Expressions revisitées

Vous êtes ici : Accueil » Expressions revisitées

Le réseau c’est bien, le pavage c’est mieux !

Avant de commencer, voici un jeu : partir de l’expression revisitée et faire deviner son sens. C’est aussi un moyen de tester la pertinence de la revisite.

Revisites

  • Ce n’est pas l’heure
    • Proposition : Avec toi il est toujours six heures du matin !
    • Processus : trouver une situation de référence.
    • Contexte : un homme entreprend sa femme à l’heure de la sieste (référence à l’érection de six heures du matin).
  • Je t’ai dans la peau
    • Proposition : Je t’ai dans le derme
    • Remarque : Le derme est la couche profonde de la peau. La sonorité est aussi plus sauvage.
    • Processus : trouver un synonyme.
  • Mon mari souffre d’impuissance
    • Proposition : Quelqu’un aurait-il trouvé l’os pénien de mon mari ?
    • Remarque : Les hominidés ont perdu leur baculum il y a quelques millions d’années. Il permettait de prolonger l’accouplement pour donner au sperme un temps d’avance avant que la femelle ne soit sollicitée par un autre mâle. Le macaque à face rouge, 10,5 kg, os pénien de 53,1 mm, durée de la pénétration supérieure à 3 minutes. L’os pénien des morses atteint 60 cm, un sixième de leur longueur corporelle, alors que celui du maki catta, un lémurien, atteint 1 cm, soit 1/40 de la longueur de son corps.
    • Processus : trouver des solutions du côté des animaux (la prothèse pénienne est une des solutions proposées pour traiter l’impuissance masculine).
  • Je n’en menais pas large
    • Proposition : J’étais à sept sur l’échelle de Bristol
    • Remarque : L’échelle de Bristol est une classification des sels. Il existe toutes sortes d’échelles (Google est ton ami). Sept correspond aux sels les plus liquides, vous aviez deviné.
  • Ramollo du ciboulot
    • Proposition : Décontracté du neurone
    • Processus : inventer une synecdoque (la synecdoque est une métonymie qui consiste à désigner le tout par une partie).
  • Tranquilles les mouettes
    • Proposition : Détendues de l’œsophage, les mouettes.
    • Remarque : Wikipédia dit que chez certaines espèces carnivores comme la mouette, l’œsophage présente un grand diamètre et sert de réservoir lorsque l’estomac est plein ou qu’il faut rapporter des proies au nid.
    • Processus : inventer une synecdoque.
  • J’adore les fleurs
    • Proposition : J’adore les organes reproducteurs des angiospermes
    • Remarque : Le vocabulaire scientifique ne manque pas de piquant et met le point sur le i de angiospermes.
    • Processus : trouver la définition scientifique.
  • J’ai très soif
    • Proposition 1 : J’ai les muqueuses tendues comme les chaussettes de l’archiduchesse
    • Proposition 2 : j’ai les dents sèches
    • Processus : trouver une métonymie qui exprime l’effet par la cause.
      Le dictionnaire Le Robert dit que la métonymie est une figure de style par laquelle on exprime un concept au moyen d’un terme désignant un autre concept qui lui est uni par une relation nécessaire (cause et effet, inclusion, ressemblance, etc.). « Boire un verre » (boire le contenu) est une métonymie.
  • Un de perdu dix de retrouvés
    • Proposition : Il n’y a pas de quoi faire un Takotsubo
    • Remarque : prendre les choses à la légères, c’est ne pas faire un takotsubo, syndrome du cœur brisé dû au stress. Remarque : il y a peut-être quelque chose à trouver avec perdreau ou perdrix.
    • Processus : double négation.
  • Le son velouté de sa voix
    • Proposition : Les décibels soyeux de sa voix
    • Processus : métonymie.
  • Des hanches larges
    • Proposition : Des hanches du pléistocène
    • Processus : référence anthropologique.
  • La chapelle Sixtine
    • Proposition : La chapelle numéro seize
    • Processus : jeu de mots (sixteen = 16 en anglais)
  • Le monde est fou
    • Proposition : Le monde est un branloire pérenne (Rabelais)
    • Processus : recours aux vieux françois (le monde est un mouvement perpétuel)
  • Elle fait des études de math
    • Proposition : Elle fait des études de chiffres
    • Processus : modification d’une expression connue (elle fait des études de lettres)

Mise en garde

Attention cependant à ne pas abuser du procédé. A manier avec parcimonie dans les textes (mais à pratiquer sans vergogne dans les recoins de son verger).

J’en profite pour vous conseiller un livre à ce propos : Le journalisme sans peine (1997) de Burnier & Rambaud qui, entre autre, mettent en garde contre l’enflure qui allonge et engraisse le texte trop sec avec des images toutes faites, pour le rendre joufflu. Cela a aussi pour effet de dispenser le journaliste de préciser de quoi il parle tout en donnant l’impression d’une grande familiarité avec le sujet : « dans un mouchoir de poche » (pour « d’un rien »), « tirer son épingle du jeu » (pour « s’en sortir »), etc.
N.B. : ils dénoncent également les réducteurs, comme « revisiter » et « fragilisé« , formules à tout dire qui réduisent la diversité de l’information. Cf. à ce propos le titre de cette page « Expressions revisitées » ! A notre époque, on n’arrête pas de revisiter : la Tarte Tatin, la politique du Proche-Orient, le rôle de Desdémone, le roman policier, le tailleur pour femme, etc. Cela donne l’impression qu’il se passe quelque chose alors que rien n’est moins sûr !

Ca va que nous sommes entre nous mais que penserait un lecteur du texte ci-dessous ? Je vous rassure, celui-ci ne risque pas d’être publié !

Détendues de l’œsophage, les mouettes arpentaient l’estran, laissant sur le sable humide les traces de leurs petites pattes palmées.
Les Dumontel étaient décontractés du neurone, presque seuls sur cette plage de sable gris, au pied des immeubles de la résidence.
Jean-Paul avait apprécié le reste de langoustine, émiettée au creux de l’avocat sous la couche généreuse
de mayonnaise très moutardée.
Il tendit une main quémandeuse.
– Allez chérie, s’il te plait, j’ai envie !
– Avec toi on ne voit pas le temps passer, il est toujours six heures du matin !
Je t’ai dans le derme.
Soudain, le visage de Claudia se ferma. Elle regardait s’avancer vers le rivage,
une sorte de pouilleux masqué portant une perruque de dreadlocks, le bas du corps enfoncé dans les flots ternes.
Le plaisantin s’échoua en grognant comme un phoque, apparemment satisfait de son petit effet.
Jean-Paul sursauta en découvrant le personnage. Le masque de clown lui rappelait un film d’épouvante bien connu.
Claudia jeta un œil sur l’imprimé du bermuda de Jean-Paul.
Quelqu’un aurait-il retrouvé l’os pénien de mon mari ?

Les décibels soyeux de sa voix rebondissaient comme des galets.
– Ce taré m’a fait grimper à sept sur l’échelle de Bristol. Pour me faire pardonner, je t’invite au resto japonais, ce soir.

Il n’y a pas de quoi faire un Takotsubo mais n’oublie pas de m’offrir des organes reproducteurs d’angiospermes, c’est la Saint-Valentin aujourd’hui.
– Mince, j’avais oublié. Mais tu vois, je n’attends pas les Saints pour te gâter.
– Passe-moi le rosé, j’ai les muqueuses comme les chaussettes de l’archiduchesse.

La version ci-après aurait à peine plus de succès. Un personnage féminin parlerait-il de cette façon ? On touche à un point sensible : il n’y a pas plus sexiste que la littérature !

Les mouettes arpentaient l’estran avec des convictions d’oiseaux marcheurs, attendant l’aubaine d’une couenne de jambon.
Les Dumontel étaient presque seuls sur cette plage de sable gris, au pied des immeubles de la résidence. C’était la fin des vacances. Le gros des estivants avait déjà regagné les capitales.
Jean-Paul avait apprécié le reste de langoustine, émietté sous une couche généreuse de mayonnaise très moutardée. Claudia connaissait bien ses goûts mais lui, que savait-il des goûts de Claudia ? Elle aime le Schweppes. C’était un peut court pour bâtir une vie à deux. Jean-Paul chassa ces pensées consternantes et tendit une main quémandeuse.
– Allez chérie, s’il te plait, j’ai envie !
– Avec toi on ne voit pas le temps passer, il est toujours six heures du matin, plaisanta la jeune femme conciliante !
Soudain, son visage se ferma. Elle regardait s’avancer vers le rivage, une sorte de pouilleux masqué, coiffé d’une perruque de dreadlocks, le bas du corps enfoncé dans les flots ternes.
Le plaisantin s’échoua en grognant comme un phoque, apparemment satisfait de son petit effet.
Jean-Paul sursauta en découvrant le personnage. Le masque de clown lui rappelait un film d’épouvante bien connu.
L’énergumène restait affalé sur son tapis d’algues et regardait le couple en dodelinant de la tête. Il n’avait pas l’air de vouloir déguerpir.
Claudia jeta un œil amusé sur l’imprimé du bermuda de Jean-Paul.
Quelqu’un aurait-il retrouvé l’os pénien de mon mari, susurra-t-elle ?
Les décibels soyeux de sa voix
rebondissaient comme des galets.
– On ne va pas se tripoter devant ce malade mental, s’indigna Jean-Paul.

Elle se renfrogna et referma les bras autour de ses genoux relevés.
– Passe-moi le rosé, j’ai les dents sèches.
– Tu es folle. S’il voit qu’on a du vin, ce taré va rappliquer !

Analyse d’une phrase

Profitons de l’occasion pour mettre en application la recette du Commentaire composé (consulter l’article Le bac de français).

Voyons comment la recette, qui s’applique normalement à un texte, peut s’appliquer à une simple phrase.

Phrase étudiée : « Les décibels soyeux de sa voix rebondissaient comme des galets. » (cf. texte ci-dessus)

Etape 1 : je cherche au niveau des mots, des éléments d’ancrage de possibles interprétations et oppositions :

  • décibels soyeux : opposition d’un mot technique qui évoque une nuisance, et d’un mot littéraire qui évoque la douceur. Nous sommes clairement en présence d’un oxymore.
  • soyeux de sa voix : la voix n’est pas seulement douce, elle est soyeuse, on est dans le raffinement, cette voix appartient à une personne raffinée, subtile.
    Rappel du propos : « Quelqu’un aurait-il retrouvé l’os pénien de mon mari, susurra-t-elle ? »
  • Les décibels rebondissaient : allitérations évoquant le rebondissement (dé/di, éci/issaient, bel/bond) et traduisant la vivacité des paroles, du propos et de l’esprit.
  • soyeux de sa voix / galets : dans ce paradoxisme, la douceur aérienne s’oppose à la dureté de la pierre, même si au départ c’est l’énergie de la voix qui est comparée à celle des rebond des galets. Je remarque que le bond, qui exprime l’énergie joyeuse du cabri, n’est pas le rebond qui exprime l’énergie du désespoir du chômeur en fin de droits.
  • rebondissaient comme des galets : la comparaison évoque à la fois le bruit clair des galets charriés par les vagues, et à la fois le jeu qui consiste à faire ricocher un galet à la surface de l’eau ; donc une sorte d’abandon aux vagues de l’existence, doublée d’une insouciance ludique et vaine.
  • Des accentuations évoquant le rebondissement : Les décibels soyeux de sa voix rebondissaient comme des galets.
  • Trois accentuations principales : Les décibels soyeux de sa voix rebondissaient comme des galets. La première et la dernière sonorité accentuée, bel et let, font penser, par calembours, aux mots bel et laid dont les sens sont opposés. C’est tiré par les cheveux mais on ne peut l’écarter compte tenu de l’apparition un peu moche qui est sortie des flots ternes. galets tire naturellement gars laid (physiquement ou psychologiquement), évoquant un possible questionnement à l’encontre de la gent masculine. L’énergie de ces décibels soyeux qui évoquent la séduction, semblent être vainement absorbée par la laideur, et s’épuise davantage à chaque rencontre, chaque ricochet étant plus faible et incertain que le précédent.

Etape 2 : pour exploiter et organiser ce fatras, je cherche trois niveaux d’interprétation, avec pour chacun d’eux une opposition (pas de réflexion sans oppositions, l’homme est une terre de contrastes) ; la technique consiste à rechercher d’abord les oppositions :

  • Les trois oppositions (dès que celles-ci se dessinent, je répartis entre elles la matière et je commence à rédiger ; nous verrons ensuite dans quel ordre présenter ces trois oppositions) :
    • L’apparente gaîté de cette phrase est paradoxalement minée par un vocabulaire ambigu.
      Dans « Les décibels rebondissaient », les allitérations évoquent le rebondissement (dé/di, éci/issaient, bel/bond) et traduisent la vivacité des paroles, du propos et de l’esprit.
      Les accentuations des mots viennent renforcer cet effet : « Les déci’bels so’yeux de sa ‘voix re’bondi’ssaient comme ‘des ga’lets. »
      Mais Les décibels évoquent davantage la nuisance technique que la douceur soyeuse ; nous sommes clairement en présence d’un oxymore. D’autre part, le rebond, qui exprime l’énergie du désespoir du chômeur en fin de droit qui se heurte à plus dure que lui, n’est pas le bond qui exprime l’énergie joyeuse et active du cabri. Sous les galets, encore des galets ! La comparaison ne serait-elle pas au fond une sorte d’amphibiologie garnie de chausse-trappes ?
    • Claudia est une personne raffinée qui se heurte à une réalité triviale qui surgit masquée au moment où l’on s’y attend le moins (le personnage qui sort des flots, les exigences sexuelles de son mari). La voix de Claudia n’est pas seulement douce, elle est soyeuse, on est dans le raffinement, cette voix appartient à une personne sensible et subtile.
      Claudia a le souci de raffiner ce quotidien, jusqu’à l’exigence, tout en n’occultant pas sa trivialité. L’oxymore décibels soyeux peut aussi traduire l’opposition entre la crudité du propos (phrase précédente) et le ton enjoué dont Claudia l’enrobe. Les décibels sont jetés au visage de la réalité sur lequel ils rebondissent.
      Les trois accentuations principales de la phrase, sont bels/voix/lets. La première et la dernière sonorité accentuée, bel et let, font penser, par calembours, aux mots bel et laid dont les sens sont opposés. C’est tiré par les cheveux mais on ne peut l’écarter compte tenu de l’apparition effrayante qui est sortie des flots ternes. galets tire naturellement gars laid (physiquement et psychologiquement), évoquant un possible questionnement à l’encontre de la gent masculine, la renvoyant possiblement à sa propre féminité soyeuse. L’énergie de ces décibels soyeux, qui évoquent la séduction, semblent être vainement absorbée par la laideur, et s’épuise davantage à chaque rencontre, chaque ricochet étant plus faible et incertain que le précédent. La vie selon Claudia semble être une série de ricochets avant l’épuisement fatal.
    • Claudia doit affronter ses propres contradictions.
      Le paradoxisme « soyeux de sa voix / galets » oppose la douceur aérienne de la voix à la dureté de la pierre, même si au départ c’est l’énergie de la voix qui est comparée à celle des rebond des galets.
      La surface du galet peut être lisse, voire soyeuse, mais le galet reste une pierre dure et lourde, comme le cœur de Claudia. Cette ambiguïté est celle du personnage lui-même, une jeune femme qui rebondit gaiement sur le monde avec humour (cf. le propos dans la phrase précédente) mais dont l’effort de communication et d’expression rebondit contre le monde mystérieux qui demeure fermé. Claudia dissimule a minima une attente, peut-être une frustration, au pire un désespoir. Claudia est issu du latin claudus qui signifie boiteux (claudiquer).
      La comparaison « rebondissaient comme des galets » évoque à la fois le bruit clair des galets charriés par les vagues, et à la fois le jeu qui consiste à faire ricocher un galet à la surface de l’eau ; une sorte d’abandon aux vagues bruyantes de l’existence doublée d’une insouciance ludique et vaine. Dans ces jeux légers mais vains qui semblent la conduire nulle part, la sophistiquée Claudia semble pécher par facilité. Sait-elle au moins ce qu’elle cherche ? Vertigineuse épaisseur des choses ou insoutenable légèreté de l’être ? La fin de ces vacances sera-t-elle un nouveau départ ?
  • Sous quels concepts synthétiques (les niveaux d’interprétation) introduire les trois oppositions, et dans quel ordre :
    • Une légèreté de façade ! L’apparente gaîté de cette phrase est paradoxalement minée par un vocabulaire ambigu.
    • Une réalité rétive ! Claudia est une personne raffinée qui se heurte à une réalité triviale.
    • Un être à construire ! Claudia doit affronter ses propres contradictions.
  • L’ordre est le bon : l’apparence, la réalité, le problème du choix.

Etape 3 : conclusion et introduction (dans cet ordre)

  • Conclusion : Derrière une légèreté de façade, se cache un esprit blessé par la trivialité du quotidien. Le personnage n’aura pas trop du roman tout entier pour faire ses choix et en assumer les conséquences.
  • Introduction : C’est la fin des vacances mais on y croit encore. Le ton est badin mais attention, les démons sont à l’affut, même sur une plage déserte.

Remarques :

  • Il va de soit que la phrase a été écrite sans arrières pensées, et donc avant toute analyse. On peut supposer que les préoccupations plus ou moins conscientes de l’auteur (les miennes en l’occurrence) transpirent dans cette phrases (et dans les autres). Cette atmosphère de fin de vacances sur une plage de galets déserte est peut-être la métaphore d’une existence à bout de souffle. Allez savoir.
  • La bonne nouvelle, c’est que la porosité et la malléabilité du langage permettent n’importe quelle interprétation. On peut faire dire aux mots ce qu’on veut en laissant libre cours à notre imagination féconde.
  • La formule : trois oppositions.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Get 30% off your first purchase

X