Le change (un conte)


Il était une fois, au pays du concombre, un roi.

Ses parents avaient élevé leur fils selon les usages de la dynastie, afin qu’il fût bien dans ses mules[1] de futur roi de Concombrie.[2] Il avait passé son enfance à manger roi, à bouger roi, à penser roi, à rêver roi. Enfin, le jour advint du couronnement de ses efforts et de ses renoncements. Il s’installa sur le trône et une dépression post coronam regalem[3] s’empara de son âme de fer. Une reine lui fut donnée, issue de la famille la plus titrée du royaume. Elle se prénommait Päivänkakkara (prononcez Païvane gak Cara en roulant le r). D’une candeur feinte et pourvue de cette beauté un peu farouche qui fait tourner la tête aux hommes de devoir, la reine avait su un temps divertir le royal échalas. Une princesse était née de leurs jeux d’adultes consentants.

Très vite, le roi était retourné à ses décrets et à ses urnes funéraires, à ses inaugurations de charcuteries et à ses défilés de grosses têtes, à ses batailles de fleurs et à ses chasses à courre.

Il était une fois, encore, cette reine qui avait pris ses distances avec un roi au destin sans fraîcheur. Ça faisait longtemps que Päivänkakkara n’avait pas promené ses longs doigts de galopine dans les boucles blondes de cette barbe qui, selon une légende solidement établie, portait chance à tout le royaume – pas moins de deux servantes étaient préposées à l’entretien de la toison propitiatoire.[4]

La reine ne portait pas non plus dans son cœur, la fillette qui lui avait confisqué les entrailles pendant neuf mois. Elle avait dû, dans sa jeunesse, élever son petit frère, et n’avait pas envie de remettre ça avec une fille, fût-elle la sienne.

Le temps des caresses n’était plus.

Il était aussi, ce petit frère devenu grand que sa sœur la reine gratifiait d’un amour maternel économe. Cela irritait le jeune homme qui vouait à sa protectrice une adoration ouvertement incestueuse. Il faisait maintenant partie de la cour rapprochée de sa majesté. Il était de toutes les fêtes, de tous les bals masqués, de tous les ohé-ohé[5], de toutes les grandes eaux, de toutes les fééries.

Mais cette promiscuité restait sans espoir car le cœur de la reine n’avait jamais cessé d’appartenir à l’autre, leur demi-frère consanguin, celui que leur père avait ramené, déjà grand, d’une de ses prestigieuses campagnes. La sœur en était tombée immédiatement amoureuse ; le petit frère l’avait immédiatement détesté.

Après son mariage, la reine consort[6] n’avait pas tardé à ouvrir un poste de super intendant pour faire venir auprès d’elle son premier et unique amour. Son petit frère lui avait soufflé cette idée pour témoigner de ses bonnes dispositions à l’égard du couple adultère ; en réalité, il voyait là le meilleur moyen de pousser les deux étourneaux à l’erreur, sous les yeux mi-clos des caudataires,[7] et de se débarrasser, un jour, du gêneur.

La reine avait naturellement offert à son petit frère de devenir le parrain de sa fille. Il avait accepté cet honneur avec une haine indétectable. Depuis, tout le monde l’appelait « Parrain ». Quant au demi-frère, on l’appelait « super intendant », comme le réclamait l’usage. Parlons un peu du demi-frère.

Il était, une deuxième fois, ce garçon de second lit qui avait laissé ses chiens pour monter à la cour, après une enfance en bout de table. Il avait développé, au milieu de ses meutes, une intelligence carnassière et sauvage. Une ambition rubigineuse[8] rongeait son sang et la soif de reconnaissance lui asphyxiait le cœur. Elevés, sa demi-sœur et lui, dans une gémellité de circonstance, ils avaient, ensemble, découvert un grand nombre de choses et étaient restés attachés l’un à l’autre par la chair, davantage que par le sang. Le super intendant qu’il était devenu s’était montré à la hauteur de la fonction et ses compétences en matière de cynégétique[9] et de vénerie[10] lui avaient attiré la sympathie du roi.

La reine avait fait de sa fille la personne de confiance qui l’accompagnait à ses rendez-vous de travail avec le super intendant. Päivänkakkara était très impliquée dans l’organisation des évènements festifs, qui étaient nombreux en ce royaume prospère. La petite princesse servait de couverture aux deux amants qui s’en donnaient à cœur battant pendant que l’enfant jouait dans la poussière avec les chiens. En la voyant assise au milieu des bêtes, le super intendant se rappelait avec une rage malsaine, les longues heures passées à étudier le fonctionnement de la meute, pendant que d’autres apprenaient à jouter avec des armes et des phrases, à danser la pavane, à jouer du clavecin et de la viole.

Il était une fois, une petite princesse qui, en grandissant, avait fini par comprendre que la reine sa mère trompait le roi son père. Mais sa mère était pour elle le concombre et le sel,[11]. D’autre part, le code de l’honneur que lui inculquaient ses précepteurs lui interdisait de trahir une reine. La princesse comprenait confusément que les concombres du royaume ne gagneraient ni en taille ni en saveur, si la vérité dont la cour s’accommodait venait à caresser les dents cariées des sujets de sa majesté. Outre la reconnaissance de la reine, elle y perdrait le peu de liberté dont elle faisait grand usage ; en effet, gouvernantes et précepteurs mettaient sur le compte de l’emploi du temps surchargé de la reine, les fréquentes absences de la princesse. Par ailleurs, le concept de roi restait flou dans l’esprit de la fillette. Elle rencontrait peu ce monsieur aux habits ridicules qui, même pour aller à la selle, ne pouvait faire trois pas sans une escorte de gentilshommes aux componctions[12] empesées. Cela n’empêchait pas la princesse de cultiver d’une main verte, une culpabilité rhizomique dont le feuillage coruscant[13] aveuglait sa pensée. Plus que le silence qu’elle s’imposait, cette complicité à laquelle on l’avait contrainte années après année, lui pesait affreusement. Elle n’avait pas, comme sa mère, besoin qu’on l’aime et qu’on l’admire, qu’on la protège et qu’on la gronde ; elle aurait voulu fuir cette cour pour découvrir des horizons moins tors,[14] établir de véritables échanges avec des êtres moins crapuleux. On ne choisit pas sa solitude. Mais patience, le concombre avance masqué[15] : un concombre peut en cacher un autre.

Il était une fois, une jeune princesse, qui avait attendu l’âge de quinze ans pour faire sa première fugue. Même les enfants de roi mourraient jeunes, en ce temps-là, et l’on n’appréciait pas qu’ils prissent des risques inutiles. La princesse était restée enfant unique. En quittant l’utérus, elle avait jeté la clé du royaume gynécologique de sa mère et aucun enfant masculin n’était venu remettre en cause sa prétention à régner. Dans moins d’un an, elle aurait l’âge de succéder à son père une fois que celui-ci aurait passé le sceptre à gauche.[16]

Ayant leurré son roi durant toute sa maigre vie, elle était persuadée qu’en atteignant l’âge de régner, elle mettrait les jours de son père en péril. L’ombre de cette échéance qui se rapprochait n’était pas étrangère aux tourments qui lui firent, un beau matin, monter sur sa jument Tamma et, emmitouflée dans un poil de chameau,[17] passer le pont-levis sous le blason coupé d’argent à deux concombres de sinople en bande et en barre, et de gueule à une couronne d’or.

Elle n’avait pas parcouru une lieue, qu’un rayon de soleil jouait avec les boucles blondes de sa chevelure qui se soulevait au rythme du galop de sa monture. Un petit vent de printemps vif et espiègle faisait circuler entre ses membres, une sensation nouvelle de liberté. Passées l’étendue aveuglante des casiers à concombres recouverts de sélénite,[18] elle avait tout le jour chevauché droit devant elle à travers la steppe qu’on disait sans fin, si bien que, le soir venu, il ne fut pas question de rentrer au château. Des hordes de loups commençaient à s’organiser dans la pénombre qui montait du sol par bouffées soudaines et terrifiantes. Elle s’en remit à la lueur d’un feu qui se débattait à l’horizon sous les ténèbres grises et fut soulagée d’atteindre un village de yourtes avant que la nuit n’eût asséché les dernières flaques de clarté.

L’on mit son cheval en sécurité dans un enclos de planches avec d’autres solipèdes,[19] et on l’invita à partager la viande de renne autour d’un barbecue géant. La chair juteuse faisait couler entre ses dents une vigueur nouvelle. La vie allait enfin pouvoir commencer. La lune avait fait son apparition, éclairant les sommets enneigés des montagnes de l’est qui se dressaient toutes proches. L’on dansa une sorte de bourrée au son d’un luth à deux cordes.

Puis l’on s’entassa dans la plus grande des yourtes pour palabrer. L’on évoqua cette fille d’un clan voisin qui s’était fait enlever par un yéti. Ces êtres mi-hommes mi-singes descendaient des montagnes chaque printemps pour se procurer, disait-on, des servantes qu’ils offraient à leurs femelles qui venaient de mettre bas. La nuit fut délicieuse, serrés les uns contre les autres, dans l’odeur du cuir et de la braise.

La princesse renouvela fréquemment ses explorations des immensités pastorales.[20] Le super intendant avait donné aux hommes du guet, la consigne de laisser passer Tamma, espérant que la steppe aurait la peau de la fugueuse. Tout le monde faisait semblant de ne pas la reconnaître mais le peuple des troupeaux l’appelait « la princesse des steppes ». Sa popularité grandissante dans les herbages, n’avait d’égale que le courroux de la reine qui se plaignait au roi du comportement de la princesse. Non que sa chair de mère attentive fût inquiète : elle ne pouvait bonnement plus utiliser sa géniture pour couvrir ses divertissements oestrogéniques.[21] Courroucée, elle intima au roi d’inculquer à sa fille des rudiments de discipline afin que celle-ci atteignît sa seizième année en ayant acquis le vernis de savoir-être qui sied à une future reine.

L’entreprise fut un succès. Ravie d’échapper à sa mère et soucieuse de racheter sa complicité coupable, c’est avec enthousiasme que la jeune-fille étudia la douve[22] du renne et apprivoisa les paraboles des balistes.[23] La princesse n’avait plus une minute à consacrer à l’organisation des divertissements. Le roi découvrit qu’elle avait déjà une bonne connaissance du royaume et de son peuple. La sauce aux abats de lièvre avait pris entre le père et la fille qui ne se quittaient plus ; si bien que les deux amants en conçurent du dépit. Ils sentaient confusément que le vent tournait et qu’après le temps de l’arrogance était venu celui des plans sur la comète.[24] Ce qui devait être un simple recadrage avait dégénéré en une initiation à l’art de gouverner et de la guerre.

Prenant la mesure de cette alliance naissante entre le roi et la princesse, le parrain profita de la contraction collective des sphincters de la courtisanerie, pour semer des graines de tue-loup[25] dans l’esprit du super intendant. La succession du roi semblait assurée et le duo père-fille allait renforcer le pouvoir au détriment des rampants et autres péponides[26] qui officiaient en son giron. Que faire, je vous demande messire ? Votre ambition est-elle intacte ? De là à ce que la famille au complet se reforme, il n’y a qu’un pas de mule ! L’âge venant, la reine ne va-t-elle pas rallier ses proches pour se construire une fierté ? Le temps presse messire, le temps presse ! Dans moins d’un an, la princesse aura l’âge de régner. Elle semble avoir des dispositions, à ce qu’on dit. Que faire ? Je vous demande messire ?

La situation était délicate. Afin d’assurer le roi de son adhésion inconditionnelle, enthousiaste et distinguée, le super intendant proposa d’organiser une chasse à cours à l’occasion de l’équinoxe de printemps. Le roi était friand de ces grandes chevauchées forestières durant lesquelles il pouvait se détendre en respirant l’odeur du crottin qui, comme chacun sait, a une action lénifiante[27] sur les esprits enconcombrés.

Il était une fois, un chasseur mystérieux qui, à l’heure où brunit la campagne, s’engagea sur la voie du cerf qui, le lendemain, serait pris en chasse par la meute.

Cette partie de la forêt avait été quêtée pendant des jours par les valets de limier,[28] si bien qu’aucune bête qui s’y était rembuchée[29] n’était inconnue du maître d’équipage. Celui-ci avait jeté son dévolu sur un jeune cerf vigoureux et particulièrement futé qui promettait d’en remontrer aux hommes, à leurs chevaux et à leurs chiens.

Ayant eu connaissance de la tournure du projet, le chasseur mystérieux s’engagea profondément dans la forêt, jusqu’à une coulée à sangliers qui avait la particularité de barrer la voie du cerf sur laquelle s’élancerait, au petit matin, le gratin du royaume. Ça sentait bon l’humus et l’eau croupie. Armé d’une arbalète, il se mit à l’affut à quinze pas de là, posté sur la première branche d’un gros chêne, tandis que montait des mottes et des souches, l’homélie flutée des alytes accoucheurs.[30]

Le chasseur mystérieux connaissait les bêtes noires[31] qui fréquentaient cette coulée. Un quartanier[32] aux défenses longues et acérées finit par pointer son groin.[33] L’animal était nerveux. Troublé par l’odeur des limiers qui avaient quadrillé la zone, il s’arrêta, fumant, sous un pâle rayon de lune. Le trait[34] lui traversa le cuissot gauche et lui abima le jarret droit. L’animal poussa un cri aigu et disparut dans la coulée qui grimpait dans la futaie. Le chasseur mystérieux suivi sa trace jusqu’aux crottes tièdes que l’animal avait expulsées sous l’emprise de la douleur. Il recueilli les précieuses galettes dans une étoffe en lin puis revint sur ses pas et disparut dans la nuit.

La cour s’était mise sur son trente et un. On avait sonné la sortie du chenil et le départ, le lancer et le change,[35]  le débucher et le rembucher… La forêt ressemblait à une vaste kermesse. Aux relais, les dames en toilettes de chasse jouaient à la marchande derrière les stands à boudin, pendant que ces messieurs crevaient leurs plus beaux chevaux. L’animal de meute s’était fait chasser en tournant sur lui-même et avait mis debout plusieurs changes ; maintes fois il avait refuis,[36] rebattant ses voies[37] : les chiens tombés en défaut bricolaient en mulotant,[38] certains prenaient le contre,[39] d’autres tournaient au change, quelques-uns avaient abandonné. « Voy-le-cy ! Hourvary ! L’ami ! Garde à toi ! »  Les valets de limiers ne savaient plus où donner de la voix. Honteux, le maître d’équipage tenait conseil en pays clair.[40]

Pendant ce temps, sur un sentier en bordure d’une fraichure,[41] le roi trottinait en compagnie du super intendant, badinant sur le manque d’habileté de la meute et de ses aides. Péritus,[42] le limier préféré de sa majesté, les précédait, la truffe gaillarde et le jarret tendu. Le roi considérait qu’un homme qui aimait les chiens, comme le super intendant, ne pouvait être mauvais, et qu’on pouvait lui accorder toute sa confiance, voire son amitié.

Les deux hommes discutaient des qualités respectives du mâtin,[43] de l’alan[44] et du briquet[45] quand soudain le vieux chien barra[46] et se déroba. Le roi supputa que le cerf était revenu sur sa voie. Il s’engagea derrière le limier, voyant là l’occasion de damer le pion au parrain, son prétentieux beau-frère qui avait pris la tête d’un petit groupe de vainqueurs. Le super intendant supplia le roi de renoncer à cette entreprise et de rester sur la voie. Il proposa d’envoyer un valet en éclaireur. Le roi s’offusqua, le traita gentiment de poltron et lui intima de le suivre.

Le roi collait Péritus qui collait à la voie.

– Il sait quelque chose ; cet animal a du sentiment[47] comme aucun autre.

– Sire, je vois les traces d’une bête noire et vous n’avez point d’épieu.[48]

– A la guerre comme à la guerre, mon épée fera l’affaire.

Le chien mena l’équipage jusqu’à une souille[49] devant laquelle il s’était arrêté en grondant. Le roi mit pied à terre. De la boue jusqu’à l’échine, les écoutes[50] dressées, un sanglier le fixait de ses petits yeux irrités, en claquant méchamment des dents.

– Sire, remontez en selle, la bête ne fuit pas, elle reste dans la souille, elle est peut-être blessée, c’est bougrement dangereux.

Le roi dégaina[51] et, bras tendus, attendit la charge. L’animal s’extirpa brusquement de sa gangue. La Durandal transperça l’armure cartilagineuse et alla buter sur l’omoplate. Le sol boueux se déroba sous les royaux arpions et l’altesse déséquilibrée reçu dans les entrailles, le boutoir[52] hérissé de dagues acérées.

Malgré son âge avancé, Péritus coiffa[53] la bête ; les yeux du sanglier explosèrent sous les crocs. Mais le fauve aveuglé continua son travail de délabrement en frémissant de la vrille,[54] donnant de bas en haut de violents coups de hure,[55] comme pour extirper de la terre, un tubercule.

Le super intendant descendit de sa monture, ajusta son épée au défaut de l’épaule croûteuse du suidé[56] et l’enfonça jusqu’à la garde, trouvant le cœur. L’animal s’immobilisa. Le super intendant ordonna à Péritus de relâcher son étreinte et lança un appel de détresse au moyen de son cor.[57] Les valets ne furent pas longs à accourir. Le roi fut séparé de l’animal, déposé sur un brancard et évacué vers le château, escorté par une foule sidérée.

Des mages se pressèrent les uns après les autres au chevet du mourant. Le diagnostic était sans remède. Seulement sut-on proposer des élixirs qui permirent d’atténuer la souffrance en plongeant le malheureux dans un quasi-coma. Dans l’antichambre, l’heure de la mort du roi était le seul sujet de conversation. Chacun avançait un pronostic ; le plus optimiste assurait que la sérénissime ne passerait pas la nuit.

Le sanglier aussi fut transporté jusqu’au château. L’on établit bientôt que la bête avait été blessée la veille à l’arrière-train par un carreau d’arbalète. La blessure était propre et n’avait pas occasionné de dégâts importants. Ainsi le roi avait-il été victime d’un sanglier blessé, le pire animal qu’on pût rencontrer dans les forêts de sa majesté, mis à part, peut-être, un carcajou[58] pris au piège. On retrouva le carreau[59] d’arbalète profondément enfoncé dans la boue de la sente. Péritus permit de le désigner, parmi les cinquante autres qu’on soumit à son flair, comme étant celui qui avait blessé le sanglier. Une enquête fut ouverte afin d’identifier le braconnier indélicat. Mais autant chercher une aiguille dans une meule de foin : le maraud ne fut pas retrouvé et aucun sujet ne fut pendu. La princesse obtint qu’on lui cédât le carreau en souvenir de son père. Elle en scia le fer[60] dont elle se fit un pendentif pour garder à l’esprit que les petits cornichons font les grands concombres.

L’on mit le roi dans l’humus avec la pompe due à son rang, non sans avoir préalablement, au cours d’une cérémonie chamanique très codifiée, prélevé et mis en sécurité le précieux phanère[61] à boucles dorées qui portait chance au royaume. Les braies[62] du défunt avaient été soigneusement nouées aux chevilles[63] du cadavre pour éviter que l’âme s’en fût dans cette direction et ne vînt hanter le domaine concombrifère.[64] Le parrain renouvela à la reine, l’expression de son amour éternel. Le suicide de sa femme, quelques mois auparavant, avait rapproché le frère de la sœur. Elle le consolait de ses attentions évasives ; il rêvait de caresses plus passionnées.

On le sait, la reine aimait d’un amour indéfectible[65] son demi-frère, le super intendant, avec l’aide duquel elle allait devoir assurer la régence durant la courte année au terme de laquelle la princesse serait en âge de monter sur le trône.

Päivänkakkara se reposait sur les compétences de son amant et tenait la princesse à l’écart des affaires de l’état. Le surcroît de charge avait espacé leurs rapports et ravivé leurs sens. Par ailleurs, les contraintes strictes du deuil avaient perturbé le couple dans ses habitudes. Il n’y avait plus de fêtes à organiser, ni de réjouissances au sommet en perspective. Affranchi de la présence du roi, le couple se laissa aller à quelques imprudences. Le petit personnel avait été entièrement renouvelé mais les nouvelles recrues n’avaient pas tardé à mettre le nez dans les draps. Concombre au balcon, queue en tirebouchon ! La rumeur du deuil coquin de la reine fit bientôt le tour du royaume. Certains sujets allèrent jusqu’à affirmer que la mort du roi était suspecte. Au royaume des concombres, les cornichons sont rois, chantait le petit peuple.

La princesse avait repris ses virées dans les contrées reculées de la steppe. Elle avait repéré que des petits groupes armés circulaient discrètement certaines nuits sans lune. Des braconniers, sans aucun doute. Elle avait pris soin de les éviter.

Un beau jour, ou plutôt une nuit, alors que la reine hurlait de plaisir entre les bras experts du super intendant, celui-ci lui demanda la main de sa fille : « ainsi je continuerai de cornaquer[66] le royaume et nous ne serons pas dépossédés. » Il fallait faire vite car, dans quelques mois, la reine ne serait plus en mesure d’imposer un tel mariage à la princesse.

La reine eut la présence d’esprit d’accepter. À moins que ça ne fût que lâcheté ordinaire. Päivänkakkara manquait de courage mais sa science des humeurs était rarement mise en défaut. Elle connaissait par cœur son amant qui avait besoin d’attentions et d’hommages. Mais au fond, c’était un handicapé de l’amour qui savait donner le change, comme le cerf traqué oblige son semblable à quitter la reposée[67] pour que celui-ci soit pris en chasse à sa place. Il souhaitait prendre sa revanche sur l’enfant puis, plus tard, l’adulte de second lit, qu’il avait été. Elle savait qu’un jour prochain elle en pâtirait, mais elle avait l’amour héroïque et n’avait pas dit son dernier lai.[68]

Dès le lendemain, la reine prit soin d’éloigner sa fille. Elle lui demanda de se rendre à Marshalas pour enjoindre son parrain d’accourir au plus tôt afin de l’aider à gouverner, car elle ne se sentait pas de taille à lutter contre le super intendant que l’ambition et la soif de pouvoir dévoraient.

– Sache également que le super intendant m’a demandé ta main. Je la lui ai accordée pour ne pas éveiller ses soupçons.

Elle donna à la princesse une boucle de la barbe de son père en guise de viatique.[69] Elle ferait passer sa fuite pour une fugue de plus.

– Ne prend pas le bateau car les hommes du super intendant contrôlent le port. Ils vont partir à ta recherche, sois sur tes gardes.

Ravie de pouvoir quitter ce château idéalement coincé entre la mer des Espérances et les vastes steppes dont elle savait le morne mysticisme, la princesse enferma la boucle dorée dans une petite bourse et partit sur le champ avec Tamma, sa jument préférée. Pour arriver à Marshalas, également située sur la mer des Espérances, il n’était pas question de longer la côte marécageuse : la piqure des moustiques qui infestaient cette zone avait la réputation de provoquer des diarrhées mortelles. Elle allait devoir chevaucher jusqu’aux confins du royaume, franchir une chaîne de montagnes aux neiges éternelles, descendre un fleuve peuplé de chevaux à dents de sabre, et traverser un marais infesté de créatures insensées dont personne n’avait jamais pu décrire les visages, pour la simple raison que ceux qui étaient ressortis de ce cloaque avaient perdu la mémoire de leur séjour et une partie de leur raison.

La princesse fut poursuivie par les hommes du super intendant et leurs chiens. Mais elle connaissait la steppe comme sa musette.[70] Elle fit changer les fers de sa monture, mêla ses traces à celle des conducteurs de troupeaux, évita de chevaucher seule contre les vents catabatiques[71] qui descendaient de la montagne. Au bout de trois jours de jeu de piste avec ses poursuivants, elle atteignit les premiers contreforts de l’alpe.[72] On lui indiqua un col en direction duquel des traces avaient été relevées. Mais l’on resta évasif quant à la nature de ces traces. On la découragea de poursuivre, on lui proposa de la cacher et de partager cette vie nomade qu’elle appréciait tant. Mais le devoir était plus fort. Sa mère était en danger. Après une nuit réparatrice, elle renvoya Tamma qui saurait retrouver le chemin du château et, vêtue d’un manteau en fourrure de renne qui lui descendait jusqu’aux bottes, elle commença de gravir les pentes escarpées.

Elle suivit des traces de mains imprimées sur la neige. A la faveur d’une tourmente, elle rencontra un yéti qui, contre quelques poils porte-bonheurs de la barbe de son père, la hissa sur son dos pour lui faire traverser la montagne par des chemins connus de lui seul. Le quadrumane dévalait les pentes vierges en se dandinant dans la poudreuse et escaladait les parois abruptes, toisant les abimes en poussant des petits cris d’allégresse qui ressemblaient au rire des humains.

Arrimée à la fourrure angora de l’homme des neiges, la princesse réalisa la folie de son entreprise et remercia l’Esprit poilu de lui être venu en aide. Elle passa la nuit chez l’habitant. Le Yéti avait un fils passionné d’astrologie. Elle promit qu’à son retour, elle offrirait une bourse au petit génie pour qu’il vienne étudier à l’observatoire du royaume.

Elle en profita pour interroger le yéti sur cette fâcheuse rumeur qui faisait de ses semblables des voleurs de filles. Le Yéti expliqua que des pirates faisaient courir cette rumeur pour protéger leur trafic d’esclaves à destination de royaumes sis au-delà des mers. En même temps, cette rumeur protégeait des incursions humaines, la montagne où vivaient les yétis. Ils repartirent dès l’aube pour profiter de la dureté du revêtement neigeux superficiel.

Ils arrivèrent enfin à un contrefort du versant est. La princesse n’avait plus qu’à suivre la rivière jusqu’au fleuve où elle trouverait le premier village portuaire. Pour la remercier de sa confiance, le yéti lui offrit un petit flacon de morve cicatrisante qui pouvait, selon lui, guérir les blessures les plus graves. La princesse le remercia et accrocha le présent à sa ceinture.

La jeune aventurière arriva sans concombres à Port-aux-Fraises, le port fluvial le plus en amont. Elle rencontra un batelier qui, contre quelques brins porte-bonheurs de la barbe de son père, accepta de lui faire descendre le fleuve.

Quand elle l’interrogea sur les chevaux à dents de sabre, il répondit que la canicule les maintenait au fond de l’eau et qu’ils ne remontaient à la surface que par temps de pluie. Il était vrai que, de ce côté-ci de la montagne, l’air était sec et le sol friable. Il se dégageait des vêtements du nautonier,[73] une odeur de poisson séché et d’ail fermenté à laquelle la princesse allait rapidement s’habituer. La descente du fleuve devait prendre une bonne semaine.

Un matin, elle trouva sur le pont du bateau, un oiseau rouge avec une aile cassée.

Au lieu de balancer par-dessus bord l’animal en détresse qui levait vers elle son œil infortuné, elle versa sur son aile blessée, la moitié du contenu de la fiole que lui avait donné le Yéti. Une heure plus tard, le membre était réparé et l’oiseau volait joyeusement devant son visage pour lui en faire la démonstration. Cette expérience mit la princesse de bonne humeur.

Alors l’oiseau se percha sur sa main, souleva son aile réparée et arracha avec son bec une petite plume bleu qu’il tendit à la princesse. Quand la princesse serra la plume entre ses doigts, l’oiseau se mit à parler et dit ceci :

– Je suis un oiseau de feu, cette plume bleue est magique. Tu peux l’utiliser pour écrire un ordre sur la peau de l’être de ton choix ; celui-ci l’exécutera immédiatement et passera le restant de ses jours à attendre tes consignes.

– Même sans encre, demanda la princesse ?

– Même sans encre ! Sur ces paroles, l’oiseau s’envola et disparut comme un fétu de paille dans le ciel[74] en direction de la berge nord, pour rejoindre la formation d’oiseaux de feu qu’il avait dû abandonner.

Cette nuit-là, un orage terrible éclata. Le batelier regagna la rive et, au matin, pour quelques poils de barbe porte-bonheurs de plus, céda son esquif à la princesse. Heureusement celle-ci avait bien observé les manœuvres du marinier et se sentait capable de piloter l’embarcation. Toutefois, elle lui sembla tout à coup plus grande, plus lourde et plus fragile ; le maniement de la voile était particulièrement difficile. Elle découvrit dans la soute, une cargaison de concombres. Ce n’était pas très nourrissant mais ça lui permit de se laver et de ne pas se déshydrater.

Quelques kilomètres en aval, ce qu’elle redoutait arriva : des dizaines de têtes menaçantes entouraient le bateau. Aussi facilement qu’une noix est extraite de sa coque par le rat-parasol,[75] la barcasse fut réduite en cinq cent trente et un[76] morceaux par les dents de sabre des terribles chevaux du fleuve. Leurs grands corps en forme de barriques évoluaient aisément dans l’eau boueuse.

Ils agitaient violemment leurs grosses têtes au sommet desquelles les yeux, les oreilles et les narines étaient situées dans un même plan, afin de leur permettre de voir, d’entendre et de respirer tout en dissimulant leurs masses énormes sous la surface du fleuve. La princesse, qui était une cavalière confirmée, se hissa sur le dos du plus gros d’entre eux pour assister à la suite des événements.

L’animal, qui semblait être le mâle dominant du troupeau, parada en décrivant des huit au milieu de ses congénères qui grognaient d’impatience que le festin commençât. La cargaison de concombres servait d’apéritif à ces brutes au derme épais et aux yeux proéminents. La princesse était trempée. Elle entendait les cucurbitacées[77] exploser entre les molaires d’ivoire.

Contre ses paumes, la peau du cheval du fleuve était dure et glissante comme les plaques d’une cuirasse. Elle s’accrocha comme elle put. Les mouvements du monstre menaçaient de la faire chavirer à chaque instant. Ses poignets étaient engourdis. En regardant ses mains, elle constata avec effarement qu’elle était en train de se transformer en pachyderme. Soudain elle se rappela la plume qu’elle avait mise à l’abri dans sa bourse avec la boucle de la barbe de son père. Avant que ses doigts ne fussent complètement soudés, elle eut le temps d’écrire sur la peau insensible de l’animal, les mots invisibles suivants : « ô noble cheval du fleuve aux dents de sabre, conduisez-moi au marais des créatures insensées. » L’animal cessa de caracoler, poussa un grognement bref et fendit les eaux en direction de l’ouest. Les têtes médusées dont les gencives luisaient comme des lanternes roses sur les eaux vertes, s’écartèrent sur son passage en agitant leurs formidables dents de sabre. Bientôt, la belle et la bête se retrouvèrent seules au milieu du fleuve sous une pluie battante. L’animal activait ses puissants pieds palmés. Il fendait les eaux plus rapidement que n’aurait pu le faire la misérable concombrière[78] dont les débris flottaient en amont. Bientôt les premières brumes apparurent, accrochées aux doigts grêles des bouleaux.

En arrivant au marais des créatures insensées, là où le fleuve se fragmentait en une multitude de canaux qui se perdaient parmi la rauche, la laîche et le jonc, le cheval du fleuve s’amarra au rivage avec ses dents de sabre pour permettre à son amazone[79] de gagner la terre ferme.

– Va, je te rends ta liberté, dit la princesse en froissant la petite plume bleue entre ses doigts fripés,[80] ne me soit plus assujetti, ami aux dents de sabre.

L’animal repartit sans se retourner mais laissa, en marque de reconnaissance, une dent de sabre plantée dans la berge molle. La princesse, qui avait retrouvé l’usage de ses mains, s’en saisit en prenant soin de ne pas se blesser. La dent était légère et terriblement affutée. Heureusement, la partie qui avait été implantée dans la mâchoire n’était pas tranchante et constituait un manche idéal.

Munie d’une telle arme, la princesse se sentait prête à en découdre avec les créatures insensées du monde entier.

Elle s’engagea dans la contrée fangeuse d’où montaient des relents de pourrissement.

Ses pieds s’enfonçaient dans le sol.  Des larves affamées prospéraient en cet éden tourbeux.

De temps à autre, il lui semblait apercevoir à travers le brouillard, des silhouettes lumineuses qui disparaissaient sitôt qu’elle tentait d’en distinguer les contours. Plus elle avançait dans le marais, plus les créatures insensées gagnaient en nombre et en audace.

Elle fit tournoyer sa dent de sabre et plusieurs morceaux de créatures chutèrent parmi les joncs entre lesquels ils s’éloignèrent en se tortillant avec des sifflements affreux. Cette passe d’arme procura un peu de répit à la princesse car, dès lors, les créatures gardèrent leur distance.

La jeune fille s’efforçait de ne pas perdre la direction de l’ouest mais le sol détrempé qui cédait sous ses pas ne lui offrait pas d’alternatives, tant et si bien qu’elle se retrouva au centre du marais. Devant un bosquet d’arbres frêles qui formait un toupet sur cette étendue triste, une silhouette plus dense et plus stable que les autres semblait l’attendre.

– Qui es-tu jeune impudente pour oser venir troubler la retraite des éthérées ?

– Je suis la princesse au sabre nu, chargée d’une mission dont dépend l’avenir de mon royaume.

– Quel avantage décisif vas-tu apporter à ton clan ?

– Le renfort de mon parrain.

– N’appartient-il pas déjà à ton clan ?

– Il ne vit pas à la cour. Je lui porte une requête de la part de ma mère, la reine, qui est à la merci de son puissant intendant.

– Je sais que ton père est mort. Es-tu prête à régner ?

– J’aurai l’âge dans quelques mois. Je connais déjà toutes les familles du royaume. Et avant de mourir, mon père m’a enseigné l’art de gouverner et de venir à bout des sales bestioles comme toi.

– Si tu es si brave, que fais-tu loin des tiens ? Qu’attends-tu pour défendre la reine et ses sujets ?

– C’est-à-dire…

– Je crois sincèrement que ta mère t’a éloignée du trône pour se remarier avec le puissant intendant auquel elle donnera un héritier. Il ne faut pas vendre le concombre avant de l’avoir semé mais, si je puis me permettre, la reine t’a envoyée à la charogne avec une souveraine désinvolture.

– Je suis courageuse et débrouillarde, et je suis la seule personne en qui la reine puisse avoir confiance, répondit la princesse en brandissant son sabre.

– Qui crois-tu pourfendre ici ? Regarde autour de toi ton ennemi. Goûte la folie de ses brumes, examine sa fange, contemple ses boues roses et profondes, hume les vents de ses vases méphitiques, ois le frémissement de sa faune hématophage.[81] Sais-tu seulement ce que signifie hématophage, demanda l’éthérée à la princesse dont la peau commençait à se couvrir de plaques boursoufflées ? Sais-tu que personne n’est jamais ressorti de ces marais avec les idées claires ? Il n’y a donc pas assez de confusion dans ton crâne d’oiseau ?

La princesse avait du mal à rester concentrée car la créature changeait d’aspect en permanence. Cette farandole de visages exerçait sur elle un puissant pouvoir de persuasion. Elle se reprit, cependant. Mais plus l’entretient se prolongeait, plus ses forces l’abandonnaient et plus la créature s’ancrait dans ses chairs.

– Précisément, bluffa la princesse, je suis venu jusqu’ici au péril de ma vie pour demander votre aide et vos conseils.

– Il ne faut pas pousser l’ancêtre dans les concombres. Ton mensonge est touchant, princesse de mes fesses que je n’ai plus, mais je t’ai déjà tout dit. Rassure-toi, nous te laisserons partir d’ici en échange de ton sabre et de cette bourse que tu portes autour du cou ; ils ne te seront plus d’une grande utilité dans le monde où tu vas retourner. Par contre, en ce qui nous concerne, cette magie nous aide à nous matérialiser.

Certes, au prix d’efforts considérables mais c’est ce qui me permet de te parler présentement. Toutefois, tu ne garderas aucun souvenir de ton passage parmi nous.

– Je vais donc tout perdre, pleurnicha la princesse ?

– Non, stupide chamelon, il restera dans ta mémoire quelques traces de mes mises en garde. Et, en plus de nos conseils éclairés et de notre mansuétude[82], tu vas bénéficier d’un terrible pouvoir (tu sais que ce lieu altère la raison) : personne ne te mentira plus lorsque tu poseras une question. Tu pourras donc agir avec discernement, si tant est que tu en sois pourvue. Mais sache que tu regretteras bientôt les douceurs du mensonge.

A l’avenir, ne pose de question qu’aux personnes qui pourront assumer la vérité que tu leur arracheras. Sans quoi tu conduiras à ta perte tes ennemis toujours plus nombreux. En outre, la vérité, qui tue tout espoir, lentement te découragera de vivre.

– Je ne sais comment vous remercier, aimable salicorne.[83]

– C’est très simple, étron de déesse ; lorsque tu seras au pouvoir, fait en sorte que les hommes qui vivent autour de ces marais, cessent d’en assécher les marges. Mes semblables souhaitent vivre en paix en leur royaume. Les hommes ont en eux suffisamment de folie sans que nous soyons obligés de leur en insuffler davantage. Nous serions tous perdants à ce jeu-là.

La destruction apporte le chaos et le chaos donne le pouvoir aux destructeurs. Contrairement aux apparences, notre commerce[84] avec les hommes n’est pas négligeable, et n’a rien de mercantile.[85]

– Vous avez ma parole, ô noble créature des dépotoirs de l’ouest, flagorna la princesse.

– Il ne faut pas mettre la crème avant de peler le concombre. Commence par déposer tes accessoires à tes pieds et avance vers moi, vermine.

Impressionnée par tant de sagesse, la princesse fit comme on lui demandait et s’approcha de sa vaporeuse interlocutrice.

– Je vais te zombifier, déclara celle-ci. Tu marcheras le temps qu’il faudra jusqu’à la sortie du marais, puis tu reprendras conscience. Le souvenir de notre rencontre persistera un court instant, puis disparaîtra comme un rêve qu’on oublie définitivement, sans savoir comment ni pourquoi. Va maintenant. Et ne me dit pas au revoir. Que l’esprit poilu te protège.

C’est ainsi que la princesse se retrouva quelques semaines plus tard, sur un chemin de campagne, marchant le cœur léger en direction de Marshalas, avec seulement une demi-fiole de morve de yéti en poche. En chemin, elle se fit un masque au concombre sauvage afin de soulager son épiderme en feu et se rassasia de baies de sureau dans le fracas des merles.

Un homme aimable, excessivement poilu et qui sentait la valériane,[86] lui indiqua le chemin de la résidence avunculaire.[87]

Elle fut accueillie avec beaucoup d’égards. Elle raconta en privé son aventure à son parrain et lui fit part de l’objet de sa mission.

Après l’avoir écouté sans l’interrompre, ainsi que savent le faire les maîtres en diplomatie, l’oncle, intrigant et manipulateur hors pair, mit la princesse en garde contre sa mère qui, selon lui, l’avait éloignée afin de protéger sa relation avec le super intendant.

– Ta mère est amoureuse de son demi-frère depuis leur enfance. Selon moi, la reine a jugé bon de t’éloigner du trône en te confiant cette mission hasardeuse.

La princesse ayant déjà, lui semblait-il, envisagé cette éventualité dans un for intérieur mal entretenu, fut troublée par la perspicacité de son parrain pour lequel elle n’avait par ailleurs ni affection ni grande estime.

– Tu as prouvé que tu étais une fille courageuse, comme ton père, et tu as hérité de la grâce et de l’intelligence un peu butée de ta mère. Je cherche à marier mon fils, ton cousin dénaturé. Vous vous connaissez. Nous serions ravis de t’accueillir dans notre famille.

– Mais que va dire ma mère ? Elle attend votre intervention à la cour pour tempérer l’ambition envahissante du super intendant.

– Elle sera surtout soulagée de savoir que tout s’arrange. Ainsi, elle regrettera moins de t’avoir éloignée du trône de façon, disons, précipitée. Et à la fin de l’été, elle s’en félicitera.

– Je dois donc renoncer au trône ?

– Ta mère va se remarier avec son demi-frère et un héritier naîtra de cette union.

– C’est quand même à moi que revient le trône, trépigna la princesse.

– C’est vrai, mais tu peux y renoncer et entrer dans notre famille où tu seras en sécurité. Car ne te fais pas d’illusions, le super intendant ne te loupera pas s’il te trouve sur son chemin. Et puis, sait-on jamais, les revers du destin sont imprévisibles.

– J’ai peur pour la reine.

– À l’heure où nous parlons, je gage qu’elle roucoule dans le cou de son palefrenier.[88]

– Vous n’appréciez guère votre demi-frère ?

– Ce godelureau[89] est entré dans notre famille par la petite porte. Je serais fort aise qu’il en sortît.  

– Il me tarde de retrouver mon cousin, abdiquât la princesse que ces confidences un peu cruelles avait mise mal à l’aise.

Soulagée cependant par cette perspective de dénouement qui lui laissait quelques chances d’échapper aux griffes de l’amant de sa mère, voire aux griffes de sa mère elle-même, la princesse demanda :

– Pensez-vous que la reine accepterait d’organiser une grande fête où je pourrais afficher ma nouvelle condition ? J’aurais l’esprit plus tranquille, les hommes du super intendant sont à mes trousses.

– Je vais envoyer un tonneau[90] à la reine dès ce soir, le bateau arrivera dans deux jours. Ne nous a-t-elle pas demandé d’agir prestement ?

Les élites de ce pays savaient l’art de transmettre un message dilué dans une boisson à base de jus de concombre.

– Je pense que nous pourrions officialiser tout ça d’ici une quinzaine, le temps que le super intendant et la reine organisent la réception.

– Ne soufflez mot de ma mission. Je m’excuserai publiquement pour cette fugue qui m’a conduite jusqu’à vous. Je raconterai comment j’ai été enlevée par des pirates qui comptaient me vendre comme esclave et comment je me suis échappée par miracle.

Le trouble de son parrain n’échappa pas à la princesse. Il se reprit très vite :

– C’est parfait. Ce sera une fête magnifique. Que diriez-vous, princesse, d’un bal costumé ?

– Oui, excellente idée, il faut que l’on s’amuse après tous ces déchirements ! Ce seront mes fiançailles et mon anniversaire, je veux que ce jour soit celui de l’apaisement.

Le plan du parrain se déroulait plus vite que prévu. Après avoir neutralisé la princesse, il ne lui restait plus qu’à se débarrasser du super intendant pour pouvoir se rapprocher de la reine et monter sur le trône aux côtés de la femme de sa vie. Il ne savait pas encore si ce mariage avec son fils était une bonne idée ou s’il allait devoir empoisonner la princesse comme il avait empoisonné sa femme ; à moins qu’il ne la livrât à son réseau de flibustiers[91] dont elle semblait avoir connaissance. Il allait voir comment les choses évolueraient. Il craignait que son fils ne fût pas de taille, face à une princesse qui reprendrait tôt ou tard du poil de la bête et ne ferait du rejeton qu’une bouchée.

Les jours passèrent agréablement sur les terrasses de Marshalas, en compagnie du cousin, un triboulet[92] de premier ordre qui était aussi cabotin que son père. Il était amoureux d’une noblionne aux longues moustaches blondes. Il avait exposé sans détours son actualité sentimentale à la princesse.

– Votre père nous a quitté d’une atroce façon. Vous savez que mère s’était donnée la mort à quelques mois de là. Je ne préfère pas connaître ses raisons. Je ne sais qu’une seule chose, l’édonisme[93] est ma planche de salut, jamais je ne chausserai l’hermine ou le vair[94] :

Sous la pluie d’été
Dans son rêve de poussière
Le concombre exulte.

Le gentillâtre se targuait d’être poète.

Pour le remercier de sa sincérité, la princesse servit de couverture aux rendez-vous galants de son cousin. Elle était habituée. Ils se retrouvaient ensuite pour de réjouissantes agapes[95] libertines, en compagnie des membres poilus de la jeunesse friquée de Marshalas.

Intrigué, le cousin demanda le sens du grossier pendentif que la princesse portait à son cou ravissant. Elle répondit qu’elle l’avait trouvé en faisant pipi dans l’herbe, lors d’une chasse à courre.

– C’est un fer de carreau d’arbalète. Venez, je vais vous montrer ma collection d’armes de traits.

Il y avait, accrochées aux murs, toutes sortes d’arbalètes : à main, à pied, à levier, à moufle,[96] à cranequin,[97] à répétition… Ainsi que toutes sortes de carreaux et projectiles : dondaines,[98] viretons,[99] matras,[100] jalets…[101]

– J’ignore pour quelle raison, mais votre pointe avait des barbelures qui ont été soigneusement limées : regardez ces traces sur les arêtes. Combinées à un empennage hélicoïdal qui impose une rotation au fût, les barbelures provoquent des blessures terribles dont on se remet rarement, quel que soit l’endroit touché, à moins qu’on ne l’ampute, pérora le poète. C’est une arme de guerre davantage qu’une arme de chasse. Regardez à quoi ça ressemble sur ce vireton ; c’est le super intendant qui me l’a donné.

– Se peut-il qu’un chasseur ait ébarbé cette pointe pour tirer sur un animal ?

– Avec l’intention de ne pas abimer la bête, pourquoi pas. Mais cela est absurde, il suffisait d’utiliser un trait approprié.

– Ce n’était peut-être pas un chasseur, mais un guerrier qui aimait les animaux.

– Je vous trouve bien farfelue, ma cousine. Allons rejoindre les autres. Ma dulcinée va s’émouvoir.

Le parrain, qui avait des yeux et des oreilles dans toutes les barbes, ne fut pas dupe du petit jeu que pratiquaient son fils et la princesse. Ces deux-là n’avaient pas le comportement attendu de jeunes promis. Leur arrangement ne ressemblait à rien qui vaille. Cela encra en lui l’idée que sa nièce jouait un double jeu et préparait un mauvais tour. Frapperait bien celui qui frapperait le premier. L’idée d’empoisonner la princesse et de faire porter le chapeau au superintendant, commençait à lui trotter dans la tête.

Le jour de la fête approchait. L’on se rendit au château par voie de mer. Après trois jours de navigation côtière, passés à boire du jus de concombre fermenté, l’on se congratula en de poisseuses retrouvailles, l’on s’embrassa, l’on rit, l’on pleura à chaudes larmes et l’on pissa beaucoup.

Puis vint le temps de la fête.

Pendant le bal, la princesse et la noblionne ne se quittèrent pas d’une pointe de poulaine[102], affichant une sororité[103] aux familiarités équivoques. Le parrain était furieux. Il les soupçonna d’intriguer contre son fils. C’est avec une satisfaction rageuse qu’il fit offrir un rafraîchissement au couple dont on venait d’annoncer les fiançailles. L’une des deux coupes contenait un mélange de sa façon, à base d’opium, de ciguë, d’amanite concombroïde[104] et de datura.[105] La princesse fut saisie d’un vertige. Elle prit appuie sur le bras de son fiancé qui la soutint pour l’empêcher de choir. Le parrain s’alarmat : « A moi, à moi, la princesse se pâme. » L’on se précipita. « Desserrez son corset, découvrez son visage pour qu’elle trouve l’air. » Le parrain arracha le masque et contempla les yeux révulsés de son fils. Foudroyé par l’information inattendue qui venait de lui carboniser le chiasma optique, l’oncle perdit connaissance. Au dernier moment, la princesse avait eu la bonne idée d’échanger son costume avec celui de son cousin, afin que celui-ci continuât de profiter de sa noblionne au nez et à la barbe de la cour. L’on secouru le cousin mais c’est un homme fin[106] mort qu’on déposa sur une table débarrassée à la hâte de ses victuailles. L’on s’intéressa ensuite au sort de son père qui reprenait connaissance. À peine eut-il retrouvé ses esprits qu’il poussa un hurlement de désespoir. On lui demanda pourquoi tant d’émotion pour une pâmoison.

– Mon fils !

– Que craigniez-vous qu’il fût arrivé à votre fils de si fâcheux ?

À la vue de la dépouille du jeune homme allongée dans sa robe de princesse entre un sorbet de canard et une ambroisine de vivaneau, l’oncle s’enferma dans un mutisme sans retour. La princesse s’adressa à la cour.

– Son parrain a essayé d’empoisonner votre princesse mais il ne savait pas que nous avions, mon cousin et moi, échangé nos costumes. Il a crié à la pâmoison pour donner le change, mais il attendait sur moi l’effet de son poison. Quand il a découvert son fils derrière le masque, il savait que la mort avait terminé sa besogne, en raison des substances qu’il avait mises lui-même dans la coupe. Cela explique le trouble dans lequel il fut plongé. Enfermez-le !

La princesse était impressionnante dans son rôle d’égérie[107] de la justice, son accusation était terrible, du jus de concombre semblait couler dans ses veines. Chacun avait retiré son masque et son galurin.[108] Le super intendant était dans ses petits souliers. La reine avait sa bouche en cul de poule des mauvais jours.

– C’est avec ce même poison que sa femme s’est suicidée, l’an passé, ajouta-t-elle pour enfoncer le clou. Mon fiancé est mort, vive la nouvelle reine !

D’une seule voix, la cour estomaquée hurla « vive la nouvelle reine ! Vive la nouvelle reine ! »

La jeune reine ne fut pas longue à prendre en mains les affaires du royaume. Elle s’empressa de renouveler les agents de sûreté portuaire, leva une unité spéciale chargée de combattre les pirates esclavagistes, distribua des bourses aux étudiants éloignés, décréta zone naturelle le marais de Marshala, rendit obligatoire la déclaration des armes de guerre auprès d’une instance dédiée.

Elle put constater que les fers des carreaux possédés par l’amant de sa mère étaient tous à barbelures. Elle portait toujours en évidence son pendentif et avait remarqué que le super intendant le fixait parfois d’un œil torpide,[109] comme on regarde, au milieu d’une nichée gluante d’oisillons, un œuf non éclos.

Après s’être ouvert les veines, le parrain avait écrit avec son sang, sur un mur de sa geôle[110] : « Le super intendant a tué le roi ». Mais tout le monde savait que le roi avait été tué par un sanglier et la jalousie du Parain à l’encontre de son demi-frère était notoire. Les cendres du parrain furent mélangées à la pâtée des cochons.

Pour fêter ses premiers mois d’investiture, la princesse demanda au super intendant d’organiser une chasse à courre. Elle tint à contrôler elle-même que rien n’avait été laissé au hasard.

Alors qu’elle visitait le chenil,[111] en compagnie de sa mère et du super intendant, pour s’assurer que les chiens n’étaient point trop nourris la veille de la chasse, elle demanda à voir Péritus, le limier qui avait si vaillamment défendu son roi. Péritus se faisait vieux. Il ne participerait pas à la prochaine chasse. La princesse déclara qu’il lui tiendrait compagnie, car elle elle ne désirait pas prendre part à la poursuite de l’animal de courre. Elle s’amusa à donner de la voix : « Hou ! Hou ! Vieux ! Hou ! Après ! L’ami ! Après ! Va-y-là ! mon beau ! Va-y-là ». Le chien sembla retrouver ses forces et partit en direction d’une grange où était remisés du matériel. Il revint en tenant dans la gueule un morceau de tissu crasseux qu’il déposa aux pieds du super intendant. Une odeur caractéristique de feuilles de chênes pourries prit les témoins aux narines. Chacun sait que le sanglier dégage une odeur perceptible à l’homme et qu’elle ressemble précisément à celle résultant de la décomposition des feuilles de chênes. Péritus faisait décoller son avant-train en criant, comme s’il était sur la voie d’une bête noire. Le super intendant demanda à un valet de chien de bruler le tissu infect.

Au milieu de la nuit, alors qu’il ronflait, terrassé par l’alcool de concombre et les exigences de Päivänkakkara, la princesse se glissa dans les appartements du super intendant et versa sur son gland ce qui lui restait de morve de yéti.

A son réveil, alors qu’il devait superviser l’ouverture de la chasse à courre, l’homme trouva le pot mais eut la sensation inédite que l’urine s’accumulait dans son pénis sans pouvoir en sortir. Le fait est que son méat urinaire[112] avait complètement disparu, comme si jamais il n’y eut d’orifice en cet endroit où la peau était lisse et douce comme le gland d’un chêne.

La chasse fut remise. Les sorciers accoururent de toute la steppe mais aucun ne parvint à rompre l’enchantement, pour la simple raison qu’il ne s’agissait pas de magie. L’intendant mourut bientôt intoxiqué, avec les symptômes d’une insuffisance rénale et les souffrances atroces afférentes.

Päivänkakkara fut soulagée d’éprouver une si grande douleur, tant l’amour fait pardonner les vicissitudes de l’âme. La reine quant à elle se demanda quel eût été son sort si l’amour de l’intendant pour sa mère l’avait emporté sur la démesure de ses ambitions ; ou ce qu’il serait advenu du royaume si elle avait été dévorée par les chevaux du fleuve. Mais une reine sait qu’il y a des questions qu’il vaut mieux ne pas poser. En elle, une voix insensée lui répétait que la vérité ne fait pas moins de tort que le mensonge. Elle se demandait d’où lui venait cette sagesse et cet amour de la solitude qu’elle ne redoutait plus. L’expérience du pouvoir probablement.

Désormais, Päivänkakkara s’efforçait de changer régulièrement de super intendant. Chatte échaudée craint le jus de concombre. Elle continuait d’organiser les festivités du royaume mais, les années passant, ses chairs s’étaient ramollies et ses goûts s’étaient corsés ; elle aspirait à plus de fantaisie et moins de performance.

Péritus coulait des jours heureux, promenant sa conjonctivite dans les grandes salles du château.

L’hiver, la reine passait quelques jours à la montagne chez le yéti. Elle connaissait toutes les familles de ce petit peuple de géants. Il semblait qu’elle ne fût pas indifférente aux avances du fils aîné qui faisait de brillantes études d’astrologie à l’observatoire de sa majesté. Elle appréciait par-dessus tout, les fugues pour quatre mains qu’il improvisait sur son corps de reine.

Chaque automne, elle regardait de son balcon les formations d’oiseaux de feu qui descendaient vers le sud avec leur progéniture. L’ancienne princesse était sereine, même si gérer un royaume n’était pas de tout repos. L’allergie aux graminées de la steppe du jeune astrologue descendu de ses montagnes aseptisées, était le seul problème qui la préoccupait réellement. Même s’il ne fallait pas mettre le concombre avant la crème – comme le répétait plaisamment Päivänkakkara –, il fallait être extrêmement prudent avec la morve de yéti.

FIN


NOTES

[1] Mule : sorte de pantoufle d’intérieur pour hommes et surtout pour femmes.

[2] Concombrie (néologisme) : pays du concombre.

[3] Post coronam regalem : post couronnement.

[4] Propitiatoire : qui a pour but de rendre la divinité propice.

[5] « Au bal masqué ohé-ohé »

[6] Consort : qui partage le sort. Ne se dit plus que de l’époux ou l’épouse d’un chef d’État.

[7] Caudataire (du latin cauda « queue ») : officier ou serviteur qui porte la queue du manteau du Pape, d’un cardinal ou d’un prélat.

[8] Rubigineux : couleur de rouille.

[9] Cynégétique : qui a rapport à la chasse.

[10] Vènerie : art de chasser au chien courant toutes sortes de bêtes.

[11] C’est-à-dire, tout.

[12] Componction : air solennel un peu ridicule, gravité exagérée.

[13] Coruscant : brillant, éclatant, étincelant.

[14] Tors : qui est tordu ou qui paraît l’être.

[15] Le Concombre masqué est une série de bande dessinée créée par Nikita Mandryka (sous le pseudonyme Kalkus) en 1965 dans le journal Vaillant devenu Pif Gadget, ainsi que dans Pilote.

[16] Référence à l’expression « passer l’arme à gauche » qui signifie mourir (au moyen-âge, les escaliers en colimaçon étaient à la mode et ils tournaient tous dans le sens horaire dans un souci de défense. Un attaquant se trouvant en hauteur a le côté droit libre pour se battre alors que l’assaillant en aval est gêné par la colonne centrale. Pour avoir autant de champ pour se battre, l’attaquant, le plus souvent droitier, devait passer son arme à gauche. Il se trouvait alors nettement désavantagé, et avait plus de probabilités de mourir.

[17] Un poil de chameau : manteau en poil de chameau.

[18] Sélénite : variété de gypse, pierre transparente et tendre qu’on taillait en couches minces pour faire des vitres.

[19] Solipède : qui n’a qu’un sabot à chaque pied. Contraction et francisation du latin solidipes, « au pied (latin pes) massif (latin solidus) », devenu solipède par fausse étymologie du latin solus, « seul, unique » et -pède.

[20] Pastoral : qui appartient aux pasteurs, aux bergers, à leurs pratiques d’élevage.

[21] Oestrogénique : Relatif aux œstrogènes, hormones sexuelles femelles (du grec ancien oîstros « taon », au figuré, ce qui pique : « fureur, désir, passion »).

[22] Douve : La grande douve du foie (Fasciola hepatica) est un trématode de grande taille. C’est un ver plat parasite infectant le foie et les voies biliaires des herbivores ruminants, particulièrement les ovins, souvent les bovins, et occasionnellement des hommes. L’infestation des ruminants par la grande douve (Fasciola hepatica) est appelée fasciolose. Les animaux peuvent être infestés par la douve dans les prairies avec des zones humides. La contamination des animaux se fait par ingestion des formes immatures (métacercaires) de Fasciola hepatica.

[23] La baliste (du grec ballein « lancer, jeter ») était un engin de siège basé sur différents mécanismes utilisant l’action de deux leviers sur des ressorts à torsion, constitués de plusieurs faisceaux de fibres tordues. Les premières versions lançaient de lourdes flèches ou des projectiles sphériques, comme des pierres de différentes tailles, au cours des sièges.

[24] Tirer des plans sur la comète : prédire quel va être le prochain malheur à s’abattre (jadis, une comète était un signe annonciateur de malheurs). Le sens actuel est un sens figuré : faire des projets sans fondements.

[25] Tue-loup : surnom de l’aconit, plante toxique.

[26] Une péponide, appelée aussi pépon (du latin pepo, pepōnis, mot désignant la pastèque et dérivé du grec πέπων, cuit par le soleil, mûr) est une baie de grande taille caractérisée par sa cuticule dure et imperméable et son mésocarpe charnu. C’est le fruit caractéristique de nombreuses espèces de Cucurbitacées.

[27] Lénifiant : apaisant (du latin lenis « doux » et facere « faire ».

[28] Limier : gros chien de chasse avec lequel le veneur quête et détourne la bête, pour la lancer quand on veut la courir. De l’ancien français liemier « chien tenu en laisse », du latin ligamen « lien ».

[29] Rembuché : rentré dans le bois, en parlant de bêtes sauvages.

[30] Alytes accoucheurs : crapaud.

[31] Bête noire : sanglier.

[32] Quartanier : sanglier de quatre ans, les plus vigoureux et ceux dont les défenses sont les plus acérées.

[33] Groin : museau du porc et du sanglier.

[34] Trait : projectile allongé (flèche, javelot).

[35] Change (vénerie) : substitution d’une nouvelle bête à la place de celle qui a été lancée. La bête donne le change, en fait lever une autre à sa place. Les chiens prennent le change (suivent la nouvelle bête).

[36] Refuir : pour un animal qui est poursuivi, revenir sur ses pas afin de repartir dans une autre direction et embrouiller les chiens.

[37] Rebattre ses voies : on dit d’un animal de chasse qui repasse plusieurs fois sur l’endroit où il a passé qu’il rebat ses voies.

[38] Muloter : un sanglier mulote quand il suit avec ses boutis les galeries des mulots. Le chien mulote lorsqu’il rabat ses voies, c’est-à-dire qu’il suit difficilement une voie et revient plusieurs fois aux mêmes endroits.

[39] Prendre le contre (vénerie) : on dit que les chiens prennent le contrepied, ou simplement le contre, quand ils suivent la voie de l’animal à rebours.

[40] En pays clairs : dans les gaulis ou les futaies. Gaulis (prononcer gauli) : peuplement régulier de tiges de plus de 3 m de haut et de moins de 7,5 cm de diamètre à hauteur d’homme.

[41] Fraichure : parties de bois marécageuses.

[42] Peritus : du latin peritus « expérimenté ».

[43] Mâtin : grand et gros chien de garde ou de chasse.

[44] Alan : race de chiens redoutables que l’on employait à la chasse des animaux les plus dangereux, ours et sangliers.

[45] Briquet : chien courant métis de toutes races.

[46] Barrer : un chien, barre lorsqu’il chasse en croisant la voie.

[47] Sentiment (vénerie) : on appelle sentiment l’odeur qui procède des animaux et qui décèle leur présence, leur proximité ou leur passage aux chiens que l’on emploie à la chasse. Par extension on emploie ce mot comme synonyme d’odorat : ainsi on dit qu’un chien a ou n’a pas de sentiment.

[48] Epieu : gros et long bâton terminé par un fer plat, large et pointu.

[49] Souille : bourbier où le sanglier se vautre.

[50] Ecoutes : oreilles du sanglier.

[51] Dégainer : sortir une arme blanche de sa gaine.

[52] Boutoir :  extrémité du groin et canines avec lesquels le sanglier, le porc fouissent la terre.

[53] Coiffer : mordre à la tête.

[54] Vrille : nom donné par les chasseurs à la queue du sanglier.

[55] Hure : tête du sanglier, du cochon, et par extension de certaines bêtes fauves et de certains poissons à la tête allongée (servir une hure d’esturgeon).

[56] Suidé : famille de mammifères au corps massif, couvert de soies, au groin fouisseur et aux pattes courtes (exemples : babiroussa, porc, phacochère, sanglier).

[57] Cor : instrument à vent formé à l’origine d’une corne évidée, percée, servant à faire des signaux, des appels.

[58] Carcajou : glouton (animal).

[59] Carreau : trait d’arbalète à fer en losange à quatre pans.

[60] Fer : partie métallique d’un instrument, d’une arme.

[61] Phanère : du grec ancien phanerós « visible, apparent ». Ensemble des productions cornées de la peau, en particulier les poils, les cheveux, les ongles ou les plumes. Le plus souvent utilisé au pluriel.

[62] Braies : ancêtre des pantalons.

[63] Association plaisante des pinces (à vélo) et de la pompe (à vélo).

[64] Concombrifère (néologisme) : qui porte des concombres.

[65] Indéfectible : qui ne peut faire défaut, cesser d’être.

[66] Cornaquer : servir de guide. De cornac, celui qui est chargé des soins et de la conduite d’un éléphant (du cinghalais kurawanayaka).

[67] Reposée : l’endroit où se reposent pendant le jour les grands animaux.

[68] Lai : petit poème narratif, en vers octosyllabique, inspiré de sujets sérieux ou passionnés, empruntés le plus souvent à d’anciennes légendes.

[69] Viatique : argent, provisions donné(es) à un religieux pour voyager, et par extension à tout voyageur.

[70] Musette : Sac, généralement porté en bandoulière, dans lequel les soldats, les touristes, les écoliers, etc., enferment des provisions ou des objets divers.

[71] Vent catabatique (du grec katabatikos « descendant ») : vent gravitationnel produit par le déséquilibre d’une masse d’air refroidie, devenue de ce fait plus dense, qui dévale alors un relief géographique.

[72] Alpe : pâturages de haute altitude.

[73] Nautonier : celui qui conduit un navire, une barque.

[74] Paille dans le ciel : Straw in sky (en anglais) ; jeu de mots avec Stavinsky (L’oiseau de feu).

[75] Rat-parasol : animal imaginaire à la peau nue qui se protège des rayons du soleil sous sa queue longue et fournie comme celle des écureuils.

[76] Article 531 du Code civil : Les bateaux, bacs, navires, moulins et bains sur bateaux, et généralement toutes usines non fixées par des piliers, et ne faisant point partie de la maison, sont meubles.

[77] Cucurbitacées : famille de plantes dicotylédones gamopétales, à tiges rampantes ou volubiles, dont le fruit est une péponide. Citrouille, coloquinte, concombre, courge, melon, pastèque.

[78] Concombrière : embarcation imaginaire destinée à transporter des concombres.

[79] Les Amazones sont un peuple de femmes guerrières dans la mythologie grecque.

[80] Lorsque le corps détecte que les doigts sont restés mouillés pendant un certain temps, le système nerveux rend les vaisseaux sanguins plus fins sur le bout des doigts de pieds et des mains. Le volume des doigts se réduit mais comme la peau garde la même taille, elle se plisse, offrant une meilleure adhérence sur des surfaces humides.

[81] Hématophage : qui se nourrit de sang.

[82] Mansuétude : disposition à pardonner généreusement.

[83] Salicorne (la) : plante halophile qui croît sur le bord de la mer, dans les marais salants, et dont on retire de la soude.

[84] Commerce (Figuré) : liaisons, rapports ou communications que les personnes ont les unes avec les autres, pour quelque objet que ce soit.

[85] Mercantile : qui concerne le commerce.

[86] La valériane a une odeur désagréable.

[87] Avunculaire (prononcer avonculaire) : relative à l’oncle.

[88] Palefrenier : employé d’une structure équestre chargé de l’entretien des écuries et des soins quotidiens aux chevaux.

[89]  Godelureau : jeune élégant prétentieux.

[90] Envoyer un tonneau : moyen de communication imaginaire (aujourd’hui on dirait envoyer un pneumatique) consistant à transmettre un message dans du jus de concombre aromatisé. NB : le tonneau est aussi une ancienne unité de poids, de deux mille livres (1 livre = 500 g), servant à évaluer la capacité d’un navire. Il se dit aujourd’hui d’une mesure égale à mille kg. On dit aussi « tonne ».

[91] Flibustier (figuré) : aventurier qui vit de rapines.

[92] Triboulet : personnage grotesque. Antonomase de Triboulet, bouffon des rois de France Louis XII et François Ier.

[93] Edonisme : référence à la période Edo (1600-1868) des Maîtres japonais de haïku. Jeu de mots avec Hédonisme (du grec hêdonê « plaisir ») : doctrine qui prend pour principe de la morale la recherche du plaisir, de la satisfaction et l’évitement de la souffrance.

[94] Vair : Fourrure de petit-gris (fourrure gris ardoisé, très douce, de l’écureuil de Sibérie).

[95] Agape (du grec agapê « amour ») : repas en commun des premiers chrétiens. Repas entre convives unis par un sentiment de fraternité. Festin.

[96] Moufle : machine, formée d’un assemblage de plusieurs poulies, qui sert à élever et à descendre des poids considérables.

[97] Cranequin : cric qui tendait les cordes des arbalètes.

[98] Dondaine : trait d’arbalète au fût renflé, lourd et perforant.

[99] Vireton : trait d’arbalète empenné en hélice, ce qui le faisait tourner sur lui-même.

[100] Matras : carreau d’arbalète dont la pointe est constituée d’une masse lourde en métal, destiné à assommer les bêtes.

[101] Jalet (variante de galet) : petit caillou rond qu’on lançait avec une arbalète.

[102] Poulaine : pointe de chaussure effilée, dont la mode passe pour venir de Pologne.

[103] Sororité : pendant féminin du sentiment de fraternité.

[104] Concombroïde (néologisme) : en forme de concombre ; allusion à l’amanite phalloïde (en forme de phallus), mortellement vénéneuse.

[105] Datura : genre de solanacée dont une espèce, la datura stramoine, ou pomme épineuse, est narcotique et vénéneuse.

[106] Fin : complètement.

[107] Egérie : figure emblématique.

[108] Galurin : chapeau ridicule.

[109] Torpide : qui est dans un état de torpeur.

[110] Geôle : cachot, prison.

[111] Chenil : abri pour les chiens de chasse.

[112] Méat : orifice d’un canal. Méat urinaire : orifice externe de l’urètre.


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