossier comme, par exemple, le souvenir d’avoir baissé vous-même votre petite culotte et d’avoir pris du plaisir. Il faut rester sérieux, avec de tels arguments aucune justice au monde ne prendrait le risque de vous faire entrer dans un tribunal.
- Ce n’est pas si simple. Il m’a quand même violé commissaire ! Je ne sortais pas avec lui à ce moment-là… Même s’il a voulu me le faire croire.
- Comment ça ?
- Il a dû avoir connaissance de mes problèmes d’amnésie chronique, peut-être grâce à une indiscrétion de la police. Toujours est-il que j’oublie avec qui je couche mais pas avec qui je sors.
- Il vous a baratiné jeudi, n’est-ce pas ?
- Oui, jeudi soir.
- Le salopard ! Figurez-vous que deux jours plus tôt, je lui avais tendu un piège en lui faisant croire que vous étiez séropositive.
- Charmant. Vous me faites une sacrée pub. Et vous avez envoyé un email à tous mes amis ?
- La première chose qu’il a faite est un test de dépistage.
- Ça ne fait aucun doute. Il m’a présenté son certificat de séronégativité en disant que c’était moi qui lui avais demandé.
- L’animal ! Dans le but de lui faire comprendre qu’il était démasqué, je me suis arrangé pour tomber sur lui par hasard au centre de dépistage, jeudi en fin d’après-midi lorsqu’il récupérait ses résultats. Je pensais qu’il passerait aux aveux. Ça nous aurait évité des frais.
- Et vous lui avez dit que je n’étais pas séropositive ?
- Il fallait bien que je justifie ma présence au centre, une contre-expertise.
- Vous aviez déjà votre présomption de culpabilité, vous n’auriez pas dû faire ça. Ça m’aurait évité de le voir débarquer chez moi. Vous ménagez trop les gens commissaire, ce n’est pas bon dans votre métier… Je plaisante !
- Je ne prends au sérieux que les plaisanteries, mademoiselle. Le pire est que vous avez sans doute raison ! Mais je ne pouvais pas imaginer qu’il aurait le culot de vous séduire, et moins encore qu’il essaierait de vous persuader que vous sortiez déjà ensemble ! Il devait vraiment être à court d’idées pour sauver sa peau.
- À moins que ça ne soit une seule et même histoire.
- Que voulez-vous dire ?
- L’avenir nous le dira.
Amandine scrute au fond de sa tasse, les quelques gouttes de liquide jaunâtre où de minuscules débris de thé exécutent une chorée brownienne468.
- Vous seriez capable d’envoyer l’homme que vous aimez en prison ? Il peut prendre cher vous savez.
- Le plus cher possible commissaire. On ne compte pas avec les êtres chers !
- J’ai parfois du mal à vous suivre.
- Vous ne comprenez rien aux femmes, commissaire.
- Celle-là, on me l’a déjà faite. Personne ne comprend rien à personne de toute façon. Et il n’y a rien à comprendre, selon moi. Quoi qu’il en soit, tout cela ne fait pas de Monsieur Bonneuil un coupable. J’ai mis hors-jeux vos deux gardes du corps ; je vais demander une expertise ADN pour inculper Bonneuil. Je ne vais pas vous proposer de témoigner, ajoute goguenard le commissaire, cette histoire de mémoire vaginale décrédibiliserait l’accusation. Et puis la justice ne résisterait pas à l’idée d’organiser une séance de tapissage que je préfère vous éviter.
- Vous voulez dire que je vais me retrouver comme Pénélope à faire de la tapisserie en attendant le retour de mon héros ?
- Non, le tapissage est une séance d’identification d’un suspect469 consistant à le présenter au témoin, parmi d’autres personnes dont on « tapisse » un mur.
- Décidément, c’est d’un chic dans la bouche d’un glorieux470 commissaire.
- Excusez-moi, cette plaisanterie était de très mauvais goût. Autre chose – je préfère vous avertir – le fait que vous vous fréquentez risque de conduire à un non-lieu. Monsieur Bonneuil va sans doute tout vous avouer et vous demander de retirer votre plainte. Vous comptez rompre ?
- Je romprai s’il me demande de retirer ma plainte… Ou s’il plaide non coupable. Il me faut un coupable, vous comprenez ? De toute façon il affirme adorer mes plaintes471.
- Il ne peut pas faire autrement que de plaider non coupable, ne serait-ce que pour diminuer sa peine. Il sera obligé de reconnaître les faits mais il dira que vous étiez dans un état quasi normal.
- Il augmenterait ma peine472 en diminuant la sienne.
- Il dira que vous étiez consentante. Je ne suis pas sûr que le taux de flunitrazépam473 mesuré dans vos urines soit déterminant. Quant à votre amnésie chronique, il va être compliqué de l’évaluer et de la convertir en inconscience pathologique474. Sans compter que de l’inconscience à la légèreté il n’y a qu’un pas sémantique475 que certains franchiront sans même s’en rendre compte.
- Il dira ce qu’il voudra. Notre relation est fondée sur la culpabilité. Il est coupable et il le restera.
Burandeau se lève doucement pour mettre fin à l’entretien.
- Et votre père ?
- Quoi, mon père ?
- Comment prend-il tout ça ?
- Mon père est au Brésil. Il n’est au courant de rien.
- À bientôt Madame Luz.
- Commissaire ?
- Oui ?
- Attendez demain matin pour venir le chercher.
- Neuf heures ?
- Neuf heures.
- Entendu.
- Vous êtes chic476, commissaire.
Burandeau rit de bon cœur lorsque Bonneuil lui annonce que l’expertise ADN va poser un problème car il n’est pas en mesure d’éjaculer à la demande. Il ne peut bander que dans des conditions très particulières – le vice n’attend pas le nombre des années, la vieillesse non plus. Le commissaire le rassure en lui expliquant que toutes les cellules du corps contiennent le même patrimoine génétique.
- Vous avez dû apprendre ça au lycée, non ?
- J’ai choisi une filière littéraire.
- On va seulement prélever un peu de votre salive au moyen d’un kit FTA – neuf euros. Ça permettra à un labo d’extraire votre profil génétique – soixante-dix euros. On extraira également celui du propriétaire du sperme découvert sur Madame Luz – soixante-dix euros – puis on enverra le tout au FNAEG, le fichier national automatique des empreintes génitales477. Ha ha ha, celle-là on ne peut pas s’empêcher de la faire ! Bref, à partir de là, on pourra analyser et comparer les deux échantillons – dans les cinq-cents euros. Vous voyez combien ça va chercher votre histoire ? C’est nos impôts tout ça ! Si les gens savaient combien ça coûte, ça les ferait réfléchir à deux fois avant de violer leurs concitoyens !
- C’est quoi, un kit FTA ?
- Une paire de gants et un écouvillon ; plus pompeusement – si j’ose dire – Fast Technology for Analysis. Ne faites pas attention à ma prononciation, on dirait un Anglais qui parle français.
Les facéties du commissaire ne semblent pas détendre Julien qui ne pense plus qu’à une seule chose : organiser sa défense.
- Avez-vous d’autres questions, Monsieur Bonneuil ?
Comme il le prend de haut ce bouffon : « Avez-vous d’autres questions débiles, Monsieur Bonneuil ? » Enfin, comme n’a pas dit Jean Yanne, je respecte les cons.
- Il n’y a pas de questions bêtes, Monsieur Bonneuil !
Ce sont les gens qui sont bêtes, ajoute le commissaire dans son Fort Saganne intérieur.
- Pour sûr. Il ne faut pas vouloir briller davantage que le fond de son pantalon, emprunte Julien à Groucho Marx.
Il a touché un point sensible. Même s’il a l’esprit aiguisé, Burandeau n’est pas un parangon478 d’élégance. Ses pantalons trop larges et usés témoignent d’une époque où l’embonpoint le menaçait. Les strates géologiques révèlent des affaissements et des plis en tous sens. Après une victoire à plat de couture sur les mauvaises graisses de la cinquantaine, le commissaire n’a pas jugé utile de rafraîchir sa garde-robe. Cela pourrait trahir un tempérament superstitieux, donc inquiet ; ou avare, donc inquiet. Au fond, les débordements amphigouriques479, voire logorrhéiques480 du commissaire traduisent un manque d’assurance et de reconnaissance – tout comportement excessif exprime le contraire de ce qu’il laisse accroire481, aime à expliquer Maître Burandeau. Par ailleurs on ne peut pas en vouloir au commissaire d’être viscéralement cabotin482. Ça lui donne un côté amusant qui ne nuit pas à son entregent483.
- Après cette formalité, nous nous reverrons au tribunal, Monsieur Bonneuil, remet les pendules à l’heure le policier.
- De vous à moi cette formalité est inutile, je suis persuadé que nous nous reverrons au tribunal car je vais passer aux aveux.
Le statut de bad boy assorti de son destin tragique était à ses yeux le seul qui pût lui permettre de continuer à séduire Amandine dont il sentait nuit après nuit faiblir les sentiments. Il n’avait pour l’heure rien d’autre à offrir.
Je préfère le désordre de mes nuits à vos ordres du jour
Julien aime Amandine. Mais invariablement, les ongles noirs de sa délinquance imaginaire se sont cassés sur les terreurs diurnes484 qui emprisonnent le cœur de la jeune fille485.
Après son entrevue avec le commissaire, Amandine n’avait pas abordé le sujet qui fâche avec Julien. Le lendemain matin, une voiture de police était venue chercher le prévenu à son domicile. Amandine était déjà partie.
Julien Bonneuil n’a pas pris d’avocat.
Il n’a pas non plus cherché à contacter Amandine. Il a même refusé de la voir lorsqu’elle s’était présentée à la prison où il était en détention provisoire. À ce moment-là, tellement de choses lui semblaient provisoires. Il voulait à tout prix préserver le merveilleux édifice qu’ils avaient réussi à construire. La moindre supposition, question, explication, justification pouvait effacer le miracle, comme s’efface le mirage dans les yeux du voyageur assoiffé d’ombre.
Le jour du procès, Julien Bonneuil reconnaît, dans l’assemblé, le commissaire accompagné de sa moitié, Maître Burandeau, ainsi que les époux Béchamel. Amandine porte un petit ensemble graine de cumin, à la fois triste et doux. Sa perruque ne dit pas toute la vérité. Impossible de savoir si elle porte ou non une culotte.
Julien Bonneuil plaide coupable.
- Vous aviez conscience que Madame Amandine Luz n’était pas lucide !
- Je reconnais qu’elle n’était pas dans un état normal, Monsieur le Président.
- Vous avez quand même abusé d’elle ?
- Je ne sais pas si j’ai abusé d’elle puisqu’elle n’était pas en mesure de s’exprimer, Monsieur le Président.
- Que voulez-vous dire ?
- Je suis coupable d’avoir profité de la situation, Monsieur le Président.
- Vous avez abusé d’elle.
- Je ne l’ai pas trompée en abusant de sa crédulité. J’ai seulement profité de la situation à son insu, Monsieur le Président.
- Vous l’avez possédée alors qu’elle n’était pas en situation de refuser. Quand je dis que vous avez abusé d’elle, j’utilise un euphémisme486 pour dire que vous l’avez violée.
- Je ne l’ai pas violée car je ne lui ai pas imposé de relations sexuelles avec pénétration, contre sa volonté. Puisqu’elle était inconsciente, sa volonté ne pouvait pas s’exercer, Monsieur le Président.
- On va donc dire que vous l’avez possédée alors qu’elle n’avait la possibilité ni d’accepter ni de refuser.
- Oui, mais j’ai agi par amour. Je voulais de cette façon lui témoigner mon amour, Monsieur le Président.
- Vous ne la connaissiez pourtant pas, avant cela.
- Nous étions voisins et j’étais tombé amoureux d’elle dès le vendredi soir, Monsieur le Président.
Quelques rires vite réprimés parcourent l’assistance en diagonale.
- Elle ne vous avait jamais rencontré.
- Non mais elle avait vu, ce soir-là, que je la suivais sans oser l’aborder, Monsieur le Président.
- Vous a-t-elle encouragé ?
- Non, elle a disparu et à mon grand étonnement j’ai découvert que nous étions voisins de palier, Monsieur le Président.
- Savait-elle alors que vous étiez son voisin ?
- Je ne crois pas, Monsieur le Président.
- Il ne s’agit donc pas d’une rencontre.
- Non, mais c’est grâce à ce concours de circonstances que nous nous sommes connus et que nous avons entamé une relation régulière, Monsieur le Président.
- C’est à cette occasion, mais ce n’est pas « grâce » à cela. Vous auriez pu procéder différemment.
- Je ne pense pas. En ce qui me concerne, c’est grâce à cela, Monsieur le Président.
- C’est fâcheux. La plaignante n’a pas retiré sa plainte.
- Je la remercie de m’avoir ainsi permis de témoigner publiquement de mon amour pour elle, Monsieur le Président.
- Nous ne sommes pas là pour écouter vos déclarations d’amour, Monsieur Bonneuil, mais pour vous juger !
- Ce n’est pas à la Cour qu’elles s’adressent, Monsieur le Président.
Quelques gloussements agitent l’assemblée composée de représentants d’associations, de journalistes, de retraités et d’artistes.
- Monsieur Bonneuil, vous insultez la Cour !
- Je n’insulte personne, Monsieur le Président. Bien au contraire. C’est grâce à la Cour que mon acte sera reconnu pour ce qu’il est, Monsieur le Président.
- En l’occurrence, de quel type d’acte s’agit-il, selon vous ?
- D’un acte d’amour, Monsieur le Président. Et plus la condamnation sera lourde, plus la sincérité et le désintéressement de cet amour seront avérés.
La foule commence à s’émouvoir. La presse et quelques associations très à cheval sur l’étiquette487 concernant le bidet, ruent dans les brancards488.
- Silence ! Silence, ou je fais évacuer la salle, hurle le président d’une voix de berger pyrénéen489.
Comme d’d’habitude, la métonymie490 fait son petit effet. Le « sésame fermez-la » du grand chambellan491 fait entrer dans le rang la gent ovine492.
- En me condamnant, vous consacrez cet acte comme un acte désintéressé puisqu’effectué à l’insu de l’autre, un acte de pur amour sans espoir d’une contrepartie, Monsieur le Président !
- Je ne suis pas certain que vos sophismes493 soient du goût de la Cour, Monsieur Bonneuil. Nous vous laissons la responsabilité de votre conception de l’amour. La plaignante a-t-elle quelque chose à ajouter.
- Oui, s’il vous plaît, Monsieur le Président. Je voudrais porter à la connaissance de la Cour une information qu’il m’était difficile d’avouer jusqu’à présent, y compris à moi-même.
- Nous vous écoutons, Madame Luz.
- Bien malgré moi, j’ai éprouvé du plaisir, Monsieur le Président.
- Silence ! Silence !
La salle commence à gronder, partagée entre stupeur, indignation, curiosité et amusement. On entend s’émouvoir les vieux bancs de bois sous les fions494 ulcérés495.
- Vous avez dit que vous ne vous souveniez de rien.
- C’était vrai. Pourtant ce souvenir, très vague au départ, incertain même, s’est lentement transformé en un souvenir précis. Et ce, malgré tout l’effroi qui a accompagné ma prise de conscience, Monsieur le Président.
- Etes-vous certaine que cette prise de conscience n’a pas été induite par les rapports que vous avez entretenus postérieurement496 – je veux dire ultérieurement – avec l’accusé ?
- Je ne peux pas en être complètement certaine, Monsieur le Président. Quoi qu’il en soit, ma déclaration ne retire rien au caractère prédateur de l’acte incriminé. Ce plaisir éprouvé est pour moi la preuve que j’étais inconsciente et que je n’étais pas en mesure de m’opposer à ce rapport sexuel. Si j’avais été consciente, jamais je n’aurais été en mesure d’éprouver du plaisir en pareille situation. Ma conscience effrayée m’en aurait empêchée.
- Entendu. Autre chose à ajouter, Madame Luz ?
- Non, Monsieur le Président.
- Dans ce cas le tribunal va délibérer.
Un brouhaha s’installe dans l’assemblé. Les échanges sont vifs. Les avis divergent.
Au bout d’un quart d’heure, les trois magistrats reprennent leurs places respectives et le silence est rétabli à coups de marteau497.
- Le tribunal écarte l’accusation de viol, après avoir établit la nature d’agression sexuelle opportuniste du délit. Compte tenu des aveux de culpabilité du prévenu, de sa qualité de secouriste, et de l’évolution des liens entre la victime et le prévenu, ce dernier est condamné à douze mois de prison dont six fermes.
Un murmure d’approbation parcourt l’assemblée.
- Le dossier reste ouvert concernant, d’une part, la présomption d’un viol antérieur, d’autre part, l’administration du psychotrope498 dont il n’est établi ni la dose, ni l’heure d’administration, ni l’administrateur.
Julien Bonneuil aurait sans doute été acquitté s’il n’avait pas provoqué la cour et plus ou moins revendiqué son acte. Sans compter qu’il y avait des circonstances atténuantes officieuses, en l’occurrence la relation affective hors forfait qui s’était établie entre la victime et le coupable. Reste à établir comment des événements ultérieurs au délit auraient pu être considérés comme des circonstances atténuantes. De toute évidence, une méconnaissance du droit chez l’autrice de ce premier roman.
Les camisoles célestes de Julien Bonneuil
La vie en prison est lisse comme une lame de couteau : d’apparence inoffensive, mais dangereuse. Tout peut rapidement basculer. Il ne faut à aucun moment relâcher une vigilance qui dès les premiers jours devient le nouvel uniforme de la conscience. Le pensionnaire doit garder un œil sur le rétro intérieur pour vérifier qu’une méchante dépression n’est pas en train de déchirer le cuir de la banquette arrière, et un œil sur le rétro extérieur pour s’assurer qu’un poids lourd en flammes499 n’est pas en train de grignoter la distance de sécurité. Le quotidien de Julien Bonneuil se joue à guichet fermé dans le huis clos surpeuplé500 d’un film noir où, sur fond de voix off nasillant des consignes à tire-larigot476, des dialogues à chier dans son froc s’embourbent dans un suspense à couper à la tronçonneuse.501
Tous les mardis, Amandine rend visite à son amant. Des pensées tristes tourbillonnent dans le sourire jaune de l’automne. Les premières semaines, entre les parois rapprochées de leur cubicule502, ils se sont contentés d’attouchements discrets. Pour ne pas éveiller l’attention des surveillants, Amandine s’habille toujours de la même façon. Comme de nombreuses femmes dans sa situation, elle a pris l’habitude de porter un fichu. Ça lui permet de dissimuler sa coiffure peu conventionnelle. Sous un manteau de laine brune qui prend la poussière jusqu’à mi-mollet, elle cache une chemise en jean à pressions et un soutien-gorge qui s’ouvre par devant. Fluide et légère, sa jupe synthétique taupe écrasée ne laisse voir que les semelles de ses baskets qu’elle porte sans collants ni chaussettes. Amandine a confectionné cette jupe maintenue à la taille par une large bande de tissus élastique. Son amplitude permet de la relever facilement et une courte doublure rend le port de la culotte facultatif.
Ce dispositif vestimentaire autorise le commerce discret de quelques caresses. Pas de quoi se faire la belle503 mais, semaine après semaine, le plaisir gagne en sophistication.
Comme les peintres manchots, les deux amants ont acquis une dextérité pédieuse504 de haut niveau.
Amandine goûte particulièrement l’exploration de son vestibule que Julien effectue à l’aide de ses orteils de chimpanzé505 pendant qu’ils échangent par-dessus la table des considérations sur le tout et le ché plus quoi506. Le gros orteil dressé du mâle tient la crampe cependant qu’assise sur le pied ruisselant, la femelle enfonce ses ongles dans la chair des poignets du prisonnier. Puis, tandis que les propos salaces du garçon lui massent la cochlée507, elle tord son visage sur un orgasme grand format508 qui tarde à venir.
Après cela, sans perdre une seconde, Amandine offre au pénis de Bonneuil un espace variable au creux des voutes plantaires de ses pieds joints. Le garçon contrôle avec ses cuisses la pression du doux étau509, les yeux rivés sur la poitrine marbrée que la jeune fille se caresse à pleines mains. Amandine regrette de ne pas avoir plus de matière à travailler à ce niveau. Elle compense avec des effets de surprise obtenus en se colorant les seins de diverses couleurs. Elle a à cœur de renouveler le décor à chaque rencontre afin d’étoffer le catalogue personnel que Julien utilise pour se masturber dans l’intimité mesurée510 de sa cellule.
Avant chaque visite, Julien prend soin de se limer les ongles des orteils, de se récurer les pieds et de laver ses tongs. Ce rituel amuse beaucoup son compagnon de cellule qui ne manque jamais de l’encourager d’un urbain « bon pied, Bonneuil511 ! » et de le gratifier à son retour d’un tendre « alors, elle a pris ton pied ? » Il est d’usage entre détenus de partager les grands et les menus plaisirs.
Inspiré par les seins d’Amandine, Julien s’est mis à l’aquarelle. Pendant que son compagnon regarde le téléachat, il reproduit une fraction des murs de sa cellule. À chaque visite, il offre son œuvre à Amandine afin qu’elle puisse partager avec lui l’indicible512 couleur du temps.
- Tu te souviens toujours de moi ?
- Comment pourrais-je t’oublier mon amour ? Tu es le peintre de mes jours.
Estimant que les âmes les plus noires ont des dispositions pour la chose divine, le directeur a organisé un concours de poésie entre tôlards. Le gagnant sera élu au suffrage universel par l’ensemble des résidants. Le premier prix est une intervention au Salon du livre. Le gagnant devra toutefois se tenir à carreau jusqu’en mars de l’année suivante pour profiter de sa récompense. Les autres participants recevront un lot de consolation, quelle que soit la profondeur de leur tristesse.
Le prix a été remporté par Gégé la Redoute, un cambrioleur international établi dans le sept-sept513. Sa spécialité consiste à prendre en photo les intérieurs des particuliers pour constituer un catalogue qu’il met à la disposition des antiquaires. Une fois passée commande, l’objet est livré sous huitaine. Il s’est fait serrer514 le jour où un acheteur souhaitant acquérir en double un petit meuble de famille pour faire un cadeau à ses deux filles, avait reconnu son guéridon dans le catalogue, avec le salon qui allait autour. Gégé continue néanmoins à diriger ses équipes et assurer son business depuis sa thurne.
Entre amertume et déconvenue amusée, le poème coquin fit beaucoup rire et l’expression « va te faire cosette » est entrée dans le lexique de Burnes-les-Coquettes.
Va te faire cosette515
Va te faire lécher ma biche
Chez les Angliches
Va te faire cul sec mon bec
Chez les Grecs
Va te faire sucer ma puce
Chez les Russes
Va te faire trousser ma douce
Chez les poussepousses
Va te faire tâter ma poule
Chez les tamoules
Va t’faire écosser ma raie
Chez l’Ecossais516
Va te faire refaire ma chère
Chez les Berbères
Va te faire minette mon steak
Chez les Aztèques
Va t’faire reluquer mon suc
Chez les eunuques
Va te faire gratter ma chatte
Chez les asiates
Va te faire goder ma fille
Chez les gorilles
Les femmes seraient-elles aussi légères si les hommes n’étaient pas aussi lourds ?
Madame Bonneuil
Laissant Julien à ses activités culturelle, Amandine entreprend des démarches certes plus administratives mais riches en perspectives.
- Commissaire Burandeau ?
- Qui est à l’appareil ?
- Amandine Luz.
- Amandine ! Ça me fait plaisir d’avoir de vos nouvelles ! Comment allez-vous ?
- Commissaire, savez-vous quelles démarches je dois faire pour avoir droit à des visites plus intimes ? Vous comprenez ?
- Bien sûr que je comprends, ce n’est pas parce qu’on est marié qu’on n’a pas de sexualité !
- Que dois-je faire ?
- Vous savez, concernant les rapports en prison, hormis les rapports homosexuels, le pays du vin, du pain et du fromage n’est pas très en avance, comparé à la Suède, ou même à l’Espagne.
- Y a-t-il en prison une alternative au mariage gay ?
- En France, le cours de l’albatros517 est au plus bas. On n’accepte plus que les teckels, à condition qu’ils soient tenus en laisse.
- Que voulez-vous dire, commissaire ?
- Que vous pouvez vous estimer heureux d’être au centre de détention de Burnes-les-Coquettes518 où ont été installés des parloirs privés décloisonnés.
- Vous plaisantez, commissaire… Une porte qui peut s’ouvrir à tout moment, avec une lucarne contre laquelle un maton519 vient régulièrement frotter son œil lubrifié. Sans parler des caméras au plafond. Tout ça aurait tendance à nous exciter mais si jamais on se fait prendre, le surveillant peut nous faire chanter en menaçant de suspendre mon droit de visite.
- Je pense que vous êtes logés à la bonne enseigne ; il faut simplement que vous demandiez un deuxième droit de visite. D’une durée d’une heure et non d’une demi-heure. Vous y avez droit. Choisissez le mercredi ou le dimanche après-midi, quand c’est bien bondé : tenez-vous tranquille la première demi-heure, vous disposerez alors de cinq à dix minutes pour faire votre affaire, le temps que les surveillants accueillent et fouillent les nouveaux arrivants. Et bien sûr, une robe ample et longue… et pas de culotte.
- Merci, j’avais trouvé ça toute seule.
- Vous savez qu’une fois par mois vous avez aussi droit à une permission de douze à soixante-douze heures.
- Nous avons fait la demande.
- Je vais voir si je peux pousser votre dossier et vous obtenir soixante-douze heures.
- Et si nous étions mariés, ça serait peut-être plus facile ?
- Oui, sans doute. Mais pour se marier en prison il faut avoir purgé un tiers de sa peine. Je ne sais pas si ça vaut le coup compte tenu de la réduction.
- Vous savez docteur, j’ai très envie qu’on se marie en prison. Je suis certaine que ça serait bon pour sa réinsertion. Et pour moi, ça signifierait tellement de choses. La rétine de la jeune-fille satura vers les 555 nanomètres. Elle eut comme un éblouissement et reprit, avec des boîtes de conserve dans la voix, pour tout vous dire, je ne suis pas sûr que j’aurai encore envie de me marier quand il sortira.
- D’abord, je ne suis pas médecin, je suis commissaire. Ensuite, il faut faire une demande. C’est à l’appréciation du juge.
- Alors c’est mort !
- Non, pourquoi ? Ma femme et moi connaissons personnellement le président du tribunal qui s’est occupé de votre affaire. Si je lui dis que nous serons témoins à votre mariage, je ne vois pas pourquoi il nous refuserait ce plaisir.
- Vous êtes un chic type commissaire.
- Vous me l’avez déjà dit, vous avez oublié ?
- Je n’oublie jamais rien commissaire, j’ai une mémoire d’éléphant.
- L’amour est un éléphant520 de bohème dans un magasin de porcelaine521.
- Je le répéterai à Julien, ça va lui plaire, caressa-t-elle dans le sens du poil. Et le mariage sera célébré dans la prison ?
- Non, ces cérémonies sont réservées aux lourdes peines. Et puis vous auriez tort de ne pas profiter de la permission de trois jours.
- Pas davantage ? Et le voyage de noce alors ?
- Ça peut aller jusqu’à cinq jours si le mariage a lieu à l’autre bout de la France. Je vous préviens tout de suite, inutile de demander à vous marier au Brésil.
- Je vais essayer de me faire domicilier à Nice, même si je crains que Julien soit encore trop fragile pour une nuit de Noce traditionnelle. Il s’est habitué à ses barreaux. Ils lui tiennent lieu d’atèles et de béquilles, vous comprenez ?
- Voire de broches, acquiesça l’oreille compatissante. Et vous seriez prête à partager avec lui le pamplemousse de la vie conjugale522 ?
- Ne nous confondez pas avec les Américains, commissaire. Au Brésil on est plutôt mangue et papaye.
- C’est charmant. La mangue pour la maman et la papaye pour le papa ?
- On va y aller par étapes.
- Bonne chance.
- Merci commissaire, à bientôt.
- À propos.
- Oui.
- En échange, j’aimerai que vous me rendiez un petit service523.
- Avec plaisir commissaire.
- Pourriez-vous convaincre Julien de m’accorder un entretient de profilage criminel. Ça pourrait m’aider à retrouver votre premier agresseur, celui qui vous a drogué.
- Je suis certaine qu’il va accepter de bon cœur. Ça va le sortir de son train-train. Excusez-moi pour tout à l’heure, je croyais que vous étiez docteur en droit.
- Non, ma femme est docteur en droit. Moi, je suis docteur en faits524.
Le commissaire descend seul dans le midi. Maître Burandeau que des obligations professionnelles retiennent à la capitale, le rejoindra par un vol intérieur, le jour de la cérémonie. Ils remonteront ensemble avec la Mercedes et s’arrêteront peut-être un jour ou deux à Orléans, chez la mère de monsieur.
Il a tout son temps. Une météo excessivement clémente lui permet d’emprunter la route Napoléon. Il ramasse une fille à la sortie de Sisteron. Faisait-elle du stop la commère ? Il n’en est plus si sûr. Toujours est-il qu’il s’est arrêté.
- Vous allez où Mademoiselle ?
- À Digne.
- Dignement ?
- Tout ce qu’il y a de plus digne.
- Montez.
Le mariage est célébré au bord du vieux Nice dans la cathédrale Sainte-Réparate, en présence des témoins Burandeau et des époux Béchamel qui, soit dit en passant, vont faire d’excellentes photos. Les amis d’Amandine sont là également, des artistes plus ou moins en devenir et toute une jeunesse friquée internationale. Les Burandeau ne sont pas à leur aise.
Monsieur Luz a fait le déplacement depuis le Brésil avec une jeune femme que semble bien connaître Amandine.
- Une ancienne amie de collège, si j’ai bien compris.
- Ah bon ?
- Angèle, Angéla, Angeline, Angelina, un truc comme ça.
Nicole et Solange, des proches, ainsi qu’un vieux professeur océanographe sont de la partie. Ils proposent à la famille de passer à la propriété. Amandine ne promet rien.
Les amis de Julien se comptent sur les doigts d’une main de yakusa en fin de carrière. Son seul copain est un pot de yogourt à moitié vide qui n’a pas voulu quitter le bac à légume au fond duquel il moisissait, dans un frigo de Juvisy-sur-Orge. Il avait pensé inviter Mohamed, un collègue, mais il avait effacé son numéro de téléphone. Il a bien des cousins du côté de Toulon, mais sa dernière visite remonte à plus de quinze ans. Dommage, ses oncles, des militaires à la retraite, auraient été ravis d’apprendre qu’il était en permission.
Nice aussi est au rendez-vous avec ses relents d’Italie, sa promenade des Anglais, son Negresco, sa vieille ville, son marché aux fleurs, sa population du troisième âge, ses duchesses archisèches mais fausses, et sa kyrielle d’extravagances maraichères et culinaires : olives, mesclun525, cébettes526, tapenade527, pissaladière528, socca529, tarte aux blettes, beignets de fleurs de courgette, pan bagnat, citrons, kakis530, et les incontournables escargoulettes, ces petits escargots terrestres à coquille poreuse des pays méditerranéens…
Il y a la lumière de novembre et la mer céruléenne sous le ciel bâché d’azur. La côte se balance dans son hamac argenté et les mouettes rieuses jouent à pile ou face dans le casino des airs531. Des quinconces532 de grues à tour se dissolvent533 dans des camaïeux534 lointains, attestant le dynamisme immobilier de la cité mouroir. Sur les collines, des palais jaune citron abandonnés cherchent leur clé, agenouillés dans les agaves. L’odeur de l’urine chante dans les ruelles de la vieille ville où les boutiquiers vendent des souvenirs et de la chair d’oiseau à emporter. Chez les marchands de journaux, il reste encore quelques exemplaires du roman policier de l’été. Avec les jours, le monde apetisse535. Vêtus de chemisettes hors saison, des hommes aux poitrails lanugineux536 gobelotent537 des anis devant des établissements aux enseignes absentes, mi-débits, mi-dépôts, mi-épiceries, mi-domiciles. Parfois, un chapelet de nonnes traverse la réalité en pointillés. Sur la promenade des Anglais, les vieux regardent, avec des réminiscences prostatiques, passer de vieilles otaries538 aux paupières douloureuses qui s’accrochent à leurs chignons539 ferrugineux540, remorquées par des carlins541 soucieux tirant sur leur laisse avec des convictions de lemmings542 suicidaires. Rien ni personne ne semble pouvoir remettre en question les points d’interrogation inscrits sous la semelle des piétons : aucune municipalité n’est parvenue à imposer le port de la couche à la gent canine, la seule à en être encore dispensée sur ce littoral azurescent543 qui attend la fin du monde.
Le matin, on ramasse des mouches mortes sur le sol des chambres d’hôtel. On a soif de boissons pétillantes, on s’exprime en phrases courtes, on a la nostalgie des fresques murales544.
Le soir, le ciel descend comme un grand animal inoffensif, lécher les doigts des basiliques545 en sucre d’orge, et la mer, qui ne s’éloigne jamais trop des villages, lâche ses palombes546 sur nos rêves d’infini.
C’est ainsi qu’Amandine Luz est devenue Amandine Bonneuil.
Ça sonne bien. Moins artiste mais plus gourmand.
À la sortie de l’église, elle serre contre son cœur tout nu, un petit bouquet d’organes reproducteurs d’angiospermes547.
Papa offre à sa fille un diamant qui donne l’heure548.
Le voyage de noce se limite à une courte virée sur la route de la corniche. Le sentiment de liberté qu’on éprouve là-haut, en regardant la mer, est insupportable.
- Je ne sais pas quoi dire, s’émeut Julien.
- Alors ne dit rien, mon amour.
- Comme la corniche, le cornichon donne volontiers son point de vue.
- C’est bientôt fini chaton. Rince-toi549 l’œil et n’en perd pas une miette.
- Si j’ai des miettes de toi dans les yeux je vais me mettre à pleurer.
- Comme c’est touchant, minou. Il fallait un cornichon comme toi pour réveiller une belle endormie comme moi550. Champagne ! Elle avait sorti deux flutes d’un panier pique-nique Champs Elysées en osier et tiré de la glacière une roteuse de premier cru.
Faire l’amour en prison avec un coupable officiel permet à Amandine d’avoir des rapports sexuels éveillée, elle a trouvé plus coupable qu’elle. En éprouve-t-elle autant de plaisir pour autant ? Elle ne saurait le dire, elle ne garde aucun souvenir de ses anciens transports, sinon des rêves mal fréquentés.
Conjointement, son statut de prisonnier qui le dispense de s’engager concrètement a fini de désinhiber Julien. Il se soumet aux rituels impérieux de l’incarcération, bien plus exigeants que ceux qu’on s’invente dans la vie civile. Il vit en marge de la culture, dans une nouvelle famille, sans mère ni père, hors de portée des règles castratrices de son enfance auxquelles il s’est tenu jusqu’à présent. Il s’accommode d’un état de nature artificiel551 dans lequel il ne doit rien à personne et n’a rien à prouver ; un confort inespéré pour un perdant qui ne s’aime pas suffisamment pour supporter qu’on l’aime.
- Que se passera-t-il après, lorsque je sortirai, s’inquiète le prisonnier endimanché ? Comment tout recommencer ? Par quel bout ?
Il est vrai qu’on a un peu trop tendance à oublier le futur552.
- Après, nous trouverons une issue en nous amarrant à un autre mystère ; et tout recommencera comme à l’origine du monde, répond Amandine. Il ne faut pas négliger qu’entre la poule et l’œuf, il y a le cul de la poule. L’origine du monde, Courbet, courber l’échine, boucherie, traçabilité, origine : ai confiance, on retombe toujours sur son cul.
La vérité est l’habit du dimanche du mensonge
Sur la route du retour, le commissaire Burandeau évoque l’affaire.
Bloquée à cent-quarante, la berline approche de Montélimar et de ses deux radars. À égale distance de l’usine d’enrichissement Eurodif de Tricastin dont ils viennent de passer les deux tours de réfrigération, et de la centrale nucléaire EDF de Cruas dont les quatre tours s’élèvent trente kilomètres plus au nord, Montélimar dorlote553 ses Nougats. Dans la région tout va par paires. Burandeau se demande si ces gémellités sont destinées à résister aux défaillances, aux accidents, aux pannes. Gémellité des radars, des tours de la centrale, des nougats et bien sûr des parents. En cas de décès de l’un d’eux, les enfants peuvent espérer survivre à la tragédie. Les Burandeau n’ont pas d’enfant. Ils ont repoussé l’échéance avant de s’apercevoir, au seuil de la quarantaine, que Madame Burandeau était stérile. Ses sœurs ainées ayant généreusement assuré la pérennité du patrimoine génétique de la branche, l’avocate s’était fait une raison en se convainquant qu’une orpheline élevée chez les sœurs aurait fait une mauvaise mère. En ce qui le concerne, l’attention qu’il porte à sa femme fantasque et infantile occupe suffisamment le commissaire. À l’occasion des pots de naissance de ses collègues, il se demande parfois si son corps de vétéran n’abrite pas un esprit contre nature. Opportunément, la surpopulation et le réchauffement climatique alimentent une apodictique554 dans l’air du temps555 qui lui permet de garder la tête haute.
Un éclair balaye le pare-brise.
Le commissaire se fait régulièrement flasher pour avoir une bonne raison de recourir aux services de certains préposés. Un moyen de garder le contact, moins contraignant que les barbecues. Afin de bosser dans de bonnes conditions, dans la police plus qu’ailleurs, il faut se constituer un réseau opérationnel – labo, archives, cabinet ministériel, technicien de surface, etc. En étant redevable, on s’assure d’être sollicité en retour, ce qui permet d’entretenir le cercle vertueux des petits services entre gens de la maison et, le moment venu, de tordre le bras aux procédures pour gagner un temps précieux.
- Une sacrée histoire tout de même !
- Tu veux dire, l’affaire du viol de la rue de Médicis ?
- Oui, tu sais, je t’avais raconté comment j’avais grugé Bonneuil en lui faisant le coup de la séropositivité.
- Oui, bien sûr, je suis au courant de toute cette affaire.
- Ah oui ?
- Tu sais bien que je suis très copine avec la femme de Fargeot.
- Alors comme ça Fargeot raconte toutes ses affaires à sa femme ?
- Oui, et à toi, il raconte les affaires de sa femme.
- Il ne sait pas tout.
- On en sait toujours trop.
- Comment ça ?
- Trop de certitude tue la certitude, il faut laisser un peu d’espace à l’intuition… tu sais, cette qualité qui dispense les femmes de réfléchir.
- Je me demandais simplement ce que tu avais pensé de ce mariage.
- La réception était parfaite, il n’y avait pas trop de monde, la séance photo dans le parc du château, l’atmosphère troisième âge de la ville, cette culture de l’attente, cette lumière de bout du monde… Un rêve éveillé !
- Une drôle de fin pour une drôle d’histoire, non ?
- En fait, c’est bien ce que je pensais, le mariage tu t’en fou. En attendant, c’est toujours quand l’affaire est terminée que tu demandes mon avis.
- Minute papillon, tu m’as bien cassé quand je t’ai exposé mes méthodes de sale flic. Et puis l’affaire n’est pas terminée. En plus, tu y es un peu mêlée maintenant, en tant que témoin des mariés. Et un témoin556 doit toujours être entendu.
- Pour la petite histoire, c’est moi qui ai conseillé à Julien de ne pas prendre d’avocat.
- Carrément ? Tu le connais alors ?
- On m’a recommandée. J’ai refusé pour éviter le conflit d’intérêt. De toute façon, il fallait que Julien aille au bout de son délire. Un avocat aurait tout gâché.
- Tu es psychologue maintenant ?
- Tu veux vraiment que je te dise le fond de ma pensée ? Au mariage, Amandine n’a pas manqué une occasion de mettre Julien mal à l’aise. Mon chéri est en détention par-ci, mon mari fait de la prison par-là. Vous savez, depuis qu’il est sous les verrous, il s’intéresse à la peinture, il est très doué ; la prison est l’endroit idéal pour écrire de la poésie… On croit rêver ! Que son amant violeur soit sous les verrous excite Amandine. Et la justice l’a aidée à faire de son amant un violeur patenté557.
- Il l’a un peu cherché.
- Amandine se sent coupable quand elle jouit – ne me demande pas pourquoi, ni comment je le sais. Elle ne peut donc jouir que si elle ne s’en rend pas compte – ne me demande pas si c’est possible – ou qu’avec un partenaire plus coupable qu’elle. Tu connais le proverbe : on a toujours besoin d’un plus coupable que soit.
- J’ai une certification en parémiologie558 mais mon expertise a ses limites. En tous cas, si c’est avéré, on ne risque pas d’être au chômage, ma poulette !
- Réalises-tu à quel point son mariage avec un prisonnier l’a enthousiasmée ? Je n’ai jamais été témoin d’une ferveur aussi intense. On aurait cru Jeanne d’Arc sur le bûcher. Le paradis carcéral est pavé de mauvaises intentions559.
- Je te trouve bien romanesque. Des pavés dans une cours de prison, ce n’est pas très indiqué. Tu penses qu’elle est vraiment amnésique, Amandine ?
- Je n’y crois pas une seconde. Elle a peut-être eu un problème un jour, une bonne cuite ou une drogue moins douce que prévu… Ça lui a donné des idées pour manipuler ses parents, leur faire comprendre qu’ils ne se souvenaient pas assez souvent qu’ils avaient une fille. Est-ce que je sais moi, elle sort à peine de l’adolescence cette gamine !
- Vingt-sept ans, elle n’a pas connu sa mère. Dis-moi, elle était bien droguée au flunitrazépam ce soir-là.
- Oui mais on ne sait pas qui en a profité… à part Julien qui n’avait rien combiné.
- Le pauvre ! Mais alors ?
- Alors c’est elle qui a baissé sa petite culotte tout en continuant à feindre l’inconscience.
- Tu ferais ça toi ?
- J’ai fait bien pire.
- Sans blague ?
- Rappelle-toi, la soirée du nouvel an chez le commissaire divisionnaire560.
- La fois où on était tous bourrés ?
- Précisément. Je ne connaissais personne à l’époque et je me faisais bien chier. Il n’y avait plus grand monde à table. Alors je me suis mise à boire, moi aussi. Au bout de quelques verres j’étais complètement pompette. Tu sais qu’il ne m’en faut pas beaucoup et que j’ai le vin mutin561. Je ne me rappelle même plus ce que j’ai bu… Du champagne à tous les coups. Tu étais assis entre Fargeo et le divisionnaire. Vous étiez tous les trois morts de rire de l’autre côté de la table. Je ne comprenais rien à ce que vous disiez et ça m’énervait de ne pas pouvoir partager votre hilarité. Toi tu t’en foutais, tu me regardais sans me voir en éclatant de rire à chaque fois qu’un de tes deux collègues ouvrait la bouche. Ton visage rubicond562 déformé par le rire, me faisait penser à un gros pénis jovial.
- Ça peut être jovial un pénis ?
- C’est le nom d’un chef indien dont j’aime plaider la cause. C’est mon côté justice du monde. En tous cas, c’est l’impression que tu m’as donnée. Opportunément, je me suis dit que le moment d’un petit calumet était venu.
- T’as pas fait ça ?
- C’était ça ou plonger dans la piscine tout habillée. Mais attends le plus drôle… Je m’excuse auprès d’une dame encore plus bourrée que moi, je descends doucement sous la table en prenant garde de ne pas exploser mon petit tailleur, je soulève la nappe, j’ouvre la braguette de Monsieur avec précaution et je déballe la marchandise qui était aussi cramoisie et agitée que les poires hilares de l’étage au-dessus. Derrière la nape imbibée de champagne, je continuais à entendre vos rires, comme le bourdonnement des hors-bords, quand on nage la tête sous l’eau. Opopoppe, la guibole se met au garde à vous et je commence à pomper.
- Franchement je ne me souviens pas.
- Slurp ! Slurp ! me voilà sur la plage arrière à faire le petit chien sur quelques centaines de mètres. Le membre en embuscade me décharge brusquement sa purée dans la bouche et j’entends un verre se briser comme un éclat de rire563. Et là, maousse malaise… Je me remémore à toute vitesse le menu du nouvel an, interroge plusieurs fois mes gencives amochées, mais rien à faire, je ne reconnais pas le goût du sperme de mon mari ! Je regarde vos pompes. Vous aviez tous les mêmes pompes. Et je n’avais pas pris la paire du milieu.
- Et tu m’annonce ça alors qu’on roule à 140 sur l’autoroute ?
- Attend que je termine. À force de vous gondoler vous aviez tiré sur la nappe. On ne voyait pas à dix centimètres. Consciencieusement, je remets tout en place et je change de crémerie. Rebelote ! Là, plus d’erreur possible. Tout s’est finalement terminé comme ça aurait dû commencer. Quand je suis remonté, vous étiez devenus beaucoup plus sympas avec moi et vous faisiez des efforts pour me communiquer vos joies de vivre. Tu ne te souviens de rien ?
- Vaguement. Tu ne t’es pas occupé du troisième ?
- J’avais trop forcé sur les choux à la crème…
- Tu aurais pu constater qu’il en avait une deux fois plus grosse que les autres.
- Ah bon ?
- Fargeo est décontracté du neurone mais il a le plus gros lance-gamètes de tout le commissariat.
- Ce qui veut dire que je me suis tapé le divisionnaire ?
- CQFD564. Je comprends mieux pourquoi il m’a eu rapidement à la bonne et pourquoi mon bureau a été refait à neuf… et pourquoi j’ai été promu l’année suivante. Bon, ça a le mérite de remettre les pendules à l’heure. Ça force l’humilité.
- Lui au moins il s’en est souvenu. Je te sens chagrin Burandeau. Allez ! On n’est pas en Amérique ! Et puis il y a une bonne nouvelle, tu as la même que ton chef !
- La vie est belle au masculin565. Admet tout de même que tu ne te touches pas avec le dos de la cuillère566 !
- Fallait pas me laisser, tu sais que je suis fragile, que je fais que des bêtises567. C’est dans ces moments-là que j’ai besoins de ton soutient sans faille, mon canard.
- Admet tout de même que c’est difficile à avaler568.
- N’en rajoutez pas, Burandeau.
- Et tu n’as pas le moindre remord ?
- Vous êtes chiant, Burandeau ! Et le droit à l’erreur ? Demeurez, je vous prie, dans un juste courroux569 sans aller me chercher dans la tête, des poux.
- Alexandrie, Alexandrins570 !
- Les papillons de ma jeunesse571 ont fait naufrage.
- Excuse mon emportement. Sans doute un excès de tendresse. Et donc, tu étais au courant pour la petite culotte ?
- La petite culotte ?
- Amandine… Le viol… La petite culotte baissée.
- Figure-toi que durant une semaine, tu n’as eu que ce mot à la bouche pendant ton sommeil : « culotte, culotte, culotte ». J’ai donc mené ma petite enquête ! J’ai ma fierté, non d’une pipe.
- Soit… Et le flunitrazépam, qu’est-ce que t’en fais ? xxx
- Le flunitrazépam a une demi-vie d’élimination de dix-huit à vingt-six heures. Or, Julien a vue Amandine rentrer chez elle vendredi soir dans un état normal. Si elle a été droguée vendredi soir, mettons vers vingt-deux heure, elle a été séquestrée vingt-quatre heures avant d’être relâchée et de se retrouver chez Jojo toujours inconsciente. Il aurait donc fallu qu’on lui donnât une deuxième dose pour qu’elle soit HS572 une fois rentrée chez elle. Pourtant, le dimanche matin, Amandine faisait sa déposition sans difficultés. Elle n’a donc reçu qu’une seule dose. Pas de quoi tuer un cheval.
- Donc, selon toi, Amandine était consciente lorsque son mari l’a violée ?
- Non seulement elle était consciente mais ça ne l’a pas empêchée de dormir.
- Une soirée tranquille.
- Je ne sais pas, elle a peut-être pris une microdose de psychotrope avant l’arrivée de la police. Elle a peut-être tout simplement le sommeil lourd. Voire complice.
- C’est un peu gros, tu ne trouves pas ?
- Et si l’histoire est bonne, j’ajouterais que le premier homme devrait être sur les photos du mariage.
- Le premier violeur tu veux dire.
- Qui a dit que c’était un violeur ? Pas Amandine en tous cas. La maréchaussée s’est un peu emballée. Il ne faut pas écarter la possibilité qu’Amandine ait utilisé le psychotrope comme aphrodisiaque – c’est aussi une de ses vertus je te rappelle. Si c’est le cas il n’y a pas de coupable, car vu l’état dans lequel elle s’est mise, si elle est consentante pour le premier alors elle est consentante pour les suivants. Y compris Julien qu’on peut considérer comme un after573.
- Ton innocent a été accusé et il a avoué. Mais toi, qu’est-ce que tu prends pour être aussi créatrice ?
- Mon chéri, quand on est avocat il faut avoir plusieurs cordes entre les fesses574 et mettre le nez partout pour toujours avoir un coup d’avance sur la police. Ce qui entre nous n’est pas très compliqué car elle ne fait jamais son boulot correctement. On a l’impression qu’elle est subventionnée par le SAF575 pour créer des vices de forme.
- L’Etat n’a pas les moyens de se payer des cadors576 comme toi. Tu sais ce qu’on dit : un flic de plus, un délinquant de moins.
- Je ne me serais pas permise. Quoiqu’il en soit, tout est bien qui finit bien : la princesse a trouvé un prince, le petit Julien a trouvé un centre aéré, la police a trouvé un coupable et mon commissaire a trouvé un petit boulot d’appoint de cuisinier à domicile très tendance.
- C’est le monde à l’envers. Pour une fois que la justice prend la défense d’une femme violée, et condamne le violeur, il faut qu’une femme, avocate de surcroit, la traite de simulatrice.
- Exactement, je traite la justice de simulatrice.
- Facile ! Tu as conseillé à Julien de ne pas prendre d’avocat mais tu le défends bec et ongles. Il n’est pas seulement innocent, tout de même ?
- Pour le défendre il aurait fallu que je mette en pièce son idylle577. Tout le monde a flashé578 sur la petite Amandine. Les photos du délit ont beaucoup circulé, tout le palais de justice est au courant. Des artistes, Nanar et Lulu, les frères Cohen de l’art contemporain ! Tant et si bien que vous avez confondu la peau lisse de la sirène avec la sirène de la police. Quant à Monsieur Bonneuil, son histoire est celle de tous ces branleurs anonymes détraqués.
- Tu veux parler des hommes je suppose ?
- Castré par maman, Monsieur Bonneuil ne peut bander qu’avec une pute qu’il paye très cher pour qu’elle l’oublie. Là encore, vous vous êtes fait avoir, car le prix qu’il paye pour qu’on l’oublie, n’est rien d’autre que son séjour au centre de détention de Burnes-les-Coquettes, aux frais de la princesse, autant dire du contribuable. Vous auriez sérieusement besoin d’un commissaire aux comptes, Monsieur l’commissaire. Il faut arrêter de prendre les contribuables pour des princesses !
- Au bout du compte, un an de rééducation ne sera pas un luxe. Ce garçon pourrait prendre de mauvaises habitudes et en fin de compte couter très cher à la société. En attendant, il ne peut plus ignorer qu’elle se souvient de lui parce que je te prie de croire qu’elle le bichonne son queutard579. L’inverse aurait sans doute été moins vrai ; je veux dire si elle s’était retrouvée à sa place derrière les barreaux.
- D’un côté comme de l’autre on est toujours derrière les barreaux. Toute chose étant absurde par ailleurs580, leur vérité est un café gourmand d’impostures.
- Sans mensonge, pas de vérité. Il est beaucoup plus difficile de mentir que de dire la vérité. Je crois même que la vérité est une solution de facilité. Au moins, ils ont du cran ces petits jeunes ; je pense sincèrement qu’ils vont s’en sortir.
- Bien sûr qu’ils vont s’en sortir. Le mensonge, c’est ce qui reste quand on s’aperçoit que la vérité n’existe pas. Tout est construit sur le mensonge. De toute façon, il n’y a pas de mariage heureux, il n’y a que d’heureux mariages, et ces deux-là, on peut dire qu’ils se sont trouvés.
- Quoi qu’il en soit, le mensonge reste une affaire sérieuse. Dans nos métiers, c’est le seul moyen d’approcher la vérité. Le mensonge devrait être enseigné dès la maternelle.
- À propos de maternelle, il y a quelque chose qui me reste en travers du décolleté.
- Je croyais que tu avais fait le tour de la question ! Il faut toujours que tu ais le mot de la fin !
- C’est la peur de mourir. Comme disait mon professeur d’éloquence, le mot de la fin est une emphase581 terminale582. Mais, revenons à Bernard et Lucien.
- Nanar et Lulu ?
- Précisément. C’est trop facile de les appeler par leurs diminutifs. Je sais bien que l’homme est un enfant qui a cessé de grandir, mais ils ne sont plus au cours préparatoire, ils sont un peu responsables de leurs actes, tu ne crois pas ? Bah non ! Pour un peu on les aurait invités au mariage.
- Ils ont dû arrêter de grandir trop tôt, on ne les refera pas. C’est Jules Renard – ou Harakiri, je ne sais plus – qui a dit : « les enfants sont méchants et les adultes sont bêtes. Les adultes qui ont su garder leur âme d’enfant sont bêtes et méchants » ?
- Excuse-moi, ils ont bien avoué avoir laissé Amandine dans une position obscène, le cul en l’air et la culotte au fond de la raie ?
- Exact.
- Si ce n’est pas du viol ça ? Ils n’ont pas été inquiétés par la justice pour autant, que je sache ?
- C’est tout le problème des indics.
- Indics de mes deux oui, par ici la bonne soupe, merci madame ! Ils ont bon dos les indics. Ils n’ont rien indiqué d’autre que le cul d’Amandine à Monsieur Bonneuil – qui soi dit en passant vous a bien arrangé le coup dans cette affaire.
- Ils ont été oubliés pour avoir collaboré avec la justice en disant toute la vérité. Que veux-tu, la justice est injuste583. Et heureusement qu’il y a une injustice584, sinon il y aurait beaucoup de gens en difficulté. Je ne vais pas apprendre ça à un membre du barreau.
- À part la victime, tout le monde a dit sa vérité à ce procès. Nanar et Lulu ne sont ni des ours en pluches, ni des partisans de L’art pour l’art. Et si Julien Bonneuil n’était pas intervenu à sa façon, ça t’aurait coûté bonbon en analyse ADN, pisse dans un violon l’épouse ulcérée !
- Et on n’aurait rien trouvé. Tu vois toujours le verre à moitié vide. Ils auraient surtout dû tirer la porte derrière eux. Le manque d’éducation. C’est la faute à Rousseau tout ça, philosophe le cuistre.
- Si je vois le verre à moitié vide c’est parce que je vois les hommes à moitié pleins585.
- Tu sais ma foufoune, nous ne pouvons juger que des faits. Nous ne pouvons pas faire le procès de toute la société sans rapidement nous transformer en bourreaux tyranniques. Je n’ai pas fait Science Po mais il y a dans la justice un côté rituel et symbolique qui ne t’a pas échappé. Nonobstant586, je comprends ton point de vue. Dès notre première rencontre j’ai décelé en toi cette nature à vif que je devais protéger. Et pour accomplir ma mission, je t’ai épousée.
Madame Burandeau fait les sommations d’usage avant de procéder à la palpation réglementaire.
- Ça te fait bander mon cochon quand je sors mes logogriphes587, hein ?
- Au fait, qu’est-ce que tu leur as offert comme cadeau de mariage ?
- Des culottes fendues. Je les ai trouvées sur le site de la Redoute.
- Sans blague ?
- Je ne savais pas que ça coutait si cher !
- Tu déconnes ! Et moi qui marche !
- À propos de culottes fendues, tu savais que les Béchamel sont des érotomanes588 qui organisent des partouzes entre vieux ?
- Vaguement. Je reçois un carton d’invitation tous les quinze du mois.
- Et avec un nom pareil, vous n’avez pas eu la curiosité de comparer l’ADN du père Béchamel à celui du premier sperme ? Seule la police pouvait passer à côté d’une telle évidence !
- Tu as toujours été fâchée avec la cuisine. Perso je trouve que les Béchamel ont plutôt des têtes de satanistes.
- C’est vrai, je les vois bien organiser des sabbats589 dans le jardin du Luxembourg.
- Tu sais que, la nuit, on y lâche les chiens ? Le jardin du Luxembourg est classé zone militaire.
- Ça, c’était pendant la guerre. Regarde devant toi quand tu conduits ! Tu viens de louper la sortie Orléans sud ; il va falloir se taper la rocade.
La réalité prend le pas sur la fiction
Le conte de fée pourrait s’arrêter là mais la recherche du premier violeur présumé, celui censé avoir administré le sédatif à Amandine, piétine depuis plus de trois mois.
Pendent la fête du mariage, le commissaire Burandeau a eu l’occasion de s’entretenir avec Angelina qui a profité de l’occasion pour répéter au commissaire ce qu’elle a déjà confié à son amie. Elle est persuadée que Julien n’a pas le profil d’un violeur. Elle a le sentiment qu’il ne s’est avoué coupable que pour plaire à Amandine. Il a voulu se mettre à l’abri d’une réalité avec laquelle il est en difficulté, voire se mettre à l’abri d’Amandine elle-même. Avec ce mariage, il a un peu raté son coup. Non qu’elle mette en question la sincérité des sentiments des deux époux, mais Angelina connaît son Amandine sur le bout des doigts. Elle pense que la police n’a pas fait les vérifications qui s’imposaient et a choisi la facilité en condamnant un type qui prenait ses aveux pour la réalité.
Quoique décelant une pointe de jalousie dans les propos d’Angelina, le commissaire n’a pas été insensible aux opinions de la Brésilienne. Il a moins apprécié le sourire goguenard que lui a adressé Monsieur Luz dont les gardes du corps lui ont permis de prendre la mesure de sa stature internationale.
Le doute qu’avait semé la conversation qu’il avait eu avec sa femme, sur l’autoroute du retour, a fait son chemin dans le cerveau du fonctionnaire.
Le commissaire Burandeau a fait part de ces considérations à son divisionnaire qui lui a semblé singulièrement réceptif.
La présence de la presse et la notoriété de monsieur Luz, n’ont probablement pas été étrangères au fait que les cordons des bourses des services de l’investigation se soient brusquement déliés. Le commissaire divisionnaire a proposé de passer à la vitesse supérieure en commençant par, d’une part, faire l’analyse ADN de chacun des spermes et, d’autre part, comparer chacun des spermes avec l’ADN de la victime.
- Un jour ou deux devraient suffire. Ensuite, nous verrons avec les Chiffres, qu’elles analyses seront les plus judicieuses.
Décidément, le divisionnaire était devenu accro à l’acide désoxyribonucléique ! Il était possible que de simples remarques se fussent transformées en consignes au fil d’un ruissellement, dans les strates hiérarchiques de quelque ministère.
- Et puis il faut vous désintéresser de Bonneuil, Burandeau. Mettez le nez là où l’affaire a commencé, le Bar à Jo. Ce n’est peut-être pas un hasard si la victime a été déposée à cet endroit.
- Vous avez raison patron, je vais reprendre l’enquête à zéro et cuisiner Jojo. Je vais aussi exploiter les photos du mariage. Il y a fort à parier que le coupable soit dessus. Les mariages servent à fabriquer des coupables, non, improvise le commissaire Burandeau ?
- Pas trop de rocambolage590 tout de même. Quand vous parlez du coupable, vous parlez bien du premier violeur, celui qui a administré le psychotrope ?
- Oui, patron.
- Va bene.
Le commissaire ne juge pas opportun de signaler au divisionnaire qu’il a rendez-vous avec Julien Bonneuil, pas plus tard que le lendemain, pour une séance de profilage dans la pure tradition des humanités591. Il faut savoir ménager son chef.
Ombres chinoises dans la caverne de Platon
Le commissaire se présente à la prison. Il est très bien reçu. L’objectif officiel est de rassembler des éléments circonstanciés592 pour retrouver le coupable du premier viol. On lui fait comprendre que sa démarche n’est pas très orthodoxe593. On a fermé les yeux car Monsieur Bonneuil est un élément exemplaire qui fait beaucoup pour la paix de l’établissement.
Burandeau a pour véritable objectif de remonter à l’origine du mal en passant l’âme de Julien au chinois594. Il se garde bien de présenter les choses sous cet angle par crainte de voir une armada595 de psychologistes596 s’emparer du dossier et lui mettre dans les roues les bâtons merdeux du protocole597.
Rapidité, surprise, efficacité… La taquetique du gendarme.
Julien est ravi de revoir le commissaire. Il s’ennuie ferme, bien que son compagnon de cellule soit un gentil garçon qu’il initie à temps perdu aux théories de la téléphonie, en échange de rudiments de serrurerie.
Le commissaire lui explique sans détour le but de sa visite : essayer de cerner le profil psychologique du premier violeur d’Amandine, toutes choses – en l’occurrence, Amandine – étant égales par ailleurs. Autant dire que le commissaire ne sait pas trop ce qu’il cherche. Il est dans une galère sans rames à laquelle il manque le mat598. Julien en revanche paraît confiant et son enthousiasme est entier.
- Qu’est-ce qui a rendu Amandine irrésistible à vos yeux quand vous l’avez découverte sur le canapé, attaque le commissaire ?
- Figurez-vous que je me suis déjà posé cette question. Je répondrais, l’étrangeté de son rapport à la lumière.
- C’est à dire ?
- Vous allez comprendre, mais commençons par le commencement. J’étais venu pour la secourir et, curieusement, en la découvrant dans cette position, j’ai pensé qu’elle était en train d’accoucher.
- Elle n’était pas dans le bon sens.
- Précisément, j’ai interprété cela comme l’expression d’un désir d’accouchement refoulé. Et comme il n’y a pas d’accouchement sans fécondation…
- En quoi cela était-il étrange ?
- Je ne suis pas obstétricien599 et je suis si peu secouriste, pourtant je me trouvais là. En tant qu’étranger, je n’avais aucun intérêt dans cette histoire, pourtant je devais agir, je me sentais investi d’un devoir.
- Et en quoi cette étrangeté vous a-t-elle incité à entrer dans la vie de cette étrangère ?
- Mon devoir était d’agir, or j’étais désemparé. J’attendais précisément que quelque chose s’empare de moi, j’attendais un signe.
- On a le sentiment que c’est elle qui venait à votre secours.
- Indéniablement.
- Alors ce signe ?
- Ça faisait plusieurs années que je n’avais pas connu une érection aussi convaincante, de celles qui vous réduisent les couilles à de modestes boursoufflure. Une liaison s’était établie entre le monde et mon sexe, j’étais connecté. Mon sexe avait pris le pouvoir. Mon corps n’était plus qu’un hectocotyle600 errant sous l’œil de son père dans la cavité palléale601 de cet appartement fabuleux, une marionnette sans volonté accrochée à mon pénis qui n’allait pas tarder à se détacher à son tour, abandonnant l’Argo602 pour accéder à la Toison d’or603.
- Votre étrangeté a un air de déjà-vu. L’antiquité vous hante. Et la lumière dans tout ça ?
- À mon sens, la lumière a déclenché cette érection.
- Ah oui ?
- La pièce était nimbée d’une lumière particulière, une lumière grise604. Et la peau d’Amandine transcendait cette clarté venue des étoiles. Sous cette lumière étrange, son cul avait acquis une transparence phosphorescente, il était comme sanctuarisé derrière une vitre blindée, pétrifié dans un bloc de résine ; ce qui renforçait le sentiment d’altérité numismatique605, de distance morbide, d’étrangeté croupissante. En sorte, la lumière et l’étrangeté se conjuguaient dans cette notion de transparence. D’une certaine façon, le cul d’Amandine était inaccessible, incorruptible quoi que je fisse. Paradoxalement, c’était rassurant, ça ouvrait le champ des possibles. Et comme je me devais d’intervenir…
- Donc, selon vous, cette notion de transparence peut me guider vers le coupable ?
- En vous attendant, j’ai essayé d’approfondir cette notion occulte606 de transparence607 qui par nature se dérobe. La transparence, à la fois révèle et fait disparaître. N’en déplaise à Gorbatchev et sa glasnost, ce sont les Chinois qui ont inventé la transparence. Comme toutes les inventions majeures, dit-on.
- Vous pensez que c’est un coup des Chinois ?
- Peut-être pas un Chinois ; plutôt quelqu’un qui attendrait le réveil de quelque chose.
- Le jour où l’Amérique s’endormira608 ?
- À l’époque où elle développe l’idée de transparence, la Chine est en possession de tous ses moyens. Ça a commencé par le ver à soie, cette chenille qui bave des fils de gélatine vernissée dont on fabrique un tissu propre à habiller les nymphes609 et éveiller les sens.
- Elle a un cul photogénique, tout simplement.
- Mieux que ça : son cul est une bombe à rayons X. La glasnost a fait imploser l’URSS, les verroteries ont réduit l’Afrique en esclavage et la soie fut responsable de la décadence romaine.
- L’empire romain ne tenait donc qu’à un fil610 ?
- À l’époque, face à la demande, la valeur de la soie augmentait ; et pour en multiplier le volume commercialisable, elle était détissée par les multiples intermédiaires, jusqu’à devenir transparente.
- Comme on coupe de la drogue.
- Déjà, au premier siècle de notre ère, Sénèque le Jeune vitupérait611 la décadence de ses contemporains qui appauvrissaient l’économie romaine en se ruinant en parures, et laissaient transparaître la nudité de leurs femmes en les vêtant de soie, pontifie612 Bonneuil.
- Ce qui devait avoir un effet considérable sur les mœurs, risqua le commissaire en chassant de son esprit les tailleurs à carreaux de sa femme.
- La transparence révèle l’objet désirable tout en établissant une distance. En somme, la transparence désigne l’objet comme désirable dans toute son évidence mais inaccessible dans son évanescence613, elle l’icônise. Le cul d’Amandine a cette propriété de prendre la lumière de telle sorte que celle-ci le révèle tout en le protégeant. Or, un objet qui s’offre dans des atours protecteurs s’offre sans arrière-pensées, sans peur ; ça le rend irrésistible. C’est un cercle vicieux.
- Mais, de même que l’Empire romain a chu, vous vous êtes retrouvé au trou.
- En quelque sorte, mais de même que le christianisme s’est glissé dans le lit encore chaud de l’Empire, l’amour s’est glissé dans mon cœur effondré.
- Que pouvons-nous en déduire sur l’auteur du délit, s’efforce de ramener dans les clous l’historien au propos coruscant614, le commissaire ?
- Peut-être que cet homme aime la lumière et cultive une certaine distance avec le monde.
- Une distance très relative.
- Une distance qu’il a du mal à franchir.
- Nous ne sommes pas très avancés. Nous savons que tous les violeurs ont des difficultés à tenir la distance.
- Oui mais nous savons aussi qu’ils vivent au quotidien avec cette obsession qui aurait dû rester celle des escrimeurs… Et il y a autre chose – nous parlerons du sabre un autre jour –, les Chinois ne se sont pas contentés de la soie.
- Ah non ?
- Prévoyant et soucieux de combattre les manifestations ostentatoires615 de richesse, Mahomet avait interdit à la jetset de manger dans de la vaisselle d’or ou d’argent. Pour marquer leur rang, les riches musulmans ont alors importé en abondance de la porcelaine, cette céramique extrêmement fine inventée en Chine, presque transparente, qui emprisonne dans les secrets de sa masse étrangement close, des reflets prétentieux et fragiles616.
- Je ne vois pas le rapport.
- Je veux démontrer qu’il y a de la profanation dans cette entreprise. Ce qui a encore à voir avec la transparence.
- Là encore vous enfoncez une porte ouverte.
- Précisément, cette porte n’est pas ouverte, elle est transparente. Et quand on en prend conscience, il est trop tard, le choc est terrible. Il faut se méfier de la transparence, son dessin est obscur617 ; malheur à celui qui aperçoit la vérité dévoilée, il pourrait, tel Œdipe, se crever les yeux faute de pouvoir la supporter !
- Certes, mais de quelle profanation obscure la transparence618 de la porcelaine s’est-elle rendue coupable ?
- Les musulmans ne consommaient pas de porc mais appréciaient de manger dans de la vaisselle en porcelaine. Trouvez l’erreur !
- Ne me dites pas que vous êtes en train de faire un vilain jeu de mot ?
- Ma casquette d’historien ne me permet pas de tels enfantillages, commissaire. Sachez que les mots ne se trompent jamais. Dans Le livre de Marco Polo à la fin du XIIIe siècle, « porcelaine » désigne d’une part un « mollusque logé dans un coquillage univalve » et d’autre part son chatoiement luxueux « céramique fine et dure ». Les Italiens croyaient que les porcelaines étaient fabriquées par les Chinois à partir de la matière de ce coquillage qui en a le même aspect brillant et poli. Ce coquillage avait servi de monnaie d’échange en Chine, jusqu’à l’apparition des premières pièces en bronze, sous les Chang – de nombreux caractères chinois en rapport avec l’argent ou la valeur contiennent le caractère qui représente ce coquillage.
- Un luxe chasse l’autre. Il n’y a pas de quoi en faire un plat619.
- Vous êtes aveugle commissaire. L’affaire est sensible. C’est sans doute parce qu’il était grand amateur de vulve de truie que Marco Polo a baptisé porcella ce coquillage dont la ressemblance avec la vulve du mammifère est indéniable, mais de là à baptiser du même nom la céramique sous prétexte que certains pensaient que celle-ci était fabriquée à partir du coquillage… Discrédit du savoir-faire chinois pour se venger d’avoir perdu à Trébizonde une grande partie de sa fortune ? Provocation d’une imagination exacerbée par les frustrations causées par la détention dans les prisons génoises ? Acte politique face à la naissance de l’entreprise ottomane ? Blasphème pour se faire bien voir du Pontifex Maximus620 censé intervenir pour mettre fin à la guerre qui opposait Gêne à Venise ? Ou simple transcription d’une ironie populaire qui était dans l’air du siècle ?
- Tout cela est un peu tiré par les poils du cul, s’horripile le commissaire.
- Au contraire, c’est limpide comme de l’urine de nymphe… et ce n’est pas fini. Le nom scientifique de ce coquillage, Cypraea, tiré de Cypris, surnom d’Aphrodite-Vénus – celle qui a l’éclat de l’écume –, est de la même famille que la cyprine, ce liquide translucide à l’aspect légèrement laiteux, signe physique du désir sexuel féminin. La cyprine est aussi le nom d’un minéral jaunâtre, également dénommé vésuvianite en raison de sa provenance la plus célèbre, le Vésuve, toponyme issu de l’indo-européen veis- « couler, poison » qui donne également viscus « gui, glu ». On sait le goût de souffre attaché à l’imagerie du sexe féminin et la propension de celui-ci à se répendre.
- Ces coïncidences ne sont le fait ni des Chinois, ni des arabes, ni des Perses, mais des latins. Et puis toutes ces appellations sont ultérieures à l’époque glorieuse de la porcelaine, à laquelle vous faites référence.
- Le latin est à cette époque la langue internationale, comme l’anglais de nos jours. Les mots nouveaux cristallisent des évidences diffuses621 ou prodigieuses, véhiculées de longue date par des métaphores ou des comparaisons, avant de s’incruster dans le langage. Regardons à ce propos ce qui se passe du côté de la Chine : le kaolin, cette argile réfractaire dont on fabrique la porcelaine… D’où vient-il, selon vous ?
- De Chine, je suppose.
- L’origine du mot, l’étymologie ?
- Vulve de koala probablement, regarde sa montre le commissaire.
- Du chinois « terre de la haute colline », triomphe l’exégète622. Je vous pose la question, faut-il y voir une allusion au mont de Vénus ?
- Vous êtes surtout un grand malade. Il ne manque plus que le petit bouquet d’églantines623 ! Jo Dassin étant mort en 1980, pensez-vous que c’est Jojo qui a fait le coup ?
- Jojo ?
- Le patron du bar à Jo.
- En tout cas maintenant, on comprend mieux pourquoi vous étiez comme « un éléphant dans un magasin de porcelaine » quand vous êtes entré dans un bordel pour la première fois !
- Plus sérieusement, vous pensez que notre coupable pourrait avoir le profil de Marco polo, en l’occurrence un amateur de vulves de truie ?
- Ce n’est pas sympa pour Amandine. Non, il faut faire la part des choses. Marco polo portait un intérêt aux vulves de truie uniquement parce que ce plat traditionnel était très prisé depuis l’Antiquité. Le décret d’Ulpien impose, au début du IIIe siècle, la vulve de truie primipare624, comme le conseillait déjà Pline l’Ancien au premier siècle. Les vulves de truie étaient accommodées de multiples façons, notamment cuites à l’eau puis farcies avec de la chair de porc haché, poivre, cumin, blanc de poireau, rue625, garum – une sorte de nuoc mâm – et pignons de pin. Je vous noterai la recette. La truie a d’ailleurs à voir avec la farce. Qu’elle soit cuisinée ou en gestation, la truie est souvent farcie : porcus troianus, « porc de Troie » – d’où la truie –, désigne, en bas latin, un porc farci de menu gibier, par allusion au cheval de Troie farci de soldats, la recette du père Ulysse. Au passage je vous rappelle que Troie symbolise la conquête de la femme idéale, Hélène, promise à Pâris par Aphrodite en personne. En définitive, on se fout autant de Marco que de Polo ! Il faut comprendre qu’en voulant respecter une règle, que ce soit de ne pas manger de porc dans de la vaisselle en or ou de prendre le large pour ne pas tuer son père626, on tombe de Charybde en Scylla et on se retrouve en train de manger du couscous dans de la vaisselle en porcelaine, ou de niquer sa mère devant le personnel627.
- Et donc ?
- Et donc la transparence conduit à l’aveuglement et à la profanation.
- Et notre coupable ?
- Il pourrait bien avoir un lien de parenté avec la victime, où tout au moins être un de ses proches.
- On n’est pas plus avancés, on sait bien que plus de quatre-vingts dix pour cent des viols sont commis par un proche de la victime et que la moitié de ces viols au moins sont incestueux.
- Oui, bah au moins, on l’aura démontré scientifiquement.
- J’apprécie votre rigueur.
- Le commissaire ébauche un remuement annonciateur d’un départ imminent.
- J’ai peut-être encore une idée, temporise le prisonnier.
- Allez, souffle le commissaire en se passant la main dans les cheveux !
- Après la soie et la porcelaine, les Chinois ont trouvé autre chose pour rester à la pointe de la transparence et continuer à régner sur le commerce international.
- La fibre optique ?
- Non, le thé !
- Le thé ?
- Oui, ce breuvage international insipide et transparent parfumé d’hypocrisie et d’aromates.
- Personnellement, je préfère le café.
- Certaines nations préparent un café plus transparent qu’un thé chinois.
- L’expresso, j’entends.
- Un café fécal, noir comme le trou du cul de Burnes-les-Coquettes !
- Précisément. Je suis un peu cafédomancien628 à mes heures ; c’est moins répréhensible que la vaginomancie629 que vous pratiquez, néologise le Commissaire.
- Eh bien, pour changer, vous trouverez peut-être votre coupable au fond d’une tasse de thé.
- Je ne vais pas faire de compte-rendu. Encore Merci Bonneuil, abrège le policier.
- Mettez-vous au thé, commissaire !
À son retour au commissariat, Burandeau trouve sur son bureau une note succincte du commissaire divisionnaire : « Les deux spermes proviennent du même donneur et ce sperme est celui du père de la victime. Inutile de mettre la fille au parfum pour le moment. Commencez par retrouver Monsieur Luz, sans passer par Amandine ou Angelina qui pourraient se poser des questions et donner l’alerte. Quant à Julien, on le garde au frais, il était peut-être lié à cette affaire (il a pu couvrir quelqu’un, par exemple) et pas question de laisser ce paumé venir brouiller les pistes. »
Le commissaire se cherche des excuses. Ces restrictions de crédit par exemple. Et merde. On le sait qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un prélèvement du père pour le comparer au sperme : l’ADN de la fille suffit pour établir une filiation. Merde, merde, merde. Si l’on s’était concentré sur les analyses, on n’en serait pas là. La recherche d’un lien de parenté entre le donneur et le receveur devrait être le minimum syndical ! On sait qu’un viol sur deux est un inceste, merde !
Bien entendu, on allait lui laisser le soin d’annoncer ça à Amandine. Il voit ça d’ici :
- Vous avez l’air de bien vous entendre. Cadeau Burandeau !
Heureusement que j’ai insisté pour que des analyses d’ADN soient réalisées, se touche le commissaire.
Burandeau envoie un signalement à tous les aéroports puis passe à l’hôtel où est descendu monsieur Luz. Il apprend qu’il a rendu la chambre depuis deux jours.
Le commissaire Burandeau va pleurer sa race dans le tailleur de sa femme. Monsieur Luz a sans doute déjà regagné le Brésil.
Madame Burandeau prête une oreille affectueuse aux jérémiades630 de son mari. Opinant, câlinant, dodelinant631, elle assure son concours. Elle va voir ce qu’elle peut faire de son côté pour établir l’emploi du temps de ce coureur de jungles. Elle est sur une grosse affaire de succession, une hacienda, sur le continent ad hoc.
- À propos, je vais devoir m’absenter une semaine, mon chéri.
Requinqué par sa douce, Burandeau décide de cuisiner les Béchamel. En tant que bailleurs, ils ont peut-être moyen de joindre leur locataire en cas d’urgence. D’autant que c’est la fille unique du locataire, qui occupe l’appartement.
Avec nos onctuosités les plus sincères
Les Béchamel sont ravis d’accueillir le commissaire. Enfin, on les sollicite. Ils sont là depuis si longtemps que leur entregent s’étend bien au-delà du jardin du Luxembourg. Cette visite est comme une consécration. Ils vont pouvoir dire ce qu’ils ont sur le cœur.
Le 5 bis rue de Médicis, c’est eux. Ils en assurent le syndic de copropriété. S’il y a le moindre problème, la moindre fuite, le moindre trouble, c’est chez eux qu’on vient frapper. Et dieu sait que le 5 bis n’a pas été épargné ces derniers temps.
De toute évidence, l’enquête continue. Il semble qu’en grattant il sera toujours possible de découvrir une nouvelle strate riche d’enseignements. L’immeuble est comme ces montagnes de glace qui, sous l’effet du réchauffement climatique, n’en finissent pas de restituer les trésors qu’elles ont engloutis au fil des ères632.
C’est toute une époque qui fout le camp mais les Béchamel gardent le cap. Ils coopèrent pour le meilleur et pour le pire depuis des lustres. Ils forment un couple indéfectible633, une hydre634 bienveillante635 toujours prête à s’incliner de tous côtés pour passer une tête afin d’empêcher le malheur de s’infiltrer. Sous leurs airs de poisseux collabos, ils sont capables d’une surprenante amabilité et, quand il le faut, d’une solidarité sans faille. Il ne faut pas se fier à leurs visages boursouflés ni à leurs yeux mauves de lapins australs636. Ils ont reçu leur part, ni plus ni moins. En vérité, il est dans leur nature d’arrondir les angles, de prendre en charge, de suppléer637, de faire en sorte638.
- Bonjour commissaire, nous vous attendions. Monsieur Béchamel a les mains sèches.
- J’ai fait du thé, commissaire. À moins que vous ne préfériez639 un café ?
- Merci Madame Béchamel, du thé, c’est parfait.
Le commissaire comprends qu’il faut respecter le protocole que les Béchamel ont prémédité, et réserver les bifurcations dialectiques640 et les coups de théâtre pour plus tard, quand l’enjeu en vaudra la chandelle.
Un intérieur soigné de style anglais, des rideaux vert avocat fermement maintenus par de larges bandes de tissus de la même coupe. Leurs plis légèrement décolorés indiquent qu’ils ne sont jamais tirés. Quatre-vingt-dix centimètres de lambris641 protègent le bas des murs. Le parquet farté642 de cire camphrée643 retient dans l’organisation singulièrement bilieuse644 de sa fibre, des clartés brèves et atones645, comme si ses profondeurs fangeuses646 étaient constituées de boues maintes fois millénaires647. Aucun vêtement ne traine sur les fauteuils. Entre deux fenêtres, une huile non signée, d’un esthétisme douloureux648, montre de rouannes649 mérétrices650 vêtues civilement de gants et de bas noirs, déambulant en escarpins dans un univers de sofas, le visage barré de velours sombre651. Un gros bouquet de fleurs artificielles s’ennuie avec grâce au-dessus de la grande table. Maître Chronos sur un marbre perché tient en son bec un faux mage, une sorte d’enfançon auréolé d’aucun prodige, qui brandit le cadrant de l’horloge qu’il a dérobée. Le commissaire imagine, luisant comme une décoration accrochée au manteau horizontal de la cheminée, « un noyau de prune encore scintillant de fraîcheur652 » (Burandeau a des lettres653). Sur le mur du fond, la reproduction soignée d’une peinture d’un siècle en V654 expose les corps diversement tourmentés de tribades655 grimaçant de ravissement, aux prises avec les émissaires656 d’une mythologie animalière blafarde657. À l’arrière-plan, une aube ravisseuse de ténèbres658 hachure659 des campagnes somnolentes660 hérissées de clochetons. Les vrais Béchamel doivent prendre leurs repas dans une autre pièce. Tout indique qu’ils souffrent d’allergie – poussières, acariens, pollens et autres irritants minuscules. La proximité du jardin ne doit pas arranger les choses mais on ne renonce pas au signe éclatant d’une réussite dont l’origine se perd dans les recoins ombreux d’une existence compliquée. Les meubles de bonne facture, voire d’époque, portent leur charge nécessaire de souvenirs et de bibelots, de sculptures en verres colorés de Murano, de vases en porcelaine de Limoges dévorés de motifs sinisants661. Désastreusement attendrissant662, un plaid663 en sergé664 de tartan665 refroidit sur l’accoudoir d’une bergère666 à orillons667 de cretonne668, qui occupe un angle de la pièce. Burandeau se fait la réflexion qu’il ne faut pas confondre le tartan à carreaux qui est écossais et le tartan à pois (dit tartempion) qui est écossé. Des nus grand format en noir et blanc habillent669 les murs. Une odeur aigrelette670 et ambiguë de buis et de pâquerette671 semble se déplacer furtivement dans ce décor d’un goût globalement discutable, compromis étourdissant entre le meuble d’antiquaire de référence, un brin prétentieux, et la déco de pacotille mariant le verre et le plastique en de tragiques épousailles672. Dans l’angle opposé, sous une lampe halogène, témoins d’une récente activité exploratoire, un foutoir inattendu règne sur un bureau régence assisté d’un ordinateur. Aux angles du meuble, des espagnolettes673 en bronze ciselé tendent leurs seins dorés.
Le commissaire, qui a du lynx, s’est approché mine de rien du désordre. Il avise un très beau tirage d’un portrait d’Amandine.
- Dites-moi, Monsieur Béchamel, je n’ai pas reçu cette photo du mariage ?
- Elle était dans un autre appareil que j’utilise spécialement pour les portraits. Je répare ça tout de suite en l’envoyant à la liste des invités… Et voilà. Monsieur Béchamel a le mulot674 buissonnier.
Comme un connaisseur, le commissaire déplace lentement la photographie au bout de son bras tendu. Tels deux cataphotes675, les yeux de la jeune-fille semblent toujours fixer le regard de son admirateur, quelle que soit la position de celui-ci par rapport à l’image676.
- Des petits gâteaux au sésame, Monsieur le commissaire ? Ça change des amandes677.
Burandeau apprécie la gentillesse du jeu de mots quoiqu’aucune malice ne suinte de l’œil fané de l’hôtesse.
- J’ai donné la recette à Amandine. C’est le charme des petits immeubles, tout le monde se connait.
Passées les premières gorgées réglementaires, le commissaire commence à effleurer son sujet avec le dos de sa petite cuillère.
- Je sais que vous avez été beaucoup sollicités ces derniers temps et je voulais vous remercier pour votre disponibilité, mouline-t-il prudemment.
- Nous sommes à la retraite commissaire. Si on peut aider. C’est surtout Amandine qu’il faut ménager. Après ce qu’elle a enduré. Ça nous a fait très plaisir qu’elle ait pensé à nous pour le mariage.
Madame Béchamel a pris la direction de la discussion. Monsieur se contente d’acquiescer d’un mouvement de tête, doublé d’une moue de camembert au lait cru qui laisse entendre que son approbation est entière678.
- J’imagine que monsieur Luz vous a, lui aussi, beaucoup sollicité. Vous le voyez souvent ?
- Il nous a demandé des nouvelles d’Amandine, au début du procès ; et nous nous sommes vus au mariage. C’est tout. Il continue de louer l’appartement, même si Amandine habite chez son mari, en attendant.
En attendant quoi, je vous prie ? Comme s’il n’était pas normal d’habiter chez son mari ! En attendant de divorcer, peut-être ? Monsieur Bonneuil ne doit pas être assez bien pour elle, sans doute. Comment expliquer à cette dame un peu âgée qu’on peut tomber amoureuse de l’homme qui vous a violé, l’envoyer en prison et, avant qu’il n’en sorte, se marier avec lui et danser la farandole derrière les concertinas679. Décidément, elle n’est pas très moderne !
- J’ai appris que monsieur Luz avait fait refaire tout l’appartement.
- Ne m’en parlez pas. C’est Emile qui a dû suivre tous les chantiers. Les carreleurs, les plombiers, les peintres… Il a fallu refaire toute la décoration. Et puis l’électricité n’était pas aux normes à ce qu’il paraît. Des artisans, on en a vu, hein Emile ?
Madame Béchamel sait que sur ce sujet, Emile sera à la hauteur. Elle l’encourage d’un regard empli d’une affection coriace680.
- Ça oui, on en a vu. Des magrébins, des noirs, des Portugais, des Polonais… Ils ont chacun leur spécialité. Les noirs la peinture, les Portugais le carrelage, les magrébins l’électricité, les Polonais la plomberie. Elle est belle l’Europe !
- Beaucoup d’entreprises sont intervenues, dites donc ?
L’ophidien681 profite de la question pour conserver la parole et poursuivre ses insinuations flatueuses682 malévoles683.
- Des entreprises ? Je ne vais pas vous apprendre, commissaire, que ces artisans travaillent tous au noir. D’ailleurs, on ne peut pas appeler ça des artisans. Ils arrivent dans la matinée, donnent quelques coups de marteaux pour montrer qu’ils sont ponctuels, allument leur transistor, et l’heure du casse-croute est vite arrivée. Résultat ils réveillent tout le monde inutilement et ils nous font chier toute la journée ! Et ça dure des semaines !
- Tiens Emile, ressert toi, dit Madame Béchamel en lui tendant l’assiette de gâteaux. Autrement dit, maintenant que tu as fait ton numéro, remplis ta bouche et ferme-la.
- C’est Julien qui a installé la box, ajoute-t-elle avec un picogramme de perfidie, il est du métier.
- Et tous ces travaux, uniquement pour accueillir Amandine ?
- Oui, elle est venue à Paris pour percer dans l’art, pérore684 Madame Béchamel. Elle a besoin d’un certain standing pour recevoir des commanditaires.
- Son père a les moyens alors ?
- Pour ça, oui. Il est dans les affaires, en Amérique du Sud.
- Vous le connaissez ?
- Oui, on le fréquentait, avant qu’il ne parte tenter sa chance au Brésil. Quand il est parti, sa femme était enceinte d’Amandine. Il aurait mieux fait d’attendre qu’elle accouche en France. Elle est morte en couche, la pauvre. Il y a bientôt trente ans. Je n’ose pas imaginer dans quelles conditions. C’est la jungle, là-bas. Enfin… paix à son âme. Il nous a recontactés il y a un peu plus d’un an, car il cherchait un appartement.
- Amandine n’a pas choisi la facilité, les artistes ne sont pas tendres.
- La fille n’est pas tombée de la dernière pluie. Elle est bien connue dans le milieu de la photo, reprend la parole sans la demander Monsieur Béchamel, dans un domaine où il semble jouir d’une certaine autorité.
Assise droite comme un i sur le bord de son fauteuil, prête à bondir, Madame Béchamel est en alerte maximale. Son sang à la bergamote bouillonne dans son vieux cœur de porcelaine685.
- Elle ne fait pas ça pour gagner de l’argent, enchaîne habilement la vieille dame, mais pour se faire un carnet d’adresse ; le milieu de l’art est un milieu très fermé, tu es bien placé pour le savoir.
Les yeux du père Béchamel sont écarquillés comme deux soucoupes et sa bouche a la forme d’un U renversé.
- C’est pas pour ça qu’il faut montrer son cul. Cette phrase, Monsieur Béchamel ne la prononce pas, mais il la pense si fort que Burandeau tressaille.
- Nous essayons de joindre Monsieur Luz. Peut-être pourriez-vous nous aider ?
- Il n’est rien arrivé à Amandine, au moins, s’inquiète madame Béchamel ?
- Non, rassurez-vous.
- Dans ce cas, nous ne pouvons rien pour vous.
Le commissaire Burandeau se rend compte qu’il vient de fermer une porte.
- Mais il se pourrait qu’Amandine ne soit pas en sécurité en France, sort-il les rames.
- Son père a les moyens de garantir sa sécurité, où qu’elle se trouve, répond Madame Béchamel d’un ton calme, avec une autorité presque chantante686.
- Rien n’est moins sûr depuis ce qui est arrivé, objecte le commissaire.
- Quoi qu’il en soit, même sa fille n’arrive pas à le joindre, poursuit-elle de sa voix emprunte d’une douce et nocive aménité687. C’est un homme d’affaire qui n’est jamais au même endroit mais qui a un œil sur tout, soyez rassuré. Vous savez, l’Amérique Latine est une jungle, il est normal qu’il se protège. Je n’ose même pas imaginer les coups tordus que doit encaisser, là-bas, un homme de sa qualité.
A-t-elle peur que son imagination ne s’emballe ? Pourtant le commissaire doit admettre que les objections de Madame Béchamel ont la force de l’évidence. Le moment est venu pour lui de sortir l’argument massue, de porter le coup de grâce.
- Je comprends tout à fait, Madame Béchamel, mais la police sollicite votre concours car elle est très impatiente de rencontrer Monsieur Luz. La comparaison des ADN d’Amandine et de l’un des spermes qu’on a trouvé sur elle, a établi de façon irréfutable que le premier violeur est son père.
Tout en prononçant cette phrase, le commissaire Burandeau a conscience qu’il va un poil trop loin mais les mots sortent sans effort, avec désinvolture. Il ne sait pas encore qu’il aura toute la vie pour le regretter. Pour l’heure, l’ambiance tea party s’est brisée comme un sablé au sésame, autrement dit pas franchement, avec un son humide, en contournant les grains d’oléagineux qui arment la pâte. Quelques miettes grasses se sont échappées de la cassure irrémédiable – contrairement à celle des deux morceaux de petit LU qu’on s’amusait enfant à ressouder pour redonner au biscuit l’illusion de son intégrité première.
Madame Béchamel est d’une pâleur chlorotique688 avec des transparences laiteuses. Les perles bleues de ses yeux se noient dans la mangrove sanguinolente de sa conjonctivite chronique. Elle regarde le commissaire comme s’il venait de lui opérer les paupières.
Monsieur Béchamel reprend son souffle le premier.
- C’est ignoble ce que vous nous racontez là, commissaire. Nous aurions préféré ne rien savoir, ma femme et moi.
- Je comprends. Maintenant que vous en savez davantage, si vous trouvez un indice ou un moyen qui nous permettrait de retrouver Monsieur Luz, n’hésitez pas à me contacter.
- Nous verrons ce que nous pouvons faire commissaire, dit la vieille Béchamel, les yeux fixés sur l’enfançon agonisant à plusieurs siècles de là dans la gueule de Chronos.
Après tout, ils l’aiment bien leur petite Amandine. Si ce choc a pu réveiller la fibre affective de ce couple sans enfants et s’assurer leur aide, le commissaire Burandeau n’aura pas perdu sa journée. Mais a-t-on le droit d’infliger un tel traumatisme à des personnes de leur âge ? Le commissaire prend congé rapidement, un peu en miettes. Les graines de sésame689 n’ont ouvert aucune porte. Avant de prendre la fuite, comme pour se faire pardonner, il repose sa tasse sur le plateau. Il en profite pour essuyer discrètement les bords de celle de Monsieur Béchamel au cas où le divisionnaire proposerait de le faire entrer au Panthéon du FNAEG. Il est grand temps de suivre la route de la soie690. Que peut-il faire de plus ?
Burandeau avait transféré le portrait d’Amandine dans sa boîte mail professionnel. Le père Béchamel avait littéralement sublimé le visage de son modèle. Il avait su capturer cette lumière intérieure qui émane de certains être et qui baignait tout entier le visage de la jeune femme. On voyait Amandine et l’on cherchait Amandine. C’était à la fois la présence d’Amandine et l’absence d’Amandine, une Amandine immédiate et lointaine, imaginaire et tangible, évidente et secrète. Une autre Amandine. Burandeau était jaloux du magicien Béchamel691 qui avait su rencontrer cette Amandine-là, dont le sourire était une ébauche de grâce, de ceux qui éclairent les visages des saintes, des amoureuses et des femmes enceintes.
Le commissaire en était là de ses réflexions botticelliennes692 quand le technicien qu’il avait appelé entra dans son bureau.
- Peux-tu m’aider à mettre cette photo en fond d’écran, s’il te plait ?
- Pas de problème commissaire.
En trois clicks le jeune homme s’exécute.
- Très belle photo commissaire.
- C’est un photographe qui l’a prise, à un mariage.
- Ça ressemble plus à un portrait qu’à une photo de mariage.
- Disons que le portrait a été réalisé à l’occasion d’un mariage.
- C’est une vieille photo.
- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
- D’abord, ce n’est pas l’original. C’est une photo numérique d’une photo argentique.
- Tiens ?
- Regardez tout en haut, cette fine bordure sombre qui n’a pas été émargée.
- Oui ?
- Elle est légèrement incurvée. Ce qui signifie que l’original n’était pas parfaitement à plat lorsqu’il a été photographié.
- Effectivement. Mais ça ne prouve pas qu’il s’agisse d’une photo ancienne.
- Le jour du mariage, le photographe utilisait quel type d’appareil, numérique ou argentique ?
- Il avait plusieurs appareils. Elle remonterait à quand selon vous ?
- Une bonne vingtaine d’années. On ne fait plus ce style de photo aujourd’hui.
- C’est-à-dire ?
- Le style romantique, vaporeux, hamiltonien. Regardez, un filtre légèrement paraffiné a été utilisé pour flouter les bords.
Cette photo oubliée du mariage serait en fait le portrait de la mère d’Amandine, et non celui d’Amandine. Cette vieille photo a dû être prise par Béchamel du temps où il fréquentait Monsieur Luz et la mère d’Amandine. Burandeau essaye d’imaginer le vertige que le photographe a dû éprouver en voyant débarquer la jeune Amandine en portrait craché de la défunte. Les raccourcis de la vie ! Prochaine étape, le Bar à Jo.
Un viol sur deux
Jojo est en train d’astiquer sa fontaine à bière quand le commissaire pousse la porte de l’établissement. Deux gars font un quatre vingt et un au bout du zinc693. Burandeau commande une brune et s’installe au fond de la salle dans un coin sombre. La chaise en bois renâcle sur le carrelage piqué. Le patron approche, de sa démarche de vieux soldat brisé. Ses pantalons trop larges flottent au bout d’une paire de bretelles, comme la bannière d’une compagnie en déroute. Il passe un coup de lavette sur le formica694, lance un rond de bière avec la dextérité d’un joueur de poker professionnel et pose le demi dans le mille.
Si Burandeau est là, ce n’est pas pour vérifier que les sanitaires sont aux normes ; le taulier appuie une main conciliante contre la table pour montrer qu’il est ouvert à la conversation.
- Alors commissaire, les affaires reprennent ?
- Doucement.
- Ne me dite pas que Nanar et Lulu ont encore fait les cons ?
Le commissaire esquisse un sourire qui lui soulève une demi-moustache imaginaire.
- Des artistes, ces deux-là !
- Ils ne sont pas méchants.
- Ils ont seulement oublié de grandir.
- Entre ce qu’on oublie de faire et ce qu’on essaie d’oublier…
Le commissaire sort une photo de sa poche et abat ses cartes.
- Et celle-là, vous l’avez oubliée ?
L’ongle qui guillotine la pauvre femme n’est pas d’une propreté indiscutable.
- Madame Béchamel !
- Oui, Madame Béchamel695 !
- Sacrée bonne femme.
- Quand l’avez vue pour la dernière fois ?
- Tiens, avec son mari, pas plus tard que le samedi où j’ai demandé à Nanar et Lulu de raccompagner la fille chez elle.
Le commissaire Burandeau fait comme s’il n’avait pas entendu et poursuit malgré la broche de fer chauffée à blanc qui lui raidit la nuque. C’est ici que l’enquête aurait dû commencer. Hélas, il avait choisi la solution de facilité en se focalisant sur le suspect le plus évident… C’est toujours plus facile de commencer une enquête par la fin. Décidément on n’apprend rien, on reste un débutant toute sa vie.
- Ce sont des habitués ?
- Non. Ils passent une ou deux fois l’an.
- Quand les avez-vous connus ?
- C’est un secret pour personne, il m’arrivait de louer des chambres dans le temps. Puis j’ai tout vendu à des particuliers pour avoir la paix.
- Et les Béchamel ?
- Un couple un peu bizarre. Le plus souvent, mes clients étaient célibataires. Eux, ils étaient mariés. Ils prenaient une chambre, soi-disant parce qu’ils n’avaient plus de métro pour rentrer. En vérité, ils n’étaient pas tout seuls dans la chambre. Moi, je m’en foutais, je dépannais des copains. Je vous parle de ça, c’était à la fin des années 70. Ils ont plus de soixante piges à l’heure qu’il est.
- C’est comme ça que vous les avez connus ?
- Lui, je l’avais rencontré au service militaire.
- La guerre d’Algérie ?
- Oui.
- Et qu’est-ce qu’il faisait ?
- Simple troufion.
- Je veux dire, dans la vie ?
- À l’époque il n’avait pas un chicot696 de sagesse. Il faisait l’escorte boy de temps en temps.
- Dans les années 70, ça s’appelait un gigolo, non ?
- Il n’avait pas droit à la sécurité sociale mais il avait la santé.
- Et sa femme ?
- Elle travaillait dans les services à la personne, d’après ce que j’ai compris.
- Les services à la personne ! Ça existait déjà à cette époque ?
- Elle se déplaçait à domicile chez les femmes friquées de la rue du Bac : coiffure, manucure, pédicure, soins du visage, massages, confidences… Elle faisait aussi les mariages, les fêtes de famille…
- Les avortements ?
- Ça se pourrait bien.
- Et maintenant, ils sont à la retraite ?
- Bah il me semble. Le temps passe.
- Leur clientèle a vieilli, c’est tout.
- Ah bon, vous croyez ?
- Où est-ce que je peux les trouver ?
- Ils habitent dans le XIIe, pas loin d’ici, dans le quartier des Diaconesses, je ne saurais pas dire où exactement.
Décidément, le patrimoine immobilier des Béchamel était en pleine expansion.
Le commissaire comprends mieux maintenant pourquoi Jojo n’a pas fait le rapprochement entre les Béchamel et le 5 bis rue de Médicis. Nanar était le seul qui aurait pu faire le lien. Selon sa déposition, il avait dû vérifier les serrures de toutes les portes : le nom des Béchamel figurait peut-être sur la porte, ou sur une boîte aux lettres. Mais a priori Nanar était loin de tout ça. Il est de la génération d’après. Et puis, il avait été mandaté697 par Jojo. Connaît-il seulement les Béchamel qui ne sont pas des habitués du Bar à Jo ?
Burandeau, désigne le père de la mariée.
- Et lui, vous le reconnaissez ?
- Le père de la mariée ?
- Oui.
- Lui, attendez, c’était un ami des Béchamel.
- Vous le voyez encore.
- Plus depuis qu’il est parti avec sa femme faire fortune au Brésil, il y a bientôt trente ans.
- Oui, il est Brésilien à ce qu’il paraît.
- Ah bon ? Je croyais qu’il était Français. En tous cas il n’avait pas d’accent.
- Et sa fille, vous la reconnaissez ?
- Sa fille, oui, je la reconnais, même si je ne l’ai jamais rencontrée.
Burandeau essaie de calmer son petit cœur de commissaire qui s’est mis à battre comme un tambour, sous sa veste en peau.
- C’est le portrait craché de sa mère.
Même si Amandine a laissé pousser ses cheveux depuis qu’elle a rencontré Julien, elle avait mis une perruque à l’occasion du mariage, car ils n’étaient pas assez longs pour supporter la coiffure qu’elle avait choisie.
- Vous savez comment elle s’appelle ?
- Non. En fait c’est la première fois que je la vois. Elle doit avoir plus de vingt-cinq ans maintenant.
- Vous connaissez son âge mais pas son nom ?
- Quand ils sont partis, sa mère était enceinte, c’était juste après l’élection de Mitterrand. Ça fait bizarre de les voir côte à côte ; comme si sa femme n’avait pas vieilli.
Le commissaire met sur l’ardoise de la nostalgie la fiente698 de tristesse qui fait une tache blanche sur la corde vocale du taulier699, mais il croit discerner davantage dans son regard. Cette femme doit lui rappeler quelque chose. Peut-être en a-t-il été secrètement amoureux… En tous cas, elle l’a marqué.
Des clients entrent dans le bar, des habitués de la SNCF qui travaillent à la Gare de Lyon toute proche. Burandeau remercie et se lève. Il n’a pas touché sa bière. Il quitte l’établissement sans payer.
Burandeau vient d’avoir Amandine au téléphone. Il appelle le divisionnaire à son domicile. On est samedi, un quart d’heure avant le poulet pommes au four.
- Monsieur le commissaire divisionnaire ?
- Burandeau !
- Patron, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Vous les voulez dans quel ordre ?
- Dans l’ordre qui vous arrange, Burandeau.
- Les Béchamel sont passés au Bar à Jo, le soir du viol !
Prononcée d’une voix étrangement calme, la réponse du commissaire divisionnaire est lapidaire700.
- Et monsieur Luz, il était où, le soir du viol ?
- On a envoyé un signalement à tous les aéroports. Les Béchamel ne sont pas très coopérants mais ils ont confirmé qu’ils avaient connu Monsieur Luz il y a une trentaine d’années.
- Retrouvez-moi Luz, s’il vous plaît. Cuisinez discrètement Amandine et sa copine.
- Désolé, patron. C’est déjà fait. C’est ma deuxième nouvelles. Monsieur Luz et Angelina sont retournés au Brésil juste après le mariage.
- Merde. C’est foutu !
- Je vais rester au contact et essayer de faire en sorte qu’Amandine me prévienne lorsque son père sera de passage.
- Il ne faudrait pas que ça tarde car il va falloir publier nos résultats rapidement et libérer Bonneuil.
- On pourrait l’inculper d’obstruction à la justice.
- Pour qu’il nous accuse de lui avoir arraché ses aveux ? Où avez-vous donc la tête Burandeau ?
- Excusez-moi commissaire. À tout hasard, j’ai récupéré un fond de tasse de Monsieur Béchamel.
- Trop aimable, Burandeau. N’oubliez pas de mettre en place votre hameçonnage, en attendant qu’on récolte des fonds. Quant aux amis Béchamel, ils sont peut-être complices de Luz mais il ne faut pas leur mettre la puce à l’oreille, contentons-nous de les mettre sur écoute.
La précipitation est insoluble dans l’urgence
Une abondance d’informations et d’événements concernant l’affaire du 5 bis vont s’abattre sur Paris à l’approche de Noël. Ça sent les préparatifs, la guirlande poussiéreuse et le santon de plâtre. Les temples de la consommation noient leurs fidèles dans des flots de lumières. À la sortie des conduits de cheminée, des volutes de vapeur d’eau calamistrées701 s’enroulent comme des boucles blanches sur les cylindres d’air froid de la fin de l’automne. Tout le monde a hâte d’en finir avec les cadeaux. Un jeudi, tard dans la soirée, une information difficile à avaler, en provenance d’Amérique latine, arrive dans la boîte aux lettres électronique du commissaire, projetant celui-ci dans un océan de stupéfaction – de façon plus mesurée, disons qu’il avait de la perplexité jusqu’aux chevilles.
Salut mon chéri,
Un petit mot pour te dire que j’ai trouvé pour toi des chaussures en anaconda épatantes.
Les Argentins sont de vrais machos qu’on ne se lasse pas d’écouter roucouler la nuit sous les pergolas ou s’étriper dans les ruelles avec leurs coutelas.
Je suis un peu naze mais nous sommes sur le point de trouver un terrain d’entente – ici les terrains sont grands comme des départements français.
En Argentine, Luz – tout le monde l’appelle Luz – est connu comme le loup blanc. Il a un pied dans chaque pays frontalier du Brésil – autant te dire qu’il parle couramment l’espagnol et qu’il a plus d’une corde à son espadrille. Il a passé des accords avec le gouvernement brésilien pour exploiter et sécuriser les marges. Il est aussi important que le ministre des Affaires étrangères, à ceci près qu’il n’attend pas les élections pour bosser.
Je suis à toi dans trois jours. Grosse bizouille ma nouille.
PS : Personne ne sait où, quand et avec qui se trouve le loup blanc. Il n’a pas d’agenda. Mais Luz n’a pas pu violer sa fille car ce jour-là il se mariait avec Angelina, en présence de plusieurs chefs d’Etat (Amandine n’est a priori pas au courant qu’ils sont mariés ; mais ce n’est pas à nous de lui annoncer cette nouvelle, si tant est qu’elle ne le sache toujours pas). Essaie d’obtenir une contrexpertise ADN et, s’il te plaît, ne donne pas tes sources. Attention, tu es probablement sur écoute. Il se pourrait que des huiles essayassent de tacher la réputation du loup blanc.
Cette information fait l’effet d’une bombe à fragmentation dans le cerveau du commissaire. Si le 5 bis est au centre d’une affaire d’état, tout l’enjeu va consister à se retirer sur la pointe des arpions702. De façon plus mesurée, disons que le commissaire salive à l’idée d’effrayer le divisionnaire.
Pendant une partie de la nuit, Burandeau se dessèche les synapses703 à retourner dans tous les sens ce nouveau morceau du puzzle. Ce n’est qu’après quelques heures paradoxalement réparatrices704 à chevaucher dans les collines d’un sommeil constellé de ronds de sorcière705, que la vérité apparait dans la nudité gris-bleu de son évidence sélénique706. La déduction est triviale, à la portée de n’importe quel commissaire bien reposé. Elle a la flagrance707 d’une sirène en bois flotté708 couchée de bonheur709 sur l’estran710 doré de la mémoire711. Il n’y a pas d’affaire d’Etat. En tout état de cause, Monsieur Luz n’est pas le violeur car il n’est pas le père biologique d’Amandine !
Un chouïa superstitieux, Burandeau n’envisage pas déranger une nouvelle fois le commissaire divisionnaire une veille de weekend. Et puis, il veut faire son retour sur l’enquête avec un plan d’action en béton. Il attendra donc lundi pour proposer ce qui lui semble la première chose à faire : expertiser l’ADN de Monsieur Béchamel. L’intuition badine de sa femme et les élucubrations chamaniques de Julien semblaient converger. La réalité rejoignait la miction712 (pas d’erreur possible : sur le clavier azerty, pas moins de cinq lettres séparent le m du f ).
De son côté, Amandine sait beaucoup de chose sur la fascination que sa mère exerçait sur son père, ainsi que sur les Béchamel. Mais elle ne sait pas tout. Elle est sur le point d’en apprendre une bien bonne.
Son amie d’enfance lui manque – ou peut-être simplement son enfance. Mais Angelina ne répond pas au téléphone. Amandine a l’idée d’appeler la mère de son amie. Elle est toujours fourrée chez elle.
- Angelina, j’écoute.
- Angelina, c’est Amandine.
- Amandine, j’allais t’appeler !
- Arrête ! Il t’arrive encore de penser à moi ?
- Tu me manques !
- Que tu dis. Qu’est-ce que tu fais, maintenant ?
- Je suis en train de m’habiller. Je vais prendre un thé avec Lucia. Il y a un nouveau salon qui vient d’ouvrir Parque da Cidade.
- Et qu’est-ce que tu fais d’autre avec Lucia ?
- Ah toute de même, tu es jalouse !
- Il ne pleut pas ?
- Ça ne va pas tarder. Je ne sais pas quoi mettre.
- Il doit faire lourd. Tu ne portes pas de gaine au moins ?
- Si, je porte une gaine. Une gaine curcuma.
- Ça ne me dit rien.
- Je l’ai portée à ton mariage.
- Ah oui c’est vrai.
- Je vais mettre des bas. Il fait trop chaud pour des collants. Mes bas verts, tiens.
- Tu as trop chaud et tu portes une gaine et des bas ?
- Tu as dû remarquer que j’ai un peu pris depuis que tu m’as quittée.
- Je ne t’ai pas quittée !
- Bien sûr que tu m’as quittée ! Tu n’étais pas obligée d’accepter cette bourse à la con.
- Tu ne vas pas faire des histoires pour un an d’absence !
- En attendant, tu as ton diplôme et tu n’es toujours pas rentrée !
- Je pense beaucoup à toi tu sais.
- Tu penses à moi mon cul. Tu penses à toi, oui.
- À ton cul aussi.
- Tu sais ce qu’il te dit, mon cul ? Tais-toi, tu vas m’énerver. C’est quand ta prochaine perm ?
- Je ne vais pas tarder, j’étais sur une exposition. Je colmate un peu mon réseau et je rapplique.
- Tu vas avoir intérêt à assurer.
- Tes seins me manquent.
- Mouais. Je ne sais pas si je peux te croire.
- Ils sont où tes seins en ce moment ?
- Ils sont à côté de moi, sur la commode.
- Tu cherches tes bas ?
- Non, je me suis allongée sur le plateau pour téléphoner. J’aime bien le contact du marbre frai.
- À part ta gaine, tu portes quoi ?
- Rien d’autre, pourquoi ?
- Et comment ils sont installés, tes seins ?
- Ils sont l’un sur l’autre, peinards. Ils prennent l’air, mes deux gros lapins. Pour une fois qu’ils se tiennent tranquilles.
- Tu les as mis au régime, avant les fêtes ?
- Non, ils sont toujours aussi envahissants, toujours aussi agités. Ils ne tiennent pas en place. Ils débordent d’activité. Ils n’arrêtent pas de se faire remarquer, si tu veux savoir.
- Mes pauvres chéris.
- Ils ont le museau tout chaud. Ils attendent qu’on leur donne à boire. Ou bien une carotte à se partager. T’aurais pas une carotte à leur envoyer ? Maintenant que tu es mariée, tu pourrais nous préparer une julienne713.
- Tu es toujours aussi chaudasse, mon ange poilu !
- Amandine ! As-tu des nouvelles de ton père ?
- Non, pourquoi ?
- C’est bizarre, il a dû se rendre en France d’urgence pour des histoires te concernant, et depuis il n’a pas donné signe de vie.
- Tu crois qu’il est mort ?
- Ah, tu ne changes pas, hein. Qu’est-ce que tu es conne alors !
- Pour être conne, je suis conne ! Quand je t’ai vu arriver à mon mariage j’étais doublement heureuse. Parce que je te revoyais et parce que Papa avait eu cette délicate attention pour me faire plaisir ! Avoue, je suis conne ?
- Comment tu l’as appris ?
- Comme d’habitude pauvre cloche, en prêchant le n’importe quoi pour savoir ce dont je me fous éperdument714.
- Tu es trop forte Amandine. Tu as hérité ça de ton père. Il est malin. Eh bien oui, nous sommes ensemble. Et je n’ose même pas te dire depuis quand.
- Ne t’en fait pas coquine. Je le connais et je te connais. S’il a tout fait pour que je parte étudier en France, c’était probablement pour m’éloigner de toi.
- Tu continues à prêcher le n’importe quoi ?
- Peut-être.
- Bon, eh bien, ce que tu ne sais pas, c’est que nous sommes mariés depuis six mois ! Voilà, il fallait que ça sorte.
- Six mois ! Et vous ne m’avez pas invitée.
- Il ne savait pas comment tu le prendrais. Il avait peur. Comme tous les gauchos, il est maladroit avec les femmes. C’est un grand timide. Il avait prévu de te l’annoncer le jour de ton mariage. Puis il a pensé que le moment était mal choisi. J’étais tout à fait de cet avis. Avant son départ pour Paris, je lui ai fait promettre de t’en parler.
- Ça fait combien de temps qu’il est à Paris.
- Il est parti lundi.
- Tu as dit qu’il était là pour des histoires me concernant ?
- Oui, c’est tout ce qu’il m’a dit.
- C’est bizarre, je n’ai pas de problème et je ne lui ai pas demandé de venir.
- À part les Béchamel, je ne vois pas qui aurait pu lui demander de venir pour un problème te concernant.
- On ne saura probablement jamais, il s’y entend pour entretenir la confusion et cultiver l’incognito.
- C’est vrai.
- Sinon, pas d’autre nouvelle ?
- Si, on va adopter.
- Un chat ou un chien ?
- Un enfant, t’es bête !
- Ah bon, il n’est pourtant pas si vieux que ça, ton mari !
- Tu n’as pas l’impression d’être un peu méchante parfois ?
- Non, pourquoi tu dis ça ?
- Parce qu’il est stérile, pardi.
- Pourquoi vous n’avez pas recours à une banque de sperme ? Comme ça, ça serait quand même un peu plus ton enfant ?
- Moi, tu sais, les grossesses, je laisse ça aux mammifères.
- Tu n’es pas la dernière des mammifères ! C’est lui qui ne veut pas que tu portes l’enfant. Parce que ma mère est morte en couche. C’est ça qui lui fait peur.
- Ah oui tiens, je n’y avais pas pensé. Il faudra que je lui en parle. Mais alors tu savais que ton père n’était pas ton père biologique !
Amandine prit le temps de digérer l’information.
- Amandine ?
- Oui ?
- Tu savais ou tu ne savais pas ?
- Je ne savais pas.
- Ah bon, parce que tout à l’heure quand j’ai dit comme une conne qu’il était stérile, t’as pas réagi.
- J’ai pensé que sa stérilité était récente.
- Bah non, elle est congénitale. Bon, ça aussi, il avait prévu de te le dire en arrivant à Paris. Il disait que tu étais grande maintenant, et patati et patata.
- Et il sait qui est mon père biologique ?
- Je n’ai pas osé lui poser la question. De toute façon ça ne regarde plus personne.
- C’est vrai. En tous cas, j’ai bien fait de t’appeler !
- Bon, si tu as des nouvelles, dis-lui de me faire signe ; ou appelle-moi, c’est plus sûr. Je reste chez ma mère en attendant. Ça va aller, toi ?
- Ciao poulette.
- Ciao my love. Je vais prendre une douche avant de sortir. Je sens la sueur qui me coule le long des côtes.
Sans perdre un instant, Amandine descend frapper à la porte des Béchamel.
- Bonjour Madame Béchamel, je peux entrer.
- Bien sûr Amandine.
- Je viens voir si Monsieur Béchamel a besoin de moi.
Ça se passait toujours de la même façon.
- Je te laisse voir avec lui. Il est dans son labo.
- Bonjour Amandine. Entre. Tu viens de recevoir la photo de ta mère ?
- Quelle photo ?
- Je viens de l’envoyer à tout le monde. Le commissaire est passé nous voir, il est tombé par hasard sur cette photo de ta mère. Il a cru qu’il s’agissait d’une photo de toi que j’avais prise à ton mariage et il était étonné de ne pas l’avoir reçue. Je l’ai embobiné et j’ai envoyé la photo à tout le monde. Un petit clin d’œil à ta mère. Sympa, non ?
- C’est très sympathique de penser à ma mère, Monsieur Béchamel, mais je ne viens pas pour ça.
- Un problème ?
- Mon père ne donne plus de nouvelles depuis plusieurs jours et j’ai besoin d’argent.
- Nous pouvons t’en prêter s’il n’y a que ça. Ton père finira bien par nous le rendre.
- Je dépends trop de mon père. Un jour il ne sera plus là. J’ai envie de gagner ma croute. J’ai pensé qu’on pourrait reprendre les séances photo.
- Mais tu es mariée, maintenant !
- Et alors ? Nous sommes des artistes, oui ou non ? On se l’est assez répété. Je ne vois pas où est le problème. Vous savez que je ne pose pas que pour vous ?
- Oui, bien sûr… Mais ça me gêne par rapport à ton père.
- Mon père est le plus grand spéculateur d’Amérique Latine. Il ne pense pas comme nous.
- Soit. Quand serais-tu disponible ?
- Je passe à la prison demain. Après demain, ça irait ?
- Entendu. Vers cinq heures ?
- Vers cinq heures.
Un tigre de métal dans une vierge de velours
En prison, les jours se prolongent interminablement, ponctués de plaintes étouffées, de cris de rage ou de douleur, entrecoupés de silences insupportables. Les structures métalliques aux peintures écaillées semblent suivre la lente détérioration de nos pensées715. Alors chaque jour on recommence sa vie, on s’applique, on mesure la chance, on considère. On donnerait son âme pour un lundi, un RER bondé, une voiture qui tombe en panne, une crotte de chien. On traque tous azimuts716 le moindre moment d’éternité : un peu de poussière qui pétille dans un rayon de lumière, un insecte qui n’en finit pas de mourir, la vibration d’un avion dans l’abdomen d’un nuage, le son évasé du cuivre717 au fond d’un transistor, les cris d’une femme qui déchire du plastique dans le sens du jour. L’imagination ouvre la boîte d’allumettes à l’envers, la raison s’endette, les synapses sont en socquettes, la folie guette les alouettes.
En prison, il n’y a pas de demi-saisons.
L’été, lutter heure après heure contre la chaleur qui monte devient une activité à plein temps. Ça fait du bien de sentir l’air se frayer un chemin jusqu’aux alvéoles. Dans la poitrine, un fil d’Ariane luminescent718 vous indique la voie à suivre jusqu’à votre bête qui n’en finit pas de se frapper la tête contre les murs719.
Ici, la liberté, c’est donner son corps à la médecine, c’est laisser le gaz du soda se faire la belle, c’est s’amuser à recoller les ailes d’une mouche avec de l’eau sucrée. La vie privée du prisonnier ne regarde personne, pas même lui720. À peine lui laisse-t-on le loisir de cultiver son carré d’exéma ou de jouer avec ses crottes de nez. En prison, tu peux lire ton avenir au fond d’un seau, au bout du couloir à gauche721. La seule vraie question est de savoir ce que tu as envie de faire après ta mort.
L’hiver, les parties communes sont chauffées, ce qui permet aux cellules de rester hors-gel. Lutter heure après heure contre le froid qui descend devient à son tour une activité à temps plein. Pendant que les arbres font les morts, que les animaux à plumes722 gagnent les canicules723 (petites chiennes, grandes chaleurs), que sous la terre profonde, les bêtes à poils dorment d’un sommeil sans rêve et qu’un grand drap recouvre la douleur du monde, le prisonnier reste dans son gourbi724 à numéroter ses neurones, emballé dans une couverture qui pue les fluides corporels. Dans sa poitrine, un arbre, phosphorescent comme les yeux givrés des lémurs725, serre doucement son cœur entre ses doigts ligneux. Ça fait peur. C’est frileux, le cœur.
Alors, quand tu sais que tu vas passer une demi-heure avec ta nana, ça te bouffe la tête tellement tu t’enflammes, tellement tu n’existais pas depuis la dernière fois. Tu as l’impression que ça remonte à peine à un quart d’heure et que tu vas remettre ça, tu trouves que la prison c’est chouette, tu as le petit cœur qui bout, la culotte qui tirebouchonne, la mère-grand du conte qui reprendrait bien du poil de la bête tapie à son chevet. Chemin faisant tu rencontres les trois petits cochons726 du petit chaperon rouge qui va faire les frais du cerveau tourmenté de l’ogre (le vautour n’est pas une chouette, cela dit retrouve les cinq chouettes de ce paragraphe727). Alors tu pardonnes aux marchands de proies qui déploient leurs ongles noirs au bord de lacs pas très clairs728. Tu repars, une valise sous chaque œil729, avec dans la tête l’agencement voluptueux des beautés de Louxor et le sourire compatissant des dieux ithyphalliques730.
Amandine est toujours pleine de surprises. Amandine est une artiste. C’est toujours elle qui donne le la, qui fait tourner la serviette, qui monte sur la table pour changer l’ampoule, qui fait la course en tête. Amandine vient d’obtenir son heure de visite dominicale. Et devinez quel jour on est ?
Des femmes font la queue devant le centre de détention avec leurs chariots six roues remplis de linge propre et de denrées. Les enfants se connaissent tous et jouent sur le parking entre les voitures. Ces femmes sont pauvres, rarement vieilles, mal fagotées dans des leggins qui sentent le hamburger et le nugget. Amandine se demande pourquoi on dit des pépites de chocolat et des nuggets731 de poulets. Malgré les rigueurs de l’hiver, les tenues vestimentaires câlinent les beaux jours avec des ouvertures modestes, suffisantes pour faire honneur au détenu mais discrètes pour ne pas renvoyer l’image d’une femelle en chaleur prête à s’accoquiner avec le premier meilleur ami venu732. Enflammés par des mois ou des années de détention, certains esprits peuvent s’emporter à la vue de la moindre parcelle de chair. Chaque semaine, les femmes se présentent comme devant un tribunal, les yeux remplis d’espoir et de crainte. Sur l’échelle de Charles-Francis733, les jugements peuvent aller d’un « j’aime bien ton haut » à un « la prochaine fois évite de t’habiller en pute ». Elles ont trouvé dans la friche de leur vie, un centre autour duquel inscrire les grands cercles de leur amour parfait, un amour sans viol ni blessures, un amour sans alcool, un amour qu’elles consomment sans modération. À leurs oreilles, des téléphones dernier cri murmurent le « prêt-à-chanter734 » de l’amour, sur les accords métalliques des tubes735 dont les décibels font une camisole à leurs âmes sujettes à la fibrillation736.
Petit soldat du sexe, Amandine est en tenue de combat. Avec la dégringolade des températures, son affreuse mante737 de laine sombre et ses chaussures de sherpa738 délassées sont maintenant de saison. Les amples dégagements de sa robe artisanale lui permettent toutes les acrobaties. En revanche, elle a abandonné le soutien-gorge et a aménagé dans sa chemise en jean, au niveau de la poitrine, deux ouvertures horizontales munies de fermetures éclair. Ainsi enserrées, les mamelles gagnent en présence sinon en volume. Deux languettes cousues sous les fausses poches permettent, en tirant dessus, de rentrer prestement les nichons prohibés739 si un surveillant vient à interrompre le congrès740. Enfin, Amandine a innové en faisant bronzer ses jambes jusqu’à mi-cuisses. Les séances d’UV ont permis d’obtenir un résultat homogène d’un bel or qui contraste singulièrement avec la blancheur troublante de son ventre. Deux cylindres brodés, découpés dans la partie supérieure de collants autofixants, assurent les transitions. En matière de pilosité Amandine a opté pour une couverture maximale, privilégiant une sauvage-attitude qui lui semble appropriée à une première. Ainsi apprêtée et munie de son attestation de prolongation, la jeune fille se présente à la porte du centre de détention de Burnes-les-Coquettes, l’âme en fête et le postérieur à l’avenant741.
Julien est ravi de bénéficier d’une visite supplémentaire mais il ne sait pas qu’elle va durer plus longtemps qu’à l’ordinaire.
Amandine compte le chauffer à blanc. Elle va prendre le temps de le torturer.
Julien ne remarque pas immédiatement le tremblement qui anime le thorax d’Amandine dont les seins colorés en bleu se fondent dans le paysage de son corsage en jean. Comme d’habitude, elle le chatouille un peu pour dissiper l’atmosphère anxiogène du caisson de décompression mis à disposition par l’institution carcérale. Comme d’habitude, dissimulée derrière son paravent de poil de chameau, elle remonte sur ses cuisses de gazelle aquatique, le tissu électrique de sa robe. Comme d’habitude, Julien caresse le visage de sa femme. Comme d’habitude, sa main descend malgré lui. Les seins d’Amandine sont bleus comme des oranges742.
Sur sa face interne, le haut de la cuisse743 est d’une douceur à couper le souffle. L’index vient comme un archet chapeauter l’attache du grand adducteur744 avant de s’enfoncer dans la naissance de la fesse. Le tendon se raidi à la moindre contraction du muscle, tel un fantassin montant une garde irascible745 aux portes du palais. La pulpe des doigts adhère à une moelleuse moiteur746 tandis que le dos des phalanges entre en contact avec le coussinet de la toison frisée dont le ressort souple et doux invite au dérapage incontrôlé des sentiments. Amandine ferme les yeux et se mord la lèvre inférieure. Ce point d’acuponcture en relation avec les zones érogènes de la face antérieur du corps, la transforme en machine à jouir.
- Tu n’as pas froid ?
- Ça va.
Une rosée minuscule se développe dans le creux du losange vertical situé entre la base du nez et la lèvre supérieure. Ça commence à picoter. Cet endroit a surement un nom, demande-t-elle à un pompier qui se trouve là ? Un réseau de flammes commence à relier entre elles les différentes zones incendiées. Les standards sont débordés.
Courant après un temps précieux, Julien a repris sa position habituelle et avancé un pied sur lequel Amandine se laisse aller en roue libre, comme sur ces petits sièges de cuir triangulaires qui équipent la plupart des deux-roues. Il a plu et elle n’a pas pris soin d’essuyer la selle de sa bécane. Heureusement, elle ne porte pas de culotte. Elle descend maintenant de plus en plus vite, la pente qui conduit à la plage ; ça sent l’huile solaire et le varech. De temps à autre, une aspérité du sol provoque une secousse qui, par un chemin à chaque fois différent, remonte jusqu’à Rome, citée des arts et de l’amour qui a conquis le cœur d’Amandine à l’occasion d’un voyage d’étude organisé par son école il y a six mois. Elle avait passé le trajet à se faire nettoyer le fond du car par Jules et Jim, deux spécialistes du quattrocento747. Les orteils de Julien s’agitent comme les membres d’un parlement hystérique luttant contre l’abolition de la plaine du nord748. La bataille est perdue d’avance749. Au cœur de cette débâcle foraine, Amandine savoure comme une sucrerie, le pouce fongiforme750. Soudain la mer apparaît, immense et onctueuse ; le mode d’emploi pour la démonter est écrit sur le sable en japonais. Julien fait du rappel en tirant sur la cheville de sa bien-aimée, tout en se cramponnant à la barre de son gouvernail pour garder le cap. Afin d’éviter toute dérive, Amandine décide de donner le change et vire de bord.
- Je pense avoir découvert mon premier violeur.
L’information a libéré sa dose d’histamine751 dans le sang de Julien qui est devenu la housse de lui-même. Son gros orteil s’immobilise dans l’anus d’Amandine.
- Je ne sais pas si je dois le tuer, le dénoncer ou l’oublier.
- Ne fais pas la bêtise de faire justice toi-même.
- Je peux le pousser à se faire justice lui-même.
- A-t-il une chance d’échapper à la justice ?
- Je doute qu’il en ait la force.
- Es-tu certaine qu’il soit coupable.
- Je n’ai pas dit qu’il était coupable, j’ai dit qu’il m’avait violé.
- La nuance est ténue752.
- Je pense avoir également découvert le vrai coupable.
- De plus en plus fort. Et peux-tu aussi pousser le vrai coupable à se faire justice lui-même ?
- C’est moins sûr. Les vrais coupables s’estiment le plus souvent dans leur droit – qui n’est en l’occurrence pas le droit des autres.
- Pourquoi ne pas laisser faire les professionnels ?
- Je n’ai pas confiance en la justice de ce pays.
- C’est grave ce que tu dis là.
- Six mois mour un viol, ce n’est pas cher payé.
- J’en conviens.
- Tiens, je viens de voir le surveillant jeter un œil. Ils vont bientôt interrompre notre canis coïtum à coup de seau d’eau glacée. Profitons-en pendant qu’il est encore temps !
Avec la détente d’un singe rhésus753, Amandine passe par-dessus la table pour se retrouver accroupie sur son mari, les ongles plantés dans sa nuque rasée, la langue fouillant sa bouche, les lèvres de sa vulve poisseuse cherchant son pénis.
- Fais-moi un enfant !
Confronté à cette brutalité soudaine, face à un abandon qui frise la démence, la verge de Julien retrouve instantanément la raideur appropriée à la reproduction hétérosexuée754 entre mammifères de bonne famille. Il saisit à pleines mains la paire de fesses blanches qui dansent depuis des jours dans la robe du soir de son égarement. Il en rit de bonheur. L’imminence de l’intervention du gardien, auquel il laissera le soin d’apprécier la gravité de sa faute, transcende sa culpabilité structurelle et libère ses pulsions fondatrices. Hosanna755.
Pour être plus à l’aise et avoir un œil sur le hublot qui est derrière lui, Julien s’est assis sur la table rivetée au sol, les pieds posés sur son banc. Amandine a profité de la manœuvre pour se débarrasser de son manteau de laine et ramener sa longue traine sur le côté, par-dessus son bras, libérant son cul de neige et transformant le local en peep-show.
La jeune femme se met en rappel à son tour. Les brodequins bien calés sur le bastringage756 de part et d’autre des fémurs masculins, la tête renversée, l’abdomen757 enthousiaste, les cuisses relevées dans la position du lépidoptère758 matutinal759 assoiffé de lumière, elle redouble d’impudeur au vent de panique de Julien dont l’œil anxieux fixe le hublot que peut d’un moment à l’autre venir troubler l’haleine d’un prédateur à sang froid760. Un filet de bave joue au bilboquet avec le menton de la fille. Amandine pompe douloureusement en râlant comme si elle avait un jaguar dans la gorge.
La sauvagerie de sa compagne affole Julien. Il ne tarde pas à lâcher prise sous les coups de reins de l’amazone qui écrase contre le pubis de sa monture, comme sur le pommeau d’une selle, le V4 de son clitoris. Détectant le flux séminal qui arrose maintenant les entrailles fécondes, l’organe se met à vibrer violemment comme la baguette d’un sourcier. Le visage d’Amandine se tord sur un cri silencieux761 qui semble ne jamais devoir finir.
Au-dessus d’eux, telles deux méduses filtrant le plancton, les caméras de surveillance analysent les photons de l’aquarium où forniquent les deux poissons. Le personnel de la forteresse ferme les yeux sur ces débordements qui contribuent à la sérénité de l’institution et dont les meilleures prises de vues arrondissent les fins de mois du personnel.
Amandine remballe sa marchandise flexueuse762 dans son burnous à manche longues, et Julien remonte le caleçon à rayures blanches et rouges que sa femme lui a offert763. Les deux amants qui se sont relevés restèrent longtemps dans les bras l’un de l’autre. Le rideau de tissu est retombé sans un pli sur le théâtre d’ombres de la caverne de Platon764. On est le 20 décembre. Vierge et tigre de métal. Ça sera un félin conçu en captivité, un ambitieux timoré765, un passionné réservé, castré par le sentiment du devoir à accomplir. Encore un grand frustré en perspective, un inquiet.
L’infarctus sonne toujours deux fois
Après avoir longtemps hésité, le commissaire décide de rendre une nouvelle visite aux époux Béchamel, avec l’espoir d’approfondir la nature de leur relation avec Amandine.
Madame Béchamel l’accueille l’œil apaisé. Monsieur est dans son labo, il ne faut pas le déranger.
Oui, cette photo est celle de la mère d’Amandine. Son mari l’a envoyée aux invités en mémoire de la disparue, comme un hommage au passé, un cadeau à Amandine. Il a pris cette photo de sa mère juste avant son départ pour le Brésil alors qu’elle était enceinte d’Amandine.
Oui, Monsieur Béchamel a été amoureux de cette femme.
- Nous étions mariés depuis trois ans. C’étaient nos meilleurs amis, nous avons été témoins à leur mariage. Ils sont partis en voyage de noce au Brésil avec la ferme intention de s’y établir.
Le visage de la vieille femme est devenu translucide.
- Emile n’était plus le même après leur départ. J’en ai ressenti beaucoup de peine et de dépit. En vérité, il n’a jamais cessé de me tromper avec cette femme. C’est à elle qu’il pensait quand il faisait de la photographie.
- Sa muse en quelque sorte.
- Oui, sa muse, si vous voulez.
- Et quand il a appris qu’elle était morte en couche ?
- Ça n’a rien changé. Pour lui, elle était toujours vivante. Il n’a jamais effacé son image.
- Ça a dû lui faire un choc de voir débarquer la jeune Amandine en portrait craché de sa mère ?
- Vous savez, il vient d’avoir soixante-douze ans. Ses lubies d’artiste incompris ne m’affectent plus comme avant. Maintenant, il se débrouille avec sa chambre noire et ses pages blanches.
Une porte s’ouvre dans le couloir, derrière le fauteuil du commissaire. La voix qu’il entend le glace. En face de lui, Madame Béchamel se décompose pour prendre l’apparence d’une momie qu’un maître du suspense aurait affublé d’une perruque766.
- Il est mort. Un arrêt cardiaque, je pense.
- Tu as deviné et tu lui as dit, hein petite catin ?
- Pendant que j’écartais les cuisses et qu’il faisait un gros plan de ma chatte, je lui ai dit « Papa, ta femme vient de m’appendre que tu étais mon père, et que tu m’avais violé l’autre soir ». Alors il s’est mis à suffoquer. Le cœur probablement.
Le commissaire se retourne et voit Amandine en corset beige, chaussée de bottines à lacets d’un autre âge, sans culotte, impudique. Elle porte la perruque de son mariage.
- Salope, tu lui as dit que c’était moi… Il ne savait pas que tu étais… Sans moi tu ne serais pas…
C’est au tour de Madame Béchamel de s’effondrer, victime d’un accident vasculaire cérébral767.
Le commissaire demande à Madame Béchamel de sourire, la met en position latérale de sécurité768 et appelle les secours avant de prêter main forte à Amandine qui a commencé un massage cardiaque de politesse sur son père biologique.
Le Service d’aide médicale urgente769 emporte un cadavre et demi. Amandine part se changer pour passer le réveillon de Noël au commissariat.
Si l’on s’en tient aux derniers mots prononcés par Madame Béchamel, a priori elle seule savait que l’enfant était de son mari.
Amandine avait sournoisement ajouté que Madame Béchamel en personne l’avait informée de la paternité du vieux bonhomme pour donner plus de crédibilité à sa déclaration et faire prendre la béarnaise, cette sauce née d’un malentendu et ainsi nommée en l’honneur d’Henry IV, celui qui jusqu’à quarante ans, dit-on, croyait que c’était un os.
Apprendre, en l’espace de cinq secondes, qu’il avait été père, qu’il avait violé son enfant, qui plus est avec la complicité de sa femme qui avait connaissance du lien qui les unissait, avait été plus que ce que Monsieur Béchamel770 pouvait supporter de son vivant. Maintenant qu’il était mort, ça allait mieux.
Quant à Madame Béchamel, elle s’était effondrée peut-être moins d’apprendre la mort de son mari que de savoir qu’il était mort en sachant qu’elle l’avait trahi et odieusement manipulé. À moins que la mort, qui ne se déplace jamais pour rien, ait jugé que le moment était aussi venu pour madame Béchamel. La mode étant au covoiturage, il devait lui rester encore une place dans sa charrette. Quoique madame Béchamel en eut dit, cet homme était demeuré son seul miroir, même si au fils des ans le tain771 en allé lui avait lentement empoisonné le sang772.
Comment une séance photo avec une jeune fille qui n’a pas froid aux yeux avait-elle dérapée vers le viol caractérisé ? Qui pourrait clairement l’établir, maintenant que l’auteur du viol est mort et que sa femme et complice présumée est maintenue dans un coma artificiel pour éviter que son cerveau n’explose ? Peut-être quelques débris de souvenirs surnagent-ils à la surface de la mémoire d’Amandine ; mais comment les retrouver dans la grande poubelle océanique de son dérèglement existentiel ? Le commissaire avait proposé les services d’un hypnotiseur mais Amandine n’était pas prête à revivre un tel traumatisme. À moins qu’elle n’imaginât qu’elle eût une dette envers cette femme énigmatique et qu’elle voulût étouffer l’affaire. Les derniers mots prononcés par madame Béchamel tournaient en rond dans le marché aux puces de sa déraison : « Sans moi tu… Sans moi tue… Sans moi tu… » Tu ne serais pas là ?
Cependant, il était encore possible de faire des suppositions concernant, d’une part le mode opératoire et d’autre part le motif de Madame Béchamel.
Amandine avait rapporté au commissaire que le motif de la venue de son père à Paris était, selon sa femme, une affaire la concernant. En attendant, Monsieur Luz n’avait toujours pas donné signe de vie ; ni à sa fille, ni à la police, ni à sa femme. Manifestement, il n’avait pas fait le déplacement pour se rendre à une audience. Les Béchamel l’avaient peut-être contacté. Pour quelle raison ? Était-il impliqué dans cette affaire ?
On en vient alors au motif de Madame Béchamel.
Voulait-elle se venger d’avoir été toute sa vie l’oubliée du jardin de l’amour ? Mais que vaut une vengeance si elle n’est connue de personne, se demande ce commissaire sans mystère ?
Voulait-elle ternir l’image d’Amandine aux yeux de son mari, en donnant d’elle l’image d’une dépravée ?
Le viol était-il une façon de réduire son mari à sa merci, de le rendre redevable, de faire pression sur lui le cas échéant ? Ou bien était-ce le désir de prendre la main et surenchérir dans un jeu dont elle avait été exclue, où elle avait fait la morte773 toute sa vie ? Avait-elle voulu corrompre la romance que cultivait son mari dans le secret de ses souvenirs auxquels l’arrivée d’Amandine avait donné une dimension phantasmatique hallucinatoire, avec la mise en œuvre d’un viol sacrilège dont elle s’était instaurée grande prêtresse en administrant le psychotrope à Amandine à l’insu des protagonistes774, et en gardant pour elle le lien de parenté de cet œdipe inversé ? Ainsi, Madame Béchamel atteignait la mère à travers la fille et verrouillait symboliquement le déséquilibre mental de son mari avec un secret dont elle seule avait connaissance et qui servait accessoirement de corset à son égo bafoué.
Plus Amandine prenait alors de la place dans l’esprit du vieil homme, plus le secret détenu par Madame Béchamel gagnait en puissance, comme ces avatars nourris de malfaisance par les sorciers qui ont pour mission de détruire une personne à petit feu.
Peut-être existait-il une autre raison, plus triviale, une accointance plus immédiate qui liait Amandine à Monsieur Béchamel et que Madame Béchamel voulait détruire par tous les moyens.
Le commissaire Burandeau pense qu’il doit remonter plus loin aux sources du mal. Le Bar à Jo est le seul espoir qui lui reste, son cabaret de la dernière chance775.
En attendant, Maître Burandeau s’était planté : le violeur ne figurait pas sur les photos de mariage puisqu’il les avait prises ! La mauvaise fois n’est pas la moindre des qualités776 du commissaire.
La pyramide des anges
Le Bar à Jo est en ébullition. Accrochés au comptoir, les chemineaux forment un essaim à la convivialité bruyante qui sent bon le bleu de chauffe. Il y a aussi Nanar et Lulu, les deux bourdons de service. Le virevoltant Nanar a pour chacun le mot gentil qui tue777.
- Alors, les pédés de la SNCF, on se tient chaud ?
- Oh, ta gueule Nanar ! D’abord on ne dit pas les pédés, on dit les jeunes filles mâles.
- Ah-ah-ah-ah-ah
- Et puis arrête d’être grossier, tu vas mettre le p’tit Lu mal à l’aise.
- Oh les gars, vous allez vous calmer. Un homme seul et sans défense face à une meute en chaleur. Vous n’avez pas honte !
- Laisse, Nanard ; c’est bien connu, dans le rail on se serre les coudes778.
- Ha ha ha, t’es con Lulu !
Les deux compères ont la détente chatouilleuse. Toujours prêts à vous tailler un costard sur mesure. Ce n’est pas pour rien qu’on les surnomme les tontons fringeurs779.
- Eh, Quasimodo !
- Monsieur Quasimodo.
- Il y avait de la girafe à la cantine ce midi ?
- De la girafe ?
- Tu as la cravate pleine de girafes780 !
- Ha ha ha, t’es con Nanar !
Le commissaire s’installe au fond de la salle. Jojo lui fait signe qu’il l’a repéré.
- Comment ça va, le prof ? Tu payes ton coup ?
- Tu sais bien que les caisses de l’État sont vides, Lulu.
- Alors c’est moi qui t’invite. Je sais bien que les intellectuels ne s’intéressent pas au fric.
- C’est vrai, ils ne s’intéressent qu’à l’argent !
- Ha ha ha, t’es con Nanar !
- À propos, il faut laisser tomber l’argentique et passer au numérique professeur.
- Qu’est-ce que tu veux dire, se renfrogne l’homme de science781 ?
- Rapport à vos épaules neigeuses professeur. Il faut en finir une fois pour toute avec les pellicules.
- Ha ha ha, t’es con Nanar !
Jojo arrive en claudiquant, une bière dans une main, une lavette dans l’autre.
- Désolé de passer en plein coup de feu.
- Y a pas mort d’homme commissaire.
- J’ai une triste nouvelle.
- Ha ?
- Les Béchamel sont décédés.
- Un accident de voiture ?
- Arrêt cardiaque pour monsieur, AVC pour madame.
- En même temps ?
- Quasi.
- C’est pas possible !
- Il a appris brutalement qu’il avait violé sa fille. Ça l’a tué.
- Il avait une fille ?
- La fille que Nanar et Lulu ont raccompagnée chez elle il y a un peu plus de sept mois.
- Merde ! Et Béchamel a violé sa fille ?
- Il ne savait pas que c’était sa fille.
- Ah, tout de même.
- Il l’a quand même violée. Et sa femme savait qu’il était le père de la fille.
- Elle est morte de chagrin en voyant son mari mourir ?
- C’est plus compliqué que ça ; on pense qu’elle a organisé le viol. Elle a fait un AVC en apprenant que son mari avait compris, avant d’en mourir, qu’elle avait organisé le viol en connaissant le lien de parenté entre lui et Amandine. La fille a prêché le faux pour savoir le vrai.
- C’est elle qui leur a dit ?
- Oui, elle a recollé les morceaux quelques heures avant la police.
- Eh beh, une affaire de famille bien tordue, commissaire ! Mais j’imaginais Madame Béchamel plus solide.
- Elle aurait peut-être pu s’en sortir mais quelqu’un l’a débranchée hier à la Pitié-Salpêtrière.
- Comment c’est possible, un truc pareil ?
- Peut-être la vengeance d’un Monsieur Luz qui reste introuvable.
- Qu’est-ce que monsieur Luz vient faire dans cette histoire ?
- La fille était Amandine, la fille de monsieur Luz.
- Celle que Nanar et Lulu ont raccompagnée ?
- Elle-même.
- Merde, je ne l’ai pas reconnue avec ses cheveux courts.
- Je n’ai pas encore tous les détails. L’enquête est en cours. Et on aimerait clore cette affaire. Pour ça, on cherche à en savoir un peu plus sur Madame Béchamel qui avait, semble-t-il, le rôle principal dans cette histoire. Peut-être qu’il vous reste quelques souvenirs concernant les uns et les autres…
Le vieil homme branle du chef. Ça sent le dernier round.
- Allez patron ! Tournée générale ! Ouvrez grand vos guillemets et dites-moi ce que vous avez sur le cœur. Visiblement, Madame Béchamel avait la rancune têtue !
- Vous savez, tout le monde était au courant de l’histoire de ces deux couples, les Béchamel et les Luz.
- Encore et toujours l’histoire du type qui couche avec la femme de son meilleur ami ?
- Non, son meilleur ami, c’était moi. Mais il y a un peu de ça… avec une variante. Georgette était enceinte de Monsieur Béchamel quand il a été question qu’elle se marie avec Monsieur Luz. Elle avait alors le choix entre avorter ou se marier le plus rapidement possible avec Monsieur Luz.
- Ou se marier avec Monsieur Béchamel.
- Il était déjà marié à Madame Béchamel. Et puis elle préférait Monsieur Luz. C’était assurément un meilleur parti. Elle couchait avec Monsieur Béchamel pour faire plaisir à Madame Béchamel. Georgette était l’amante de Madame Béchamel.
- Ce n’étaient donc pas les hommes qui étaient amis ?
- Non, c’étaient les femmes.
- Tous les égouts sont dans la nature.
- Ne dites pas ça commissaire. Les plus grands homosexuels sont ceux qui s’ignorent782.
- Psychologie de comptoir ou insulte à agent, tenancier ?
- On peut demander à Nanar et Lulu ce qu’ils en pensent.
- N’allez pas nous les vexer, ils peuvent encore servir.
- Toujours est-il que Madame Béchamel avait invité Georgette à sa nuit de noce avec Monsieur Béchamel, une jeune fille à peine sortie de l’adolescence qui n’avait plus ses parents. Ils formaient une sorte de ménage à trois. Beaucoup croyaient que c’était leur fille. Monsieur Béchamel trouvait visiblement la situation à son goût. Un peu trop. En voyant le tour que ça prenait, Madame Béchamel a fini par présenter Georgette à Monsieur Luz, un libertin de la haute qui a tout de suite été très emballé.
- La situation semblait donc sur le point de se normaliser ?
- Oui… Sauf qu’un soir, un peu avant le mariage des Luz, Madame Béchamel a réservé une chambre pour trois nuits. Elle n’est pas venue avec son mari. Ça voulait dire qu’elle préparait un avortement. Madame Béchamel était une faiseuse d’anges. Seulement, c’est la Georgette qui s’est pointée. Il y a eu une altercation entre les deux femmes. Finalement, Madame Béchamel m’a rendu la chambre le soir même.
- Vous voulez dire que Madame Béchamel était au courant de la grossesse ?
- C’est évident.
- Et Georgette a finalement choisi de garder l’enfant après avoir envisagé l’avortement ?
- Il faut croire. Toujours est-il que peu de temps après, Georgette se mariait et partait pour le Brésil avec un Béchamel783 dans le tiroir.
- Et comment Madame Béchamel a-t-elle pris ça ?
- Madame Béchamel avait les trompes bouchées par les chlamydias. Elle a peut-être convaincu Georgette de garder l’enfant. D’une certaine façon, en refusant de pratiquer l’avortement, elle faisait un enfant à son amante. De sorte qu’elle était un peu le père d’Amandine, par insémination interposée. Je me suis toujours demandé si mon pote Béchamel avait été mis dans la confidence. Je pense qu’il me l’aurait dit. Et puis, je suppose que sa femme ne voulait pas prendre le risque de le perdre, même s’il n’était pas homme à embarquer sur le premier cargo venu pour rejoindre la femme de sa vie, entre l’équateur et le tropique du Capricorne. Maintenant on est fixé : il ne savait pas car il n’aurait jamais violé sa fille.
- Un viol sur deux est un inceste.
- Toujours est-il que cette affaire a précipité le mariage et le départ du couple pour le Brésil, éloignant définitivement Georgette de Monsieur Béchamel.
- À moins que Georgette n’ait tout avoué à son futur mari et que celui-ci ne l’ait convaincue de garder l’enfant ?
- Je doute que Monsieur Luz ait été mis au courant avant le mariage. Ça sent plutôt les aveux de la dernière heure.
- Décidément, la Béchamel était fâchée avec la vie ; entre maternité par procuration et confitures de fœtus, on ne peut pas dire qu’elle ait eut la main verte.
- Vous savez, elle ne faisait que répondre à la demande. Le sort se chargeait du reste. Regardez, ça n’a pas empêché Georgette de mourir en couche.
- Madame Béchamel devait avoir le sentiment de pouvoir tricoter784 le destin. Une maille à l’endroit, une maille à l’envers.
- Elle n’avait pas froid aux yeux, elle était âpre, dominatrice, jalouse, rancunière, avec des crises de générosité inexplicables. Elle a dû vivre de drôles d’histoires, elle aussi.
- Et son mari, c’était quelle sorte d’ange ?
- Un type sympa, ils se complétaient bien.
- Pensez-vous que Madame Béchamel aurait eu le courage de tuer quelqu’un ?
- Comme vous et moi, commissaire, un petit cadavre de temps en temps.
- Finalement, Amandine aura été un peu la fille de tout le monde : celle qu’on n’a pas pu avoir mais qu’on a mise au monde785, celle dont on n’a pas pu profiter786, celle qu’on a eue sans le savoir787, et celle qu’on a eu contre toute attente788.
Pour la première fois, le commissaire boit sa bière et la trouve bonne. Amère, mais bonne. Il pose son billet sur le formica.
- Je vous l’offre commissaire.
Personne n’a de nouvelles de Monsieur Luz mais la première enquête est close.
L’expertise ADN a confirmé que les deux spermes provenaient de Monsieur Béchamel.
- Dites-moi, Burandeau, on aurait pu s’en passer de cette analyse d’ADN ? Vous êtes d’accord avec moi ?
Les deux coupables sont morts. Amandine a-t-elle été consentante à un moment ou un autre ? Ce n’est plus du ressort de la justice. À sa décharge, trop de fées et de sorciers avaient vomi dans son berceau789.
En revanche, l’enquête sur la mort de Madame Béchamel piétine. Amandine n’a pas pu fournir d’alibi et son père n’a toujours pas donné signe de vie.
Dans la pénombre chic de son cabinet, Maître Chantecler790 décachette la lettre qu’il ne devait ouvrir qu’après la mort de madame Béchamel : « Je, soussignée Madame Louise Béchamel, accuse mon mari, Monsieur Emile Béchamel, d’avoir violé sa fille, Amandine Luz. Merci d’en informer la police. » Une moue dépitée ajoute un bourrelet au visage du notaire. Il n’y a plus personne à faire chanter. Il met le feu au document. Du bout de son mocassin blanc il repousse un fragment bruni qui tente de s’échapper de l’âtre.
Un enterrement peut en cacher un autre
Amandine est convoquée chez Maître Chantecler pour quinze heures trente, l’heure à laquelle les hommes qui ont trop de mauvais cholestérol donnent leurs rendez-vous.
La jovialité du notaire frôle les zéro cinq. La chair de son cou déborde de façon obscène du col minerve de sa chemise. Sur le point d’éclater, son visage rubicond annonce un orgasme éminemment791 imminent792. L’homme pose sur ses interlocuteurs des yeux exorbités pour un tarif exorbitant.
- Mademoiselle Amandine Luz, vous êtes sur le testament de Monsieur Béchamel récemment décédé. Il n’avait pas d’enfants ni de proches. Vous êtes donc son unique héritière, claironne-t-il, la bajoue trémulante793.
Amandine ne s’attendait pas à une telle générosité.
- Madame Béchamel n’était donc pas propriétaire ?
- Son nom n’apparaît sur aucun des titres de propriété, à savoir trois appartements, deux sis au 5 bis rue de Médicis dans le VIe et le troisième au 18 rue de la Mouche dans le XIIe. Ils étaient mariés sous le régime de la séparation des biens. Acceptez-vous l’héritage, demande l’homme de loi en louchant vers les cuisses de chintz794, imprimées795 de glycines et de lupin796 sauvage797.
- C’est un joli cadeau de Noël, je l’accepte.
- Vous devez maintenant vous acquitter des frais de succession, en l’occurrence 60%. Si pour ce faire vous voulez vendre un ou plusieurs appartements, je peux me charger de vous trouver des acquéreurs, propose le vinassier798, un affreux sourire agriffé799 aux zygomatiques800.
- Il se trouve que je suis sa fille biologique. Cela devrait faire considérablement baisser les frais de succession ?
Madame Béchamel avait manifestement organisé le viol pour pouvoir menacer son mari de le dénoncer s’il ne modifiait pas le testament. La mise en scène des couvreurs avait obligé la police à faire des investigations poussées dans le vagin d’Amandine et de recueillir le sperme de Monsieur Béchamel, preuve dormante que sa femme aurait pu agiter si nécessaire sous les naseaux d’Emile. Elle ne projetait a priori pas de lui révéler qu’il était le père biologique d’Amandine. Ce secret était sa petite vengeance personnelle, et accessoirement la poire pour la soif qu’on se garde sous le coude au cas où James Bond n’arriverait pas à faire le taf801. Telle est l’histoire d’Emile et une nuit.
Madame Béchamel s’était servie de l’activité de photographe de son mari pour blanchir des prestations non conventionnelles. Les gains étaient investis dans l’immobilier et le nom de Madame Béchamel n’apparaissait nulle part. Elle avait assumé le risque de se faire doubler par un mari prévisible dont elle estimait avoir le contrôle. Tout avait basculé à l’arrivée d’Amandine, lorsque le père Béchamel avait fait de la fille sa légataire802 testamentaire en mémoire de la mère dont le souvenir avait pris corps à travers ses Leica803. Il était mort avant que sa femme n’ait pût le faire chanter. Ça l’avait tuée.
Burandeau se rappelle combien elle était calme quelques minutes avant de mourir. Pourtant, la nouvelle que le violeur d’Amandine était son père n’avait pas pu la laisser indifférente ! Burandeau craignait le pire ; mais il n’en avait parlé ni à sa femme, ni au divisionnaire.
On est fin mars, Amandine est enceinte de trois mois et ça ne se voit pas. Julien a été relaxé après les conclusions de l’enquête. Le couple a décidé de s’éloigner du 5 bis, dont il va mettre en location les trois appartements, pour s’installer rue de la Mouche. L’hiver recule à petits pas humides sous les théories804 fumeuses des cumulus qui siphonnent les cieux hydropiques805. Il y a sans doute des travaux à faire avant d’emménager. Le moment est venu pour Amandine et Julien de visiter leur future demeure. Amandine caresse son ventre. Une goutte de pluie éclate sur le dos de sa main806.
L’appartement est situé au septième et dernier étage d’un immeuble avec ascenseur. Amandine rayonne.
La clé tourne dans la serrure avec un bruit clair qui met en valeur les beaux volumes de la cage d’escalier. La porte de châtaigner s’ouvre sans grincer sur une grande pièce à vivre. Ça sent l’encaustique807.
Un couloir donne accès à deux chambres séparées par une salle de bain confortable. Au fond à gauche, il y a une troisième pièce, spacieuse, mitoyenne avec la cuisine. On a ainsi fait le tour du propriétaire dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Toutes les pièces sont revêtues de parquet, excepté la cuisine et la salle de bain dont les sols sont recouverts de larges carreaux de pierre. L’appartement jouit d’une triple exposition. Décidément, les Béchamel étaient de fins investisseurs.
L’appartement ne comporte aucun meuble, excepté une penderie grande comme un débarra et, dans la pièce à vivre, une table basse, deux chaises et un meuble dont le ronronnement soudain attire l’attention de Julien.
- Tiens, un congélateur bahut. Qu’est-ce qu’il fout là ? Je parie qu’il est trop long pour entrer dans la cuisine808 ?
- Ne touche à rien Julien. J’appelle le commissaire.
- Pourquoi ?
- Un pressentiment.
Le commissaire Burandeau est rapidement sur les lieux. Il est livide, défait, sous lui. L’heure qu’il redoutait a sonnée. Il a le même présentiment qu’Amandine.
Il savait que Monsieur Luz était revenu en France pour une affaire urgente concernant Amandine. Probablement à la demande de Madame Béchamel. Quel motif avait-elle invoqué pour réussir à le convaincre ? Cela importait peu au commissaire, compte tenu de ce qu’il s’attendait à découvrir.
Lorsque Burandeau avait dit aux Béchamel que le violeur était le père d’Amandine, Madame Béchamel avait pensé que Monsieur Luz était un coupable tout désigné tant qu’on n’analyserait pas son ADN. Madame Béchamel était prête à tout pour conserver le moyen de faire chanter son bonhomme. Il lui appartenait d’abattre son jeu au moment où elle le jugerait opportun, après avoir copieusement muri son Trafalgar. Pas question que les soupçons se portent sur son mari pour le moment et que la belle infamie qu’elle avait ourdie soit anéantie. Mais la femme de l’art ne savait pas que, non seulement, comme elle, Monsieur Luz était stérile, mais qu’en plus cet homme à l’agenda secret avait un alibi en or, notoire, en l’occurrence son alliance.
Un violent brouillard tourbillonne devant son visage lorsque le commissaire soulève la porte du congélateur. L’épaisse nuée de cristal se dissipe pour laisser apparaître dans son tombeau de givre, un Monsieur Luz au teint calciné mais à l’expression éminemment809 paisible.
Le commissaire observe le cadavre à travers les brumes glacées d’une impuissance définitive810, puis repose le battant avec une tristesse sans fond.
Sarcophages sont
En terre profonde
Costumes de plomb
Pour la fin des mondes
Ces vers de Giacomo Bartholdi lui reviennent en mémoire. Il pense que les explications rationnelles rassurent notre entourage sur notre incapacité à lire, en nous-mêmes et dans les autres, les motifs qui gouvernent aux sentiments. Mais il est à court. Il n’est plus possible de masquer la douleur.
Lors de la mise en humus de Monsieur Luz, pas très loin de Barbara811, au cimetière de Bagneux, les yeux d’Amandine se brisent en un millier de perles de glace. Pour la première fois, Julien voit Amandine pleurer.
Plusieurs délégations sont venues d’Amérique du Sud pour constater la mort de l’homme de pouvoir. Elles circulent entre les groupes avec des hésitations feintes et des gaucheries imbibées de componction812. À quelques pas de la tombe encore ouverte, dissimulant leurs sourires à pivots813 derrière leurs mobiles814 – à moins que ce ne soit l’inverse815 – ces messieurs murmurent à tout va « Delta Charlie Delta816 ».
D’un commun accord, et sur la recommandation de leurs amis argentins, Amandine et sa copine d’enfance, Angelina, veuve Luz, ont chargé Maître Burandeau de régler l’héritage qui s’annonce compliqué.
Amandine et Julien l’accompagneront.
- Vous reviendrez, demande Burandeau à Amandine ?
- Je ne pense pas commissaire. Pour régler définitivement son manque d’estime de soi, je vais devoir faire de mon vieil ado désespéré un desperado hors pair, um macho dos pampas, un homme du Sud. Le brésil m’y aidera.
- Et vos problèmes à vous, sont-ils résolus ?
- Je laisse ici mes remords. Je sais qu’un jour je les regretterai. Rien n’est plus doux que la folie817.
Le commissaire accompagne sa femme à l’aéroport. Il est affligé comme une serpillère au fond d’un seau. Il n’a pas su aller au bout de son enquête – est-elle seulement terminée ? Il avait fait incarcérer un innocent et avait provoqué l’assassinat du père de la victime. Il sait que cette culpabilité sur laquelle il s’était recroquevillé, allait lui pourrir la vie aussi surement qu’un cestode818 méthodique et solitaire.
- On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs, Burandeau, avait philosophé le divisionnaire.
- Des œufs de mouche819, en l’occurrence.
La victime lui a rendu la monnaie de sa pièce en embarquant sa femme avec elle pour le Brésil, l’avocate d’affaire Madame Burandeau. Il peut compter sur Amandine pour que justice soit faite. Le commissaire est impressionné par la maitrise des alchimies du vice et de la vertu de cette fille, sa connaissance des malines proportions820, son parti pris du vertige. On devient commissaire, on naît justicier.
Dans cette affaire, il avait toujours eu un coup de retard et la victime s’était chargée de châtier son agresseur. Il n’est pas particulièrement fier de sa prestation. Sans compter que l’assassin de l’instigatrice de cette sinistre faustinerie821 courrait toujours.
Il n’y a pas de quoi pavoiser. Pour quelqu’un qui se targuait de réfléchir avant de penser… Non, assurément, plus jamais il ne se laissera emporter par la dialectique. « Je comprends tout à fait, Madame Béchamel » : il s’était fait avoir comme un bleu par cette femme qui lui avait servi l’évidence sur un plateau, accompagnée de quelques gâteaux au sésame, l’encourageant à surenchérir et à dévoiler son jeu. Docilement arrogant822, il avait cédé à l’hubris823 comme un hurluberlu824.
Une fois seul, le commissaire prend le temps de se repasser le film dans le salon privé de son ressentiment. Plusieurs points le laissent sur sa faim. Quand l’appétit va, tout va : Burandeau reprendrait-il du poil de la bête ? C’est le Burandeau que j’aime !
En recoupant les informations données par la médecine légale et celles fournies par le mode d’emploi du congélateur, l’enquête avait établi que Monsieur Luz était mort du vivant de Madame Béchamel. Celle-ci pouvait à titre posthume prétendre à la distinction de cerveau. Burandeau trouve néanmoins que la bande de malfaiteurs manque de consistance et d’organisation. D’autant que Monsieur Béchamel était un élément somnolant dans ce paysage dévasté. Or, malgré toutes ses qualités, Madame Béchamel avait dû solliciter de l’aide, ne fût-ce que pour déposer le corps de monsieur Luz dans le congélateur.
Le commissaire tire une bouffée de son pétard, un excellent shit directement prélevé sur la réserve du patron. Pour résoudre certaines énigmes particulièrement retorses, le personnel a recours à cette chimie douce qui stimule l’imagination, selon l’avis de ses adeptes. Le commissaire ferme les yeux et parcourt un instant les steppes d’armoise825 de son enfance où sa mère allait chercher remède contre les règles douloureuses.
Tout bien considéré, le raisonnement à tenir est d’une simplicité watsonienne826.
La police est intervenue pour trois raisons.
Primo, Nanar et Lulu ont ameuté la galerie avant de partir, secundo ils ont laissé la porte ouverte en partant, tertio ils ont disposé le corps d’Amandine tel un gamétophore propre à attirer toutes les bestioles de la sorgue827 – la seule question restée en suspens étant de savoir s’il fallait ou non baisser une culotte. Trois comportements improbables. À moins de vouloir délibérément attirer la police et que soit entreprise une recherche de sperme.
Cette mise en scène et tout ce remue-ménage avait en effet permis aux Béchamels d’alerter la police. Ce qu’ils n’auraient pu faire s’ils avaient eux-mêmes ramené la fille chez elle.
À ce stade du raisonnement, on peut imaginer que Nanar et Lulu ont été missionnés par Madame Béchamel. Manifestement Jojo a été manipulé, sa demande étant prévisible ; et ne l’eut-il pas faite qu’on lui aurait proposé le service. Pourquoi Nanar n’a dit, ni à Lulu ni à la police, qu’il avait vu le nom de Béchamel sur l’une des portes de l’immeuble, sur une boîte aux lettres ou sur l’interphone ? Soit le nom n’était pas marqué, soit il était marqué mais il ne l’a pas vu, soit il l’a vu ou le savait et n’a pas voulu en parler car il était de mèche avec la Béchamel.
Dans cette dernière hypothèse, Lulu n’était pas au jus de ce qui se tramait, il était le candide prévisible que son pote Nanar avait fait tourner en bourrique avec cette histoire de culotte pour ameuter la galerie. Nanar avait aussi pu briser le vase intentionnellement.
Enfin, Nanar a très bien pu donner un coup de main à Mamie Béchamel pour installer Monsieur Luz dans son buffet froid828 après qu’elle eut drogué celui-ci au flunitrazépam, benzodiazépine dont on avait trouvé des traces à l’autopsie – on ne change pas une formule qui gagne.
Dans l’hypothèse où la complicité de Nanar serait avérée, celui-ci pouvait craindre que des aveux fussent arrachés à une madame Béchamel très diminuée ; ce qui fait de lui un suspect de choix dans l’affaire du débranchement criminel de la Pitié-Salpêtrière.
Il faudrait donc passer au peigne fin l’appartement du XIIe pour retrouver les traces du drôle829, et cela ne prouverait rien, sinon que Nanar était un familier des Béchamel ; tout ce petit monde se connaissait de près ou de loin. Et puis, que va devenir Lulu si on inculpe son pote Nanar ?
- Non, les indics ça se bichonne. Donner un coup de main est leur raison d’être. Il faut savoir partager l’argent du beurre. Quant à la crémière, sa moralité n’est pas acquise, pense à voix haute le commissaire.
L’idée que le père adoptif d’Amandine avait été congelé vivant, amplifie la culpabilité éprouvée par le commissaire Burandeau. À l’occasion d’un passage par le XIIe, il retourne sur les lieux du crime. C’était un peu son crime, après tout !
Il tombe sur des Nanar et Lulu d’humeur vernale830 en bleus de travail rouge tulipe831, occupés à descendre des sacs de gravas.
- Jojo désire tout rénover avant de mettre en location.
- Il a acheté ?
- Faut croire.
- Jojo connaît Amandine Bonneuil ?
- Il l’a invité à la fête des voisins.
- Ce n’est pas fin mai, la fête des voisins ?
- Monsieur Jojo a le sens de la fête, hein Nanard ?
- En fait, je crois qu’ils se sont rencontrés par l’intermédiaire d’un notaire. J’ai compris que Monsieur Béchamel avait légué à Jojo quelques œuvres d’art, s’autorise Nanard.
Burandeau qui, comme Bonneuil, n’a pas pléthore832 d’amis, a du mal à appréhender ces relations de doudous. Ces potes qui se donnent des noms de couverture de survie affective et qui se touchent les couilles, ça le dépasse. Comme disait la Comtesse de Sédur833, si les introvertis se replient sur eux-mêmes, les extravertis se replient sur les autres.
Le dossier est clos, Lulu peut dormir sur ses deux oreilles, on ne va pas lui prendre son pote de sitôt. Il n’y a plus dans cet appartement aucune trace exploitable. Burandeau a toutefois perçu une certaine amertume dans la voix d’un Nanar qui n’a peut-être pas récolté tout le fruit de son travail.
Il ne restait plus beaucoup de pistes à explorer, de poils à gratter, de mouches à enculer. Sans compter qu’on ne savait toujours pas qui avait baissé la culotte d’Amandine. Celui ou celle qui l’a fait n’était pas dans un état qui lui aurait permis de s’en souvenir, se fait une raison Burandeau. Même exposé au vu de tous, l’origine du monde ne saurait se départir d’un certain mystère. Avril, ne te découvre pas d’un fil !
Heureusement, une autre affaire attend le commissaire. Le détenu Gégé la Redoute a profité d’une permission de quarante-huit heures, gagnée à un concours de poésie, pour se faire la belle. On a perdu sa trace au Salon du livre, juste après qu’il eut déclamé son chef d’œuvre en public. Plus féru834 de brèves de comptoir que de littérature, Gégé la Redoute aurait bénéficié de la complicité d’un autre détenu. En l’occurrence, seul Julien Bonneuil avait l’étoffe et la voilure pour écrire le poème primé (une analyse du poème incriminé est en cours). Et allez donc. Le commissaire se félicite de n’être qu’un personnage dans cette histoire ; pour rien au monde il ne troquerait sa place avec l’auteur. Ça part vraiment dans tous les sens. De là à ce qu’on apprenne que Julien et Amandine ont le même géniteur, il n’y a qu’un pas.
Quelque jour plus tard, en pleine nuit, Burandeau reçoit un courriel de sa femme le prévenant que l’héritage s’avère plus complexe que prévu. Il y en a pour plusieurs semaines. La grossesse d’Amandine se déroule sans problème. Julien est très attentionné. Madame Bonneuil projette d’ouvrir une galerie d’art et Madame Luz fait la promotion d’une campagne de vaccination.
Burandeau explose de rire à la lecture de ces phrases sans queue ni tête. Les nouvelles du front835 crèvent l’écran : il est cocu. Sans qu’il soit possible de distinguer l’extrémité du navire, le commissaire sent que le vent attaque la crête des vagues836. Un cariste837 a déposé au milieu du salon Louis XIII de son entendement, une palette de sentiments qui vont du doute hyperbolique838 au malaise exponentiel en passant par une résignation asymptotique839. Il manque une pièce dans le vaisselier de tata Marthe, une tasse, une soucoupe peut-être, ou le sucrier. Mais Burandeau n’a jamais su crier840, Burandeau est un calme, un dents-tendres841, un pique-bœuf de la société civile, un planqué, un jean-foutre. Il n’a pas la propension à marteler, à revendiquer, à allonger le pas, il est plus naturellement enclin à ruminer sa joie, à sursoir842 les doléances, à procrastiner843 sa sexualité. Il n’est bon qu’à décortiquer les agendas, analyser les urines, classer les détritus, et s’en remettre à une sérendipité844 de bon aloi, une fatalité bon chic.
Cependant, il espère encore avec la force du désespoir845. Le bonheur est mouvant, comme ces bancs de sables qui changent de place chaque été sur la Loire de son enfance.
À moins qu’à travers ces phrases sans âme, sa femme n’ait voulu lui adresser un message de détresse codé. Mais oui, c’est tellement évident qu’il a failli passer à côté.
Maître Burandeau, est rapatrié en Falcon pour témoigner dans une vieille affaire dont on a opportunément rouvert le dossier.
- Je savais que tu comprendrais mon lapin. Vous êtes très fort commissaire ! Je n’étais pas de taille à lutter contre cette pègre, Burandeau. Encore une semaine et je me faisais bouffer par mon sac à main en croco.
- Nous avons la meilleure justice du monde, ma chérie. Il est normal que tu en bénéficies, après tous les services que tu as rendus à ton pays.
- Comme c’est bon, de retrouver la France, son mari et les châteaux de la Loire.
Que venaient faire les châteaux de la Loire dans la bouche de sa femme qui les déteste depuis qu’ils en avaient fait le tour en tandem sous une canicule de la fin du XXe siècle ?
Burandeau se réveille en sursaut. Les vibrations de son téléphone mobile l’avertissent qu’on a déposé un courrier dans sa boîte aux lettres électronique.
C’est sa femme !
Tout va très bien ici. L’héritage est essentiellement immobilier, ça va être vite réglé.
Julien n’aime pas le Brésil, la mort qui rôde846 y rend l’insouciance prurigineuse847.
Amandine se languit de la vie parisienne et de ses amis artistes. Elle se plaint de la chaleur et de la pluie incessante. En comparaison, la giboulée de mars du Périgord, c’est de l’urine de pipistrelle848. Amandine envisage de rentrer en France avec moi. Finalement, elle pense qu’il vaut mieux avoir les tropiques en peinture sur les murs d’un appartement parisien, plutôt qu’en poussière entre les orteils. Les deux tourtereaux vont se réinstaller chez Julien.
Angelina sera du voyage. Elle ambitionne de rejoindre les anges de la finance849 de la vieille Europe. J’ai l’impression qu’ils font ménage à trois. Julien a l’air de bien prendre la chose.
Un gros poutou au commissaire-priseur de mon cœur qui n’a pas de prix.
Le commissaire Burandeau n’a pas l’impression que l’histoire se répète. L’idée que Julien pourrait mettre enceinte Angelina ne l’effleure pas. Tant mieux car il en a assez bavé dans cette histoire.
Un sourire affectueux descendu des couches basses des cieux se pose sur son orifice buccal.
- C’est bizarre, je suis commissaire mais j’ai une femme adorable, je ne bois pas, je ne fume pas, je ne suis pas tout à fait dépressif. Cherchez l’erreur. Ma bagnole, les gars850 !
- Non, l’erreur, c’est Nanar !
Une enquête, c’est comme une bagnole : lorsque qu’on a remonté le moteur, il reste toujours une pièce en forme d’épée de Damoclès dont on ne sait que faire, avec la crainte qu’elle s’avère indispensable à un moment ou à un autre du fonctionnement de la machine. Ce type est un véritable danger, une sangsue visqueuse, un anatife851, un taret852 de la pire espèce. Savoir ce mauvais génie en liberté rend Burandeau malade. La justice ne peut pas grand-chose contre ces consultants du crime qui travaillent au forfait ou au pourcentage en restant prudemment au second plan. Ils participent du terreau sur lequel prospèrent les délinquances de tout poil.
À la rigueur on pourrait réutiliser le passif du personnage dans un feuilleton. Pas dans un roman. Le plus simple est de s’en débarrasser, en apprenant dans le Parisien, quelques mois plus tard, que le petit Lulu s’est livré à la police après avoir défoncé le crâne du grand Nanar à coups de marteau. Celui-ci aurait refusé de partager de l’argent découvert sous le plancher d’un appartement de la rue de la Mouche dans lequel ils faisaient des travaux, sous prétexte que les anciens propriétaires avaient une dette envers lui.
- On se retrouve à l’enterrement, avait plaisanté Nanar avant de mourir, refermant sur son pote Lulu la serrure inviolable du remord – Narration853 oblige, Nanar se devait d’avoir le mot de la
FIN
NOTES
- Un nahual, ou nagual, est, dans les croyances mésoaméricaines, un être mythologique de nature double, à la fois humaine (ou divine) et animale. La forme animale du nahual est le plus souvent un canidé (coyote, chien), un rapace, un âne ou une dinde, ou un animal plus puissant comme le jaguar. ↩︎
- rubigineux : Couleur de rouille. ↩︎
- Tezcatlipoca (nom nahuatl signifiant littéralement « Miroir fumant ») est un dieu de la mythologie aztèque. C’est la plus crainte de toutes les divinités aztèques. Tezcatlipoca est associé à de nombreux concepts : la nuit, la discorde, la guerre, la chasse, la royauté, le temps, la providence, les sorciers et la mémoire. ↩︎
- Les Urodèles forment un ordre d’amphibiens qui gardent une queue à l’état adulte, à la différence des anoures (comme les grenouilles et les crapauds) et des gymnophiones (amphibiens vermiformes et jolie insulte). ↩︎
- En rhétorique, un oxymore ou oxymoron, est une figure de style qui vise à rapprocher deux termes (un nom et un adjectif) que leurs sens devraient éloigner, dans une formule en apparence contradictoire, comme « une obscure clarté ». ↩︎
- Le pléonasme est une figure de style où l’expression d’une idée est soit renforcée soit précisée par l’ajout d’un ou plusieurs mots qui ne sont pas nécessaires au sens grammatical de la phrase, et qui sont synonymes. ↩︎
- un oxymore est un pléonasme dévastateur : Jeu de mots avec les synonymes occis et mort. Par ailleurs, un oxymore rapproche deux contraires ; mais les contraires ne sont-ils pas les faces d’une même médaille ? ↩︎
- Lolita 213 : « fixer à tout jamais la magie périlleuse des nymphettes. » ↩︎
- scialytique : du grec ancien scia (« ombre ») et lyticos (« qui délie »). D’une marque Scialytique déposée en 1919. Qui éclaire partout, sans ombre. Un sciallytique est l’éclairage des salles d’opération chirurgicale. ↩︎
- procrastiner : reporter au lendemain, remettre à plus tard quelque chose, généralement par manque de motivation ou par paresse. ↩︎
- grisbi : argent. ↩︎
- Minotaure : monstre au corps d’homme et à tête de taureau, fils de l’épouse de Minos, Pasiphaé et d’un taureau. Le Minotaure est vaincu par Thésée avec l’aide d’Arianne (et de son fil), dans le labyrinthe construit par Dédale. ↩︎
- karma : du sanskrit kárman (action, travail), de la racine verbale kṛ (faire, agir, créer). Dans plusieurs religions orientales (Bouddhisme, Hindouisme), cycle des causes et des conséquences liées à l’existence des êtres sensibles. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Un CV en béton. Lafarge a développé des ciments spéciaux et des bétons innovants de renommée internationale. ↩︎
- Référence à François Villon. ↩︎
- reuteuteu : jour de RTT (réduction du temps de travail). ↩︎
- Allusion salace. ↩︎
- Les fraises des dentistes. L’essence de clou de girofle contient l’eugénol, utilisé par les dentistes pour ses propriétés antiseptique et analgésique. ↩︎
- narcoser : néologisme. Narcose : perte de conscience sous l’effet d’un narcotique. Anesthésie. Ivresse des profondeurs. ↩︎
- Michelet : historien. ↩︎
- Ni en chair ni en os : référence aux styles des deux peintres. ↩︎
- La Fourche : allusion possible aux jambes. ↩︎
- « un instant seulement » : référence à Ces Gens-Là de Brel. ↩︎
- dodiner : balancer, bercer. ↩︎
- Lolita 464 : « son pied ne dodinait plus le berceau rosé de l’anticipation ». ↩︎
- erratisme : vagabondage. ↩︎
- sismographe : appareil enregistreur qui marque l’heure, la durée et l’amplitude des mouvements d’un point de l’écorce terrestre pendant un tremblement de terre. ↩︎
- escamotable : que l’on peut escamoter, cacher. ↩︎
- Torculus : neume de trois notes, utilisé dans le chant grégorien, où celle du milieu est plus élevée que les deux autres. Neume : signe de la notation musicale en usage du 9 au 15e siècle. ↩︎
- liquescent : qui se fond, qui se dilue. Dans le chant grégorien, les notes liquescentes apparaissent quand l’articulation d’une syllabe avec la suivante se fait par une consonne liquide. Lolita 217. ↩︎
- supiner : néologisme construit sur supination (des deux positions classiques des mains – supination et pronation – la supination est la position paumes ouvertes vers le ciel, doigts joints et tendus à plats.). Jeux de mot avec pine. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Le cinquième élément : film de Luc Besson. ↩︎
- Durandal : épée mythique du chevalier Roland. Jeux de mot phallique avec dur. ↩︎
- carolingerie : marque de lingerie. Jeux de mot avec lingerie et filage de la métaphore médiévale carolingienne (Chanson de Roland). ↩︎
- La belle captive : récit et film d’Alain ROBBE-GRILLET. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Néologisme. ↩︎
- Lolita 123 : « Charlotte à la noble mamelle et à la cuisse massive ». ↩︎
- valétudinaire : maladive. Lolita 435. ↩︎
- Réseau Express Régional : RER. ↩︎
- chlorotique : affecté de chlorose, ou qui a rapport à la chlorose (maladie qui a pour principal symptôme la décoloration de la peau). ↩︎
- RER : Réseau express régional. ↩︎
- Lolita 459 : « Comme dans une nouvelle de Tourgueniev, un torrent de musique italienne déferlait d’une fenêtre ouverte. » ↩︎
- cuticule : petite peau. Lolita 405 : « ces gens qui sarclent leurs cuticules ». ↩︎
- envie : petite peau au bord des ongles. Lolita 325 : « se mordillant une envie ». ↩︎
- « besoin de personne avec leur smartphone » : référence à la chanson de Gainsbourg. ↩︎
- rhapsodie : chez les Grecs, morceaux détachés de l’Iliade et de l’Odyssée, que chantaient les rhapsodes. Œuvre musicale composée de plusieurs motifs présentés les uns après les autres. Du grec ancien « coudre », et « chant », littéralement couture de chants. ↩︎
- Les deux tours sont écartées comme deux dents ; et la flèche tient lieu de cure-dents. ↩︎
- Eugène Viollet-le-Duc. ↩︎
- Référence à Femme libérée, la chanson de Cookie Dingler. C’était avant l’incendie. ↩︎
- éponyme : qui donne son nom à. ↩︎
- Référence aux bulles de la bière. ↩︎
- paradoxisme. ↩︎
- vespéral : relatif au soir. ↩︎
- Référence à Camping le film de Dubosque. ↩︎
- rhodologue : spécialiste des roses. Lolita 196 : Deux duègnes fanées, expertes en rhodologie. ↩︎
- dès potron-minet : de bon matin. ↩︎
- pourpré : rouge foncé. « Mignonne, allons voir si la rose qui se matin avoit déclose sa robe de pourpre au soleil, a point perdu, ceste vesprée, les plis de sa robe pourprée et son teint au vostre pareil. » ↩︎
- Vendredi est le jour de Vénus. ↩︎
- cette vesprée : ce soir. ↩︎
- Perroquet jaco (= Gris du Gabon) : rapport aux costumes gris, aux cacahuètes et à la volubilité (alcool). ↩︎
- Version négative de Le mieux est l’ennemi du bien. On trouve ça dans une lettre d’Hugo à Lamartine. ↩︎
- Référence à la chanson Docteur Renaud, Mister Renard de Renaud. ↩︎
- Référence à la chanson Les Quat’z’arts de Brassens. ↩︎
- Référence à La Fontaine. ↩︎
- Filage de la métaphore de La Fontaine. ↩︎
- Référence au film La parenthèse enchantée de Michel Spinosa (et non Spinoza). ↩︎
- Mer, Sexe et Soleil. ↩︎
- hégémonie : domination souveraine d’une puissance, d’une nation sur d’autres. ↩︎
- Les géants du Web (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft…) ↩︎
- Jeux de mots avec gars-femmes (GAFAM). ↩︎
- gated communities : résidences fermées. ↩︎
- fenêtres : windows. ↩︎
- adamantin : qui a la qualité et la brillance du diamant. Lolita 419 : « son crâne adamantin » ↩︎
- Lolita 111 : « (création de la maison Une telle) ». Lolita 159 : Mlle d’En Face. ↩︎
- Jeu de mots avec monuments historiques, ceux qu’on visite une fois l’an. ↩︎
- Lolita 115 : « une stratégie de maître chanteur – non, le mot est trop fort : de maître fredonneur. » ↩︎
- Référence à Lewis Carroll. ↩︎
- Référence à Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Jeu de mots avec latin. ↩︎
- Allusion à l’effet de bord des jeans serrés. ↩︎
- allégorie : du grec állos, « autre chose », et agoreúein, « parler en public ». L’allégorie consiste à exprimer une pensée sous une forme imagée afin de faire comprendre, sous le sens littéral, un autre sens, qui est celui visé par le texte. Les deux sens doivent se maintenir de façon cohérente dans une allégorie. ↩︎
- Référence à Bouvard et Pécuchet de Flaubert. ↩︎
- pulvérulent : qui se réduit facilement en poudre ; qui est sous forme de poudre. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Polysémie. ↩︎
- Lolita 137 : « les lèvres pincées, infiniment disgracieuse avec son bonnet de caoutchouc noir ». ↩︎
- Lolita 61 : « où achevait de brunir un trognon de pomme ». ↩︎
- desquamer : en parlant de la peau, se détacher en lamelles cornées appelées squames. ↩︎
- Néologisme. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Référence à l’élégie. Jeu de mot avec s’élégisser. ↩︎
- élégir : alléger, amincir une plaque ou une poutre de bois en réduisant son épaisseur. Réduire, amoindrir. Lolita 288. ↩︎
- malléole externe : partie saillante du bas des os de la cheville ou du jarret. Lolita 67 : « ce petit os frémissant sur sa cheville velouteuse de poussière ». ↩︎
- ambulatoire : propre au fait que quelqu’un se déplace. ↩︎
- Samothrace : la victoire ornait la proue du navire, d’où le surf. ↩︎
- ensellure : cambrure. ↩︎
- Lolita 410 : « à l’ensellure fascinante » ↩︎
- grené : criblée de petits points. Lolita 69. ↩︎
- Référence à Comme un boomerang de Serge Gainsbourg. ↩︎
- licencieux : qui manque de pudeur, de décence. ↩︎
- Lolita 64 : « l’adorable courbe rétractile de son abdomen ». ↩︎
- camusien : référence à l’éclair aveuglant du couteau dans L’étranger d’Albert Camus. ↩︎
- Le Boule Miche. Un boule = un cul. ↩︎
- s’engouer : s’étouffer sous la force de l’enthousiasme ou de l’excitation. Lolita 70 : « s’engouer ». ↩︎
- La région glutéale est la région de transition entre le tronc et la partie libre du membre inférieur. Lolita 384 : « avec des rondeurs périnéales surdéveloppées ». ↩︎
- croupionner : plier les reins en élevant plusieurs fois la croupe sans ruer, en parlant d’un cheval faible ou gêné du derrière. Lolita 245 : « dans le style croupionnant à la mode « Kurort » ». ↩︎
- Lolita 98 : « ses dessous étaient trop succins pour… » ↩︎
- téléologie : étude de la finalité. Lolita 244 : « ce voyage fut une sorte de tumeur téléologique ». ↩︎
- Jeu de mots avec trois. ↩︎
- herméneutique : système d’interprétation (décodage) d’une séquence de signes complexes (symboles). ↩︎
- Lolita 93 : d’un rouge édénique (une pomme). ↩︎
- contingence : qualité de ce qui est contingent ; probabilité de survenance. ↩︎
- venusal : relatif au vendredi. ↩︎
- Hélène de Troie. Filage de la métaphore. ↩︎
- Référence aux arts premiers. Lolita 166 : « Mon plan est un chef d’œuvre de l’art primitif ». ↩︎
- Néologisme construit sur pentu. ↩︎
- osculateur : relatif à une courbe. Une osculation est aussi un baiser. ↩︎
- bilbauder : chasser au hasard comme un chien inexpérimenté. Lolita 427 : « de façon quasi abstraite, pour la gloire, si je puis dire, la bête primordiale qui était en moi bilbaudait à la recherche de quelque enfant ». ↩︎
- oxymore : figure de style qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires (généralement un nom et un adjectif). ↩︎
- veneur : du latin venator (chasseur). Personne chargée de faire chasser les chiens courants. Lolita 114 : « d’autres visions de vénerie s’offraient à moi ». ↩︎
- taroupe : touffe de poils qui pousse sur la glabelle, c’est à dire entre les sourcils. ↩︎
- carrousel : parade équestre, place où se déroulent ces parades, mouvement d’un ensemble de personnes semblable à un exercice de parade, groupe d’engins qui se déplacent en cercle ou en noria, manège de chevaux de bois. ↩︎
- endocrinien : relatif aux glandes endocrines (endocrine, du grec éndon (dans) et krínô (séparer, secréter) = qui déverse ou se déverse directement dans le sang : l’insuline est une sécrétion endocrine du pancréas ; la thyroïde, l’hypophyse sont des glandes endocrines). ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Nom d’un groupe de musique. Néologisme et jeu de mot avec endoctriner. ↩︎
- Référence aux glandes endocrines. ↩︎
- Référence aux Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau. ↩︎
- cactus : vert cactus. ↩︎
- Contraire de l’expression « La fonction crée l’organe. » ↩︎
- Lolita 118 : « la façade de la résidence de M. et Mme Humbert l’escamota bientôt à mes regards de bouc smaragdin ». ↩︎
- patchouli : du tamoul patchai (vert) et de ilai (feuille). Plante de l’Inde remarquable par son odeur aromatique. Parfum extrait des feuilles et des tiges de cette plante. ↩︎
- pérégrination : voyage fait dans des pays éloignés. Du latin peregrinatio (voyage lointain). ↩︎
- ocreux : qui est de la nature ou qui a la couleur de l’ocre, argile friable de couleur jaune, rouge ou brune suivant les oxydes, en particulier l’hydroxyde de fer et parfois d’oxyde de manganèse, qu’elle contient. Du grec ôkhrós (jaune). ↩︎
- cucurbitacées : Famille des courges. Nom féminin. ↩︎
- turgescent : qui se gonfle. ↩︎
- Référence aux écrans plats. ↩︎
- Référence à la chanson d’Eddy Mitchell, Le cimetière des éléphants. ↩︎
- Référence à son dynamisme et à son électrocution. ↩︎
- Construit sur l’expression le portrait craché. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- corindon : du tamoul kuruntam (rubis). Certaines variétés naturelles de corindon sont des pierres précieuses : le rubis et le saphir. La roche qui en découle, l’émeri, est très utilisée dans l’industrie comme abrasif en raison de sa dureté. ↩︎
- Fausse référence. ↩︎
- démiurge : déité responsable de la création de l’univers physique dans diverses cosmogonies. Il peut désigner par extension tout créateur d’une œuvre. ↩︎
- intumescence : du latin intumescere (se gonfler, s’enfler). Action par laquelle une chose s’enfle. ↩︎
- délétère : du grec dêlêtêrios (nuisible, pernicieux). Nuisible pour la santé, nocif, pernicieux, capable de corrompre. ↩︎
- abbasside : relatif à la dynastie des califes sunnites qui gouvernèrent le monde arabe de 750 à 1258. ↩︎
- phanère : du grec phanerós (visible, apparent). Ensemble des productions cornées de la peau, en particulier les poils, les cheveux, les ongles ou les plumes. Nom souvent utilisé au pluriel. ↩︎
- terraqué : composé de terre et d’eau. ↩︎
- escarrifier : produire une escarre, c’est à dire une plaie cutanée reliée à une lésion tissulaire profonde, souvent due à un alitement prolongé. Du latin eschara (foyer, inflammation). ↩︎
- priapique : relatif à Priape ou à son culte. Obscène. Priape : dieu grec ithyphallique de la fertilité. Ithyphallique : relatif au phallus en érection ; du grec ithús (droit) et phallós (phallus). Lolita 252 : « un pouce presque priapique ». ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- phantasmagorie : du latin phantasma (fantôme) et -gorie, aphérèse du mot allégorie. Fausses apparitions surnaturelles. Artifices, allégations spécieuses par lesquelles on essaie de faire illusion. ↩︎
- cataphractaire : du latin cataphracta (cotte de maille). Cavalier très lourdement protégé dont la monture était également recouverte de la tête aux pieds par une cotte de mailles. ↩︎
- déréliction : du latin derelictio (abandon complet), lui-même de derelinquo (délaisser). Sentiment d’abandon, de solitude. Épreuve de la vie mystique dans laquelle le fidèle a le sentiment d’avoir perdu la grâce, d’être dédaigné pour l’éternité. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- affres : Extrême frayeur. De l’ancien occitan affre (horreur, effroi), du gothique aifrs (âcre, amer, et horrible, terrible), le sens d’âcre, amer, est dans l’italien afro (âcre, sur). Nom féminin surtout employé au pluriel. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- âcre : piquant et d’irritant. De l’indo-européen ak- (pointu, aigu). ↩︎
- étai : pièce de bois ou de fer utilisée pour soutenir une construction qui menace de s’écrouler, ou qui est en travaux. De l’ancien français estache (poteau, butoir de porte), de l’ancien bas francique staka (piquet). ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- affliction : immense chagrin ; abattement profond. ↩︎
- Boris Cyrulnik, Des âmes et des saisons. ↩︎
- Le « Koi pla » est un repas traditionnel thaïlandais mortellement savoureux. Une bouchée de cette salade de poisson cru moulu avec des herbes aromatiques, des épices et quelques gouttes de citron vert peut vous condamner. Les parasites hébergés par ce met populaire très prisé, peuvent provoquer des cancers du foie souvent mortels. ↩︎
- sagaie : lance courte utilisée comme arme de jet, plus lourde que le javelot, la lame étant plus développée que chez ce dernier. Elle est largement répandue parmi les peuples d’Afrique. ↩︎
- Référence au film Le Sixième Sens (Manhunter) de Michael Mann. ↩︎
- Référence au film Shining de Stanley Kubrick. ↩︎
- Lolita 345 : la décapotable rouge aztèque. Référence aux marches des temples sacrificiels. ↩︎
- Le craquement des articulations. ↩︎
- Opossum est un nom vernaculaire donné en français à certains petits marsupiaux. Les opossums, ou sarigues, sont à l’origine des petits carnivores présents sur le continent américain. Ce sont des animaux au museau pointu qui font le mort (thanatose) et dégagent une odeur repoussante s’ils sont mis en danger. Du proto-algonquien waˑp- (blanc) et aθemwa (chien). ↩︎
- naïade : du grec náein (couler). Nymphe des eaux douces, comme les fontaines, les rivières, les fleuves. Nymphe : divinité féminine grecque d’un rang inférieur qui hante les fleuves, les sources, les bois, les montagnes, les prairies, les mers, etc., et personnifie les forces vives de la nature ; du grec númphē (jeune mariée, promise, jeune fille). ↩︎
- anacoluthe : rupture dans la construction syntaxique d’une phrase. Du grec « qui ne suit pas ». ↩︎
- torpide : qui a le caractère de la torpeur. ↩︎
- La petite culotte. ↩︎
- Lolita 420 : « le lourd afflux des ténèbres ». ↩︎
- Lolita 448 : « j’étais seul à profiter de la nuit sereine et de mes pensées effroyables ». ↩︎
- nô : style ou pièce de théâtre japonais traditionnel. Le nô vient d’une conception religieuse et aristocratique de la vie. Il allie des chroniques en vers à des pantomimes dansées. Arborant des costumes somptueux et des masques spécifiques (il y a 138 masques différents), les acteurs jouent essentiellement pour les shoguns et les samouraïs. Le théâtre nô est composé de drames lyriques, au jeu dépouillé et codifié. Au lieu de narrer une intrigue compliquée, le théâtre nô, hautement stylisé et simplifié, développe une simple émotion ou une atmosphère. Les acteurs sont accompagnés par un petit orchestre et un chœur. Leur gestuelle est stylisée autant que la parole qui semble chantée. ↩︎
- incoercible : qui ne peut pas être retenu. ↩︎
- polymélique : aux excroissances, aux membres surnuméraires. Lolita 341 : « dans l’ombre polymélique d’arbres luxuriants ». ↩︎
- Jeu de mots avec hyène et Eole (dieu du vent). ↩︎
- Les hyènes d’Eole (dieux du vent) : les éoliennes. ↩︎
- Lolita 428 : « tout sentines et dépotoirs ». Lolita 307 : tout cœur et pomme d’Adam. ↩︎
- Dans les légendes africaines, l’hyène est aussi l’animal que les sorciers chevauchent la nuit. ↩︎
- Jeu de mots prémonitoire avec délit. ↩︎
- érotomaniaque : qui a la conviction délirante d’être aimé d’une autre personne. Du grec érôtomanếs (fou d’amour), de érôs (amour, désir) et manía (folie). ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- faunule : faune microscopique. Lolita 316 : « florule ». ↩︎
- Jeu de mots avec barjot. ↩︎
- Lolita 193 : « La salle à manger nous accueillit avec un sourire las et des relent de graisse chaude. » ↩︎
- Lolita 174 : « Et plus tard, dans le velours sombre de la nuit d’été ». ↩︎
- Lolita 448 : « c’était une nuit obscure et tiède, quelque part en Appalachie. » ↩︎
- uchi, soto : dedans, dehors. ↩︎
- Wabi-sabi : solitude et fugacité. ↩︎
- catalpa : arbre d’agrément originaire de la Caroline, à larges feuilles et à fleurs blanches fleurissant en début d’été. ↩︎
- Référence à la chanson de Jonasz. ↩︎
- Jeu de mots avec Dormeur du val, le poème de Rimbaud. ↩︎
- Référence au poème de Rimbaud, Le Dormeur du val. Jeu de mots avec Duval. ↩︎
- On ne vous prend pas la tête. ↩︎
- Référence au film tourné à Locquirec. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- belliqueux : du latin bellum (guerre). Qui aime la guerre, qui cherche à la provoquer, à l’encourager. ↩︎
- gonzelle : mot-valise composé de gonzesse et de donzelle. ↩︎
- Jeu de mot avec le double sens. ↩︎
- Jeu de mot avec le double sens. ↩︎
- ADN : acide désoxyribonucléique. ↩︎
- R12 : métaphore pour voiture (la R12, 1969-1980, était la voiture la plus vendue en France en 1973. Fabriquée en Turquie jusqu’en 1999). ↩︎
- écraser : dormir. ↩︎
- Rue Claude Bernard. ↩︎
- Rue Gay-Lussac. ↩︎
- La fontaine de la place Edmond-Rostand. ↩︎
- suspicieux : méfiant. ↩︎
- paléontologie : partie de la biologie qui a pour objet l’étude des espèces d’animaux et de végétaux des temps primitifs, qu’on ne trouve plus qu’à l’état fossile. De palaios (ancien), ontos (vie, être), logos (étude, science). ↩︎
- saurien : membre de la famille des oiseaux et des reptiles. Du grec saûros (lézard). ↩︎
- Jeu de mots avec tirage au sort. ↩︎
- Référence au film Les Valseuses. ↩︎
- ça me fout les foies : ça me fait peur. ↩︎
- Lolita 72 : « Le feuillage d’un orme gigantesque peignait de ses ombres onctueuses la façade de bois de la maison. » ↩︎
- plume : synonyme de pied-de-biche (cf. Jean Gabin dans Maigret tend un piège). Pied-de-biche : outil métallique recourbé comme le pied d’une biche permettant de faire levier. ↩︎
- fumasse : furieux. ↩︎
- L’ascenseur. ↩︎
- Jolie Môme de Léo Ferré :
Tes baisers sont pointus
Comme un accent aigu, jolie môme
Tes p’tits seins sont du jour
À la coque, à l’amour, jolie môme ↩︎ - Oxymore. ↩︎
- Jeux de mots avec panier. ↩︎
- Jeu de mots avec string. ↩︎
- strad : stradivarius, instrument à cordes réputé. ↩︎
- Jeu de mot avec le double sens, instrument et prison. ↩︎
- chanterelle : du grec coupe à boire. Girolle. Corde la plus aigüe du violon. Oiseau en cage servant d’appât. ↩︎
- Référence au film Rencontres du troisième type. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- L’allemand heimlich signifie secrètement. C’est aussi le nom de l’inventeur éponyme de la technique de désobstruction des voies aériennes. ↩︎
- washlet : toilettes japonaises avec douches intimes. ↩︎
- Jeu de mots avec le double sens, résidence principale et toilettes. ↩︎
- Jeu de mots avec le double sens, donner de la fraîcheur et remettre à niveau. ↩︎
- Un grenelle est une sorte de congrès. Dans le Kamasoutra, le rapprochement sexuel s’appelle le congrès. ↩︎
- motte : mont de Vénus. ↩︎
- Allusion au phallus. ↩︎
- outre : peau de bouc préparée et cousue pour recevoir des liquides. Sorte de sac qui peut contenir un fluide. Dont la forme évoque celle d’une outre. ↩︎
- aréopage : du grec Áreios págos (colline d’Arès dieu de la guerre), où siégeait le tribunal suprême d’Athènes. Groupe de personnes haut placées ou ayant une certaine autorité. ↩︎
- éructer : roter bruyamment. Communiquer verbalement (menaces, insultes, etc.). ↩︎
- effervescent : bouillonnant, agité. ↩︎
- objurgations : paroles vives par lesquelles on essaie de détourner quelqu’un d’agir comme il se propose de le faire. Du latin ob (pour) et jurgo (plaider). ↩︎
- gingivite : inflammation des gencives. ↩︎
- muse : du latin mos, moris (mœurs, ce qu’il convient de faire). Personne qui inspire ou conduit une autre personne, généralement un artiste, à se montrer créative. Dans la mythologie grecque, les Muses sont les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne (mémoire) qui présidaient aux arts libéraux.
Calliope (Kalliópê, qui a une belle voix) : poésie épique. Clio (Kleiố, qui est célèbre) : histoire. Érato (Eratố, l’aimable) : poésie lyrique et érotique. Euterpe (Eutérpê, la toute réjouissante) : musique. Melpomène (Melpoménê, la chanteuse) : tragédie et chant. Polymnie (Polumnía, celle qui dit de nombreux hymnes) : rhétorique, éloquence. Terpsichore (Terpsikhórê, la danseuse de charme) : danse. Thalie (Tháleia, la florissante, l’abondante) : comédie. Uranie (Ouranía, la céleste) : astronomie. ↩︎ - mérinos : mouton. Référence aux expressions laisse pisser le mérinos et c’est comme si je pissais dans un violon. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Mixe de l’expression entre la poire et le fromage avec entre le pouce et l’index. ↩︎
- Jeu de mots avec braguette. ↩︎
- Jeu de mots avec futur antérieur. Et polysémie de postérieur. ↩︎
- TPN : tumescence pénienne nocturne. ↩︎
- camélidé : ruminant des régions arides, tels que le chameau ou le lama. Du latin camelus (chameau), de l’arabe jamal. ↩︎
- cérusé : dont les microcavités et rainures naturelles ont été comblées avec de la céruse ou tout autre substance blanche du même genre. Lolita 178 : « jusqu’aux ombres cérusées sous ses yeux qui étaient grêlés de lentigo » ↩︎
- Danaé : fille d’Acrisios, roi d’Argos, et d’Eurydice, est la mère de Persée, et l’amante de Jupiter. On n’arrête pas le destin. Comme prédit par l’oracle, Persée naîtra et tuera accidentellement son grand-père malgré la tour d’airain et le coffre sur les flots.Lolita 106. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Référence aux corpuscules de Krause qui ont un rôle physiologique dans le plaisir. Lolita 97 : « les corpuscules de Krause approchaient de la phase frénétique ». ↩︎
- Jeu de mots avec arrondissement de Paris, approximation numérique, et rondeurs féminines. ↩︎
- Jeu de mots avec pari. ↩︎
- Référence aux probabilités explorées par Pascal et à son pari qui établit qu’on n’a rien à perdre et tout à gagner à croire en dieu. ↩︎
- Jeu de mots avec os et la terminaison en -os. ↩︎
- Mammolo : nom italien donné à « Timide », l’un des sept nains de Blanche Neige. ↩︎
- épigone : du grec epígonos (descendant, né après). Disciple. (Péjoratif) Suiveur, imitateur sans originalité. Lolita 385 : « Dans un autre terrain presque vague, je vis, coiffé d’un dôme de silence, le temple pâle de quelque secte indigène. » (Année vague /jours épagomènes). ↩︎
- débâcler : ouvrir en enlevant la bâcle, c’est à dire la barre de bois ou de fer avec laquelle on ferme de l’intérieur une porte, une fenêtre. ↩︎
- vair : fourrure blanche et grise d’écureuil petit-gris. ↩︎
- Jeu de mots avec Belle au bois dormant. ↩︎
- cramoisi : d’une couleur rouge foncé, tirant sur le violet. De l’arabe qarmiziy (carmin, cramoisi, écarlate). ↩︎
- carmin : rouge profond, très légèrement violacé. ↩︎
- drille : bonhomme, compagnon. Peut-être de l’ancien français driller (courir çà et là). Jeu de mots avec drill. ↩︎
- La Verité Si Je Mens 2 : « Nous sommes très présents sur le net« . ↩︎
- Souvenirs, Souvenirs (1960) Johnny Hallyday ; et J’ai encore rêvé d’elle (1975) groupe « Il était une fois » : Je l’ai rêvée si fort
Que les draps s’en souviennent. ↩︎ - baraka : de l’arabe barakah (bénédiction, faveur du ciel). Bénédiction ou protection divine. Chance ; veine. Jeu de mots avec baraque à frites. ↩︎
- Jeu de mots avec Damoclès. ↩︎
- factotum : homme à tout faire. ↩︎
- « Oui, Rastapopoulos !… Roberto Rastapopoulos, à qui tu as mis des bâtons dans les roues depuis si longtemps… Rastapopoulos, le chef du trafic international des stupéfiants !… Rastapopoulos, qui est tombé dans les rochers, près de Rawhajpoutalah, et que tu croyais mort !… Rastapopoulos, qui a la vie dure, comme tu le vois, et qui finit toujours par triompher !… » (Hergé, Le Lotus Bleu). ↩︎
- rutiler : du latin rutilare (teindre en roux, briller comme de l’or). Briller avec l’éclat de l’or, du cuivre. ↩︎
- à la place du chat : à la meilleure place. ↩︎
- Polysémie. ↩︎
- Lolita 448 : « une lassitude incoercible ». ↩︎
- orbiculaire : dont le contour est circulaire. Du latin orbiculus (rondelle). Lolita 461. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Référence avec jeu de mots à Cinquante nuances de Grey d’Erika Leonard James, et au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. ↩︎
- turgissure : néologisme construit sur turgide, gonflé. ↩︎
- Lolita 246 : « une petite bosselure turgide et violacée ». ↩︎
- Jeu de mot avec borne. ↩︎
- rubigineux : couleur de rouille. ↩︎
- Lolita 284 : « l’écume mauve et ocre de ces fleurettes étiques que l’automne fait naître au bord des routes de campagne ». ↩︎
- Jeu de mots avec l’apocope de rétrograde. ↩︎
- phalène : du grec phalaina (phalène, papillon de nuit). Grand lépidoptère, papillon de nuit de la famille des géométridés, aux antennes pectinées, dont les ailes un peu larges sont décorées et dont la chenille est très nuisible. ↩︎
- secret potager : expression construite sur jardin secret. ↩︎
- Jeu de mot avec balais et poussières. ↩︎
- abonner : néologisme. Dire ah bon. ↩︎
- troposphère : partie de l’atmosphère terrestre située entre la surface du globe et une altitude d’environ 8 à 15 kilomètres. Terme inventé par le météorologiste français Léon Teisserenc de Bort. Du grec tropos (tour) et sphaira (sphère), le premier mot faisant référence aux mouvements rotatoires des masses d’air (la convection, mais surtout la turbulence) qui la caractérisent. ↩︎
- PLS : position latérale de sécurité. ↩︎
- Je ne savais pas à quel point cette boutade, justifiée par la proximité du jardin du Luxembourg, était prémonitoire. ↩︎
- VO : version originale. ↩︎
- Référence à une chanson de Brassens. ↩︎
- Les obsèques : jeu de mots avec zobs secs. ↩︎
- Narcolepsie : du grec narkê (endormissement, torpeur) et lêpsis (prise, emprise, attaque). Condition neurologique caractérisée par des épisodes irrésistibles de sommeil et un désordre du sommeil général. ↩︎
- oniromancie : du grec óneiros (rêve) et manteía (divination). Divination par les songes. ↩︎
- Hiérogamie : du grec ieros (sacré) et gámos (union, mariage, union charnelle). Union charnelle à caractère sacré. ↩︎
- Jeu de mot avec DDIT = des déités. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- morpion : pou du pubis. ↩︎
- ticket de métro : type d’épilation du pubis. ↩︎
- Le jeu de morpion fait concurrence au billet de loterie. Jeu de mots avec tiquet et billet. ↩︎
- psychotrope : du grec psukhế (âme, esprit) et tropos (changement). Substance chimique qui agit principalement sur l’état du système nerveux central et y induit des modifications de la perception, des sensations, de l’humeur, de la conscience ou d’autres fonctions psychologiques et comportementales. ↩︎
- coutent la peau de la tête : amalgame de peau du cul et yeux de la tête. ↩︎
- flunitrazépam : somnifère, dépendance, perte de mémoire, drogue du viol. ↩︎
- Euphémisme. ↩︎
- turlupiner : faire des turlupinades, des mauvaises plaisanteries. Tracasser. Du nom de Turlupin (1615) (Henri Legrand, aussi dit Belleville), comédien français ; on appela turlupinades les lazzis des acteurs jouant dans son style : méchantes pointes, jeux de mots et équivoques faciles. ↩︎
- Jeu de mot avec la reine. ↩︎
- Jeu de mot avec propre. ↩︎
- cynégétique : qui se rapporte à la chasse. Du grec kynegetes (« chasseur »). ↩︎
- Références à deux proverbes. ↩︎
- Lolita 96 : « la beauté de son petit corps creusé de fossettes sous la chaste robe de coton ». ↩︎
- franchise : Concession commerciale. Polysémie. ↩︎
- sanctuariser : du latin sanctuarium (lieu consacré, sanctuaire). Donner à un lieu ou une chose le caractère sacré d’un sanctuaire, protéger. Rendre permanent, intangible. ↩︎
- Lolita 309 : « ses mains encerclèrent brièvement un melon invisible ». ↩︎
- Du latin carnis (chair, viande). Couleur de la chair, rouge rose clair. Couleur intermédiaire entre la couleur de la cerise et celle de la rose. ↩︎
- Lolita 386 : réagissant superbement… à je ne sais quel sérum, sperme de sterne ou bran de brème… ↩︎
- monkey : singe en anglais. ↩︎
- key : clé en anglais. ↩︎
- Dream : Rêve en anglais. ↩︎
- ream : élargir un trou en anglais. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Le concept de rhizome — développé par Gilles Deleuze et Félix Guattari — désigne une structure évoluant en permanence, dans toutes les directions horizontales, et dénuée de niveaux hiérarchiques. ↩︎
- Référence au film de Pedro Almodóvar. ↩︎
- Jeu de mots avec Iseult. ↩︎
- Jeu de mots avec Tristan. ↩︎
- Référence à la chanson Je l’aime à mourir de Francis Cabrel. ↩︎
- Jeu de mots avec confesse. ↩︎
- S8Q : Essuie-cul. ↩︎
- Référence au dessin animé Mulan. ↩︎
- Lolita 15 : « Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. » ↩︎
- Référence aux expressions « Chassez le naturel il revient au galop » et « La marée monte à la vitesse d’un cheval au galop« . ↩︎
- Le chiffon fait allusion à la culotte. ↩︎
- pastille verte : une Valda à cracher. ↩︎
- Jeu de mot avec erreur. ↩︎
- « L’horreur est humaine » apparaît dans un sketch de Coluche. ↩︎
- vestale : vierge consacrée à Vesta, la déesse du foyer. ↩︎
- Lolita 464 : « En revanche, son assistante – une vestale fanée et d’une maigreur squelettique, avec les yeux tragiques des blondes malchanceuses – courut à ma suite pour pouvoir claquer la porte sur mon sillage. » ↩︎
- encagué : encrassé. Néologisme construit sur caguer (chier), forme francisée de l’occitan cagar, du latin cacare (déféquer). ↩︎
- guttural : de l’indo-européen gū- (creuser, creux, récipient). Qui appartient au gosier. Qui vient du gosier ; qui se prononce du fond du gosier. Lolita 210 : « de sa voix fruitée ». ↩︎
- gnomide : gnome femelle. Du grec genomos (habitant souterrain). Lolita 406 : « une gnomide infantile ». ↩︎
- puce : marron. Lolita 173 : Avec des taches de son couleur puce ». ↩︎
- Jeu de mot avec s’immole. ↩︎
- Jeu de mot avec simule. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Décapitation. ↩︎
- Couper le sifflet. ↩︎
- Métaphore du billard, le point d’interrogation faisant figure de dernière quille. ↩︎
- Filage de la métaphore du billard. ↩︎
- Filage de la métaphore du billard. ↩︎
- Jeu de mots avec gentil. ↩︎
- Jeu de mots avec divisionnaire. ↩︎
- Jeu de mots avec le di de divisionnaire. ↩︎
- Référence à Jésus. ↩︎
- rédemption : rachat. Du latin redemptio (rachat), dérivé de redimere (racheter). ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Allusion désobligeante. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- branché : qui relève d’une branche, spécialisé. ↩︎
- maronner : éprouver du dépit. Dire en maugréant. ↩︎
- limaçon : partie de l’oreille interne. ↩︎
- acarides : ordre de la classe des arachnides, comprenant plusieurs familles, dont l’acare est le type. Du grec akarí (ciron). Ciron : de l’indo-européen ser- (couler) ; acarien qui se développe sur la croûte du fromage, du jambon, dans la farine, et qui est le plus petit des animaux visibles à l’œil nu. ↩︎
- en a lourd sur le tubercule : en a gros sur la patate. Du latin tuberculum (protubérance). Partie renflée d’un rhizome ou d’une racine riche en substances de réserve qui assure la survie des plantes pendant la saison d’hiver et souvent leur multiplication par voie végétative. Exemple : tubercule de pomme de terre. ↩︎
- vérités fallacieuses : oxymore. Du latin fallere (tromper). Qui est fondé sur un mensonge ou un faux. Qui vise à tromper. Illusoire, sans fondement. ↩︎
- Hématologie : partie de la physiologie qui traite du sang. Du grec haímatos (sang). ↩︎
- matrimonial : relatif au mariage. Du latin matrimonialis (sens identique). Le latin fait la différence entre ce qui est relatif à la mère, le matrimonium (mariage) et ce qui est relatif au père, le patrimonium qui a donné patrimoine. ↩︎
- orphique : qui se rapporte à Orphée. Relatif aux doctrines, aux mystères, qu’Orphée passait pour avoir établis. ↩︎
- Jeux de mot avec D majuscule. ↩︎
- l’île aux million d’yeux : Koh Lanta. ↩︎
- prométhéen : qui rappelle l’entreprise de Prométhée (du grec Promêtheús (le prévoyant)), qui cherchait à aider les hommes à devenir les égaux des dieux. ↩︎
- parentélaire : relatif à la parentèle. Parentèle : ensemble des personnes qui ont un lien de parenté entre elles. Du latin parentela (parenté, alliance). ↩︎
- généalogie : du grec gégnomai (« naitre »). Science qui a pour objet la recherche des filiations. ↩︎
- Théorie d’André Girard. ↩︎
- Référence au Tartuffe de Molière. ↩︎
- népotisme : du latin nepos (petit-fils ; parents, neveux ; prodigue). Favoritisme envers un parent, un protégé. ↩︎
- Référence à L’Homme sans qualités, roman inachevé de l’écrivain autrichien Robert Musil. ↩︎
- Lolita 284 : « le vert résidentiel ». ↩︎
- Lolita 385 : « De larges voies gravillonnées sillonnaient en tous sens des zones d’ombres oblongues et somnolentes. » ↩︎
- turpitude : du latin turpis (laid, honteux). Action, parole… basse, honteuse. Du latin turpis (laid, honteux). Lolita 187 : « le parc était aussi noir que les turpitudes qu’il celait ». ↩︎
- rudéral : Du latin rudus (gravats, plâtras, déblais, décombres). Qui pousse de préférence sur les décombres. Lolita. ↩︎
- quant-à-soi : réserve, attitude distante. ↩︎
- dystrophique : du grec dys (qui exprime une idée de difficulté, de mauvais état) et trophê (nourriture, croissance). Qui est atteint d’une dégénérescence ou anomalie de développement d’une structure anatomique. Lolita. ↩︎
- lantiponner : tenir des discours frivoles, inutiles et importuns. Du latin lento (ployer, courber, prolonger, traîner en longueur) et ponere (pose).Lolita 412. ↩︎
- Lolita 135 : « elles se dissipèrent, toujours lentement et distraitement, dans l’ombre et la lumière. » ↩︎
- azurine : bleu pâle. Colorant des tissus qui va du vert au bleu, et qui est obtenu par oxydation de l’aniline ; nom féminin. Lolita 252 : « au bord des piscines azurines ». ↩︎
- Lolita 114 : « sur la pointe des pieds de l’imagination, pour ainsi dire, j’évoquai Charlotte dans le rôle de l’épouse. Que diable, je saurai bien m’astreindre à lui apporter ce pamplemousse parcimonieusement coupé en deux, ce petit déjeuner sans sucre. » ↩︎
- séronégativité : État d’une personne dont le sérum ne contient pas d’anticorps spécifiques à un antigène donné et en particulier au virus du sida. ↩︎
- diaphane : qui laisse passer à travers soi les rayons lumineux. Du grec dia (à travers) et faynein (apparaître). ↩︎
- lithophanie : du grec líthos (pierre) et phanós (lumière). Plaque de biscuit de porcelaine diaphane de sorte à ce qu’elle permette de faire apparaître une image par translucidité devant une source de lumière, plus l’épaisseur de la plaque étant fine, plus la translucidité étant marquée. Lolita 450 : « lithophanique ». ↩︎
- Le numéro 5 de Chanel, par exemple. ↩︎
- Lolita 417 : « une lumière nue ». ↩︎
- nimber : entourer d’un halo ou d’un flou, une personne ou une chose. Du latin nimbus (nuage, au figuré auréole). ↩︎
- Lolita 66 : « dans la lumière vert pomme qui flotte mollement derrière la maison ». ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- suffusion : épanchement sous la peau. Épanchement. Du latin sub (sous) et fusio, qui vient du verbe fundere (« fondre »). ↩︎
- Lolita 241 : « une lente suffusion de beauté inutile ». ↩︎
- translucide : qualifie un corps qui laisse passer une lumière diffuse, sans permettre de distinguer les objets. Du latin trans (de l’autre côté) et luceo (luire). ↩︎
- Lolita 36 : « Je m’attarde auprès d’elle avec gratitude dans cette chambrette gris mousseline du souvenir. » ↩︎
- Lolita 107 : « mes paumes étaient encore pleines de l’ivoire compact de son corps ». Lolita 64 : « ces hanches enfantines où j’avais embrassé l’emprunte crénelée laissée par l’élastique de son short ». ↩︎
- fragrant : à l’odeur pénétrante et suave. ↩︎
- Lolita 303 : « les fragrantes apparitions d’Eva sous le toit accueillant du château Humbert ». ↩︎
- frondaison : du latin fronde (feuillage). Végétation des arbres et des arbustes. ↩︎
- Lolita 365 : « nous poursuivîmes cette randonnée aberrante ». ↩︎
- ménechme : sosie. Personne ressemblant à une autre tel un frère ou une sœur, même si elles sont totalement étrangères l’une à l’autre. En grec, nom propre (nom des personnages d’une comédie de Plaute), signifiant brave au combat ; dérivé du verbe grec attendre, et du terme grec signifiant pointe de la lance. ↩︎
- Lolita 380 : « ménechméen ». ↩︎
- aréneux : sablonneux. Du latin arena (sable). Lolita 448 : « les roues arrière hurlèrent dans la tourbe et la terreur ». ↩︎
- Lolita 101 : implorai-je un dieu d’emprunt. ↩︎
- pixelliser : rendre difficile à discerner une partie d’une image en la transformant en gros pixels, en particulier pour cacher l’identité d’une personne. De l’anglais pixel, mot forgé (1969) à partir de pix (variante de pics, pluriel de pic, abréviation de picture « image ») et de el(ement), littéralement « élément d’image ». ↩︎
- vermeil : D’une couleur rouge vif plus foncé que l’incarnat. Du latin vermiculus (vermisseau), dimininutif de vermis (ver), bas latin pour (cochenille, couleur écarlate produite par la cochenille), pris comme adjectif. Lolita 420 : « petite Alice figée au Pays des Merveilles ». ↩︎
- Lolita 69 : « révélant aux mille yeux grands ouverts de mon sang ocellé ». ↩︎
- Lolita 325 : « Je la contemplais figée à l’épicentre du brasier de ma rage. » ↩︎
- amnésie : du grec amnêsía (oubli). Affaiblissement ou perte de la mémoire. ↩︎
- chronique : qualifie une maladie dont les symptômes ne se développent qu’avec lenteur ; qualifie une maladie permanente. Du grec khrónos (temps). ↩︎
- amphitryonne : hôtesse chez qui l’on est invité à manger. Référence à l’Amphitryon de Molière, jouée aux Tuileries devant Louis XIV. Le succès est immédiat ; la pièce sera jouée vingt-neuf fois jusqu’à Pâques 1668. Molière, qui a alors 46 ans, tient le rôle de Sosie. Un parfum de scandale entoure la pièce, certains prétendant que, sous les traits de Jupiter, se cache Louis XIV, et qu’ainsi Molière critiquait les amours du roi Soleil. Qualifiée de classique et adaptée de l’Amphitryon de Plaute, elle met en scène un Jupiter qui se déguise pour séduire Alcmène, tandis que Mercure se déguise en Sosie pour protéger les amours de son père, cette pièce explore le thème de l’illusion. Par le traitement burlesque d’un problème philosophique, elle se moque légèrement d’une autre « conception philosophique de l’évidence, la philosophie cartésienne. […] Molière a fait coïncider le lexique de Sosie avec celui employé par Descartes dans son Discours de la méthode et dans celle de ses Méditations métaphysiques qui fonde son célèbre cogito. » ↩︎
- ergoteur : Cogito ergo sum. ↩︎
- Bon pied bon œil. ↩︎
- sixième méditation de René Descartes : « Et quoique j’aie un corps auquel je suis très étroitement conjoint ; néanmoins, pourceque d’un côté j’ai une claire et distincte idée de moi-même, en tant que je suis seulement une chose qui pense et non étendue, et que d’un autre j’ai une idée distincte du corps, en tant qu’il est seulement une chose étendue et qui ne pense point, il est certain que moi, c’est-à-dire mon âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement et véritablement distincte de mon corps, et qu’elle peut être ou exister sans lui. » ↩︎
- René Descartes. ↩︎
- Lolita 117 : « accompagné par le pépiement optique des rognures de gazon qui voltigeaient dans le soleil couchant ». ↩︎
- guillochis : ornement composé de lignes, de traits ondés qui s’entrelacent ou se croisent avec symétrie. ↩︎
- Lolita 454 : « le guillochis de ses cils noirs de suie et ses yeux gris et graves et plus vides que jamais ». ↩︎
- Lolita 62 : « J’avoue que… poursuivit la douce condamnée, mais je vous assure (elle contempla mes lèvres)… » ↩︎
- chiasme : du grec khiasmós (croisement), dérivé de la lettre grecque χ. Figure de style qui consiste à placer deux groupes de mots dans un ordre inversé : Un journal coupé en morceaux n’intéresse aucune femme, alors qu’une femme coupée en morceaux intéresse tous les journaux (Tristan Bernard). Croix mise en marge des manuscrits, en forme de χ, et indiquant un passage désapprouvé. Lieu d’entrecroisement des nerfs optiques sur le corps de l’os sphénoïde. Lolita 197 : « me révélant la face interne de la cuisse jusqu’au chiasme de la culotte ». ↩︎
- tératogène : qui génère des malformations. Du grec tératos (monstre) et gígnomai (engendrer). ↩︎
- Aberrer : Du latin aberrare (s’écarter de). S’écarter du chemin, dévier. Être dans l’erreur, dans le faux ; se tromper ; s’écarter du bon sens ou de la norme.. Lolita 194 : « je ne puis expliquer ma conduite de ce soir-là que par ce vide onirique où gravitent les esprits aberrés. » ↩︎
- hyalin : du latin hyalinus (qui a la transparence du verre). Qui a la transparence du verre, qui est diaphane. Lolita 201 : « (de cette race de femmes usées, avec un sourire hyalin) ». ↩︎
- Jeu de mots avec schéma et association avec aquarelle. ↩︎
- Jeu de mots avec brin. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Référence à Ne me quitte pas de Brel. ↩︎
- apostasie : abandon public d’une religion ou d’une croyance. Abandon d’une doctrine, d’un parti, etc. Du grec apóstasis (éloignement). Lolita 128 : « à seule fin de m’obliger à les renier en une apostasie totale et définitive ». ↩︎
- Léthé : du grec Lếthê (oubli). En mythologie grecque, fleuve des Enfers où les ombres des morts allaient boire pour oublier le passé. ↩︎
- sigisbé : galant assidu (Voltaire, Dictionnaire philosophique – Amour). Lolita 400. ↩︎
- Dourga : du sanskrit « L’inaccessible« . Déesse hindou représentant l’énergie de l’Absolu impersonnel. ↩︎
- dryade : nymphe protectrice des arbres et des bois. Du latin Dryades (nymphes des forêts) du grec Druás, apparenté au druias (druide) gaulois, du grec drûs (bois). ↩︎
- canopée : couche supérieure des forêts, notamment en forêts primaires ou tropicales, soumise au rayonnement solaire, caractérisée par la présence d’un écosystème particulièrement riche de biodiversité et de productivité biologique. Du latin conopeum (moustiquaire, lit entouré d’une moustiquaire). ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- luciférine : composé chimique émetteur de lumière que l’on trouve dans de nombreuses espèces de lucioles. Du latin lux (lumière) et fero (porter). ↩︎
- marmoréen : qui a l’aspect du marbre. Du latin marmor (marbre). Lolita 94. ↩︎
- Polysémie. ↩︎
- héraldique : qui est relatif aux blasons, aux armoiries. Du latin heraldus (héraut, relatif au blason). Héraut : sous le régime féodal, officier chargé des publications solennelles et des messages importants ayant, en outre, des fonctions administratives dans la vie publique et dans la gestion des cérémonies. Du francique hariwald (chef d’armée), composé de hari (armée) et de wald (qui règne). ↩︎
- capiteux : qui porte à la tête, en parlant des liqueurs fermentées, des odeurs. Qui enivre. Du latin caput (la tête). ↩︎
- varech : algue ou plante marine qui pousse sur les roches que la mer tantôt couvre et tantôt laisse à sec. Du normand vágrek (épave marine, ce qui est rejeté sur la côte). ↩︎
- mustélidé : du latin mustela (belette). Les Mustélidés sont une famille de mammifères canivores avec un corps allongé et des pattes courtes. Ils possèdent de chaque côté de l’anus des glandes sécrétrices développées qui peuvent dégager une odeur musquée en cas d’attaque. ↩︎
- Madeleine au Bois d’Amour : peinture d’Emile Bernard. ↩︎
- ligneux : qualifie une plante dont la tige a la consistance du bois, grâce à la lignine qu’elle contient. Du latin lignum (bois). ↩︎
- Jeu de mots avec la polysémie. ↩︎
- kelvin : unité de mesure de la température du Système international. Du nom de titre du physicien britannique William Thomson, 1st Baron Kelvin. ↩︎
- arrimer : distribuer, arranger convenablement et placer avec solidité à l’intérieur d’un bâtiment (navire) les divers objets qui composent sa charge, sa cargaison. Attacher, faire tenir ensemble, éviter la séparation de. Du moyen anglais rimen (faire de la place). ↩︎
- incarnadin : couleur un peu plus faible que l’incarnat (incarnat : couleur de la chair, rouge rose clair. Couleur intermédiaire entre la couleur de la cerise et celle de la rose). Lolita 117. ↩︎
- ignominie : du latin ignominia (« ignominie, infamie »). Infamie, grand déshonneur. Action, idée, écrit ou énoncé honteux, soit pour celui qui la fait, soit pour celui qui la subit. ↩︎
- Allusion à un œil de verre qu’on visse. ↩︎
- Jeu de mot avec Bonneuil. ↩︎
- Jeu de mot avec l’air du temps. ↩︎
- insulaire : du latin insularis (relatif à l’île), de insula (île). Relatif aux îles. Qui habite une île. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- sapere aude : sapere, avoir de la saveur, sap (indoeuropéen), sentir ; gustare, goûter, augus, présage, geus (indoeuropéen), essayer ; aude, oser. ↩︎
- azimut : de l’arabe (as-)simt (le chemin). ↩︎
- apologie : du latin apologia (justification, défense). Paroles ou écrits destinés à justifier ou à défendre quelqu’un ou quelque chose. ↩︎
- polyandrie : du grec poluandros (abondant en hommes, populeux), composé de polús (nombreux) et de andros (homme). Qui a plusieurs maris. ↩︎
- nitro : apocope de nitroglycérine, de nitro pour acide nitrique et glycérine, du grec glykerós (doux). Apocope : du grec apokopè (coupure) ; élision d’un ou plusieurs phonèmes en fin de mot. Nitroglycérine : ester du glycérol et de l’acide nitrique qui se présente comme une huile jaunâtre, corrosive, extrêmement toxique et d’une grande force explosive. Utilisé pour qualifier des situations tendues, instables qui peuvent, comme le produit d’origine, exploser à tout instant. ↩︎
- privé : détective privé. ↩︎
- Référence à la pièce de théâtre d’Eve Ensler, Les Monologues du vagin. ↩︎
- Lolita 210 : Nobles et frigides dames du jury ! J’avais imaginé que des mois, des années peut-être, s’écouleraient avant que j’ose me démasquer devant Dolorès Haze ; or à six heures du matin elle était éveillée, et à six heures quinze elle était techniquement ma maîtresse. ↩︎
- Le mouvement brownien, ou processus de Wiener, est une description mathématique du mouvement aléatoire d’une « grosse » particule immergée dans un fluide et qui n’est soumise à aucune autre interaction que des chocs avec les « petites » molécules du fluide environnant. ↩︎
- tapissage : en l’occurrence, le tapissage évoqué aurait pour but d’identifier le pénis de Julien. ↩︎
- Référence au glory hole (trou de gloire) ou groping apparatus (appareil de tâtonnement). ↩︎
- Polysémie. ↩︎
- Polysémie. ↩︎
- Le flunitrazépam est un médicament de la famille des benzodiazépines. Ses puissantes propriétés hypnotiques et le risque de dépendance auquel il expose le font réserver aux cas d’insomnies sévères. Ce produit est parfois utilisé par les abuseurs sexuels pour annihiler les défenses de la victime et lui faire perdre la mémoire. C’est ce que les médias nomment une drogue de viol. Elle est communément appelée « rup » ou « roofie ». ↩︎
- pathologique : maladif. Dérivé de páthos (passion) et páskho (endurer). ↩︎
- sémantique : du grec sêmantikós (significatif). Relatif à la signification et au sens des unités linguistiques. ↩︎
- Référence à l’actrice B.B. dans le film La Vérité de Henri-Georges Clouzot. ↩︎
- Jeu de mot avec génétiques, l’appellation normale, avec attraction de digitales. ↩︎
- parangon : du grec parakonaō (frotter contre, aiguiser). Modèle ; archétype ; représentant de. Se dit d’une perle ou d’une pierre précieuse parfaite, exempte de défaut (Diamant parangon). Marbre noir de Grèce. ↩︎
- amphigourique : du grec amphí (autour, autour de) et agoreúô (parler en public) ou gureúô (faire tourner). Figure de rhétorique qui consiste à écrire un discours ou un texte de manière volontairement burlesque, obscure ou inintelligible. Propos désordonné dont les phrases mal construites et le vocabulaire incertain n’aboutissent à aucun sens satisfaisant. Discours confus, embrouillé et obscur. ↩︎
- Logorrhée : Du grec logos (parole) et rheo (couler). Littéralement, diarrhée verbale, ou incontinence verbale. Trouble du langage caractérisé par un besoin irrésistible et morbide de parler. Long discours creux ; verbiage. Flux de paroles inutiles et incohérentes. ↩︎
- Faire accroire quelque chose (à quelqu’un) : faire croire ce qui n’est pas vrai. ↩︎
- cabotin (Péjoratif) : comédien ambulant. out comédien sans talent. Celui qui affecte dans la vie privée des attitudes de théâtre. ↩︎
- entregent : manière adroite de se pousser dans le monde, dans la société, de s’insinuer auprès des personnes utiles, de s’en servir pour ses intérêts. Habileté à créer et entretenir un réseau de connaissances influentes. ↩︎
- diurne : du latin diurnus, de dies (jour). Qui relève du jour, par opposition à nocturne. ↩︎
- Lolita 296 : « Les griffes acérées de ma jalousie s’accrochaient constamment à la dentelle trop fine de sa duplicité nymphique. » ↩︎
- euphémisme : du grec euphêmismós (emploi du bon mot) dérivé de phêmí (dire) avec le préfixe eû (bien). Atténuation de faits ou d’idées désagréables, tristes ou choquantes en les exprimant de façon plus douce, plus indulgente, plus décente (il est parti, pour il est mort). ↩︎
- étiquette : formes cérémonieuses ou convenances appliquées entre eux par des particuliers, ensemble de règles, protocole. ↩︎
- Jeu de mots avec cheval, bidet, ruer, brancards (chacune des deux pièces de bois qui se prolongent en avant d’une charrette entre lesquelles on attèle un cheval.) ↩︎
- Allusion à un politicien. ↩︎
- métonymie : procédé du langage qui consiste à remplacer un mot par un autre mot qui entretient avec le premier un rapport logique, par exemple un objet par sa matière, un contenu par son contenant, la partie par le tout… Par exemple la salle (remplace les gens présents dans la salle). ↩︎
- Jeu de mots avec grand champ bêlant. Chambellan : du vieux-francique kamerling, du latin camera (chambre). Gentilhomme qui était chargé de veiller à tout ce qui concernait le service intérieur de la chambre d’un souverain. Dignitaire de l’administration royale ou pontificale. ↩︎
- Jeu de mots avec grand champ bêlant. Ovin : Qui concerne les moutons ou les autres ovins. Du latin ovinus (de brebis, de mouton). ↩︎
- sophisme : raisonnement qui n’est logique ou vrai qu’en apparence, mais qui est délibérément conçu pour tromper ou faire illusion. Du grec sóphisma (habileté ; invention ingénieuse ; raisonnement captieux). Captieux : qui tend à induire en erreur et à surprendre par quelque finesse, en parlant des raisonnements, des discours, etc. Du latin captio (qui cherche à prendre). ↩︎
- fion (Vulgaire) : cul, fesses. ↩︎
- Jeu de mots avec scions du bois et acéré. ↩︎
- Jeu de mots avec postérieur (cul). ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- psychotrope : se dit d’une substance chimique (alcool, médicament, etc.) qui agit sur le psychisme. Du grec psukhế (âme, esprit) et trope (orientation). ↩︎
- Amoureux. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Référence au film Massacre à la tronçonneuse et à l’expression un brouillard à couper au couteau. ↩︎
- cubicule : du latin cubiculum (chambre). Espace restreint. Lolita 62 : « un étroit cubicule ». ↩︎
- Jeu de mots. La liberté, pour le prisonnier. Du latin bellus (beau, élégant, gracieux). ↩︎
- pédieux : du latin pedis (pied). Relatif au pied. ↩︎
- Lolita 83 : « Que n’aurais-je donné mon Dieu, pour pouvoir embrasser séance tenante ces pieds de petite guenon, à l’ossature délicate et aux longs doigts mobiles ! » ↩︎
- Détournement de l’expression parler de tout et de rien et référence au presque rien de Vladimir. ↩︎
- cochlée : du grec kóchlos (grand coquillage en spirale). Organe de l’oreille interne en forme de colimaçon et contenant les cellules ciliées qui transforment les ondes sonores en influx nerveux. ↩︎
- Référence à la chanson de Nougaro, Le Cinéma : « D’abord un gros plan sur tes hanches Puis un travelling-panorama Sur ta poitrine grand format Voilà comment mon film commence ». ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Jeu de mots avec bon pied bon œil. ↩︎
- indicible : qu’on ne peut exprimer par des mots ; indescriptible. Du latin in- (non) et dicibilis (qui peut être dit). ↩︎
- 77 : Seine-et-Marne. ↩︎
- serrer (Argot policier) : attraper ; interpeller. Du latin serare (fermer avec une barre), dérivé de sera (barre de clôture, serrure, verrou, cadenas). ↩︎
- Jeu de mots avec water-closet, se faire Cosette, faire cosette. ↩︎
- Jeu de mot avec écosser les petits poids. ↩︎
- Référence au poème de Baudelaire. ↩︎
- Jeux de mots avec Bures-sur-Yvette et Marnes-la-Coquette. ↩︎
- maton (Argot) (Péjoratif) : gardien de prison. Du verbe argotique mater (regarder), de l’espagnol mata (buisson (où l’on se cache)), du latin matta (natte de jonc). ↩︎
- Jeu de mot avec enfant, celui de « L’amour est enfant de Bohème ». ↩︎
- Référence à l’expression Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. ↩︎
- Lolita 114 : « sur la pointe des pieds de l’imagination, pour ainsi dire, j’évoquai Charlotte dans le rôle de l’épouse. Que diable, je saurai bien m’astreindre à lui apporter ce pamplemousse parcimonieusement coupé en deux, ce petit déjeuner sans sucre. » ↩︎
- Référence au film Nikita de Luc Besson. ↩︎
- Les questions de fait portent sur l’être. les questions de droit portent sur le devoir être. ↩︎
- mesclun : du niçois mesclum, « mélange ». Mélange de pousses et de feuilles, d’au moins cinq variétés différentes, de plantes potagères qui se consomment en salade (laitue, mâche, roquette, chicorée, trévise, scarole, feuille de chêne, etc.). ↩︎
- cébette : la ciboule, cive ou oignon d’hiver est cultivée pour ses feuilles aromatiques, au goût plus doux que l’oignon ou l’échalote. En Provence, elle est connue sous le nom de cébette et récoltée avant renflement des bulbes. ↩︎
- tapenade : recette traditionnelle de la cuisine provençale, à base d’olives noires ou vertes, pilonnées dans un mortier avec de l’huile d’olive, des câpres (tapena en occitan1, d’où son nom), des filets d’anchois, de l’ail, et des herbes de Provence. ↩︎
- pissaladière : de pissalat, poisson salé, en occitan. Spécialité culinaire niçoise à base de pâte à pain, oignons, pissalat ou anchois, huile d’olive, et petites olives noires de Nice. ↩︎
- socca : spécialité culinaire niçoise, à base de farine de pois chiche et d’huile d’olive, cuite et dorée au four à bois, consommée en particulier à Nice, Menton et Monaco. ↩︎
- kaki : fruit du plaqueminier (arbre du Japon, nommé figuier des jardins, qui a les feuilles du poirier) ressemblant à une tomate, d’une belle teinte orangée, presque rouge, à la peau translucide à maturité, et au goût très agréable. ↩︎
- Jeux de mots avec désert, référence à la chanson de Léo Ferré, Comme à Ostende. ↩︎
- quinconce : du latin quincunx (cinq onces). Groupe de cinq arbres dont quatre sont plantés en carré et le cinquième au milieu. Objets disposés de cette manière. Lolita 428 : « et les quinconces de cheminées d’usine fumant au loin ». ↩︎
- Lolita 138 : avant de se dissoudre dans l’azur (un petit avion). ↩︎
- camaïeu : camée, pierre fine qui présente deux nuances différentes de la même couleur. Peinture ou coloration où l’on n’emploie qu’une couleur avec des nuances différentes. Lolita 125 : « dans un perpétuel chiaroscuro de sourires et de froncements de sourcils, de moues et de doutes. » ↩︎
- apetisser : devenir plus petit. Lolita 353. ↩︎
- lanugineux : du latin lanugo (duvet). Qui est de la nature de la laine. Lolita 248 : « les montagnes vernales à l’échine lanugineuse d’éléphant nouveau-né ». ↩︎
- gobeloter : siroter. ↩︎
- Lolita 69 : « son otarie de mère ». ↩︎
- Lolita 60 : « palpant son chignon d’un brun de bronze ». ↩︎
- ferrugineux : qui tient de la nature du fer ; ici, de couleur rouge brique foncé. Lolita 55 : « cuprifère » (qui renferme du cuivre). ↩︎
- carlin : race de petit chien de compagnie molossoïde, type dogue provenant de Chine, à museau écrasé et noir, à poil ras, de couleur sable, noir ou marron très foncé. La tête noire de ce chien ressemble au masque d’Arlequin, rôle joué par Carlo Antonio Bertinazzi (1713-1783) aussi appelé Carlin sous son nom de scène. ↩︎
- lemming : espèce de petit rongeur subnival (qui vit le plus souvent dans la neige) migrateur vivant généralement dans les régions arctiques, dans les biomes de toundra. ↩︎
- azurescent : qui tire sur le bleu d’azur. Lolita 247 : « merveilles azurescentes ». ↩︎
- Référence à Les Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras. ↩︎
- basilique : église chrétienne bâtie sur le plan de la basilique romaine, à plusieurs vaisseaux de forme allongée, le vaisseau central étant éclairé de fenêtres percées dans la partie haute de la nef. Du grec basilikế (royale, par ellipse de salle royale). ↩︎
- palombe : pigeon ramier dans le sud de la France. De l’indo-européen pel (gris). ↩︎
- Autrement dit, un petit bouquet de fleurs. Angiosperme : plante à fleurs ; du grec aggeîon (vase, réceptacle) et spérma (graine). ↩︎
- Une montre de diamant. ↩︎
- Jeux de mots avec Reins. ↩︎
- Reims est surnommée la belle endormie et les rémois sont surnommés les cornichons. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Lolita 103 : « Dorloter cette dent. » ↩︎
- apodictique : du grec ápodeiktikós (démonstration, évident). Ce qui est énoncé comme une vérité de fait et comme une nécessité absolue. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Jeu de mots avec le sens juridique de témoin. ↩︎
- patenté : qui paie patente. Qui est attitré. Du latin patens (patent, évident, étendu), participe présent de patere (être découvert, être exposé). ↩︎
- parémiologie : du grec paroimía (proverbe). Partie de la linguistique qui étudie les parémies et leur usage. Parémie : énoncé autonome, stable, bref et généralement didactique, comme les proverbes. ↩︎
- Construit sur l’expression L’enfer est pavé de bonnes intentions. ↩︎
- divisionnaire : qui appartient à une division. Commissaire divisionnaire : grade accordé à certains commissaires de police. Du latin divisio (partage, distribution, répartition), de dividere (diviser, voir les choses différemment), de di (deux) et video (voir). ↩︎
- mutin : espiègle, badin, moqueur. Séditieux, révolté, qui participe à une mutinerie. De l’ancien français muete (groupe de chiens courants dressés pour la chasse, bande, troupe de gens, émeute). Du latin movere (mouvoir). ↩︎
- rubicond : du latin ruber (rouge, roux). Très rouge de peau, principalement concernant le visage. ↩︎
- « Mon verre s’est brisé comme un éclat de rire. » Nuit rhénane, poème de Guillaume Apollinaire. ↩︎
- CQFD : ce qu’il fallait démontrer. ↩︎
- Référence à une publicité célèbre. ↩︎
- Mélange de deux expressions : Tu ne te mouches pas du coude et Ne pas y aller avec le dos de la cuillère. Plus jeu ce mots avec mouche et toucher (faire mouche c’est toucher). ↩︎
- Référence à la chanson Les Bêtises de Sabine Paturel. ↩︎
- Sens propre et figuré. ↩︎
- courroux : irritation véhémente, colère. Du latin corrumpere (corrompre, détériorer). ↩︎
- La phrase précédente est une paire d’alexandrins (un alexandrin est un vers de douze pieds). ↩︎
- Référence à la chanson de Cloclo. ↩︎
- HS : hors service. ↩︎
- after : de l’anglais afterparty. (Anglicisme) Réunion festive qui suit un événement. ↩︎
- Construit sur les expressions Avoir plusieurs cordes à son arc et Avoir plusieurs cordes à son string. ↩︎
- SAF : syndicat des avocats de France. ↩︎
- cador : de l’arabe qadir (capable, puissant). (Familier) Champion, personne compétente, dominante, experte, performante dans un domaine particulier. ↩︎
- idylle : du grec eidýllion (petit poème lyrique). Petit poème à sujet pastoral ou amoureux. Liaison romantique, aventure amoureuse qui ne reste pas toujours chaste. Amour naïf et tendre vécu affectivement par deux êtres dans la fraîcheur d’un sentiment idéalisé. ↩︎
- flasher : sens propre et figuré. ↩︎
- queutard (vulgaire) : du latin cōda (queue). Homme porté sur le sexe. ↩︎
- Référence à l’expression Toute chose étant égale par ailleurs. ↩︎
- emphase : affectation pompeuse dans les paroles, dans le débit, dans la mimique et dans les gestes. Mise en relief d’un des constituants de la phrase par l’intonation ou par l’ordre des mots. Du grec en (dedans, au-dedans), et phaínō (briller). ↩︎
- Jeu de mot avec phase terminale. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Contrepied de l’expression il y a une justice. ↩︎
- Jeu de mots avec bourrés. ↩︎
- Nonobstant : du latin non et obstare (faire obstacle). Malgré, sans être empêché par quelque chose. ↩︎
- logogriphe : discours obscur. Jeu de mots avec griffes. ↩︎
- érotomane : du grec érôtomanếs (fou d’amour) composé de érôs (amour, désir) et de manía (folie). Qui a des obsessions érotiques. ↩︎
- sabbat : de l’hébreu šabat (abstention). (Religion) Dernier jour de la semaine, consacré à la prière, chez les juifs et les chrétiens sabbataires. Assemblée nocturne que, suivant une opinion populaire, les sorciers tiennent pour adorer le diable. ↩︎
- rocambolage : néologisme construit sur rocambolesque et carambolage. ↩︎
- les humanités : les sciences molles (les lettres et une partie des sciences humaines et sociales). ↩︎
- circonstancié : exposé dans tous ses détails. Du latin circum stare (se tenir debout aux alentours). ↩︎
- orthodoxe : du grec orthos (droit) et doxa (opinion). Relatif aux églises chrétiennes grecques (demeurées fidèles à la foi des premiers conciles), par opposition à celles de l’église catholique romaine. Conforme à la droite opinion en matière de religion. Conforme, en parlant de doctrines scientifiques, morales ou littéraires. ↩︎
- chinois : passoire fine, conique. ↩︎
- armada : de l’espagnol armada (armée). Grande flotte. Grande escadre aérienne. Grand ensemble. ↩︎
- psychologiste (Ironique) : psychologue. ↩︎
- Jeu de mots avec procto. ↩︎
- Référence au couteau de Lichtenberg. ↩︎
- obstétricien : médecin accoucheur. Du latin De obstetrix (sage-femme). ↩︎
- hectocotyle : un des bras de la plupart des céphalopodes mâles, qui est souvent modifié pour servir à transporter ses spermatophores jusque dans la cavité palléale de la femelle. ↩︎
- palléal : du latin palla (manteau). Qui a rapport au manteau des mollusques. ↩︎
- Argo : du grec Argố, vaisseau sur lequel Jason alla conquérir la Toison d’or. ↩︎
- Référence à la sexualité de l’argonaute voilier. ↩︎
- Référence au soleil noir de Nerval : ne passez pas à côté de l’oxymore. ↩︎
- numismatique : du latin numisma (pièce, monnaie). Relatif à la monnaie et aux médailles. ↩︎
- occulte : du latin occultus (caché), de l’indo-européen kel (couvrir). Qui est caché, secret, mystérieux. Qui est relatif à l’occultisme, ensemble des arts et sciences occultes (alchimie, astrologie, magie, divination, médecine occulte) touchant aux secrets de la nature, à ce qui est non visible. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Référence à l’ouvrage Quand la Chine s’éveillera. ↩︎
- nymphe : Polysémie. Chrysalide du papillon, divinité féminine inférieure, jeune femme au corps gracieux, petites lèvres de la vulve. Du grec númphē (jeune mariée, promise, jeune fille). ↩︎
- Jeu de mots avec soie. ↩︎
- vitupérer : du latin vituperare (trouver des défauts). (Transitif) Blâmer fortement. (Intransitif) Protester vivement. ↩︎
- pontifier (ironique) : avoir dans ses paroles, dans son ton, dans ses gestes un air solennel et important. Du latin pontifex (guide spirituel). ↩︎
- évanescence : du latin evanescere (disparaître) et de essentia (existence). Diminution graduelle jusqu’à la disparition. ↩︎
- coruscant : du latin coruscans (étincelant, brillant). Brillant, éclatant, étincelant. Qualifie un style qui se singularise par ses particularités lexicales, sa prédilection pour les vocables rares, archaïques, régionaux, dialectaux ou néologiques, ses manipulations du matériel grammatical et ses distorsions syntaxiques. Lolita 253 : « ces gambades coruscantes ». ↩︎
- ostentatoire : du latin ostendere (« présenter, montrer, exhiber »). Qui marque de l’ostentation (insistance à montrer des qualités ou des avantages dont on veut faire parade). Qui est montré avec insistance et sans discrétion (et devient ostensible). ↩︎
- Junichirô Tanizaki, Eloge de l’ombre : « Ce sont les Chinois encore qui apprécient cette pierre que l’on nomme le jade : ne fallait-il pas en effet, être des Extrême-Orientaux comme nous-mêmes pour trouver un attrait à ces blocs de pierre, étrangement troubles, qui emprisonnent dans les tréfonds de leur masse des lueurs fuyantes et paresseuses, comme si en eux s’était coaguler un air plusieurs fois centenaire ? » ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- En porcelaine. ↩︎
- Pontifex Maximus : pape. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- exégète : du grec exêgêtês (guide, conseiller). Celui qui s’occupe d’exégèse (explication d’un écrit, rendue nécessaire par son caractère prétentieux et alambiqué.) ↩︎
- Référence à la chanson de Joe Dassin. ↩︎
- primipare : du latin primus (premier) et parere (engendrer). Qualifie une femme qui enfante pour la première fois, ou une femelle qui met bas pour la première fois. ↩︎
- rue : plante des prés à fleurs jaunes. ↩︎
- Référence au mythe d’Œdipe. ↩︎
- personnel : contrepèterie de porcelaine. ↩︎
- cafédomancien : du grec mántis (devin). Qui pratique la cafédomancie, l’art de lire l’avenir dans le marc de café. ↩︎
- vaginomancie : néologisme. ↩︎
- jérémiade : de Jérémie, par allusion aux Lamentations de Jérémie (Bible). Plainte fréquente et importune. ↩︎
- dodeliner : se balancer doucement. Lié à dodo et au fait de bercer un enfant. ↩︎
- ère : du latin aera (nombre, chiffre, Ère). Point fixe d’où l’on commence à compter les années. Époque très remarquable où un nouvel ordre de choses s’établit, commence. Subdivision, seconde par durée après l’éon, de l’échelle des temps géologiques. ↩︎
- indéfectible : qui ne peut défaillir, cesser d’être. Du latin in et defectibilis (sujet à défaillance). ↩︎
- hydre (Mythologie) : serpent fabuleux à plusieurs têtes, dont chacune renaît dès qu’on la coupe. Ennemi dangereux, menace. Pierre philosophale. Du grec húdōr (eau). ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- Austral : qui se situe du côté sud du globe terrestre, et plus spécialement près du pôle Sud. Du latin auster (vent du Midi). ↩︎
- suppléer : du latin supplere (remplir à nouveau, compléter, ajouter, réparer les pertes, suppléer, combler les vides). (Transitif direct : sipléer quelqu’un) Ajouter ce qui manque, fournir ce qu’il faut de surplus. Remplacer quelqu’un, tenir sa place, le représenter, remplir ses fonctions. (Transitif indirect : suppléer à quelque chose) Remédier au manque ou au défaut de quelque chose. ↩︎
- Style d’Emile Ajar. ↩︎
- Pas d’imparfait du subjonctif (À moins que vous ne préférassiez) car langage parlé. ↩︎
- Dialectique : qui a rapport aux règles du raisonnement ; du grec diálektos (discours). ↩︎
- lambris : revêtement de menuiserie, de marbre, de stuc, etc., sur les murailles d’une salle, d’une chambre, etc. Du latin labrusca (vigne sauvage) ; cf. vigneter, orner avec un motif de vigne. ↩︎
- farté : enduit de fart (substance cireuse). ↩︎
- Camphre : cétone se présentant sous forme de cristaux blanchâtre et demi-transparente, d’une odeur très forte, d’une saveur amère et brûlante, qu’on extrait principalement du camphrier ; il possède une action cardiotonique. Du malais kapur barus (craie de Barus). ↩︎
- bilieux : qui abonde en bile, qui a rapport à la bile ou qui en résulte. Qui a la couleur de la bile (vert-jaune). ↩︎
- atone : du grec átonos (non tendu, sans tonus). Qui manque de tonus, de vigueur. ↩︎
- fangeux : qui est plein de fange (boue, pays marécageux, état d’avilissement). Abject. ↩︎
- Junichirô Tanizaki, Eloge de l’ombre : « Ce sont les Chinois encore qui apprécient cette pierre que l’on nomme le jade : ne fallait-il pas en effet, être des Extrême-Orientaux comme nous-mêmes pour trouver un attrait à ces blocs de pierre, étrangement troubles, qui emprisonnent dans les tréfonds de leur masse des lueurs fuyantes et paresseuses, comme si en eux s’était coaguler un air plusieurs fois centenaire ? » ↩︎
- Lolita 369 : « un spasme presque douloureux de réplétion esthétique ». ↩︎
- rouanne : gris-marron, avec les extrémités noires, pour la robe des chevaux. Lolita 245. ↩︎
- mérétrice : du latin mereo (mériter, gagner son salaire). Prostituée. Lolita 198 : « frêles mérétricules ». ↩︎
- Lolita 340 : « un énorme Saint-Bernard aux orbites lobées de velours noir ». ↩︎
- Lolita 63 : « Nous inspectâmes sans nous attarder une table d’acajou supportant une coupe à fruits entièrement vide à l’exception d’un noyau de prune encore scintillant de fraîcheur. » ↩︎
- Lolita 113 : « L’ami Humbert a des lettres ! » ↩︎
- Avec un V dedans. ↩︎
- tribades : Lesbiennes. Lolita 212 : « petite tribade ». ↩︎
- émissaire : du latin emissarius (agent, émissaire, espion), de mitto (laisser aller, laisser partir). Envoyé, personne chargée de mener une mission au dehors. ↩︎
- Lolita 194 : « en diverses postures et à divers degrés d’enchantement, parmi un salmigondis d’animaux blafards et d’arbres et de dryades. » ↩︎
- Lolita 466 : « ces myriades de phalènes pâles que le double entonnoir de mes phares ravissait aux ténèbres. » ↩︎
- Lolita 204 : « Lolita tourna la tête et me regarda à travers les ténèbres hachurées. » ↩︎
- Lolita 57 : « un petit village somnolant dans les champs de la Nouvelle-Angleterre (une allée d’ormes, une église blanche) ». ↩︎
- sinisant : qui sinise, fait devenir chinois, ou conforme aux habitudes chinoises. de l’arabe aʂ-ʂīn (Chine). ↩︎
- Lolita 103 : « pitoyablement piètre ». ↩︎
- plaid : couverture d’appoint, souvent en laine.Lolita 156 : « plaid quadrillé ». ↩︎
- sergé : tissée obliquement à la manière de la serge. ↩︎
- tartan : étoffe de laine à carreaux de diverses couleurs, très employée en Écosse. ↩︎
- bergère : fauteuil profond garni d’un coussin sur lequel s’asseoir. ↩︎
- orillon : partie de quelque chose ressemblant à une petite oreille. ↩︎
- cretonne : toile forte. Lolita 189 : « écoutant de profil le verbiage que la maîtresse du chien, une antique créature emmaillotée de voiles mauves, émettait des profondeurs d’une bergère de cretonne. » ↩︎
- Paradoxisme (habiller versus nus). ↩︎
- Lolita 79 : « (cette grâce un peu aigrelette de son petit corps impubère) ». ↩︎
- Lolita 72 : « la fraîcheur laiteuse et estompée des jeunes soubrettes du Vieux Monde (fleurant la marguerite écrasée et la sueur) ». ↩︎
- Lolita 61 : « ce compromis hybride et horrible entre la bouffonnerie du « mobilier fonctionnel des Temps modernes » et la tragédie de ces fauteuils à bascule disloqués et de ces guéridons boiteux supportant des lampes mortes ». ↩︎
- espagnolette : ferrure à poignée tournante servant à fermer et à ouvrir les châssis d’une fenêtre. Type d’ornement figurant un buste de femme souriante engainée et généralement coiffée ou diadémée. ↩︎
- mulot : la souris de l’ordinateur. ↩︎
- cataphote : catadioptre généralement placé sur un vélo ou un véhicule. Catadioptre : système optique servant à réfléchir un faisceau lumineux du visible (ou du proche infrarouge) dans la direction du flux lumineux entrant, et ce quel que soit l’angle d’incidence. Du grec cata (vers le bas, l’arrière, en renvoyant, en diminuant) et dioptron (miroir). ↩︎
- Lolita 465 : « Une succession de poteaux d’un blanc spectral et constellés de cataphotes, empruntaient la lumière de mes phares pour me signaler tel ou tel virage. » ↩︎
- Jeu de mots avec amendes. ↩︎
- Comme le lait. ↩︎
- Polysémie : sorte de bandonéon et barbelé à lames de rasoir. ↩︎
- Lolita 213 : « cet univers coriace des enfants ». ↩︎
- ophidien : synonyme de reptile, serpent. Du grec óphis (serpent). ↩︎
- flatueux : qui produit des gaz dans le tube digestif. Lolita 481. Jeu de mots avec tueuses. ↩︎
- malévole : Malveillant. Lolita 272 : « une curiosité malévole ». ↩︎
- pérorer : parler, discourir longuement et avec une sorte d’emphase. Du latin perorare (parler jusqu’au bout). ↩︎
- Lolita 121 : « cette publicité réchauffa son cœur de porcelaine – et secoua d’hilarité mes grelots de crotale. » ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- aménité : du latin amoenitas (charme, agrément, beauté, grâce). Agrément, en parlant d’un lieu ou d’un air. Douceur accompagnée de politesse et de grâce. Lolita 448 : « une lassitude incoercible ». ↩︎
- chlorotique : qui est affecté de chlorose. Qui a rapport à la chlorose (maladie qui a pour principal symptôme la décoloration de la peau). De chlore, du grec khlôros (vert, d’un jaune verdâtre). ↩︎
- Jeu de mots avec la formule magique. ↩︎
- Référence à la séance de profilage. ↩︎
- Béchamel : allusion à Gargamel des Schtroumpfs. ↩︎
- botticellienne (Nom) : femme qui ressemble à celles dessinées par Sandro Botticelli. (Adjectif) Du style de Sandro Botticelli, ou relatif aux œuvres de Botticelli, ou qui rappelle les œuvres de Botticelli (Alessandro di Mariano di Vanni Filipepi, dit Sandro Botticelli), peintre de la Renaissance italienne. ↩︎
- zinc (familier) : comptoir d’un bar qui a rarement été couvert de zinc (de l’allemand Zinke « pointe »), mais surtout de cuivre. Mec, copain (apocope du verlan de cousin). ↩︎
- formica (Marque déposée) : mélaminé thermorésistant recouvrant généralement du mobilier de cuisine. Mélaminé : panneau à base de bois recouvert à chaud et sous pression d’une feuille de papier imprégnée de mélamine. Mélamine : base salifiable (susceptible de former des sels en se combinant avec un autre corps) produite par le mélam (Substance blanche, découverte dans le résidu insoluble qu’on obtient en distillant un mélange d’une partie de sulfo-cyanure de potassium avec deux parties de sel ammoniac ; du nom donné par Justus von Liebig, son découvreur). ↩︎
- « Rastapopoulos !… Oui, Rastapopoulos !… » ↩︎
- chicot : ce qui reste hors de terre d’un arbre cassé par le vent ou coupé. Morceau qui reste d’une dent rompue. De l’onomatopée tchic exprimant quelque chose de petit, de cassé ; certains font remonter cette onomatopée au latin ciccum (petit rien). ↩︎
- mandater : munir quelqu’un d’un mandat. Acte par lequel on commet le soin d’une affaire à quelqu’un qui s’en charge gratuitement. Du latin manus (main) et dare (donner), le verbe signifie étymologiquement « mettre en main ». ↩︎
- fiente : excréments de certains animaux, surtout des oiseaux. Du latin fimus (chose dont s’élèvent des vapeurs), apparenté à fumus (fumée) et fuligo (suie). ↩︎
- taulier (populaire) : de l’occitan taula (table). Patron, gérant d’un hôtel ou d’un restaurant. Patron d’une maison close, d’un lupanar. Patron en général (au sens propre comme au sens figuré). Taule : toute forme d’habitation, maison, chambre. ↩︎
- lapidaire : du latin de lapis (pierre). Qui a rapport aux pierres. Inscription lapidaire, inscription gravée sur la pierre, le marbre, etc. Concis, expressif, ciselé ; auquel il n’y a rien à ajouter. ↩︎
- calamistré : bouclé, en parlant des cheveux. Du latin calamistrum (fer à friser), issu du grec kalamos (roseau), en raison de la ressemblance entre cet ustensile et la tige du roseau. Lolita 288 : « d’infimes volutes calamistrées ». ↩︎
- arpions (argot) : généralement au pluriel. Pied. De l’occitan arpa (griffe). ↩︎
- synapse : du grec súnapsis (contact, jonction). Zone de quasi-contact qui permet la transmission d’un signal électrique entre deux neurones ou entre un neurone et un muscle, par échange d’un neurotransmetteur (noradrénaline, acétylcholine). ↩︎
- Ne sortez pas sans un paradoxisme, même faux. ↩︎
- Lolita 209 : « Parfois ma conscience vacillait à rebours, mon corps tâtonnant culbutait dans l’orbe du sommeil puis en ressortait lourdement et, une fois ou deux, je me surpris à exhaler un ronflement mélancolique. » ↩︎
- sélénique : relatif au sélénium (étymologie : lune). Lolita 208. ↩︎
- Jeu de mots avec fragrance. ↩︎
- bois flotté : bois qui est transporté par flottaison. Lolita 429 : « tout était aussi évident qu’un débris de bois séché ». ↩︎
- Jeux de mot avec Je me suis couché de bonne heure (Proust). ↩︎
- estran : bande de terre qui est couverte à marée haute et découverte à marée basse. Du néerlandais stranghe (grève). ↩︎
- Lolita 124 : « (pour prolonger ces résonnances proustiennes) ». ↩︎
- miction : action d’uriner. Du latin mingere (uriner). Jeu de mots avec fiction. ↩︎
- julienne : technique de découpe des légumes en filaments plus ou moins gros ; aliment préparé selon cette technique. Allusion à Julien. ↩︎
- Construit sur Prêcher le faut pour savoir le vrai. ↩︎
- Lolita 100 : « L’après-midi se prolongea interminablement, dans un silence confit, et les grands arbres chargés de sève semblaient suivre mes pensées. » ↩︎
- azimut (familier) : direction. (Marine) Angle dans le plan horizontal, mesuré de 0 à 360° dans le sens horaire entre le nord et la direction considérée. De l’arabe (as-)simt (le chemin). ↩︎
- Polysémie : matière cuivre et instrument qu’on entend le soir au fond des bois. ↩︎
- luminescent : du latin lumen (lueur, lumière, éclat, clarté). Émettant de la lumière sous certaines conditions physiques ou chimiques. Qui laisse passer et diffuse la lumière. Lumineux, rayonnant. (Peinture) Soulignant le contraste entre l’ombre et la lumière. ↩︎
- Référence au Minotaure. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Allusion aux chiottes. ↩︎
- Référence aux plumes des danseuses. ↩︎
- Référence à Sirius, l’étoile de la Petite chienne. ↩︎
- gourbi : cabane, hutte d’Afrique du Nord. Habitation misérable et en désordre. Abri dont se servaient les soldats dans les tranchées. De l’arabe dialectal maghrébin gurbi. ↩︎
- lémur : nom de plusieurs espèces de primates souvent également nommés makis, exclusivement malgaches hormis deux espèces introduites aux Comores. Nom donné par Linné au maki parce qu’il sort la nuit comme un lémure (revenant venant tourmenter les vivants). ↩︎
- les trois petits cochons : attention au contrepet. ↩︎
- Réponse : hibou, hulotte, grand-duc, chevêche, effraie). ↩︎
- Référence à Barbara et à Bashung. ↩︎
- Référence aux Timides de Brel. ↩︎
- ithyphallique : désigne celui qui a un phallus (pénis en érection) ; concerne essentiellement des représentations symboliques. Du latin Ithyphallus (phallus porté lors des fêtes de Bacchus), du grec ithúphallos, de ithús (droit) et phallós (phallus). ↩︎
- Nugget = pépite en anglais. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Charles Francis de Richter. ↩︎
- Néologisme construit sur prêt-à-porter. ↩︎
- Jeu de mot avec tube de métal. ↩︎
- fibrillation : succession de contractions irrégulières, rapides et non coordonnées des fibres musculaires du cœur. Du latin fibra (fibre), de fiber (qui est à l’extrémité). ↩︎
- mante : sorte de vêtement de femme, ample et sans manches, qui se porte par dessus les autres vêtements, par temps froids. Élément qui recouvre quelque chose. Forme féminine du latin mantele (manteau). ↩︎
- sherpa : guide de montagne dans l’Himalaya. Du tibétain sherpa (peuple de l’est). ↩︎
- prohibé : interdit. ↩︎
- congrès : nom du rapport sexuel dans le Kamasutra. ↩︎
- à l’avenant : « à l’avenant » ou « à l’avenant de ». Du même genre. De même, pareillement. ↩︎
- Référence à Eluard. ↩︎
- Lolita 197 : « me révélant la face interne de la cuisse jusqu’au chiasme de la culotte ». ↩︎
- adducteur : du latin adducere (amener). Qui amène. Qualifie différents muscles dont la fonction est de rapprocher de l’axe du corps les parties auxquelles ils sont attachés. ↩︎
- irascible : du latin irascibilis (se mettre en colère), de ira (colère). Qui s’emporte facilement, qui est prompt à se mettre en colère. ↩︎
- Lolita 180 : « tendre moiteur ». ↩︎
- quattrocento : art du quinzième siècle italien. Référence aux Quatre cents coups de Truffaut. ↩︎
- Référence à Waterloo et jeu de mots avec abolition de la peine de mort. ↩︎
- Référence à Waterloo. ↩︎
- fongiforme : du latin fongus (champignon). Qui a la forme d’un champignon. ↩︎
- histamine : de amine avec le préfixe histo (trame, tissu). Médiateur chimique synthétisé par les animaux dans de nombreux organes : par des cellules impliquées dans la réponse immunitaire, par des cellules de la paroi de l’estomac régulant la sécrétion d’acide chlorhydrique, par des neurones du système nerveux central pour le contrôle de l’éveil. ↩︎
- ténu : qui est très délié, mince, étroit, de peu de consistance, très fin. De l’indo-européen ten (étendre, étaler). ↩︎
- singe rhésus : le macaque rhésus, aussi appelé singe rhésus ou bandar, est l’une des espèces de singes les plus connues de l’Ancien monde notamment à travers une sexualité débordante, souvent utilisée comme animal de laboratoire. Antigène présent (rhésus positif, symbole Rh+) ou absent (rhésus négatif, symbole Rh-) dans les globules rouges du sang, ce qui détermine le groupe sanguin. De Rhesus, roi légendaire de Thrace ; le passage du roi au singe est totalement inconnu ou arbitraire. ↩︎
- Hétérosexualité : du grec héteros (autre). Pratique de relations sexuelles et affectives avec des personnes de sexe opposé. ↩︎
- Hosanna : louange, bénédiction. Acclamation religieuse originairement en usage chez les hébreux, employée dans certains offices de l’Église. ↩︎
- bastringage : néologisme construit sur bastringue et bastingage. ↩︎
- Lolita 64 : « l’adorable courbe rétractile de son abdomen ». ↩︎
- lépidoptère : du grec lepís (écaille) et pterón (aile). Insecte à métamorphose complète dont la forme adulte, appelée papillon, a quatre ailes couvertes d’écailles colorées, dont la larve est appelée chenille et la nymphe chrysalide. ↩︎
- matutinal : matinal. Du latin matutinum (matin). ↩︎
- Référence à Jurassic Park. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- flexueuse : ondulante. ↩︎
- Lolita 413 : « Elle drapa sa nudité sinueuse dans mon imperméable et j’enfilai un caleçon à rayures caramel. » ↩︎
- caverne de Platon : métaphore du sexe féminin. ↩︎
- timoré : qui est trop disposé à la crainte, au scrupule. Qui a peur dans une situation particulière. Du latin ecclésiastique timoratus (qui craint Dieu), de timeo (craindre). ↩︎
- Référence à Psychose. ↩︎
- accident vasculaire cérébral : AVC. ↩︎
- position latérale de sécurité : PLS. ↩︎
- Service d’aide médicale urgente : SAMU. ↩︎
- Métaphore du sperme. ↩︎
- tain : feuille ou lame très mince formée d’un mélange d’étain et de mercure (toxique), qu’on applique derrière une glace pour qu’elle réfléchisse les objets. Altération d’étain, du latin stannum, peut-être d’origine gauloise (selon Pline, l’étamage est une invention des Gaulois). ↩︎
- Allusion au mercure du tain. ↩︎
- Référence au bridge (faire le mort). ↩︎
- protagoniste : du grec prôtagônistês (protagoniste, premier acteur). Premier acteur qui engage le dialogue avec le chœur, dans le théâtre grec antique. Acteur principal d’une intrigue, d’une histoire ; personnage important d’une pièce de théâtre, d’un film, d’un roman. Personnage-clé dans une affaire. ↩︎
- Référence à Jack London. ↩︎
- Litote. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- dans le rail on se serre les coudes : attention au contrepet. ↩︎
- Jeu de mot avec flingueurs. Référence au film. ↩︎
- Les motifs de la cravate représentent des girafes. ↩︎
- Référence aux Amours de Mars et de Vénus de Jean de La Fontaine : « Entre l’homme d’épée et l’homme de science, Les dames au premier préfèreront toujours ; » ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Jeu de mots avec polichinelle. ↩︎
- Allusion aux aiguilles à tricoter utilisées dit-on lors des avortements. ↩︎
- Madame Béchamel. ↩︎
- Madame Luz, sa mère. ↩︎
- Monsieur Béchamel. ↩︎
- Monsieur Luz, son père. ↩︎
- Référence au film Rosemary’s baby de Coppola. ↩︎
- Référence au Roman de Renard. ↩︎
- éminemment : à un degré éminent ; au plus haut point. (Philosophie) (Scolastique) Se dit par opposition à formellement. ↩︎
- imminent : qui est sur le point d’avoir lieu. (En parlant d’une personne) Qui menace de devenir, ou qui sera prochainement (« entouré d’imminents meurtriers »). De l’indo-européen men (dominer) qui donne aussi mons (mont), mentum (menton), le verbe minor (saillir, menacer, annoncer). ↩︎
- trémulant : tremblant. Lolita 323 : « les bajoue trémulantes ». ↩︎
- chintz : Cotonnade d’ameublement. Lolita 125. ↩︎
- Lolita 322 : « Elle barbottait dans le chintz et le cretonne ». ↩︎
- Lolita 248 : « des clairières de lupins bleus ». ↩︎
- Lolita 458 : « La voiture s’emboutit contre un poteau télégraphique, escalada un talus planté d’herbe aux ânes, de fraisiers sauvages et de potentille rampante, puis capota. » ↩︎
- vinassier : négociant en vin. Lolita 323 : « haleine vinassière ». ↩︎
- agriffer : prendre avec les griffes, saisir. S’attacher avec les griffes. Lolita 390. ↩︎
- zygomatique : qui appartient au zygoma, à la pommette. Muscles zygomatiques : les deux muscles qui amènent les coins de la bouche vers les oreilles, et qui agissent principalement dans l’action du rire. Du grec zúgōma (joint). Zigoma : os de la pommette de la joue. ↩︎
- taf (Familier) : boulot. Peut-être le verlan de fait. ↩︎
- légataire : celui, celle à qui on fait un legs. Du latin legare (léguer). ↩︎
- Leica : marque d’optiques d’appareils photo. ↩︎
- théories : Processions. Lolita 247 : « se morcelant en théories de collines ». ↩︎
- hydropique : atteint d’hydropisie (accumulation de liquide séreux dans une cavité quelconque du corps ou dans le tissu cellulaire). Lolita 242 : « cette immensité hydropique et morne ». ↩︎
- Lolita 165 : « Une goutte de pluie tomba sur mes phalanges. » ↩︎
- encaustique : préparation faite avec de la cire et de l’essence de térébenthine, qu’on étend sur les parquets et sur certains meubles de bois pour leur donner du lustre, du poli. Du grec kaustikos (brûlant). ↩︎
- Allusion au réfrigérataure du début du roman. ↩︎
- éminemment : au plus haut point. Se dit aussi par opposition à formellement (philosophie scolastique). ↩︎
- Lolita 61 : « Je l’examinai à travers la brume opaque d’une répugnance sans remède. » ↩︎
- La chanteuse Barbara a été victime de l’inceste. ↩︎
- componction (ironique) : fausse repentance, tartuferie. Lolita 300. ↩︎
- pivots : couteuses dents à pivot bien alignées. Sourires de circonstance pivotants. ↩︎
- Jeu de mots avec les homonymies de mobile. ↩︎
- Dissimulant leurs mobiles derrière leurs sourires à pivots. Polysémie de mobile. ↩︎
- Delta Charlie Delta : DCD = décédé. ↩︎
- On parle de folie douce. ↩︎
- cestode : plathelminthe parasite dont les adultes vivent dans le tube digestif des vertébrés (exemple : ténia dit ver solitaire). Du grec kestos (piqué, brodé). Plathelminthe : embranchement de vers plats acœlomates, sans appendices, souvent hermaphrodites, libres ou parasites ; du grec platús (plat) et hélmins (ver intestinal). Acœlomate : du grec koilos (cavité) ; Ensemble (qui ne correspond plus à un taxon en classification phylogénique) des animaux qui ne possèdent pas de cœlome, c’est-à-dire une cavité interne secondaire limitée par un troisième tissu embryonnaire. ↩︎
- Les asticots du cadavre. Les asticots sont les larves des mouches. ↩︎
- Référence aux divines proportions. ↩︎
- Néologisme basé sur Faust. ↩︎
- Oxymore. ↩︎
- hubris : du grec húbris (excès, démesure, orgueil). Chez les Grecs anciens, démesure, orgueil inacceptable de la part d’un mortel. Confiance excessive en soi, qui peut conduire à des erreurs fatales. ↩︎
- hurluberlu : étourdi ou extravagant. De l’ancien français hurelu (ébouriffé) et berlu (qui a la berlue, qui est excentrique), ou peut être de l’anglais hurly-burly (tumulte). ↩︎
- Lolita 251 : « une steppe d’armoise ». ↩︎
- Elémentaire, mon cher. En littérature, l’adjectif watsonien désigne une explication sur une œuvre de fiction énoncée par un personnage de l’œuvre. ↩︎
- sorgue : nuit. ↩︎
- Référence au film. ↩︎
- drôle (péjoratif) : personne rouée, mauvais sujet, dont il faut se méfier. Du néerlandais drolle (lutin, être joyeux et bon vivant), apparenté à troll. ↩︎
- vernal : qui appartient au printemps. Du latin vernalis (printanier). Lolita 322 : « son rire vernal ». ↩︎
- Lolita 171 : « Rose de rêve, aigue-marine, mauve gland, rouge tulipe, noir ollé-ollé ». ↩︎
- pléthore : du grec ancplēthōrē (plénitude), de plēthō (je remplis). Surabondance de quelque chose. ↩︎
- Jeu de mots avec vit et Ségur. ↩︎
- féru (médecine vétérinaire) : qui est blessé, frappé de quelque chose. (Figuré) Être passionné par, être savant en. Du latin ferire (Frapper, heurter), de l’indo-européen bher (creuser, gratter, couper). ↩︎
- Jeu de mot avec le front qui porte les cornes (du cocu). ↩︎
- Définition de la houle. ↩︎
- cariste : personne utilisant des outils de manutention comme un chariot élévateur, un transpalette électrique ou tout autre engin, que ces engins soient ou non à personne portée ou accompagnée. Du latin carrus (chariot, fourgon). ↩︎
- hyperbolique : du grec hyperbolē (excès, exagération). Qui tient de l’hyperbole. Hyperbole : figure de style qui consiste à augmenter la vérité des choses, exagération volontaire dans le but de produire un effet. ↩︎
- asymptotique : qui a rapport à l’asymptote. Il signifie couramment qu’une tendance tend vers une droite (un maximal théorique) en s’en rapprochant de plus en plus sans jamais l’atteindre. Du grec asúmptôtos (qui ne s’affaisse pas, ne s’écroule pas, ne coïncide pas). ↩︎
- Jeu de mots avec sucrier. ↩︎
- dent-tendre : sans ambition. ↩︎
- sursoir : différer. ↩︎
- procrastiner : remettre au lendemain. ↩︎
- sérendipité : Action de faire des découvertes inattendues au hasard des recherches. ↩︎
- Paradoxisme. ↩︎
- Référence à la chanson La Salsa par Bernard Lavilliers. ↩︎
- Paradoxisme. Qui cause de la démangeaison. Du latin prurio (démanger). ↩︎
- pipistrelle : petite chauvesouris. ↩︎
- anges de la finance : business angel. ↩︎
- Référence à la chanson « Qui c’est celui-là ? » par Pierre Vassiliu. ↩︎
- anatife : crustacé cirripède pédonculé marin parfois confondu avec le pouce-pied. Le pédicule des anatifes est toujours fixé sur des corps marins, spécialement sur la cale des navires. Du latin anas (canard) et de fero (porter), parce qu’il était réputé donner naissance à des canards, son apparence étant celle d’un bec de canard. ↩︎
- taret : de l’arabe ṭarḥa (déchet, rejet, soustraction, déduction). Mollusque xylophage (qui se nourrit de bois, du grec xúlon « bois »), ↩︎
- Jeu de mots avec Nanar. ↩︎