Critique du film « Illusions perdues »


C’est la première fois que je critique un film. J’en mesure la difficulté. Il est admirable de se lancer dans la réalisation d’un film. Les enjeux financiers, les doutes lorsque le scénario se frotte à la réalité du tournage, les états d’âme du personnel, la pression de l’entourage, les impondérables qui viennent perturber le rétroplanning… C’est intense, vertigineux, on a la sensation de ne plus être un homme, on devient un réalisateur en plein tournage, une sorte de super psy schizophrénique qui ne termine plus ses phrases. Le projet me semble périlleux. Il faut, j’imagine, faire de nombreuses concessions pour ne pas y laisser sa chemise, sa peau et son âme. C’est la raison pour laquelle je préfère les films à petits budgets. Par exemple :

  • Psychose (1960) Alfred Hitchcock (avec Anthony Perkins)
  • À bout de souffle (1960) Jean-Luc Godard (avec Jean-Paul Belmondo)
  • Stranger Than Paradise (1984) Jim Jarmusch
  • Reservoir Dogs (1992) Quentin Tarantino (avec Harvey Keitel)
  • C’est arrivé près de chez vous (1992) Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde (avec Benoît Poelvoorde)
  • El Mariachi (1993) Robert Rodriguez (avec Carlos Gallardo)

Des films dont je ne saurais dire que du bien.

Alors, Illusions perdues ? Il faut le voir, ne serait-ce que pour la voix envoutante de Xavier Dolan, la goguenardise de Vincent Lacoste, le charme hautain de Louis-Do de Lencquesaing, le magnétisme de Jeanne Balibar. Côté figurants, pour les nobles croqués à la Balzac (rien n’est laissé au hasard). Pour le texte aussi. Il y a de belles phrases et des réparties amusantes. Pour les costumes et les accessoires qui sortent de chez le coiffeur (pas assez de patine). Et pour Paris, pris en otage – Salle Favart, le Palais-Royal et ses dépendances, les grands boulevards, le jardin du Luxembourg -, qui tourbillonne, vibrionne, s’époumone, au sens propre et au sens crasseux (la phtisie était la première cause de décès en Europe au XIXe siècle). Ajoutez à cela quelques acteurs emblématiques (en plus de ceux déjà cités) tels que Depardieu et Cécile de France. Mais curieusement, les castings de rêve font rarement rêver.

La musique, Hippolyte et Aricie, première tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, créée un siècle plus tôt, apporte cette touche baroque légèrement décadente qui sied à la Restauration (1830-1848), période vouée à la perte, dont les aventures de Lucien Chardon sont l’allégorie (il veut restaurer en sa faveur le nom de sa mère, de Rubempré). Le livret d’Hippolyte et Aricie, inspiré de la Phèdre de Racine, est peut-être un clin d’œil aux intrigues du monde impitoyable qui grenouille aux portes du pouvoir. Les amours et les ambitions de Lucien ne vont pas y survivre.

Le film ne concerne que la partie centrale (parisienne) du roman composé de trois parties écrites entre 1837 et 1843 en pleine Restauration. Le personnage de Lucien se trouve ainsi privé des images antithétiques positives que le roman développe en province. Même la pauvre Coralie, l’amour de rechange de Lucien, perd dans le film cette étoffe d’actrice prometteuse que Balzac lui avait concédée. Le film introduit un personnage explicite de chauffeur de salle qui permet de faire l’économie de l’exploration des rapports complexes et nécessaires qu’un comédien établit avec son public. Coralie va mourir davantage de ne pas être applaudie que de ne pas être écoutée. Elle devient une sympathique petite idiote aux rondeurs frémissantes, endimanchée d’un idéalisme de pacotille. 149 minutes ne sont a priori pas suffisantes pour explorer la complexité des sentiments. Ceux-ci sont décrits au moyen de brefs tableaux indicateurs très convenus et très fades au milieu de toute cette agitation. Le réalisateur semble prendre son kif à souligner comment les turpitudes politico-médiatiques d’antan s’ont les mêmes de nos jours : le buzz s’appelait la polémique, Internet et ses fake news les pigeons, les journalistes se vendaient au plus offrants, tout se monnayait et le chantage était un sport national. Ce qui, à la naissance de la bourgeoisie et de la presse, était prophétique, devient à notre époque un constat ordinaire.

A la fin du film, le personnage principal a toujours la même tête à claques et semble ne rien avoir appris. On ne croit ni à son désespoir ni à son désir de rédemption.

Vous avez compris que je suis resté sur ma faim. Contrairement au livre qui m’avait embarqué dans un tourbillon de passions contradictoires, le film est tellement négatif qu’il en devient prévisible de bout en bout et l’accès au cœur des personnages nous est cruellement interdit. Aucune fenêtre sur un monde apaisé à fermer, ne serait-ce que pour entretenir une ébauche de suspense existentiel.

Le film aura eu le mérite de me renvoyer au livre pour comprendre comment Balzac avait su s’y prendre pour communiquer sa passion à un jeune-homme de dix-sept ans encore puceau.

12 sur 20, s’il faut donner une note.

Bibliographie :

  • La grammaire du cinéma – de l’écriture au montage : les techniques du langage filmé (2016) Yannick VALLET [Très bien fait, avec beaucoup d’exemples]
  • Les illusions perdues (1837) Honoré de BALZAC [Du souffle]

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