Aphorisme : courte phrase résumant une théorie ou exprimant un précepte, souvent par un assemblage d’idées paradoxal, surprenant, voire amusant.
Etymologiquement, l’aphorisme est une sorte de définition.
La surprise et l’amusement ont souvent pour origine des jeux polysémiques sur fond d’ironie désenchantée. Quant au paradoxe, il joue avec la vérité pour mieux révéler qu’elle n’existe pas.
Etymologie : du grec aphorismós « séparation, définition », de aphorizô « séparer, délimiter » (composé de apó « au loin », et de horos « limite, borne »). Se donner des limites pour aller plus loin ? Le paradoxe serait-il au cœur de l’aphorisme ?
Bibliographie : 4000 citations pour briller en société (1998) Edouard Nicaise (le titre est de mauvais goût mais le contenu est exceptionnel).
L’amour, l’être, la vérité, le temps, la mort, la religion sont les thèmes qui semblent me préoccuper. Mais j’ai choisi un autre classement.
La métaphore
La pluralité des interprétations de la métaphore donne de la profondeur à l’aphorisme, en plus d’un certain halo littéraire. Attention toutefois de ne pas abuser : l’aphorisme est censé vouloir dire quelque chose !
Les larmes de la girafe n’arrivent jamais jusqu’au sol
Machozi ya twiga kamwe kufikia ardhini (en swahili)
[prononcer : matchozi ya touiga kamoué Koufiki ardini]
C’est le proverbe que les vendeurs de rêve tanzaniens inscrivent sur les chiloms que les bobos du monde entiers ramènent en souvenir de tout ce qu’ils n’ont pas vu.
Idéalement ouverte sur l’Asie, la Tanzanie est un grand producteur de cannabis. Il faut rappeler que la télévision a longtemps été interdite en Tanzanie (première chaîne privée en 1994). Mais ça n’explique pas tout.
En fait, je me suis amusé à traduire l’aphorisme en swahili (sans garantie) qui me semblait la langue la plus crédible : Machozi (larmes) ya (la) twiga (girafe) kamwe (jamais) kufikia (atteindre) ardhini (sol)/nchi (terre).
Autrement dit, tu as la tête plus près du ciel que de la terre et le monde n’a que faire de tes chagrins, console-toi comme tu peux.
Pas d’artifice dans la construction de cet aphorisme, la phrase délivre sa sagesse avec l’assurance tranquille des grands pachydermes, sa simplicité lui donne toute sa force.
L’amour est un éléphant de bohème dans un magasin de porcelaine
Selon Alexandre-César-Léopold Bizet (Georges pour les intimes), l’amour est enfant de bohème (autrement dit, il n’a jamais connu de loi).
Par ailleurs, tout le monde connaît l’expression un éléphant dans un magasin de porcelaine (autrement dit un boulet qui intervient dans une affaire très délicate).
Vous imaginez l’amour, qui n’a jamais (jamais) connu de loi, posant discrètement ses gros pieds sur le tapis et faisant tomber sa perruque dans la soupe brûlante ? Il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup d’imagination, on sait comment ça se termine… Mais heureusement, ce n’est pas l’amour qui fait les lois !
Un éléphant de bohème est, au choix, un éléphant un peu perché qui se déguise en ara (cf. illustration), un éléphant de cristal qui fait tâche au milieu des porcelaines, l’unité de mesure de la démesure appliquée à la bohème (un éléphant de cacahuètes est une grande quantité de cacahuètes).
Même s’il peut faire du dégât, l’amour reste fragile.
Enfin, l’amour entretient avec la porcelaine une promiscuité dont nous reparlerons peut-être un jour.
La sortie de cadre
La réalité est la moyenne des mondes possibles.
Cet aphorisme tient pour acquis que d’autres mondes sont possibles. Ils le sont au moins dans notre imagination. Et c’est là que le bât blesse (et que le bas file) : la réalité serait-elle une moyenne de ce qu’on imagine ? Peut-être mais ce qu’on imagine est ancré dans la réalité. La réponse est donc : La réalité est une moyenne de mondes imaginaires. Mais attention, la réalité n’est imaginaire que pour celui qui l’imagine. On est bien d’accord ?
Le meilleur ami du vendeur de parapluie est le vent, pas la pluie.
On est à la limite du paradoxe. Mais l’évidence crève les nuages. Tous les parisiens équipés d’un parapluie made in China à dix euros vous le diront. Inutile de passer à travers le miroir pour le démontrer.
Certaines personnes ont un sixième sens, ça leur évite de réfléchir.
Ce fameux 6e sens est souvent revendiqué par les gens auxquels l’entendement fait défaut (je suis conscient d’être un peu dur mais parfois il faut mettre les gens en face des trous qu’ils font dans la couche d’ozone).
Par-delà l’ironie, cet aphorisme soulève un grand nombre de questions :
- Est-il nécessaire de réfléchir après la mort ?
- Une femme doit-elle être dotée d’un sixième sens pour atteindre le septième ciel ?
- Un homme pourvu d’un sixième sens peut-il atteindre le septième ciel ?
- Y a-t-il un septième sens ?
Pour adoucir mon point de vue concernant le sixième sens, je m’en vais vous raconter (et non vous conter) une histoire qui m’est arrivée dans le département de la Haute-Vienne (j’imagine que cette information n’a pas d’importance). Je logeais à cette époque chez mon père, dans une petite chambre au premier étage. Je construisais une maison sur un terrain voisin. Une nuit je refis ce rêve qui n’était plus un cauchemar tellement il était devenu récurrent. Une force mystérieuse et fascinante se manifestait et provoquait à l’arrière de ma tête un afflux d’énergie à la fois grisant et inquiétant. Comme à chaque fois, j’essayais de prolonger cet état où je luttais contre cette force grandissante à la rencontre de laquelle j’allais, mais qui chaque fois finissait par me repousser, provoquant le réveil. Cette fois-ci, pour la première fois, la force s’adressa à moi et me dit « ne t’inquiète pas, tu n’es pas concerné », puis elle me balaya la conscience avec une force prodigieuse, avant de disparaître comme si elle poursuivait son chemin. Je m’éveillai, un peu abasourdi par l’expérience. La perplexité m’incita à regarder l’heure : mon réveil affichait six heures cinq. Je me rendormis (j’aime dormir et rêver dans le désert pendant très longtemps). Dans le cours de la journée qui suivit, ma mère me téléphona chez mon père (mes parents étaient séparés et le téléphone portable n’existait pas encore) : ta cousine est morte, elle s’est suicidée la nuit dernière. Je demandai pourquoi et comment. Peut-être une histoire de cœur. Elle s’est ouvert les veines dans le sens de la longueur, le matelas était imbibé de sang. J’imagine que les infirmières se loupent rarement. Elle ne se serait pas suicidée vers six heures du matin par hasard, osai-je demander ? Elle est bizarre ta question. Je n’en sais rien. Ils vont faire une autopsie, je te rappellerai demain si j’ai du nouveau. Ça faisait plusieurs années que je n’avais pas vu cette cousine qui terminait des études d’infirmière et je n’étais jamais entré en contact avec elle depuis. J’avais été bouleversé à l’époque par cette réflexion qu’elle m’avait faite : tu as de la chance d’être beau (elle souffrait d’embonpoint). Les larmes me viennent en écrivant cela. Elle était particulièrement intelligente, comme tous les membres de sa famille, du reste. Le lendemain, la réponse que je reçus me fit froid dans le dos : elle s’est suicidée à six heures du matin. Mais comment l’as-tu deviné ? J’ai fait un rêve bizarre.
Le calembour
Derrière la valeur il y a souvent un sabre
Coupé : au 1 d’azur chargé de 50 étoiles d’argent posées alternativement 6, 5 ; au 2 d’argent à 7 fasces de gueule, chargé d’un S d’or et d’une épée basse d’azur gardée et pommelée d’or, à la pointe au reflet d’argent.
Tout ça pour dire que le dollar est une arme de destruction massive et que, pour de l’argent, l’avaleur est près à s’enfiler un sabre, voire des couleuvres.
Si le génitif est le complément du nom, le préservatif est le complément du non.
génitif : du latin genitivus « qui engendre ».
contraception : du préfixe latin contra- indiquant une opposition, et de l’indo-européen *kap- « saisir », comme dans recevoir et concevoir.
Benoît XVI était contre le préservatif en tant que moyen de contraception, mais il avait admis en 2010 : « il peut y avoir des cas individuels, comme quand un homme prostitué utilise un préservatif ». Tant que ce n’est pas à des fins contraceptives… Notez que Benoît n’est pas contre la prostitution, seulement contre la contraception. Ne soyez pas impressionné par son autorité en matière de prostitution masculine, un pape se doit d’être là où on ne l’attend pas. Des questions restent en suspens néanmoins : quel est l’avis des prêtres sur la question ? Quid de la prostitution féminine ?
Si je capte bien, notre pape n’était pas non plus contre les usages du préservatif tels que s’amuser à le gonfler à la vitre d’une voiture sur l’autoroute du soleil, débloquer le couvercle d’un pot de cornichons à la russe, faire briller une paire de pompes, confectionner des élastiques très résistants en le découpant en rondelle, rendre son smartphone étanche…
Et ce truc sur la tête, c’est quoi ? Une mitre constellée, frappée d’une madone entourée d’ovins affectueux (ne confondez-pas les ovins et les O.V.N.I.)
Au 12e siècle av. J.C., le roi Minos de Cnossos utilisait des préservatifs en vessie de chèvre : on a les ovins qu’on mérite.
Plus étonnant, cet obélisque dressé vers le ciel, décoré de motifs foliaires tourmentés dont les profondes indentations symbolisent probablement quelque épreuve à surmonter.
Le raisonnement de l’église est immaculé : si l’abstinence elle-même n’empêche pas de tomber en sainte, à quoi bon des préservatifs ?
Le mot de la fin est une emphase terminale
Cuture générale
J’ai résumé en une phrase, dans le phylactère de l’illustration, ces propos de Cicéron :
- « On naît poète, on devient orateur. »
- « Toute la vie des philosophes est une méditation de la mort. »
Notez qu’avec deux éléments, on est dans l’opposition (on ne peut pas devenir poète mais on peut devenir orateur), alors qu’avec trois éléments (phylactère de l’illustration) on est dans la progression (on passe par trois phases, poète, orateur puis philosophe) : aussi, changer la structure change aussi le sens !
Jean-Baptiste-Théodore-Marie Botrel est l’auteur-interprète de La Paimpolaise (thème inspiré de Pêcheur d’Islande de Pierre Loti), musique d’Eugène Feautrier (1895).
Il y chante « J’aime Paimpol et sa falaise », alors qu’à Paimpol il n’y a pas de falaise ! L’artiste véritable est fâché avec la vérité !
Le pliage
Techniquement nous sommes sur une antithèse de forme A-B / A’-B’. L’antithèse oppose deux idées tout en les mettant en relief.
Les introvertis se replient sur eux-mêmes,
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les extrovertis se replient sur les autres.
Mode d’emploi : plier au niveau des pointillés. Le verbe replier, qui sert de pivot, prend ici tout son sens !
Explications : ce montage donne une nouvelle dimension au verbe se replier sur, en mettant en évidence la parenté de ces personnalités : toutes deux sont en déséquilibre et recherchent une béquille, un centre.
Le paradoxisme « se replier sur les autres » débusque la vérité !
La géométrie peut être un bon remède contre le vertige (thérapeutique pascalienne).
Les trois médiatrices d’un triangle (ABC) se coupent en un point qui est le centre (O) du cercle circonscrit à ce triangle, c’est à dire qui contient ses trois sommets (A, B et C). On peut dire sans exagérer que ce cercle donne au triangle sa cohésion psychique.
Or il s’avère que le centre (O) de ce cercle peut se trouver à l’intérieur du triangle (cas des triangles introvertis) ou à l’extérieur (cas des triangles extrovertis). Nous l’illustrons ci-dessous.
Contrairement aux triangles introvertis, dont tous les angles sont aigües, les triangles extrovertis possèdent un angle obtus, c’est à dire supérieur à l’angle droit (ci-dessus, l’angle de sommet A du triangle extroverti). Ça ne veut pas dire que les triangles extrovertis sont abrutis, incapables ou bornés, non, ils sont ainsi, c’est tout. La géométrie ne juge pas, elle est descriptive.
Les mathématiciens, qui sont beaucoup moins drôles, qualifient d’acutangles les triangles introvertis, et d’obtusangles les triangles extrovertis.
Les vieux ont peur de mourir,
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les jeunes ont peur de ne pas vivre.
Mode d’emploi : plier au niveau des pointillés. Le verbe avoir peur, qui sert de pivot, révèle ici toute son effrayante universalité !
Explications : ce montage donne une nouvelle dimension au verbe avoir peur en mettrant en évidence la permanence de la peur tout au long de la vie : colique ou diarrhée, la chiasse n’attend pas le nombre des années !
Les hommes se marient parce qu’ils ne savent pas dire non,
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les femmes parce qu’elles ne savent pas dire oui.
Mode d’emploi : plier au niveau des pointillés. Le verbe ne pas savoir, qui sert de pivot, révèle ici toute son étonnante universalité !
Explications : ce montage donne une nouvelle dimension au verbe ne pas savoir en mettant en évidence la permanence du manque d’affirmation de tout un chacun : un homme ne sait rien refuser à une femme, pas même une demande en mariage ; une femme ne sait pas dire oui à un homme en dehors du mariage (on ne lui a pas appris) ; aussi s’empresse-t-elle de se marier au premier venu pour ne pas avoir à affirmer une sexualité !
Heureusement, cet aphorisme date un peu, les choses ont bien évolué depuis. Les gens aussi, bien sûr.
Les femmes sont ennuyantes,
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les hommes sont ennuyeux.
Mode d’emploi : plier au niveau des pointillés. Le verbe être, qui sert de pivot, révèle ici toute sa subtilité à l’aune du temps qui passe ! Faut-il être ennuyant, là, maintenant, telle la mouche du coche, ou est-il plus judicieux de distiller au fil des jours un ennui plus subtile ? J’hésite.
Explications : ce montage donne une nouvelle dimension au verbe être, en mettant en évidence la différence significative entre l’ennui transitoire (participe présent) et l’ennuie permanent (le suffixe -eux implique le substantif dans l’action qu’il érige en profession).
Ça ressemble à la différence entre le je ne sais rien et le je sais tout !
Les femmes ne seraient pas aussi légères si
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les hommes n’étaient pas aussi lourds.
Mode d’emploi : plier au niveau des pointillés. Le conditionnel, qui sert de pivot, révèle ici toute la vacuité de la problématique de la poule et de l’œuf !
Explications : ce montage offre de nouvelles perspective à la physique quantique. Le graviton pourrait bien être la prochaine particule mise en évidence après la découverte du boson de Higgs, une particule de rayonnement préhistorique qui a donné sa masse aux autres particules, dix-milliardième de secondes après le bigbang (on peut parler d’éjaculation précoce).
Les bosons sont indiscernables les uns des autres (cf. la problématique de la poule et de l’œuf) : dans cet aphorisme, la cause est indiscernable de l’effet, même si par galanterie, on laisse aux femmes le bénéfice du doute.
Le graviton (particule théorique matérialisant la force de gravité) permet de reconsidérer les notions de lourdeur et de légèreté à la lumière de la physique quantique.
Tout peut s’expliquer quand on s’appelle Satyendranath Bose, Albert Einstein ou Peter Higgs (Gégé pour les intimes), même les comportements humains. Ça énerve un peu les anthropologues.
La symétrie centrale
Le principe est simple, la première moitié de la phrase voit son reflet dans le miroir posé au milieu de la phrase. A partir de là, c’est comme si l’on reprenait la lecture en marche arrière, de droite à gauche, dans une sorte de va-et-vient.
Le pliage ne se fait pas selon un axe horizontal (comme dans l’antithèse) mais selon un axe vertical (le miroir).
Exemple : Il y a de l’amour dans l’amitié et de l’amitié dans l’amour. Cet aphorisme semble déjà exister sur un compte Facebook (faites une recherche avec des guillemets dans Google). Ici, la conjonction de coordination « et » tient la place du miroir.
Techniquement, il s’agit d’un chiasme (disposition A-B / B’-A’) et plus précisément d’une antimétabole (ou réversion) de par la spécificité A-B / B-A.
Ci-dessous un aphorisme sur le même thème et le même principe.
L’amitié entre un homme et une femme c’est
quand ils s’aiment sans faire l’amour ou
quand ils font l’amour sans s’aimer
Mode d’emploi : plier au niveau de la conjonction de coordination « ou ».
Explications : ce montage donne une saveur nouvelle à la conjonction « ou » en mettant en évidence l’ambigüité de cette alchimie périlleuse : sex-free love ou love-free sex ? Amour sucré ou amour salé ? L’amitié serait-elle le nom qu’on donne à l’amour quand il est à sens unique ? Le mariage change-t-il la donne ? Comment Cupidon peut-il encore voler avec une paire d’ailes à ce point atrophiées ? Et peut-il transpercer de la même flèche plus d’un cœur à la fois ?
Il n’y a pas de mariage heureux,
il n’y a que d’heureux mariages.
Mode d’emploi : plier au niveau de la virgule. Le sens d’un adjectif peut changer selon qu’il est placé avant ou après le nom.
Explications : ce montage montre la force tranquille de l’apposition (marquée le plus souvent par une virgule). Un mariage heureux est un mariage sans nuages. Un heureux mariage est un mariage bien arrangé, c’est à dire avantageux pour au moins l’un des deux partis.
D’une façon générale, l’aphorisme privilégie l’ironie. L’aphorisme est un moyen de sauver la face en cas de désenchantement. En aucun cas il ne doit être admis comme vérité universelle. A la rigueur vous pouvez le considérer comme un mensonge élégant.
Le malade imaginaire a-t-il
une imagination malade ?
Mode d’emploi : plier au niveau de la question « a-t-il ». À partir de là, c’est comme si l’on reprenait la lecture en marche arrière, c’est à dire de droite à gauche (RTL ou right to left, pour les anglophiles).
Explications : ce montage réhabilite le verbe avoir en mettant en évidence le cycle malheureux des prédictions auto-immunes. Si le malade imaginaire a une imagination malade, alors il est malade et ce n’est pas un malade imaginaire.
Mais le verbe être n’est pas en reste pour autant : je pense donc je suis flippé ; je suis flippé donc je pense ; je pense que je suis flippé ; je suis flippé de penser que je suis flippé ; je suis flippé donc je suis. Merci René*.
* René Descartes
La juste cause n’est pas toujours
une cause juste
Mode d’emploi : plier au niveau de « n’est pas toujours » (vous pouvez remplacer par « est rarement » si vous êtes un grand pessimiste). Ici encore, le sens de l’adjectif change selon qu’il est placé avant ou après le nom.
La juste cause est d’ordre politique.
La cause juste est d’ordre éthique .
Les lois et la justice auraient-elles pour fonction d’empêcher les esprits faibles comme vous et moi d’imiter les esprits forts ?
Quoi qu’il en soit, cet aphorisme réaffirme l’hégémonie du verbe être. On parle de le remplacer par des verbes plus contextuels, mais je voudrais bien vous y voir.
Le paradoxe
Le paradoxe exhibe une contradiction qui se révèle ne pas en être une, après réflexion. Le paradoxe n’est pas gratuit. Tout, à peu près, peut être exprimé sous forme de paradoxe. Le monde est en soi contradictoire et protéiforme. Surtout pour nos esprits étonnants et limités. Le monde nous semble à la fois concret et absurde, merveilleux et effrayant, généreusement offert et définitivement perdu. Et à chaque fois, le fossé entre les extrêmes est un abîme cruel, sinon un abîme de cruauté.
Le langage traduit à la lettre cette perception de l’ambivalence du monde et fournit naturellement les outils permettant de l’exprimer sans effort.
Exemple célèbre : Un économiste est un commerçant qui n’a pas le sens des affaires.
Il suffit de trouver à « économiste » un collègue fréquentant le même champ lexical (commerçant) et le tour est joué.
L’aphorisme ci-dessus exprime la distance qu’il y a parfois entre la théorie et la pratique. J’ai suivi il y a longtemps une formation pour adulte : Technicien de maintenance en micro système informatique. On se faisait la main sur des cartes mère de Goupil, un micro-ordinateur fabriqué en France. Le plus analphabète d’entre nous était le plus performant quand, muni d’un oscilloscope, il fallait trouver l’origine d’une panne ; alors que celui qui maitrisait le mieux la théorie des circuits était incapable de détecter la moindre défaillance.
L’absence de bonheur
n’empêche pas d’être heureux
Mode d’emploi : prendre deux mots appartenant au même champ lexico-sémantique (bonheur et heureux viennent du latin augurium « présage ») et créer de toute pièce une opposition pour fragiliser le concept.
En réalité, le bonheur est une question de chance. Si vous êtes heureux, vous êtes un enfant de la chance. Le problème est de savoir apprécier sa chance me répète encore mon père depuis sa tombe.
Le paradoxe de cet aphorisme essaie de dire avec Baloo qu’il en faut peu pour être heureux, contrairement à ce que voudrait nous faire croire la dictature du bonheur.
Il reste toujours du dentifrice
dans un tube de dentifrice vide
Mode d’emploi : prendre un concept (le vide) et prouver qu’il n’existe pas en utilisant un contrexemple tiré de l’impitoyable quotidien.
Le vide, c’est dans la tête, tous les escargots vous le diront.
Expérience : découpez sans vous blesser, avec une paire de ciseaux à bricoler, un tube de dentifrice dont vous aurez préalablement exprimé l’entièreté de son contenu. Vous serez surpris.
Une question reste ouverte, je vous la pose, les tubes de dentifrice sont-ils hermaphrodites ? Si ce n’est pas le cas, comment détermine-t-on le sexe d’un tube de dentifrice ? Il se pourrait qu’à sa mort, le tube de dentifrice mâle ait perdu plus de poids que le tube de dentifrice femelle. Je vous laisse vérifier.
La folie c’est voir de la raison
où il n’y en a pas
Mode d’emploi : définir un concept (la folie) au moyen de son contraire (la raison).
Janus est le dieu romain des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes (une sorte de transistor). Il est bifrons, une face tournée vers le passé, l’autre vers l’avenir. Son mois, Januarius (janvier), marque le commencement de la fin de l’année qui, dans le calendrier romain, durait jusqu’en mars. Ils hibernaient en attendant que la nature se réveille (janvier et février ont été ajoutés plus tard).
A propos de calendrier voici une récréation : L’hiver de l’été est le printemps de l’automne.
Explication : la fin de l’été, sa vieillesse (L’hiver de l’été) est le début de l’automne, sa jeunesse (le printemps de l’automne).
Revenons à notre sujet qui soulève de nombreuses questions.
Un être à tête double est-il schizophrène ? Ou bien, sa connaissance du passé associée à sa faculté d’analyser le présent font-elles de lui un être infaillible ?
Peut-on prévoir l’avenir en analysant le passé ou bien la prégnance de celui-ci nous pousse-t-elle à le reproduire (souvent pour notre malheur) ? Autrement dit, à voir de la raison où il n’y en a pas ?
Je tiens une chose pour certaine, la certitude est le premier pas vers la folie !
La quintessence, c’est ce qui reste quand il n’y a plus rien.
Mode d’emploi : prendre un concept approximatif (la quintessence, le presque rien) et prouver qu’il n’existe pas, en utilisant un concept voisin (le rien).
La quintessence, c’est l’éther que respirent les dieux grecs, par-delà l’air qui emplit les poumons des mortels. Éther est avant tout un dieu. On ne s’accorde pas toujours sur qui l’engendra (a priori les ténèbres et la nuit, enfants du Chaos) mais il est le créateur de la mer, de la terre et du ciel (ça on en est sûr). Pour réaliser ces prodiges, on imagine un dieu musclé avec une tête bien faite.
Les physiciens modernes donnent de la quintessence, une version concordante.
Les astrophysiciens appellent quintessence, une énergie noire hypothétique qui remplirait uniformément l’univers et dont l’existence permettrait d’expliquer l’accélération de l’expansion de l’univers (une sorte de polystyrène). Il est plus aisé de raisonner sur quelque chose plutôt que sur rien : le physicien a horreur du vide.
A tout prendre, on préfère que l’univers soit en expansion plutôt qu’il se contracte. Mais l’accélération de cette expansion n’est pas forcément une bonne nouvelle (mise en évidence en 1998). Ce qu’on ne dit pas c’est à partir de quand les premiers effets du grand refroidissement vont se faire sentir ! Je vous parle d’un temps où la Terre aura été avalée par le soleil.
Curieusement, on arrive à créer le consensus autour de l’accélération de l’expansion de l’univers (prix Nobel de physique 2011) mais il y a toujours des climatosceptiques, bien qu’il s’agisse là d’une physique-chimie de proximité, de niveau Lycée ! Le fait semble toutefois globalement acquis mais on ne parle pas encore des premiers effets ni de leurs conséquences sur les habitants du XVe arrondissement de Paris (les choses ont évolué depuis que j’ai rédigé cet article).
On ne communique pas non plus sur l’accélération du réchauffement climatique. Pas d’énergie noire pour nous pousser au cul mais l’on sait que l’évolution des systèmes thermodynamiques est fréquemment décrite par des fonctions où traine le nombre e (2,71828) élevé à une puissance (fonction exponentielle). Les effets sont multipliés à chaque stade atteint. Le stade suivant étant difficilement imaginable et encore moins prévisible à court terme dans la mesure où les effets se conjuguent et s’autoalimentent. Combien de temps l’humanité pourra-t-elle tenir sa position préférée, la tête dans le sable et l’anus au vent ?
Du coup, on continue de faire la guerre. Les contextes apocalyptiques rendent les hommes nerveux, voire dangereux, que ce soit le réchauffement climatique, la maladie, ou la vieillesse (ce naufrage titanesque) !
Mais bon, il restera toujours la quintessence. L’expansion de l’univers pourra tranquillement continuer d’accélérer.
Le hasard a toujours raison
Mode d’emploi : prendre un concept (le hasard) et lui donner les prérogatives de son contraire le plus redoutable (la raison).
Explication : on ne peut pas remettre en question ce qui est arrivé, même si c’est arrivé par hasard (en cela le hasard « a raison ») et la raison s’en sort par une pirouette en expliquant pourquoi et comment les choses sont arrivées (en cela le hasard a « raison »).
D’autre part, en physique de la matière, tout est construit sur le hasard, tout n’est que statistique, équation de Schrödinger, chat sans sourire et sourire sans chat, fonction d’onde, amplitude de probabilité… Le hasard est le matériau le plus fiable pour décrire le réel.
Il faut laisser sa chance au hasard
Mode d’emploi : prendre un concept (le hasard) et le définir par ce qu’il est (la chance) pour le remettre en question en semant le doute.
Explication : Il ne faut pas toujours faire ses choix en suivant sa raison car la raison est souvent trompeuse. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas seule en vérité. La raison est un sous-produit de la culture et de l’inconscient, un masque bienpensant sur le visage des hommes. La raison est une tricheuse professionnelle !
Provocation : un mariage arrangé a-t-il moins de chance d’être un mariage heureux, qu’un mariage d’amour ? Il se peut que nous soyons attirés inconsciemment par les êtres qui, à un stade de notre vie, flattent (souvent pour de mauvaises raisons) des travers contre lesquels nous allons devoir lutter pour prétendre à l’épanouissement que nous méritons tous. Luter contre ces travers (au sens de colmater les brèches) pourrait conduire, à brève échéance, à se débarrasser de ce conjoint auprès duquel ils sont hypothéqués.
Alors qu’un mariage arrangé unit, pour le meilleur et pour le pire, des êtres qui ont peu de chance d’encourager les travers de l’autre. Le mariage arrangé pourrait alors s’avérer le plus constructif.
Il y aurait donc davantage de hasard dans un mariage arrangé que dans un mariage d’amour ! Tous les amoureux vous diront d’ailleurs que s’ils se sont rencontrés, ce n’est pas un hasard.
Bibliographie : Jamais un coup de dés n’abolira le hasard, poème d’Étienne Mallarmé, dit Stéphane Mallarmé. Pour vos soirées en ville avec Hubert Bonisseur de La Bath, il vous suffit d’en connaître le titre et le dernier vers : « Toute Pensée émet un Coup de Dés » (donc aucune pensée ne saurait abolir le hasard). À la tienne Stéphane !
Si l’on vous sort « Jamais un coup de dés n’abolira le hasard », vous pouvez répondre du tac au tac « Toute Pensée émet un Coup de Dés » : vous resterez un cuistre mais vous vous sentirez bien dans vos méninges. Rappelez-vous Le Caire nid d’espions :
– Si le chat a la queue verticale, c’est qu’il est en confiance.
– Mais le cul-de-jatte a une jambe qui le démange encore.
Le meilleur moyen de cacher la vérité est de la dire
Mode d’emploi : prendre un concept (la dissimulation) et le définir par son contraire (la déclaration).
Bibliographie : La Lettre volée (The Purloined Letter), nouvelle d’Edgar Allan Poe, parue en décembre 1844.
Et les références qui lui sont faites, parmi mes préférées :
- Dans le film Charade, d’après l’histoire The Unsuspecting Wife de Peter Stone (scénariste) et Marc Behm, Audrey Hepburn est à la recherche d’un butin qu’elle a sous les yeux.
- Dans 120, rue de la Gare, roman policier de Léo Malet, mis en BD par Tardi, Nestor Burma s’arrache les neurones sur un testament sibyllin.
Explication : si l’on dit ce qu’on veut cacher, on laisse entendre que l’information est pour nous sans importance ; celle-ci n’attire donc l’attention de personne. Ce que vous dites n’intéresse pas les gens, on ne peut pas leur reprocher. Bien entendu, on ne dit qu’une partie de ce qu’on veut cacher, en l’occurrence ce qu’il suffit de dire pour que personne n’aille creuser à cet endroit.
Même l’éternité a une fin
Mode d’emploi : prendre un concept (l’éternité) et le définir par son contraire (la finitude).
Bibliographie : La Fin de l’Éternité (The End of Eternity) est un roman de science-fiction d’Isaac Asimov, publié en 1955.
Même si ça n’a rien à voir avec le sujet : l’anglais, grâce à l’absence de déterminant devant Eternity, autorise une ambiguïté que le français ne permet pas. La traduction française du titre fait le choix d’induire le lecteur en erreur (Eternity est en fait le nom d’une société).
Explication : toutes nos certitudes sont des vues de l’esprit. Même le temps, qui est une dimension propre à notre univers en expansion accélérée, pourrait ne pas exister dans d’autres univers. L’on dit que le temps est né avec le Big Bang : si le temps a un commencement alors il n’est pas absurde d’imaginer qu’il ait une fin.
L’expansion accélérée de notre univers pourrait venir à s’épuiser faute d’énergie, et tendre vers une limite asymptotique, la fin de l’éternité, dont elle ne finirait pas de se rapprocher sans jamais l’atteindre, dans un éternel présent.
On a trop tendance à oublier le futur
Mode d’emploi : prendre un concept (le futur) et le définir comme un élément de son contraire (l’oubli du passé).
Est-ce parce que le futur nous fait peur ?
Est-ce parce que c’est trop compliqué ?
Est-ce parce que les études du petit dernier sont plus importantes ?
Est-ce parce que madame Irma est devenue hors de prix ?
Est-ce parce qu’on est des grosses feignasses ?
Est-ce parce qu’on n’aime pas les gosses mais qu’on ne peut pas s’empêcher d’en faire ?
Est-ce parce qu’il y a une série à la télé ce soir ?
Est-ce parce que tout finira par s’arranger ?
Est-ce parce qu’il est trop tard ?
Une chose est sûr, vu le temps qu’il a fallu pour mettre l’homme au point (3 milliards d’années), on n’aura pas de seconde chance car d’ici 800 millions d’années seulement, la vie multicellulaire ne sera plus possible sur cette planète. Tout va donc dépendre de notre ingéniosité sans borne.
Profite bien de la première moitié de ta vie,
la seconde sera plus courte !
Mode d’emploi : prendre un concept (la vie) et le définir différemment selon le contexte (l’avancée dans la vie).
Explication : il semble que notre perception du temps évolue avec le temps. C’est physiologique, le cerveau fonctionne différemment car il se transforme.
J’ai la nostalgie de ces grandes vacances qui duraient deux mois et demi. Les journées n’en finissaient pas de commencer. Il y avait la matinée glandouilleuse où l’on tournait en rond à l’affut de la moindre connerie (il ne fallait pas trop s’éloigner pour être à l’heure au déjeuner), puis l’après-midi interminable pendant laquelle on s’ennuyait de différentes façons. J’explorais pendant des heures la forêt environnante en compagnie de ma chienne, je sillonnais le canton à bicyclette (sans argent de poche), je me farcissais la neuvième de Beethoven allongé sur le canapé, je me préparais des omelettes à la gelée de groseille… Le soir, je restais une demi-heure dans mon bain. J’en ressortais plissé comme un Shar Pei. Puis je regardais mon visage couvert d’acné dans le miroir de la salle de bain, c’étais mon film d’horreur à moi (nous n’avions pas la télévision).
J’ai prolongé ces grandes vacances tant que j’ai pu (zaï zaï zaï) mais un jour, tout est allé plus vite.
Le paradis est une assez bonne représentation de l’enfer
Mode d’emploi : prendre un concept (le paradis) et le définir par son contraire (l’enfer).
Le paradis est-il un enfer ? L’enfer est-il un paradis ? Les Belges n’ont rien à voir dans cette affaire, on ne va pas couper le cou des flamants roses en quatre, c’est à vous de décider.
Explication : je n’ai pas toutes les infos mais j’ai l’impression que les différents paradis qui sont proposés sur le marché ressemblent le plus souvent à des gated communities de type club Med ou Center Park. Le statut de la femme n’est pas toujours très clair (on sait seulement qu’on ne porte pas de chaussettes au paradis, donc pas de lessives). Les rapports sexuels ne sont pas toujours autorisés. On peut parfois avoir recours aux services d’un personnel spécialisés dont la nature m’échappe (l’EHPAD ce monde). Quoi qu’il en soit, les rapports ne donnent lieu à aucune procréation. L’usage du préservatif n’est donc pas impératif. D’autant que les maladies sont a priori absentes. Si elles existent, elles ne sont pas de nature à remettent en question la jeunesse éternelle qui est promise. On peut rencontrer des êtres surnaturels mais on ne sait pas au juste quel est leur rôle ni quels types de rapports on peut établir avec eux. Il faudra voir sur place. Les animaux familiers ne sont pas autorisés, même morts. Attention également, le port du string est passible d’une amende forfaitaire de 38 € (pas de TVA, le paradis n’est pas fiscal). La plupart des paradis sont végans avec buffet à volonté : lait de soja, Saint-Émilion (la consommation d’alcool n’est pas toujours autorisée, renseignez-vous), miel d’acacia, fruits à jus… Enfin, l’extase n’est pas obligatoire, le règlement est assez laxiste sur ce point. Bref, on a le paradis qu’on mérite.
Si vous êtes claustrophobe et n’êtes pas un adepte des institutions de bains à remous et autres clubs de relaxation, profitez de la vie car l’Enfer est un club très fermé.