Une visite au musée ne doit pas avoir pour but d’aller voir une exposition. Recherchez plutôt les expositions permanentes, l’accès y est gratuit, au moins les premiers dimanches du mois. Une fois débarrassé de toute velléité de performance culturelle (vais-je avoir le temps de tout voir ? Ai-je les connaissances nécessaires pour apprécier ?), votre esprit et vos sens sont disponibles pour profiter du pain croustillant de la réalité, qui entoure le salami aux cornichons de l’art pour l’art. Le monde vous tend ses bras chargés de mille appâts. Dégustez et imprimez sur l’emballage de votre sandwich, vos merveilleux souvenirs.
Je décide de flâner jusqu’à la Seine et au-delà, pour gagner la Montagne Sainte-Geneviève (patronne de la ville de Paris, du diocèse de Nanterre et des gendarmes) où se tient le musée de la Police, tout près du métro Maubert-Mutualité. Gloire au peintre, sculpteur, chanteur, compositeur, essayiste, romancier, cinéaste, journaliste et aventurier Maubert !
Ou ce bébé… mais qu’est-ce que c’est que ce chien à sabots ?
Optez sinon pour une classique tête de vache :
De la Vache qui rit
Au bout de la voie lactée
La constellation
Ou un limule ? C’est bien un limule !
Arrivé devant le commissariat, je demande l’entrée du Musée de la Police. Ah, vous voulez voir le musée ? Oui bah c’est ici, au troisième étage, me répond une flic en tenue de combat. J’ai l’impression de ne pas être le bienvenu, voire d’être sur le point de commettre une infraction. C’est tout juste si on ne me fait pas signer une décharge.
La cour du commissariat est protégée de la route par une grille en fer forgé sur laquelle une africaine a étendu des draps et des couvertures. Un flic essaie de la faire dégager mais la femme ne parle pas français et veille à ce qu’on ne pose pas la main sur sa lessive. Depuis sa guérite la flic appelle du renfort : trouvez une femme disponible avec des gants, là, j’ai pas de gants, devant, y a une femme qui ne veut pas partir. En voyant le flic tempêter, elle désapprouve : c’est pas comme ça qu’il faut s’y prendre putain, elle est teubée ! Le flic en action n’a visiblement jamais fait de lessive de sa vie. Je sens dans le « elle est teubée » de la femme en uniforme, une certaine compassion qu’elle masque derrière des mots rudes. Je me dis que c’est bien que des femmes s’engagent dans la police. Je me dis aussi que l’africaine a vraiment bien choisi sa gueule du loup. Enfin, la flic me toise : bon, déposez votre sac ici. Qu’est-ce que vous avez dans la poche ? Mon portable. Elle me rend mon sac. Elle a mon Opinel à la main. Ca, je le mets là. Vous le reprendrez en sortant. Bigre, je suis confus. Je me sens obligé d’expliquer que c’est pour ouvrir les noix que j’ai emportées pour mon quatre heures. Je me dis qu’en définitive, je ne suis pas plus malin que la femme qui étend ses couvre-lits sur la grille du commissariat.
Le musée est au troisième étage, on ne m’a pas menti. On me laisse avancer comme si je faisais partie du personnel. Je jette un œil sur le panneau d’affichage du syndicat, j’ai l’impression d’avoir fait carrière dans la police. Au troisième, la dame de l’accueil fait quelque chose derrière son comptoir. Allez-y c’est gratuit. J’vous donne un plan. Ça commence par une partie historique.
Je suis le seul visiteur.
Sauras-tu placer les 7 mercenaires dans l’ordre chronologique ? Pas si simple.
Je veux bien qu’on me coupe la tête si ce n’est pas de l’esclavage. Vivement que la Révolutions du manche et de l’étiquette balaye tout ça !
C’est l’ordre initiale décrété par la République, mais le blanc n’était pas facile à distinguer quand le drapeau flottait.
Si vous n’avez pas perdu la tête, merci de PARLER ICI (à quoi ça sert ces boîtes en fer, maman ?)
Sinon, nous avons les moyens de vous faire parler. Sade, à côté, c’était Martine fait la route des vins !
C’est marrant, il ressemble à quelqu’un que je connais.
Pendant tout le procès, auquel assistent Mistinguett, Colette, l’ambassadeur de Chine ou encore Rudyard Kipling, l’avocat de Landru, Maitre Moro-Giafferi, va invoquer l’absence de preuve indubitable ; aucun cadavre ne vient corroborer les accusations, dit-il, donc ces femmes pourraient aussi bien se trouver de l’autre côté de la porte du prétoire, prêtes à témoigner.
Lorsque les jurés et le public se tournent d’un seul mouvement en direction de cette porte, Moro-Giafferi triomphe : cette réaction spontanée n’est-elle pas la preuve du doute qui persiste quant aux motifs de disparition de ces femmes ? L’avocat général reprend la parole : oui, ils ont tous et toutes tourné spontanément la tête, prêts à les voir surgir, ces femmes, tous… sauf Landru !
Je conseille ce petit musée dans son jus, auquel j’attribue la note de 14/20 pour son sympathique foutoir historique et l’accueil atypique.
En sortant du musée, la mère Denis a disparue. Je récupère mon opinel. Le comité d’accueil a été renouvelé. Toujours des femmes. Une mère de famille volubile avec l’accent des vacances : Ah, l’opinel. Bah oui, vous n’avez pas le droit de vous promener avec un couteau, quel qu’il soit. Je l’imagine sur la plage à Argeles, en train de régenter sa petite famille. C’est vrai, on n’a pas le droit, renchérit d’une voix douce mais ferme mon deuxième garde du corps, une black mimi fraichement sortie de l’école, qui garde ses distances, le doigt sur la gâchette, contrairement à sa collègue sur laquelle elle ne prend pas exemple – ne vous laissez pas entamer par l’affectif, restez sur vos gardes. On lui a suffisamment répété que les bad boys essaient toujours d’avoir les filles par les sentiments. Bien sûr, on fait preuve de discernement, reprend l’argelèchoise (je préfère au gentilé officiel argelésienne), mais si on vous interpelle dans une manif et qu’on trouve votre couteau, on pourra vous inculper de port d’arme blanche. En plus, moi, je vais vous dire, j’adore les Opinels, j’en ai trimbalé un tout l’été. Gardez-le au fond du sac et vous n’aurez pas de problème.
Je prends congé. Même un au revoir semble déplacé. Au fond du sac, me lance la jeune recrue de façon inattendu, alors que je suis déjà à plusieurs mètres. Je me retourne et la regarde un court instant au fond des yeux pour lui faire comprendre que je sais qu’elle est avec moi, et que c’est l’esprit léger que je pars en mission à la recherche de son cœur tombé quelque part au fond de mon sac.
Au revers des feuilles
Des guêpes l’or se balance
Son cœur est à prendre
Station Maubert-Mutualité, une famille iranienne est installée dans le couloir, à la dérive sur des couvertures, un couple et deux enfants ravis de jouer au bateau avec leur parents. Le bonheur déforme le visage de l’homme. C’est gênant. Quel est son secret ? A-t-il conscience de la situation dans laquelle il se trouve ? Est-il simplement heureux d’être parvenu en France avec toute sa famille ? À quel pire ont-ils échappé ? Traumatisé par l’épisode de la lavandière africaine, je tends deux euros à la femme, je n’ose pas les déposer dans le verre à coca en carton, j’ai peur que le bruit qu’ils feront en tombant ne me brise le cœur. La femme les saisit avec un empressement contenu. Le sourire a provisoirement quitté son visage grave.