Il est amusant de créer des textes de théâtre pour enfants, d’imaginer de courts dialogues que vous pourrez ensuite mettre en scène en faisant jouer vos enfants et leurs amis. Attention, la démarche peut choquer certains parents. Les planches souffrent d’une réputation sulfureuse d’outrance, de contestation et d’errance. Pourtant, les enfants adorent faire du théâtre et improviser des spectacles pas toujours délicats.
Si vous avez plusieurs enfants dont les âges sont compatibles, c’est plus simple. Sinon, vous pouvez toujours vous mettre en scène avec votre enfant.
Utilisez des mots simples et faites des phrases courtes.
En écrivant, il faut imaginer la façon dont le texte peut être dit.
Dans la scène ci-après, les répliques en bleu doivent être dites à haute voix mais « à part », c’est à dire en s’adressant au public (il est important de jouer avec le public).
Mme Sopharelle, haut – Je vais m’installer à côté des magazines… Tant qu’à faire… Je vais chez le dentiste une fois par an, autant que j‘en profite… (Elle s’installe.) C’est pour mon détartrage… (Elle commence à regarder un magazine… Une patiente entre dans la salle.) Tiens, voilà l’autre tordue ! (Haut : ) Madame Bucolique ! Quelle surprise. (À part : ) Depuis le temps que je dois l’inviter à prendre le thé…
Mme Bucolique, haut. – Bonjour Madame Sopharelle. (À part : ) Il ne manquait plus que cette vieille radine.
Mme Sopharelle, haut. – Entrez, installez-vous.
Mme Bucolique, à part. – Voilà qu’elle prend la salle d’attente du docteur Chicot pour un salon de thé ! (Haut : ) C’est gentil de m’avoir invitée.
Mme Sopharelle, haut. – Mais c’est tout naturel ! Installez-vous, faites comme chez vous, Madame Bucolique.
Mme Bucolique, à part. – Y’a rien à dire, on sait recevoir chez les Sopharelle ! Elle est bien capable de sortir le thermos ! (Haut.) Je suis toute remuée, sincèrement, votre accueil me touche. Dites-moi au moins que ce n’est pas grave ?
Mme Sopharelle, haut. – Pensez-vous ! C’est pour mon détartrage !
Mme Bucolique, à part. – Son détartrage… C’est les neurones qu’elle devrait se faire détartrer. Si elle savait, la pauvre… Pendant qu’elle se fait détartrer, Monsieur Sopharelle s’occupe de la femme de ménage… Mais ça, je ne vois pas comment je pourrais lui dire. (Haut : ) Alors comme ça votre derrière – votre théière est entartrée ?
Mme Sopharelle, haut. – Hi Hi Hi ! Non, ce sont mes dents ! Enfin, celles qui me restent ! Hi Hi Hi !
Mme Bucolique, à part. – Quel humour décapant !
Mme Sopharelle, haut. – Mais vous-même, que me vaut le plaisir de vous voir ? (À part : ) J’espère qu’elle a oublié les six bouteilles de champagne que je dois lui rembourser depuis l’an dernier.
Mme Bucolique, haut. – Rassurez-vous, c’est remboursé par la sécurité sociale : une bête carie !
Mme Sopharelle, haut. – Une bête carie ?
Mme Bucolique, haut. – Une bête carie !
Mme Sopharelle, haut. – Une bête qui a rit ?
Mme Bucolique, haut. – Non, une carie… Toute bête.
Mme Sopharelle, haut. – Ha ! Une bête carie !
Mme Bucolique, haut. – Exactement : une bête carie ! (À part : ) Si Madame tarde à m’inviter à prendre le thé c’est que Madame n’a pas inventé l’eau chaude !
Mme Sopharelle, haut. – Vous allez rire, un moment j’ai pensé à une hyène ! Hi Hi Hi !
Mme Bucolique, haut. – Vous trouvez que j’ai mauvaise haleine ?
Mme Sopharelle, haut. – Ah non ! Je ne me permettrais pas ! (À part : ) En même temps, quand on s’appelle Bucolique…
Mme Bucolique, haut. – Vous savez, quand on va chez le dentiste, ce n’est pas pour faire soigner son chien ! Il n’y a pas de quoi ricaner, ça n’a rien d’anodin… Tenez ! Ma cousine de La Napoule par exemple ! (À part : ) Ça y est je me lance. Cette fois je vais lui mettre les points sur les i.
Mme Sopharelle, haut. – Je ne savais pas que vous aviez une cousine.
Mme Bucolique, haut. – Elle s’est fait détartrer, il y a deux ans.
Mme Sopharelle, haut. – Ah oui ?
Mme Bucolique, haut. – Elle a tout perdu !
Mme Sopharelle, haut. – Non ?
Mme Bucolique, haut. – Tout !
Mme Sopharelle, haut. – Les gencives ont dû trop saigner.
Mme Bucolique, haut. – Sa maison, son bateau, son caniche et son mari ! (À part : ) Je mets le paquet !
Mme Sopharelle, haut. – C’est horrible ! Mais quel rapport avec le détartrage ?
Mme Bucolique, haut. – Aucun rapport ! C’est ça qui est inquiétant ! On ne voit pas le rapport ! Mais c’est comme ça que ça a commencé ! (À part : ) Avec ça si elle ne comprend pas que son mari la trompe…
Mme Sopharelle, à part. – Elle essaie de me faire flipper la chameau ! Je parie qu’elle est pressée et qu’elle veut me piquer mon tour, elle est vraiment tordue ! N’ayons l’air de rien. (Haut : ) Votre cousine a-t-elle changé de dentiste ?
Mme Bucolique, à part. – Soit elle se fout de moi, soit elle mérite ce qui lui arrive. (Haut : ) Non, son dentiste est toujours vivant. Mais le petit chien est mort dans d’atroces souffrances, écrasé par une voiture, au bout de sa laisse, pendant qu’elle se disputait avec son mari !
Mme Sopharelle, haut. – Fifi !
Mme Bucolique, à part. – Je vous présente Fifi, le caniche de madame Sopharelle ! (Haut.) Il s’appelait Loulou.
Mme Sopharelle, à part. – Je ne me rappelle plus si j’ai correctement fermé la grille du jardin ! Et s’il allait se faire écraser lui aussi ! (Haut : ) Il faut que j’y aille !
Mme Bucolique, haut. – Et votre détartrage ?
Mme Sopharelle, haut. – Euh… Mon mari fait la sieste… Je crois que j’ai oublié de couper le gaz.
Mme Bucolique, à part. – A mon avis elle commence à comprendre ce que détartrage veut dire. (Haut : ) Je ne voulais pas vous inquiéter, seulement vous mettre en garde.
Mme Sopharelle, haut. – A bientôt. Je vous enverrai une invitation. Vous me raconterez comment ça s’est passé.
Mme Bucolique, haut. – Avec plaisir !
Mme Sopharelle, haut. – Excusez-moi auprès du docteur.
Mme Bucolique, haut. – Je n’y manquerai pas. (À part : ) J’en connais deux qui ne vont pas tarder à se faire détartrer…