La mort de François Ier
Introduction
Pierre CHASTELEUX, ça vous dit quelque chose ?
Il y a plus de trente ans, j’ai signé de ce nom le roman à succès La Mort d’un Roi. Le film tiré de ce roman éponyme n’avait pas fait l’unanimité de la critique et n’avait été gratifié d’aucun prix, mais avait néanmoins rencontré son public. À défaut d’un succès littéraire, mon entrée dans la vie professionnelle fut un succès financier.
J’avais choisi ce nom en mémoire, d’une part, de Pierre du Chastel, évêque de Mâcon, aumônier de François Ier, maître de la Librairie et lecteur ordinaire du Roi, directeur du Collège royal, qui avait assisté sa majesté durant son agonie ; et d’autre part, d’Anne de Pisseleu, la favorite de François Ier, dont le destin m’avait ému. J’avais ajouté un X car, bien que tous les CHASTELEU descendent d’un seul et même ancêtre, ce patronyme rare est encore porté de nos jours.
Je devais mon roman au récit rédigé sous forme de journal par Pierre du Chastel, probablement sous la dictée du roi, lors du voyage qu’effectua François Ier un mois avant sa mort. Le maître de la Librairie était la seule personne qui avait la proximité, la disponibilité et l’érudition nécessaires, pour se voir confier cette tâche inédite.
J’avais trouvé le document sous des liasses de procès-verbaux sans importance, lors de recherches que j’avais entreprises pour les besoins de ma thèse, Pour une épistémologie des méthodes d’archivage, du Moyen âge au XVIIe siècle.
À l’évidence, du Chastel avait rédigé la version finale du document après la mort du roi. Il est probable que certains éléments n’aient pas été le fait du roi mais aient été ajoutés par du Chastel, issus des obsessions de l’évêque, des souvenirs de l’aumônier, des réflexions du lettré, ou puisés dans la vaste culture de l’humaniste. Y compris certains événements. Je n’ai par exemple trouvé aucune trace de l’étape à l’abbaye de Port-Royal des Champshaut-lieu. En outre, les phantasmes, dont cette thébaïde fut le théâtre, sont ceux davantage d’un ecclésiastique que d’un roi.
Du Chastel a conservé la première personne du singulier et, à aucun moment, n’a laissé entrevoir que le récit pût avoir été rédigé par une autre personne que le roi. Toutefois, que ce texte fût entièrement le fait de Pierre du Chastel n’est pas à exclure. Rien ne prouve en effet que le roi fût le commanditaire. L’existence du manuscrit est la seule chose dont on soit certain.
Du Chastel n’avait révélé l’existence de cette confession à quiconque. Les temps n’étaient pas sûrs, la suspicion rongeait la société avec plus de gourmandise que la vérole et le moindre faux pas pouvait vous coûter votre situation, sinon la vie.
Suputant que je n’avais pas l’étoffe d’un universitaire, ma directrice de thèse m’encouragea à écrire un roman sur la base de ce manuscrit. Du Chastel fournissait non seulement la matière, mais aussi la manière, et ce fut la main légère que je me livrai à la rédaction de la folle épopée que vous avez peut-être pris du plaisir à lire.
Je vous livre maintenant, transcrit en françois moderne, le récit du roi que rédigea du Chastel. J’ai illustré d’images, les références aux œuvres picturales.
Les vers de Ronsard, déclamés par François Ier, n’étaient pas encore parus en 1547. D’aucuns pensent qu’ils sont l’œuvre du roi lui-même, d’autres, que du Chastel les a ajoutés : Ronsard les aurait pompés dans ce document auquel il aurait eu accès.
Une hypothèse plus vraisemblable voudrait que ce récit fût beaucoup plus tardif, rédigé et enrichi par un mystérieux rédacteur – peut-être Ronsard lui-même – sur la base d’un premier document authentique de Pierre du Chastel, qu’il reste à découvrir.
Quant à un canulard, dans l’esprit de cette fraude représentée dans Le Triomphe de Vénus – le tableau dont il est question dans ce récit – , je ne puis objectivement l’envisager.
Seule la datation du manuscrit au carbone 14 permettrait de lever ces doutes.
L’itinéraire a été réalisé avec mappy.
Itinéraire d’un enfant gâteux

Paris-La Muette
La Muette est à moins de sept lieues1 de Paris. On est fin février. Bien que l’année 1547 soit particulièrement douce, des tremblements incessants parcourent ma grande carcasse obèse. Ma nuque épaisse est bien callée dans un oreiller brodé d’or. Allongé sur la litière, je contemple mes pieds qui ballotent à une toise2 de là, au grès des caprices du chemin.
Quoy mon ame, dors tu engourdie en ta masse ?
La trompette a sonné, serre bagage, et va ! 3
J’ai commencé à décliner ostensiblement, il y a dix ans, à la mort de mon ainé François. Je ne sais toujours pas qui a tué mon fils. Les séquelles d’une pleurésie qu’il aurait contractée enfant, pendant les quatre années qu’il a passé en Espagne où il était retenu en otage avec son frère – ce fut à ces conditions que je pus regagner le royaume de France, après l’incident de Pavis4. Je n’ai jamais cru à cette histoire de pleurésie, son frère Henri, d’un an son cadet, est revenu indemne.
François a-t-il été empoisonné par les Habsbourg ? Charles Quint n’avait aucun intérêt à jeter davantage les Médicis dans les bras de la France, en faisant d’Henri, marié à Catherine de Médicis, le futur roi des Français. Dans le doute, j’ai fait écarteler l’échanson de François, le comte Sebastiano de Montecuccoli5, ancien commissaire de Charles Quint passé au service des Médicis, que Catherine avait emporté dans ses bagages. Lors de cette funeste partie de jeu de paume, il avait apporté à mon fils le verre d’eau fraîche que celui-ci avait demandé. Un Traité des poisons avait été retrouvé dans ses papiers. Certes, quelqu’un a pu l’y déposer. Et certes, tout le monde possède ce genre d’ouvrage. Mais c’était la moindre des choses.
Une horrible pensée n’a jamais cessé de me hanter : les Médicis auraient-ils comploté cela pour faire accéder Catherine au trône de France ? Ils en étaient capables et je ne suis pas loin d’en être persuadé.
Quoi qu’il en soit, Cosme Ier de Médicis6 n’est entré en politique que l’année suivante. Même s’il mange à tous les râteliers, je partage sa haine secrète de l’Empereur et sa passion pour les peintres. Il connaît mes goûts pour les bals costumés et la mythologie. Probablement pour se faire pardonner ses trahisons passées et à venir, il m’a fait parvenir cette Allégorie7 du Triomphe de Vénus qui me suit dans tous mes déplacements.
Il m’a écrit qu’à l’origine, il s’agissait d’une épreuve de Bronzino pour une tapisserie qui devait faire office de pendant à L’Innocence justifiée – une tapisserie réalisée par Giovanni Rost, également d’après Bronzino. Mais lorsqu’on lui a présenté la composition du Triomphe de Vénus, Cosme a demandé au peintre d’en faire un tableau afin de me l’offrir. Il pensait que j’apprécierais le caractère énigmatique du sujet. Je soupçonne le duc de vouloir me faire passer quelque message désobligeant mais je ne peux nier la fascination que ce Triomphe exerce sur moi depuis la première heure.
Henri pense que Cosme de Médicis a conservé par devers lui la représentation de l’Innocence justifiée et s’est débarrassé d’un tableau compromettant représentant les extravagances des puissants, avec l’espoir insensé de s’attirer les bonnes grâces de la France. Je lui ai fait remarquer que la France n’avait que faire d’un tableau qui ne pouvait être montré à personne et dont le seul bénéficiaire était un collectionneur qui n’allait pas faire de vieux os. Henri s’est signé et a brandelé8 la tête en murmurant, « tant qu’elle n’y touche qu’avec les yeux, sa majesté ne risque rien. »
Personnellement, je pense qu’avec ce Triomphe de Vénus, Cosme veut me convaincre qu’en politique, l’approche matrimoniale de Vénus est plus efficace que la hargne belligérante de son amant Arès, dieux de la guerre et des massacres. Je dois admettre que les mariages arrangés ont œuvré pour la France davantage que toutes mes campagnes.
L’innocence justifiée et Le Triomphe de Vénus


Il semble que L’Innocence justifiée soit une représentation de l’Innocence entourée d’appétits féroces de variables natures (loup, serpent, lion, chien)9, secourue par la Justice flamboyante avec à senestre10, faisant bloc avec la victime, Cronos dénudant la Vérité de profil (la Vérité est toujours représentée de profil car elle a toujours une face cachée).
On retrouve la même accumulation de figures dans Le Triomphe de Vénus. Cronos a pris une place dominante face à une figure de la Vérité plus distante, voire hostile. Vénus triomphante a pris la place de l’Innocence et Éros celle de la Justice flamboyante – n’y voir qu’un Cupidon libidineux me semble un peu court. On retrouve les appétits féroces dans les figures d’étranges courtisans tels qu’Himéros le désir incontrôlable, jumeau d’Éros, une femme jalouse affreusement tourmentée et une chimère très inquiétante.
Dans L’innocence justifiée les forces à l’œuvre (les agresseurs et la défenseuse) sont extérieures à l’univers de la victime ; alors que dans Le Triomphe de Vénus les forces dont Vénus triomphe sont intérieures à l’univers de la déesse victimisée, dévoilé par Cronos. En effet, Cupidon et Himéros sont les enfants de Vénus, la chair de sa chair ; quant à la chimère au visage de jeune fille, elle pourrait être une allégorie caricaturale de Vénus et de sa petite équipe (c’est ainsi que j’appelle mon réseau d’amantes fidèles). L’intention du peintre serait cependant la même dans les deux œuvres : montrer que la vérité dévoilée est gage de triomphe – triomphe aux deux sens du terme pour Vénus (victoire sur l’ignorance qui déchire le monde des sentiments, et défilé solennel de la déesse à la tête de ses troupes).
Je crois que je vais m’assoupir quelques instants après ces brillantes considérations.
L’arrivée à la Muette
Une douleur aigüe au fondement m’a réveillé. Une ornière plus profonde que les autres en est surement la cause. Ma fistule a dû se remettre à suinter. Je sens une humidité malsaine sous mes coilles11. Personne n’ose risquer un diagnostique. J’ai peur d’avoir attrapé la grande vérole12, il y a une vingtaine d’années, en respirant13 les dessous de ma geôlière espagnole (Pavis, pas pris14). Ma santé n’a jamais cessé de se dégrader depuis. L’ulcère soulève la poudre qui recouvre mon visage, mes nuits sont courtes, je souffre et je me sens pourrir de l’intérieur comme un vieux cerf après la curée. Heureusement que je suis grand et que, malgré sa longueur congénitale, mon nez est à bonne distance de mon crépion15. J’empeste et je ne sais ce qui retient la Pisseleu à mon giron. Elle suit dans une autre voiture du convoi, avec ses dames. Elle sait qu’au jour de ma mort, elle tombera en disgrâce. Cette vieille édentée16 de Diane de Poitiers, la favorite de mon fils Henri, n’a jamais pu la sentir. Anne est protestante, Diane est catholique. Il n’y a pas besoin d’être un Montmorency17 pour entrevoir la débâcle prochaine. Anne a déjà dû réunir dans un coffre à bijoux, les présents que je lui ai offerts et qu’elle devra restituer à la couronne de France. Elle sera jugée pour adultère et ses biens, malgré nos accords, seront j’en ai peur confisqués et cédés au mari que je lui ai donné.
Henri et son épouse Catherine ont tenu à nous accompagner dans ce petit voyage dont la première étape est le pavillon de La Muette. Avant que de mourir, je veux étrenner ce nouveau relai en lisière de la forêt de Saint-Germain-en-Laye. Si mon pisse-froid de fils est à mes basques, c’est qu’il flaire le cadavre auquel tout mon corps aspire. Il veut être présent avant mon dernier souffle pour être reconnu sans délai comme héritier légitime du trône. Il n’a pas tort. Peut-être fera-t-il un bon roi. La tâche sera rude. Même si le traité de Crépy-en-Laonnois d’il y a deux ans est un pis-aller acceptable. Je ne vois cependant pas d’un bon œil ce fanatisme religieux qui divise les royaumes que j’ai, pris dans les tenailles de L’Empereur, eu tant de mal à rassembler pour faire de la France cette chimère. L’on vient au monde avec une religion, pourquoi en changer ? Toutes se valent. La vie offre trop de matière à se réjouir, pour se laisser agacer par des bondieuseries. La chasse n’est pas des moindres. La mort d’Henri VIII en est une autre. Sa nouvelle m’a à ce point contenté, que j’ai entrepris ce petit périple en Mantois et Hurepoix, sur les traces du cerf. Des festivités sont prévues.
Le tableau de Bronzino est également une raison de se réjouir. Mais nous arrivons au pavillon de La Muette. Je vais goûter le luxe de la royale demeure et m’endormir avec l’image du tableau. La nuit m’ouvrira les portes du royaume de Vénus, si elle ne m’abandonne pas dans les tréfonds labyrinthiques des forges de Vulcain.
La Muette
Je repense à cette idée qui ferait de la Vérité dévoilée un gage de triomphe. Il est tentant d’en faire la devise d’un roi. Hélas, le roi est l’égal d’un dieux et les dieux ne prennent pas de gants avec la Vérité, loin s’en faut. La puissance est pourvoyeuse d’inclinations coupables, étrangères à la vérité et terreau du mensonge.
Je me souviens comment, mon amour des arts, ma passion pour la chasse et les exigences de la notoriété motivant la construction d’un château à Fontainebleau, je parvins à réunir les fonds nécessaires au lancement de la prestigieuse entreprise. Le peuple étant déjà rincé par l’impôt que j’avais quadruplé, je décidai de m’en prendre à mon plus gros créancier, Jacques de Beaune, qui était par ailleurs principal intendant des finances. Il me fut facile de l’accuser de détourner les fonds destinés à la campagne d’Italie. Bien qu’ayant réussi à se justifier lors du procès, il fut accusé de concussion18, condamné à mort et exécuté au gibet de Montfaucon.
Le château de Fontainebleau restera sans doute ma plus belle réalisation. On oubliera les efforts que j’ai déployés pour préserver cette enclave qu’est la couronne de France au sein de l’Empire ; mais l’on n’oubliera pas Fontainebleau. On oubliera Chambord mais pas Fontainebleau ! Ça valait bien un intendant !

Devant Le triomphe de Vénus, l’œil est immédiatement séduit par le couple lascif. Aucun doute possible, il s’agit de Vénus et son fils Cupidon. La technique de Bronzino a ceci de miraculeux qu’il peut se permettre de peindre les sujets les plus osés, tel un courtisan avisé dont les bons mots dévoilent subtilement des vérités scabreuses.19
Les personnages de Bronzino prennent la lumière comme des porcelaines. La porcelaine tire son nom du coquillage éponyme20 dont elle imite merveilleusement la matière. À tel point qu’on croyait jadis que les artisans de Cathay21 le réduisaient en poudre pour fabriquer les miraculeuses céramiques translucides. Pourquoi alors convoquer la truie romaine en ce vilain nom de porcella ? Précisément parce que le coquillage en question a la forme d’une vulve de truie, l’un des mets les plus prisés de toute l’Antiquité. Bon appétit, Messieurs22 !
Personnellement j’aurais trouvé plus délicat qu’on baptisât ce coquillage, La petite colline23 de Kupris24.
Je trouve par ailleurs incongrue que Soliman le Magnifique, en faisant acte d’abnégation en troquant l’or pour la porcelaine, s’alimente dans une vaisselle qui porte le nom de la truie. Je ne manque cependant jamais une occasion de lui faire présent de ces magnifiques services en porcelaine de Cathay qu’il affectionne.
Quoi qu’il en soit, pour quelle raison deux entités complémentaires, telles que Désir et Amour, peuvent-elles être conduites à se mêler avec autant de passion ? L’amour sans désir est-il de l’amour ? Toutes les formes de désir sont-elles éligibles à l’amour ? Amour et Désir semblent liés par quelque diablerie. Sont-ils les deux faces d’un même principe ? C’est peut-être la seule question intéressante que pose ce tableau.
Ça fait huit jours que nous sommes à La Muette. De nombreux courtisans ont fait le voyage jusqu’ici, pour fêter la mort de Barbe Bleue25. Les réjouissances m’ont empêché d’avancer dans la compréhension du tableau mais j’ai repris des forces et compte rejoindre Villepreux pour accompagner une chasse. C’est tout près d’ici, à environ trois lieues à l’ouest de Versailles.
Villepreux
Hier, nous avons couvert les quatre lieues du trajet La Muette-Villepreux en une demi-journée. Pas de quoi se rôtir la rate. Toutefois, le protocole est invariable. Des émissaires partent deux jours à l’avance pour reconnaître le trajet, déblayer et sécuriser les chemins, prévenir le personnel résidant.
En arrivant, je fais installer le tableau dans ma chambre. Il est revêtu d’un voile maintenu en place par des sangles. Personne n’a l’autorisation de les ôter, sous peine de mort.
Ce matin, je me suis rendu à cheval au départ de la chasse, au lieu-dit Les Esquiveaux. Ma lourde masse a fait exploser ma fistule. J’ai attendu que les cavaliers s’éloignent, pour rentrer à Villepreux en charrette. Je me suis consolé avec Le Triomphe de Vénus.
Les personnages sont représentés grandeur nature. Il semble qu’ils flottent à l’intérieur d’une colonne de verre, comme des constellations aux graphismes mystérieux. En s’approchant, l’on entre littéralement dans le tableau à leur rencontre. Parmi eux, j’ai la sensation que mon corps ne pèse plus. Soudain, mon œil averti remarque tout un essaim de détails.

Le visage en forme de masque de la Vérité (a) que le temps, Cronos (alias Saturne), dont on distingue une aile (c) et le sablier (d), parvient toujours à dévoiler. Le visage de Cronos exprime ici le défi, voire un mécontentement sournois. C’est un personnage irritable. Il a châtré son père et rogné les ailes de Cupidon.
Cronos (c, d) – Les roses (f)

Il se pourrait qu’il empêche, de son bras musculeux, l’Oubli (a), et non la Vérité, de rabattre le drap sur la scène ici dévoilée. S’il s’agissait de la Vérité, celle-ci devrait être elle aussi dévoilée puisque la scène nous est offerte. Or, le corps du personnage se trouve derrière le drap bleu déployé par Cronos ; donc, mécaniquement, il ne peut représenter la Vérité. Plus logiquement, il s’agit de l’Oubli s’employant à voiler la mémoire des anciens mystères. Son visage figé, non reconnaissable, comme celui d’un masque, complète le dispositif.
Le seul argument en faveur de la Vérité serait le rapport incestueux qui la lie à Cronos, son père, qui n’a de cesse de la dévoiler ; rapport de même nature que celui qui semble lier, dans ce tableau, Cupidon à sa mère Vénus. De même qu’il ne s’agit pas de la Vérité, mais de l’Oubli, il ne s’agit probablement pas de Vénus et de son fils Cupidon, mais d’Aphrodite – fille d’Ouranos le Ciel nocturne étoilé – et d’Éros – issu du Chaos primordial26 comme Gaia, la mère d’Ouranos. L’enjeu est ici davantage de ne pas oublier que de révéler.
En grec ancien, léthé signifie oubli et le mot pour vérité est aletheia. Le a privatif semble indiquer que la vérité est un dés-oubli, un dévoilement (possiblement partiel), une réminiscence. Oubli ou Vérité, le personnage est double et son visage qui ressemble à un masque me persuade davantage qu’il s’agit de l’Oubli.
Par ailleurs, l’Oubli et Vénus, tous deux de profil, se font face de part et d’autre de la flèche, comme deux images de part et d’autre d’un miroir. Ici, Vénus en pleine lumière incarne la Vérité triomphante, défiant l’Oubli à contre-jour. C’est elle qui est nue et c’est elle que dévoile Cronos. Le profil droit de l’Oubli et le profil gauche de Vénus sont les deux profils de la Vérité ici dévoilée.

Doit-ont, dans les masques de Commedia dell’arte, la mimique expressive de Cronos et le drap déployé comme un rideau de fond, voir des références aux théâtres que bâtissaient les architectes dionysiaques ? Les membres de cette confrérie se reconnaissaient entre eux en tendant leur index et leur majeur comme les branches d’un compas (ou les lames d’une cliquette27). Mais les doigts de Cronos et de l’Oubli sont refermés sur le drap.
Toutefois, divers indices font écho à l’univers dionysiaque : la chimère (l’aspect chimérique des satyres28), la rage de l’Oubli et de la Jalousie (la fureur délirante des ménades29), le rictus de Cronos (le visage possédé de Dionysos), l’abandon sensuel de Cupidon et de Vénus (les pratiques orgiaques des adorateurs), l’attitude enjouée d’Himéros (le thiase30 festif), le pied d’Himéros sur la ronce, la posture de l’Érote23 et sa connivence affichée avec Cronos (les cornes taurines qui empaleront Ampélos31, jeune satyre éromène32 aimé de son éraste Dionysos).
L’on pourrait tout aussi bien trouver de l’Éris dans la chimère qui offre le rayon de miel – lors de noces auxquelles elle n’a pas été conviée, la déesse de la discorde lance pour se venger, une pomme « à la plus belle » ; ce qui conduira au jugement du mont Ida, avec Pâris, puis à la guerre de Troie.
Il y a aussi du Pelée dans Cupidon ; et du Thétis, à la fois dans la chimère – Thétis se métamorphose sans cesse (oiseau, serpent, lion, poisson, seiche, eau et feu) pour échapper au mariage – et dans Vénus elle-même, immobilisée entre les bras de Cupidon – le centaure Chiron, qui a élevé Pelée, a expliqué à celui-ci qu’il devait, pour faire conserver forme humaine à sa future femme Thétis, la maintenir fermement pendant qu’elle changeait d’apparence, jusqu’à ce qu’elle cédât de fatigue.
Par ailleurs, s’il y a du Thétis dans la chimère, il y a de l’Achille – fils de Thétis – dans Himéros dont la ronce blesse le pied – Achille périra d’une flèche au talon, tirée par Pâris et guidée par Apollon.
Enfin, comment ne ne pas voir dans la fureur de la vieille femme, celle d’Athéna33 jalousant la lauréate Aphrodite désignée par Pâris (ici couronnée par Éros) ?
Bien que distinctes, les hiérarchies divines sont toutes en toutes selon leurs modes particuliers34 et délivrent toujours le même récit initiatique raconté par des dieux concurrents : « Il ne sera pas énivré par quelque Bacchus, celui qui n’aura pas d’abord été uni à sa muse ».35
Ah, comme cette énigme est retorse !
La Vérité ou l’Oubli (a) – La flèche d’or (b)

Vénus semble avoir dérobé une flèche d’or (b) dans le carquois (k) de Cupidon. La déesse a-t-elle désarmé le putto36 pour rendre vaine la tentative de prise de pouvoir de celui-ci ? Dans tous les tableaux, Vénus tend une flèche d’or à Cupidon. Ici, brandie par une main levée dont l’index est pointé, la flèche symbolise selon moi l’unité d’Éros et d’Aphrodite.
Comme la pomme, la flèche est d’or. Vénus les tient à distance l’une de l’autre, l’une en haut, l’autre en bas, pour rappeler l’adage « Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». C’est aussi le sens, cher aux Médicis, du rapprochement du majeur et de l’annulaire37 de la main qui tient la flèche. L’on retrouve ce geste sur la plupart des portraits de Bronzino. Libre au spectateur d’entrer dans le tableau ainsi hiérarchisé, pour trouver sa place sur l’échelle des êtres.
Le portrait selon Bronzino
Portrait d’un jeune homme

Dans Le portrait d’un jeune homme, de Bronzino, le majeur et l’index de la main droite dans les pages du livre, comme les branches d’un compas, symbolisent l’accès à la connaissance des architectes et maîtres bâtisseurs. Les ornements de la coiffe rappellent ce motif.
L’annulaire et l’index de la main gauche, joints sur la hanche du jeune homme, rappellent que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas […] venu d’un, par la médiation d’un. L’homme, qui est à l’image du tout, contient le diabolique autant que le divin. Du niveau inférieur (les grotesques38 qui ornent le mobilier) au niveau supérieur (le visage), l’échelle des êtres est accessible à l’homme en quête de dignité : il peut s’élever jusqu’à Dieu ou descendre jusqu’à la Bête.
D’aucuns verront dans l’auriculaire en extension (le seul à porter un anneau), l’expression d’une certaine féminité.
Ci-dessous les grotesques ornant le mobilier de la partie inférieure du tableau ; ainsi que les plis du vêtement, évoquant un masque.

Notez la dissymétrie du visage du grotesque de gauche, ainsi que celle des yeux du masque figuré par les plis du vêtement ; tous deux semblent borgnes à gauche. On retrouve cette dissymétrie dans le visage du jeune homme, dont l’œil droit regarde en face (comme l’œil droit du grotesque de gauche) et l’œil gauche regarde en biais (comme l’œil gauche du grotesque de droite) : ce qui est en haut est comme ce qui est en bas (et vice versa) !
Galerie de portraits

Je remarque que le diadème de la déesse (e) est orné d’une figurine représentant Vénus dans la position qui est la sienne dans le tableau. De la Vénus idolâtrée à la Vénus chimérique en passant par la Vénus figurée, le tableau superpose les mirages au sein d’une mise en abysme théogonique39 introspective. Née de l’écume et du ciel étoilé, l’Aphrodite primitive s’autoréférence et n’en appelle à aucune divinité tutélaire, pour accueillir dans sa paix, le dieu Éros comme un époux, afin qu’il la couronne et que l’âme d’icelui soit « ravie par l’amour divin, dans la contemplation de la beauté céleste universelle, affranchi des jalousies, des soupçons, des colères »40 : « Il me baisera des baisers de sa bouche41. » Vénus est la métaphore42 de l’Aphrodite cosmique qu’elle porte sur son diadème.
Le diadème de Vénus (e)

Vénus ou Aphrodite ? Je soupçonne les peintres de brouiller les cartes en jouant sur les deux tableaux (sans mauvais jeu de mots). Sous couvert d’une Aphrodite antique et mystérieuse, ils exposent des vérités profanes imputables à une Vénus aux comportements vulgaires, voire luxurieux. Inversement, à travers des récits profanes, ils perpétuent en filigrane les mystères des déités antiques.
Plus tost des Cieux les murs seront ouvers,
Plus tost sans forme ira confus le monde,
Que je sois serf d’une maistresse blonde,
Ou que j’adore une femme aux yeux vers.43
Voici comment je procède pour établir mon opinion : lorsque l’arrière-plan de la déesse est constitué d’une toile bleue, j’en déduis que ce drap symbolise Ouranos, le ciel étoilé44 de la Grèce dont Aphrodite est la fille. Dans le cas contraire, je considère que j’ai sous les yeux une représentation de la Vénus romaine, la Vénus populaire (la beauté sensible) que Platon oppose, dans son Banquet, à la Vénus Uranie (la beauté intelligible).45
Himéros, dieu du désir incontrôlable, passionné, ardent, tient une poignée de roses entre ses mains (f). Est-ce pour les jeter sur les amants ? Il est probable que l’Érote rassemble les roses dans ses mains pour glorifier l’union des contraires, tel le nœud d’Isis (par certains aspects, la pose de Vénus évoque un relief égyptien) : les trois roses – le père, le fils et le Saint-Esprit – ou les deux poignées d’amour – Éros et Aphrodite – réunis en un seul principe de régénération primordial.
Relief égyptien

À moins qu’à sa façon, Himéros ne dévoile la Vérité en se faisant le complice de Cronos dont la main gauche est en contact avec celle de l’Érote. La réjouissance exprimée par leurs deux visages, révèle leur connivence. Dans ce cas, Himéros pourrait, pour mieux le dévoiler, avoir confisqué ces roses à Éros – souvent représenté couronné de roses. Peut-être même offre-t-il à Cronos, ces roses symboles de caducité.
Deux masques, représentant un visage jeune et un visage âgé, sont déposés aux pieds de Vénus (t) – il semble même qu’il y en ait un troisième, en dessous. Sont-ils déposés pour signifier que la vérité est dévoilée ? Ces masques sont-ils ceux de Cronos, d’Himéros et de la vieille femme, les spectateurs de la scène ? En effet, les visages inexpressifs des autres personnages ressemblent plus à des masques qu’à des « miroirs de l’âme ». Bronzino accentue l’impénétrabilité de ses figures et fait du portrait un art de la dissimulation du soi. Mais l’intériorité des figures sont des secrets de polichinelle tant le traitement des corps et les détails, qui accaparent toute l’attention du spectateur, concentrent l’expression de l’âme des personnages. Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas : le téton dressé de Vénus et la cambrure de Cupidon en disent davantage que leurs visages, sur la nature profonde des deux déités.
À moins que les deux masques soient ceux portés par Vénus et Cupidon lorsqu’ils se livrent à la comédie de l’Amour pour faire naître ce sentiment chez les Dieux et les mortels. On retrouve deux masques abandonnés, dans de nombreux tableaux montrant Eros et Aphrodite dans leur intimité. Les deux masques abandonnés comme des coquilles brisées, renvoient aux deux colombes se béquetant, dont la matière cornée des becs rappelle celle des masques ; une façon parmi d’autres de mettre en lumière le baiser d’Éros et d’Aphrodite.
La présence de ces masques nous indiquent aussi que le peintre, tel un bateleur masqué, traite son sujet en flattant délibérément l’hédonisme du spectateur,46 comme il convient à un bouffon de le faire.
Les règles de la bienséance, recommandent aux courtisans, voire aux dieux, de procéder masqués lorsqu’ils s’exposent en public dans des activités ludiques pratiquées par le grand nombre, qu’ils y excellent ou non – là n’est pas la question. Je vous renvoie aux recommandations du très pertinent Livre du Courtisan de Castiglione – qui, avec La Bible et Le Prince, ne quitte pas mon chevet – Livre deuxième, chapitre XI : « En dansant dans un lieu plein de monde il me semble qu’il convient au courtisan de garder une certaine dignité tempérée néanmoins d’une élégance et aérienne douceur des mouvements. Il ne doit pas entrer dans ces prestesses de pieds et ces battements redoublés qui seraient peu convenables à un gentilhomme ; cependant, je pense que cela lui est permis en privé ; mais il ne doit pas le faire en public à moins d’être travesti. Car de cette manière, bien qu’il fasse en sorte que chacun le reconnaisse, il ne fâche personne ; au contraire, pour se montrer dans de tels exercices dans les spectacles publics, il n’y a point de meilleur moyen que celui-ci car le travesti permet une certaine liberté et licence, qui, entre autres choses, fait que l’homme peut prendre la forme de ce en quoi il se sent habile, et faire preuve d’application et de recherche touchant le point principal de la chose dans laquelle il veut se montrer, et d’une certaine désinvolture touchant ce qui n’a pas d’importance, ce qui augmente beaucoup la grâce ».
Plus naïvement, le masque bronzé, dans l’angle inférieur droit du tableau, est peut-être une coquetterie du peintre pour, sans avoir à signer son œuvre, indiquer qu’il en est l’auteur (le surnom de Bronzino signifie le bronzé, eu égard à la couleur foncée de la peau d’Angelo di Cosimo)47. Une façon originale, pour l’artiste, de lutter contre l’oubli et de passer à la postérité – nous en sommes tous là. Ce type de tableau est destiné à la sphère très fermée des amateurs avertis ; personnellement je n’ai fait inscrire Le Triomphe de Vénus sur aucun de mes registres.
D’habitude, Himéros a le front ceint d’une tænia48. Il porte ici une chevillière ornée de grelots de cuivres (p) et semble danser une tarentelle. Il a la position des joueurs de tambourin qui accompagnent en dansant les artistes de premier plan. Nous sommes en présence d’une incarnation inférieure du Désire. La main de Vénus tenant la pomme d’or est superposée au pied portant la chevillière. Cela indique la force du lien qui unit l’Érote à Vénus, chaque grelot de cuivre rappelant le fruit d’or par sa couleur et un bouton de rose par sa forme. Par un jeu de correspondances, Himéros nous dit à sa manière que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas : les roses entre ses mains, en place d’un tambourin, sont comme ces clochettes en forme de bouton de fleur, accrochées à sa cheville, qui font de la musique.
Est-ce en raison de ce tintamarre et de ce qu’il réveille de souvenirs cuisants, que la vieille femme (g) détourne le visage en serrant sa tête entre ses mains ? Le majeur et l’annulaire de sa main droite séparent le majeur et l’annulaire de sa main gauche, pour signifier l’incapacité d’unifier ce qui est en haut et ce qui est en bas. C’est le propre de la Jalousie, contrariée dans son élan fusionnel et obsédée par l’élément extérieur qui met en péril son phantasme. Il s’agit peut-être de Phtonos49, fille de la Nuit (d’aucuns prétendent qu’elle serait la fille d’Aphrodite, voire de Dionysos).
Elle me fait penser à Jeanne la Folle, la mère de Charles Quint, qui refusa longtemps l’inhumation de son époux, Philippe le beau50, dont elle était éperdument éprise ; elle me fait penser aux pestes, aux guerres et à la convoitise des princes, qui affament les artistes et les éparpillent aux quatre coins de l’Empire ; elle me fait penser à la santé mentale ravagée des grands vérolés en phase terminale. Vais-je m’éteindre moi aussi dans une crise de démence, ou bien mon corps fera-t-il preuve de mansuétude en laissant partir mon âme sans la spolier ? Peut-être Bronzino nous confie-t-il que, derrière la virtuosité, il met en jeu son âme tourmentée pour faire triompher la vénusté.
La vieille femme (g) – Himéros et les roses (f) – Chevillière (p)

Signalons que le pied droit d’Himéros écrase une banche épineuse (r) sans éprouver aucune douleur apparente. Le désir est-il voué au malheur ou se joue-t-il de lui ? Faut-il voir ici un blasphème ? Après avoir confisqué la couronne de rose d’Éros, Himéros piétinerait la couronne du Christ ? Son pied gauche, dessiné vu de face, ressemble de façon troublante à celui de la chimère, vu de profil, qu’il croise, indiquant que l’Érote est en cheville avec celle-ci. En outre, la queue de serpent de la chimère (q) passe entre les jambes d’Himéros (représentation familière de la figure venant vers le spectateur en enjambant un obstacle).
Des pieds et des épines

On remarque aussi qu’Himéros regarde par dessus son épaule, le bras tendu en travers du torse. Ces faisceaux d’indices me portent à croire que cette représentation de l’Érote célébrant le triomphe de Vénus, fait référence à la pose de Mithra tauroctone51 – dieu de la victoire des soldats romain – participant à la régénération du monde en chevauchant un taureau qu’il met à mort ; et plus largement, à Éon mithriaque qui associe Mithra au concept d’éternité et de renaissance figuré par Éon, une antique figure anthropomorphique léontocéphale52 du temps cyclique, dont le corps est ceint d’un serpent qui parfois se mort la queue.
Éon, Éon mithriaque, Mithra tauroctone (IIe siècle après J.-C.)



Dans le tableau, la chimère ne se mort pas la queue mais elle en tient l’extrémité (j), refermant le cercle du recommencement du temps d’Éon.
Par ailleurs, les mains d’Himéros serrant les roses (f) sont en contact avec une main de Cronos. Serait-ce pour éclairer le mystère du temps ? Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas : le temps empirique et linéaire de Cronos, figuré par le bras tendu du dieu, avec l’Oubli comme origine, serait-il la version simplifiée du temps circulaire d’Éon, incarné par Himéros et la chimère, le temps de l’Amour qui meurt et toujours renaît ?
Himéros est le personnage clé de ce tableau. Il est en relation directe avec Cronos, la chimère et Vénus. Par ailleurs, Éros et lui sont jumeaux. Enfin, il est le seul personnage en déplacement dans ce tableau. Le désir incontrôlable est le moteur qui fait tourner le monde !
Venons-en à cette jeune fille en robe verte, au visage doucereux (h), qui n’est autre qu’une chimère (un grotesque particulier) : écailles de poisson, arrière-train de lion, queue de serpent, dard de scorpion. Elle rassemble divers attributs d’Éon mithriaque : écailles (armure des soldats romains vénérant Mithra tauroctone), lion et serpent (Éon), dard (glaive de Mithra tauroctone).
De par sa nature multiple, la chimère incarne la beauté et la laideur53 – une laideur physique doublée d’une laideur morale (poison) – ; c’est à dire l’échelle des êtres toute entière. De son bras droit pourvu d’une main gauche, la chimère tend un rayon de miel (i) symbolisant le plaisir. Son autre main, la droite au bout de son bras gauche, cache l’aiguillon (j) perfide et son ampoule à venin qui terminent sa queue (q) – paix à ton âme, mon François.
Elle me rappelle le portrait que l’Unico Aretino fait de la Duchesse Elisabetta Gonzaga qui porte au front la première lettre du mot Scorpion : « une ingrate qui, avec les yeux d’un ange et le cœur d’un serpent, n’accorde jamais sa langue avec sa pensée, mais, avec une feinte et trompeuse pitié, n’a d’autre intention que de faire l’anatomie des cœurs ; et il n’y a pas dans la Libye sablonneuse de serpent si venimeux qu’il soit aussi friand de sang humain que cette créature fausse, qui non seulement par la douceur de sa voix et ses paroles emmiellées, mais aussi par ses regards, ses sourires, sa contenance et toutes ses manières, est une véritable sirène. » Cette description édifiante se trouve au chapitre IX, Livre premier du Livre du Courtisan.
Chimère (h) – Rayon de miel (i) – Aiguillon (j)

Cette chimère est ce que les spécialistes appellent une fraude. Mais tous les portraits ne sont-ils pas des fraudes ? En particulier chez Bronzino qui, j’insiste, accentue l’insondabilité des visages pour faire du portrait un exercice d’escamotage du soi.
Visages peints par Bronzino entre 1542 et 1545

Aux pieds de Cupidon, outre le carquois (k), on distingue des attributs de Vénus : un pied de myrte (m) et une paire de colombes se béquetant (s). Cupidon est agenouillé sur un coussin qui symbolise la luxure. Les jambes repliées et la cambrure obscène de l’Érote miment celles de la chimère (l). Il est possible que cette dénonciation complaisante de la luxure ne masque en réalité une kabbalistique54 plus profonde, voire une eschatologie55 – étude des fins dernières, que d’aucuns confondent avec la scatologie, étude des fins derrières.
Carquois (k) – Myrte (m) – Coussin (n)

Vénus serre dans sa main gauche une pomme d’or (o) symbole de beauté pure, comme un talisman garant de son intégrité. On ne peut s’empêcher de rapprocher cette pomme d’or, du rayon de miel symbolisant le désir, tendu par la chimère (i), un bras au-dessus d’elle. Que serait le Désir sans la Beauté ?
Rayon de miel (i) – Pomme d’or (o)

Il se peut que le rayon de miel soit une allusion à la pierre philosophale (or, éternité, guérison, régénération, transmutation). Cette idée est renforcée par la tunique verte de la chimère qui connaîtrait la « langue verte » des alchimistes, référence à la table d’émeraude d’Hermès Trismégiste56. Selon les cabalistes, la ligne verte qui entoure l’univers est l’âme du monde qui contient celui-ci, comme la couleur verte contient toutes les autres couleurs.
Je note que le carquois d’Éros qui contient ses flèches, est vert également, ainsi que certaines de ses plumes. Le vert, symbolisant éternité, résurrection et espérance, est aussi la couleur de Vénus. Ils sont tous de mèche, ces rouquins !
Sur le trajet Villepreux-Limours
L’intendant a proposé de ne pas couvrir les dix lieues d’une traite et de faire étape au château de la Madeleine, dans la baronnie de Chevreuse qui a été élevée en duché il y a deux ans. J’ai préféré faire étape non loin de là, à l’abbaye de Port-Royal des Champshaut-lieu. La sécurité y est plus difficile à assurer mais l’hospitalité des nones y est légendaire. Ça m’a rappelé de bons souvenirs.
La rigueur du lieu m’a ramené à des dispositions d’esprit plus sévère. Afin de la protéger du Triomphe de Vénus, j’ai bandé les yeux de la none qu’on avait mise à mon service. Elle avait le fessier fort replet et la peau d’une douceur exquise. Je me suis contenté de la fesser comme il convient qu’une none soit fessée.
Puis je lui ai demandé de prier nue devant le tableau, levant d’une main son crucifix et serrant de l’autre les joyaux de sa majesté, tandis que je lui triturois le téton pour lui desbuissonner57 la langue.
Maleoit gré de ma cheoite58
Mon cœur courtois me fait d’une amourette
Si doux présent qu’il faut en faire emploitte59
Que celle où j’ai mon cœur pressé
Je la tienne une fois entre mes bras nuette
Avant que j’aille outre passer60.61
Un œil plus académique que le mien aurait sans doute commencé par considérer l’architecture du tableau. Mais mon œil profane est gourmand de détails, de bubons, d’écrouelles, de fistules, de lèpres et d’ulcères.
Il y a deux ans, j’ai perdu mon plus jeune fils, Charles, le plus beau, bien qu’il fût borgne des suites d’une petite vérole62. C’était mon préféré, il avait mon caractère enjoué et emporté. Il était populaire, gai, galant, plaisantin, extravagant. Efféminé, peut-être. Frivole, sans doute. Je lui avais donné comme page un petit poète de deux ans son cadet, Pierre de Ronsard63. Anne de Pisseleu avait pris Charles sous son aile en espérant sans doute à terme devenir sa favorite afin d’assurer son avenir.
Charles ne s’entendait pas avec son frère Henri mais il avait fallu par trois fois empêcher le seul fils qui me restait de se rendre à son chevet, à cause des risques de contamination. Malgré les mises en garde, Charles avait organisé une bataille de polochons dans une demeure réquisitionnée dont les occupants venaient de succomber à une épidémie de peste. Il se croyait invincible, comme son père.
Je n’avais pas pu m’empêcher de lui rendre visite malgré le danger. Je n’avais que peu à perdre. « Ah ! mon seigneur, je me meurs, mais puisque je vois votre majesté, je meurs content. » Telles furent ses dernières paroles. Je m’étais évanoui de douleur avant de me reprendre et d’ordonner l’évacuation des lieux contaminés. Ma vie venait de perdre le peu de sens qui lui restait. Maintenant, je m’accroche aux détails. Chaque nastreté64 minuscule du Triomphe de Vénus esflame mon esgardance65.
Cependant, les enseignements acquis durant toutes ces années passées au contact des artistes italiens, m’obligent à considérer les lignes de force qui charpentent la représentation de ce tableau.

La plus évidente est la diagonale descendante gauche droite, en haut de laquelle se trouve l’Oubli et du haut de laquelle descend la lumière. Vénus est la seule à regarder en direction de cette source et son corps baigné de lumière s’étire harmonieusement le long de cette ligne.
Sur la deuxième diagonale, sont alignées les têtes de Cronos et de Chiméros (Himéros et la chimère), ainsi que la jambe droite de Cupidon dont la plante du pied semble vouloir faire sortir du tableau les deux colombes émoustillées – à moins que l’Érote aux ailes rognées ne prenne appui sur les oiseaux.
Pour simplifier, disons que la diagonale des forces lumineuses croise celle des forces obscures.
La médiane verticale est tenue par Vénus qui reste droite, quoiqu’alanguie, comme suspendue, seulement vêtue d’un diadème et lestée d’une pomme d’or.
Sur le cercle inscrit dans le tableau, se positionnent un bras de Vénus, un bras de Cronos, un bras et un pied d’Himéros, une main de la chimère, les jambes repliées de Vénus, un bras et une main de la vieille femme, un pied du très affairé Cupidon qui par ailleurs redouble d’efforts pour faire en sorte que son cul vienne carresser le cercle. L’espace, saturé de figures à la fois pesantes et flottantes, est uniquement structuré par les organes de la gestuelle. Les mains de Vénus et d’Himéros semblent entraîner le cercle, comme une roue, dans un mouvement rétrograde66.
Dans la nébuleuse du cercle, on retrouve également la plupart des symboles que j’ai déjà identifiés : la flèche d’or, les roses, l’aiguillon de la chimère, les épines sous le pied d’Himéros, les masques, la pomme d’or, le coussin, le myrte et le carquois.
Plus excentrés, à chaque extrémité de la diagonale des forces obscures, on trouve le sablier et les deux colombes. Les deux becs joints figurent un sablier couché : l’Amour serait-il en mesure d’arrêter le temps, sablier renversé par le pied d’Éros ? Le temps lui-même serait-il une illusion née de la vacance des sentiments ?
Le seul symbole qui ne figure pas sur le cercle est le rayon de miel tendu par la chimère. Je me demande pourquoi il se trouve proche du centre du cercle et non de son périmètre. Si mon ami Léonard67 était encore de ce monde, la raison lui en serait évidente.,
L’homme de Vitruve (1490)

Je suis tenté de supposer que le rayon de miel tendu par la chimère est la clé du tableau. Le tableau tout entier est une chimère créée par la chimère qu’il contient, qui tend la clé de cette mise en abysme.
Enfin, je remarque que les têtes des trois personnages vénusiens majeurs sont dans la lumière, portent des cheveux roux (y compris la chimère) et sont positionnés sur une ligne horizontale qui partage également la moitié supérieure du tableau, juste en dessous du bras de Cronos, le marionnettiste. Une remarque d’un intérêt ébouriffant.
Une analyse basée sur un hexagone ou sur des triangles rectangles isocèles, chers à la manière italienne, est aussi possible.
Hexagone et triangles


L’hexagone (que l’on retrouve dans l’architecture du rayon de miel) a l’avantage de ne pas superposer les triangles équilatéraux qui le composent :
- Les deux figures majeures (Adam et Eve) sous le bras de Cronos (Dieu)
- Les visages de la tentation (chimère et Himéros)
- Le serpent à sonnettes (queue et chevillière)
- Le pécher originel (pomme et sexe)
- La luxure (hanches et coussin)
- Plaisir (mamelon), souffrance (vieille femme) et révélation rédemptrice (bras levé) : curieusement, les bras droits de la vielle femme et de Vénus sont dans la même position.
Des zones différentes s’organisent dans les triangles rectangles isocèles ; de haut en bas : épaules (blanc), têtes (rouge), sexes (vert), pieds (noir). Rien que de très attendu.
Cependant, si l’on considères deux à deux les triangles rectangles isocèles, la structure la plus prégnante est celle du sablier.
Losange et sablier


Nous tenons là une indication admirable qui établit que le tableau tout entier est une réflexion sur le temps et ses perceptions. La main de Cupidon pressant le sein de Vénus, et la main de la chimère pressant le rayon de miel, semblent comprimer le goulet d’étranglement de part et d’autre du sablier, comme pour arrêter ou ralentir le temps qui s’écoule.
Trois jours chez la Pisseleu
Malgré les infidélités que je lui fais, Anne de Pisseleu reste ma favorite68. Elle sera ma dernière compagne69. J’ai tenu à faire une halte en son domaine pour afficher aux yeux de tous la considération que je continue de lui porter et surtout lui donner l’occasion de cajoler Henri. Je ne me fais pas d’illusion mais je lui dois bien cela.
En me réveillant ce matin, j’ai réalisé que l’Oubli et la vieille femme souffrante avaient les cheveux sombres. Celle-ci est peut-être désespérée de ne pas répondre au canon de la rousse aristocratie de l’Amour. Peut-être n’arrive-t-elle pas à oublier quelque chose ou quelqu’un. Peut-être est-ce un avatar de la vérité insoutenable ou de l’oubli destructeur. Peut-être se protège-t-elle contre la flèche dont la pointe lui semble destinée. Son bras droit est une réplication de celui de Vénus. Je n’ose imaginer, fichée dans le crâne de cette femme, la flèche tenue par elle, dans la position qui est la sienne. Quand la flèche de l’Amour perce le cœur, l’être est subjugué ; si d’aventure la flèche touche la tête, l’être sombre dans la folie. Cronos veut-il faire d’Aphrodite une déesse de la transformation, relayant le pouvoir destructeur du temps sur les branches de l’ignorance que sont la jalousie et la passion ?
Tel Mithra tauroctone, peut-être Vénus met-elle à mort la Jalousie associée au signe zodiacal du Taureau dont la planète maîtresse est par ailleurs Vénus – trop d’amour tue l’amour.
Cette vieille femme (est-elle si vieille que ça ? ) se tient peut-être la tête pour nous indiquer que nous sommes à l’intérieur de celle de Vénus affrontant ses démons et luttant contre les forces qui l’écartèlent. Ou dans celle de Bronzino. Ou encore dans celle du spectateur qui s’arrache les cheveux avec cette énigme.
Je n’avance pas d’un pouce ! C’est la faute à la Pisseleu : l’affection et les égards dont elle m’entoure paralysent mon intellect.
Cronos n’a pas de cheveux. Tout lui semble clair. C’est lui qui tire les ficelles. C’est le seul personnage viril du tableau. Himéros, qui se déhanche comme une danseuse, et Éros, qui tend sa croupe comme un mignon, ont des grâces de courtisanes et appartiennent à l’univers féminin de Vénus.
Non, décidément, je n’avance pas d’un pouce !
Mes cheveux aussi se font rares. Le miroir est le seul de mes courtisans à ne pas me flatter. J’ai toujours eu le teint laiteux mais il tire maintenant sur le vert. La petite vérole ne m’a pas épargné. Il me reste quelque dents. Mes yeux sont injectés de sang dès le mois de mars. Pour les détendre, je les écarquille et les fait rouler en direction du ciel, puis les referme violemment plusieurs fois de suite. Par bonheur, je suis très grand, peu de gens croisent mon regard et personne n’a envie de perdre sa tête en la hissant plus qu’il ne sied.
Concernant Éros, je ne suis pas fixé. Les anciens le font apparaître en même temps que le Chaos et Gaïa, la Terre ; lorsqu’Aphrodite, demi-sœur de Cronos, est sortie de l’écume (où s’était répandu le sperme d’Ouranos, le ciel étoilé, châtré par son fils Cronos), les jumeaux Éros et Himéros était présents pour l’accueillir et se mettre à son service. Puis l’on a dit qu’Aphrodite était enceinte des jumeaux lorsqu’elle est sortie de l’écume. Enfin, on a raconté que Vénus était née de Zeus et de Dioné (une nièce de Cronos) et que Cupidon et Himéros étaient les fruits de ses amours adultères avec son demi-frère Arès.
Si le peintre a voulu nous mettre en garde contre la luxure, le temps lève le voile sur une scène incestueuse représentant Vénus dans les bras de son fils Cupidon. S’il a voulu convoquer les dieux primitifs pour nourrir sa méditation sur les mystères du Temps, Éros est ce dieux premier qui attendait l’arrivée de sa dame Aphrodite pour imposer aux dieux et aux hommes le cycle exténuant de l’Amour. Auquel cas, le tableau représente l’Amour séduit par la Beauté. Il n’y a alors d’amour vrai que celui de la beauté et il n’y a de beauté que couronnée par l’Amour. Éros ne dérobe pas le diadème d’Aphrodite mais le met ou le remet en place. Et ses contorsions provocantes ne sont que le résultat de ses efforts pour soutenir sa reine qui semble entre ses mains une marionnette qu’il ranime (la renaissance de Vénus). J’y vois même, malgré moi, une descente de croix, ou une déposition du grand corps de Vénus dont la spirale dextrogyre s’affaisse lentement, soutenue par Éros. Il s’agirait d’une fabuleuse inversion des rôles, Vénus prenant la place du Christ et Cupidon celle de Marie. Vénus, fille du Ciel, surgie de l’écume pour sauver les hommes ! Des bûchers se sont allumés au souffle de fables moins audacieuses.
Par les temps qui courent, le chaos social et politique – figuré par la chimère et la folle – angoisse les artistes qui sentent glisser sous leurs pieds toute fois et toute certitude. Afin d’exorciser leurs craintes, ils plongent les anciens mythes dans le chaos pour les reconstruire à partir de celui-ci (la chimère tend le rayon de miel). Éros fait en sorte qu’Aphrodite se redresse, il la ranime, bouche contre bouche, encouragé par Himéros.
Afin de ne pas être soupçonné d’hérétisme, l’artiste dissimule ses angoisses sous le masque de la froideur, derrière une débauche de virtuosité, mélange de sophistication et de complexité. L’esthétisme évolue vers la négation de l’espace fictif mais contraignant des perspectives, au profit d’une surface close où les figures composites s’accumulent et s’équilibrent dans l’apesanteur d’un monde d’idées pures – Vénus est comme suspendue -, associant les chimères et les songes de l’artiste à une profusion de significations morales et symboliques.
Michel-Ange avait montré la voie. Mais quel chemin parcouru en moins de quinze ans !
Dans le dessin de Vénus et Cupidon de Michel-Ange, Vénus est massive, elle porte le petit Éros qui n’a pas la maturité de l’adolescent de Bronzino.
Vénus et l’Amour de Pontormo (1533), d’après un dessin de Michel-Ange (1532)


Contrairement au huis clos du Triomphe de Vénus, une perspective est ouverte en direction d’une nature crépusculaire très codifiée (on retrouve un décor similaire dans Cupidon se plaignant à Vénus, 1526, de Cranach l’Ancien). Éros remonte le drap bleu nuit pour préserver l’intimité de la déesse. Les outils de l’Amour sont rangés dans une sorte de meuble rustique surmonté d’une vasque où macèrent des roses. Les déités grecques ont ôté leurs masques romains. On voit une marionnette abandonnée en bas du meuble. L’arc appuyé contre le meuble est trop grand pour Éros. C’est ce qui me laisse penser que la scène représente non pas Aphrodite mais Pénélope amoureuse attendant le retour d’Ulysse, marionnette soumise aux caprices des éléments, dont l’arc détendu que lui seul peut bander rappelle l’absence cruelle. La main gauche de Pénélope indique Éros, sa main droite indique l’arc de l’absent : son amour pour son époux est intact. Et toujours cette flèche phallique dont l’or traduit la nature phantasmatique propre à transmuter celle ou celui qui sera touché par elle. Le bras d’Éros sur la gorge de Pénélope enjoint celle-ci à garder le silence, à taire sa douleur, à ne pas répondre aux propositions de mariage des prétendants et à attendre les auspices favorables qui ne manqueront pas de surgir tôt ou tard de la branloire pérenne70 du monde. Au centre du tableau, le genou71 d’Éros symbolise la clémence : le dieu enjoint la femme à faire ce qui est juste en surpassant de son sexe la faiblesse que la proximité du talon72 symbolise.
Dans Le Triomphe de Vénus, c’est au contraire Éros qui est réduit au silence. Quelle soit Vénus ou Aphrodite, la déesse de Bronzino triomphe sur tous les fronts. Soit elle dénonce la luxure, soit elle célèbre son union avec Éros, soit elle renaît grâce à ses courtisans et frères d’arme qui la vénèrent, soit elle impose le temps de l’Amour, soit elle se charge des péchés des hommes, telle une Ėve miraculeuse.
Platon a inventé une belle histoire pour expliquer que le premier amour, c’est à dire le désir de la Beauté, est né tandis que s’écoulait en lui la splendeur imparfaite des idées73 (la Beauté venait de naître lorsque l’Amour fut conçu) : dans les jardins de Zeus, alors que les dieux célébraient la naissance de Vénus, Éros aurait été conçu par Poros ivre de nectar – une divinité allégorique, inventée par Platon, personnifiant l’expédient74 – et la mendiante opportuniste Pénia (la Pauvreté). On a les favorites qu’on mérite !
Mais l’expression carnassière qui déforme le visage de Cronos dévoilant Vénus (comme Cronos dévorant ses enfants, l’amour est dévorant), est-elle celle d’un demi-frère jaloux ou secourable ? Celui d’un grand-oncle concupiscant ou protecteur ? L’esprit est un royaume où se croisent la lumière et la sanie. Si l’âme vit avec Vénus la vie concupiscible75 et avec Cronos (Saturne) la vie contemplative76, Bronzino ironise en peignant la perversité sur le visage de Cronos, laissant entendre qu’il n’y a qu’un pas du contemplatif au concupiscible, que nous fait franchir le voyeurisme, celui de Cronos et celui du spectateur.
Aujourd’hui, je vais suivre les humus chanteurs. Sourd aux injonctions de la miasmatique, je goûte les effluves acides des parties excrémentielles et bourbeuses de ce monde inférieur. Je ne m’éloignerai pas. Les terres sont spongieuses et mon pied n’est pas sûr. L’air est étrangement doux pour la saison. Je redoute le printemps et l’explosion de ses vermines qui me fait sortir par les narines, des vers comme des pouces. Il faut que je change ma chemise, elle empeste.
Rochefort en Yveline
Hier, nous avons sans encombre mais non sans douleur, couvert les quatre lieues séparant Limours de Rochefort. J’ai la ferme intention de suivre une chasse mais la fièvre pousse son fer et les douleurs sont omniprésentes. J’ai rêvé que j’étais poursuivi par une meute. Je ne vais pas pouvoir donner le change bien longtemps.
La nuit n’a été ni réparatrice ni fructueuse. Ah, si, j’ai remarqué que les deux mains de chaque figure principale du Triomphe de Vénus étaient occupées à des actions contradictoires ou complémentaires, c’est selon. La mobilité et les intentions des corps en quête d’infini témoignent de la dignité de l’homme – seule créature susceptible de se mouvoir à travers l’échelle des êtres. Les corps ne sont plus inscrits sur la grille contraignante de la perspective mais hiérarchisés en fonction de leur volume et leur capacité à prendre la lumière et se mouvoir ; dans l’ordre, Aphrodite, Éros, Himéros, Cronos, la chimère, la vieille femme, l’Oubli, les colombes, les masques.

Les mouvements sont capturés par le peintre à leur acmé. En particulier ceux des mains.
Vénus serre dans sa main gauche la pomme d’or que lui offrit jadis Paris pour glorifier sa beauté insurpassable ; dans sa main droite, elle brandit une flèche d’or dans le prolongement du bras de Cronos ; ce qui n’est pas sans rappeler La Création d’Adam de Michel-Ange – c’est amusant, il a terminé cette fresque l’année où la Jacquette77 m’a fait homme.
La Création d’Adam de Michel-Ange

À moins qu’il ne s’agisse de la création d’Ève à partir d’une côte d’Adam – la flèche prise au carquois d’Éros serait cette côte.
Bien qu’éloignées l’une de l’autre, autant que le permettent les bras de la déesse, la pomme et la flèche se départissent mal de la symbolique ithyphallique dionysiaque.
Vénus regarde à contre jour la flèche qu’elle élève dans la lumière. Au creux de la main enveloppante, la pomme d’or symbolisant le monde, associée à la flèche d’or dans la main à l’index pointé, rappelle le premier principe hermétique : le Tout est esprit, l’univers est mental.78
Vénus maîtrise la beauté qui veut être une79, le désir et la lumière de l’amour toujours renouvelé, n’en déplaise au sombre Cronos qu’elle défie en opposant au bras tendu de celui-ci, le signe de protection contre le mal qu’elle esquisse avec ses doigts tendus « en cornes de diable » (ou de taureau), posés sur la flèche80. Elle triomphe et ne craint rien ni personne. Dans le langage vert des initiés, son auriculaire pointé symbolise et honore le mystère féminin et la régénération naturelle de la vie.
Vénus ne craint certainement pas Cupidon le hardi qui d’une main érige le téton de la déesse et de l’autre essaie de la détrôner en lui ôtant son diadème, ni Himéros qui dans ses mains froisse des pétales de rose et de son pied foule une branche de ronce, ni la folle qui serre sa tête entre ses mains et dont la bouche grande ouverte expose des dents menaçantes.
Craint-elle davantage la chimère qui, singeant la déesse, serre dans la main gauche un rayon de miel, quintessence du désir éternel (le miel entre dans la composition de l’ambroisie), et tient dans sa main droite l’aiguillon de sa queue de scorpion ?
Pomme et flèche d’or versus rayon de miel et aiguillon ; divinité versus animalité : l’échelle des être est ici représentée toute entière.
Cette chimère est la matérialisation des dérèglements engendrés par l’amour dans le cerveaux des hommes sans foi, ici mis en scène en utilisant les protagonistes de cette confrérie de la jarretière (chevillière, diadème, carquois en bandoulière) qui n’est qu’un théâtre d’ombres sur le drap du vieux Cronos.
J’ai aussi remarqué qu’aucun arc ne figurait dans ce tableau. Cependant, certains personnage adoptent la position du tireur à l’arc. Cronos le premier, dont la main gauche semble avoir décoché une flèche en direction de l’Oubli. Est-ce cette flèche que Vénus a interceptée ? À moins que celle-ci fût un gnomon transmis, tel un relais, à la Déesse par Cronos afin de permettre à celle-ci de jouer avec le cycle des heures et les alliances des constellations.
L’Oubli semble, quant à lui, tendre de la main droite, la corde d’un arc imaginaire, déformant l’arme comme il déforme la vérité entre ses doigts prompts à disperser le sable du Temps.
Les deux mains des tireurs sont naturellement placées au niveau de leurs gorges, indiquant qu’ils sont tenus au silence. La scène dévoilée est donc par nature ésotérique et cryptée.
Déformation professionnelle, la main droite de Cupidon pince le téton entre l’index et le majeur comme le talon d’une flèche. La main de la chimère dorlote mêmement sa queue de scorpion.
La tête et les bras de Vénus figurent peut-être l’arc ultime que Cupidon tente en vain d’apprivoiser tel l’Antinoos81 de l’Odyssée.
Ces considérations cynégétiques ne doivent pas m’égarer. Il faut que je retrouve la force de suivre une chasse. En attendant, je dois me contenter de la meute que j’ai fait venir sous mes fenêtres. Les jappements des bêtes trépignant sur le gravier calment mon grand corps malade.
Le château de Rambouillet
La dernière nuit à Rochefort fut un enfer. Il n’est plus question de chasse. Pour la première fois j’ai écouté mes médecins qui n’ont pas mis plus de deux nuits à me convaincre de rentrer à Paris. Je savais que je ne pourrais pas faire le trajet d’une seule traite. Hier, les cinq lieues qui séparent Rochefort du château de Rambouillet ont été un écartèlement.
Rambouillet n’était pas précisément sur le chemin de Paris. Je soupçonne mon entourage de vouloir faire étape dans un domaine digne de la mort d’un roi. Je suis en observation en un lieu où la cours trouvera à s’entasser. Les carrosses ne cessent d’affluer. La noblesse toute entière veut assister à mon agonie.
Le fait est que, depuis mon arrivée à Rambouillet, je garde le lit comme une femme en couche.
Cette nuit, Léonard m’est apparu en rêve. Je ne sais si c’est de bon augure. Nous étions en conversation, comme à notre habitude. J’ai commencé mon règne avec lui et il nous a quitté un mois après la naissance d’Henri, qui va me succéder. C’est le privilège des rois de pouvoir s’entretenir avec les grands esprits. Dans ce rêve, il m’a dit ceci :
Tend un fil entre l’effet et le rayon et jusqu’à la cause, prolonge-le.
Il a ajouté :
Avec le temps tu comprendras intimement la signification de ce tableau.
Heureusement que je suis rompu aux circonvolutions du prodigieux Léonard !
Le temps n’est autre que le vieux Cronos – heureusement car du temps, je n’en dispose plus. Et le rayon n’est pas celui du cercle mais celui du miel – en l’occurrence, un rayon de miel n’a jamais aussi bien porté son nom.
J’ai donc à ma disposition deux clés. D’une part le Temps et d’autre part le rayon de miel tendu par la chimère, le seul attribut de Vénus qui ne soit pas sur le cercle circonscrit au tableau, mais proche de son centre. Mettons à l’épreuve de cette clé, qui me fut donnée la première, la recommandation de Léonard.

Par exemple, pourquoi le fessier cambré de Cupidon (a) ?
Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit à la croupe de la chimère. La chimère provoquerait un dérèglement des esprits, leur imposant une forme de mimétisme inconscient à l’origine des chaos de l’âme. La chimère elle-même est un être indifférencié, hésitant entre plusieurs espèces, capable de mimer tout ce qu’il voit, chacune de ses parties étant la capture d’un reflet. Son mimétisme communicatif réduit le désir de chacun à ce que l’autre désir, faisant de l’homme un éternel insatisfait à la vindicte peu commune. Seul les dieux, par nature infinis, sont en mesure de résister à cet engrenage qui conduit les hommes farouches à l’indifférenciation et à la folie. C’est la raison pour laquelle il est préférable d’aimer Dieu qui est aimé de tous et qui vous aime d’un amour infini et inconditionnel.
J’en veux pour illustration l’histoire de ce gentilhomme relatée dans Le Livre du Courtisan, au chapitre XXXIV du livre deuxième, que je résume ainsi : « Bien que courtois, vaillant et honnête, ce gentilhomme restait tout à fait banal et n’excellait en aucune de ces qualités. Néanmoins la fortune voulu qu’une dame se mit à l’aimer avec grande ferveur. Poussée par sa trop grande passion, elle découvrit son désir à une autre femme ; d’où il advint qu’entendant parler si affectueusement de ce jeune homme qu’elle n’avait jamais vu et sachant que cette dame était de bon jugement, cette autre femme imagina aussitôt que celui-ci était le plus digne d’être aimé qui fût au monde ; et ainsi, sans le voir, elle s’enamoura de lui si fort qu’elle commença à faire tous ses efforts afin qu’il répondît à son amour. Elle y parvint sans beaucoup de peine parce qu’en vérité elle était femme digne d’être priée plutôt que de prier autrui. Peu de temps après il arriva qu’une lettre qu’écrivait cette dernière dame à son amant tomba entre les mains d’une autre très noble dame qui compris qu’elle était écrite avec une affection amoureuse extrême. Les paroles douces et pleines de feu qu’elle lut, eurent tant de force que, les retournant dans son cœur et considérant de quelle sorte devait être celui qui avait pu amener cette dame à tant d’amour, soudainement elle en devint, elle aussi, amoureuse ; et cette lettre fut peut-être d’un plus grand effet qu’elle n’eût été si elle lui avait été envoyée par le jeune homme. La chose fut connue de tous et se répendit si bien que de nombreuses autres dames, en partie pour dépiter les autres, en partie pour faire comme les autres, mirent toute leur habileté et leurs efforts à jouir de l’amour de cet homme. »
Derrière la flamboyante Vénus, le mimétisme sournois d’une chimère contrôlerait-il nos sentiments ?
Mais avant de parvenir à la croupe de la chimère, le fil passe par le ventre d’Himéros, le « désir incontrôlé ». Cupidon appelle-t-il ce ventre à venir se poser sur ses reins ? Un clin d’œil aux passions notoires de Bronzino, que la Chimère, avide d’indifférenciation, considère comme bienvenues en son royaume ? Ou bien le peintre proclame-t-il simplement que l’Amour n’est pas le privilège des hétérosexuels ?
L’homme s’étant vu gratifié, selon la formule chaldéenne, d’une « nature variable, multiforme et voltigeante », lui donnant le pouvoir d’avoir ce qu’il souhaite et d’être ce qu’il veut, la chimère montre le cauchemar qui peut advenir s’il se contente du sort des créatures sensibles en s’abandonnant au mimétisme et à la luxure, au lieu de rassembler le multiple dans l’un, tels les membres d’Osiris, et de se recueillir au centre de son unité pour former avec Dieu un seul esprit « dans l’ineffable opacité du Père dressé au-dessus de toutes choses » , ici figuré par Cronos.
Pourquoi la vieille femme souffre-t-elle en se tenant la tête dans les mains (b) ?
Nous venons de voir que l’obsession mimétique, conduisant au désir du partenaire d’autrui, ronge les hommes jusqu’à la folie. Par ailleurs, Cronos met un terme cruel à ce vertige en instruisant la décrépitude, lente ou accélérée, dans le corps et dans le cœur de l’homme. Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit au sexe d’Himéros, le désir incontrôlé. L’obsession a rendu folle cette femme dont la bouche grande ouverte, encore pourvue de dents, est prête à châtrer le porteur du phallus pour que cesse son tourment.
Pourquoi la Vérité a-t-elle un visage aussi peu expressif (c) ?
Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit à une paire de masques dont l’un est jeune et pâle et l’autre âgé et bronzé. Le visage de la Vérité est inexpressif car il porte encore le masque de l’Oubli. Le propre de l’Oubli est de semer la confusion et de brouiller les identités, comme le font les masques. La chimère compte sur cet égarement pour prendre le pouvoir.
Pourquoi Vénus brandit-elle une flèche d’or derrière la tête de Cupidon pendant que celui-ci pose sa bouche sur celle de la déesse (c) ?
Habituellement, Vénus tend la flèche d’or à Cupidon. Ici, elle la brandit derrière son dos. Peut-être même l’a-t-elle tirée de son carquois.
Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit également à la paire de masques déposés sur le sol, symbolisant une révélation. Vénus contemple la flèche d’or, le visage tourné vers la lumière, tel Jésus contemplant la croix que son cousin Jean-Baptiste vient de lui offrir, dans La Vierge à l’Enfant avec les saints que Bronzino a peinte cinq ans plus tôt.
Le Triomphe de Vénus et La Vierge à l’Enfant avec les saints


Dans ce tableau, la vierge tient son visage tout près de celui de Jésus pour sublimer son rôle de mère nourricière. Jésus donne naissance à Marie. Les rôles s’inversent également dans Le Triomphe de Vénus où, tel une abeille ouvrière nourrissant sa reine de langue à langue82, Cupidon nourrit et stimule sa mère. Vénus est une pondeuse d’idylles, une source de félicité dont dépend l’avenir du monde. Les masques ôtés symbolisent la révélation et l’illumination.
Quelles sont les intentions de Cronos, d’Himéros – le désir incontrôlable – et de la chimère (d) ?
Pour les trois têtes alignées, le fil tendu passant par le rayon de miel conduit au sexe de Vénus. Cronos veut percer le mystère de ses origines, Himéros recherche l’objet de son désir incontrôlable et la chimère veut prendre le pouvoir par et sur le sexe de la déesse. Le rayon de miel en est la quintessence. Vénus est une fontaine de jouvence à laquelle tous viennent s’abreuver. L’abeille est le symbole de la maternité virginale. Le miel est comparé au lait maternel de la Vierge et, selon Hadewijch d’Anvers, « Jésus est miel à notre bouche« . La chimère presse le rayon de miel – symbole du sexe de la déesse – comme Cupidon presse le téton de Vénus, comme les colombes goûtent leurs laits83 en se becquetant.
Pourquoi ces fleurs de rose (e) brandies entre les mains d’Himéros, le désir incontrôlable ? Il est possible qu’il souhaite les offrir à Vénus pour lui témoigner son allégeance, comme il est d’usage à un vassal envers son seigneur. Mais il les porte comme un trophée. Quelle est leur provenance ?
Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit aux deux colombes se bécotant. Il est clair à mes yeux que les pétales de ces roses sont les virginités ôtées aux belles par le désir incontrôlable, indifférent à la douleur et aux regrets. L’on sacrifiait jadis des colombes à la déesse Aphrodite. Les roses coupées arrachées par le Désir sont les hymens sacrifiés à l’Amour.
La seule vocation de l’Érote est d’obéir à sa reine en dépit des souffrances qui pourraient advenir. Son pied ne foule-t-il pas une branche épineuse, indifférent à la douleur ? Le symbole de la flèche d’or perçant les cœurs laisse entendre que l’amour n’exonère pas de la souffrance. Les femmes en savent quelque chose lorsqu’elles se retrouvent les jambes en croix, à l’heure de la délivrance. Mais la souffrance rédemptrice n’est pas le fond de commerce de Vénus qui, entourée de ses Érotes aux ailes bruissantes – Éros, Himéros, Antéros l’amour réciproque, Pothos l’amour de l’absent, Hédylogos le beau-parleur, Hyménaios l’hymne nuptial, Hermaphroditos, Phtonos la jalousie, et j’en passe – est elle-même une chimère aux extensions multiples, une hydre indifférente, comme une reine des abeilles et ses ouvrières, un roi et ses courtisans. La gémellité d’Éros et d’Himéros participe de ce chimérisme : le fil tendu partant du nombril d’Himéros et passant par le rayon de miel conduit à celui d’Éros (f).
Enfin, quel est le rôle de la pomme d’or (g) que serre Vénus dans sa main gauche, au bout de son bras ballant, trophée tenu à distances des protagonistes qui s’agitent autour d’elle avec des intentions inégales et ambigües ?
Le fil tendu passant par le rayon de miel conduit en premier lieu à la main d’Éros-Cupidon posée sur le diadème de la déesse. Geste tendre ou geste fourbe ? La possession de la pomme d’or attribuée à Vénus par Paris pour récompenser la beauté de celle-ci, rappelle que Vénus est l’élue indétrônable, ce que rien ni personne ne peut remettre en question ou faire oublier. Ni Cupidon, ni la déesse de l’Oubli dont la main gauche tente de rabattre le drap sur la scène qui nous est dévoilée. C’est en effet à cette seconde main que conduit le fil tendu passant par le rayon de miel.
Enfin, l’on peut se demander s’il n’y a pas un tableau dans le tableau, centré sur le rayon de miel qui symboliserait ce qui est bon, c’est à dire la bonté dans son sens sacré (le contraire du venin se trouvant dans l’autre main de la chimère). Le livre du courtisant n’affirme-t-il pas « que la beauté vient de Dieu, et qu’elle est comme un cercle dont la bonté est le centre84 » ? Allégorie dans l’allégorie, la chimère dessinerait son propre tableau à partir du rayon de miel, dans un rayon d’action qui partirait du bord droit du tableau, là où se trouve le dard et son ampoule à venin.

Le cercle à mi-parcours délimiterait une première sphère du désir sensible comprenant les yeux de la chimère, le sexe d’Himéros et la main de Cupidon sur le téton de Vénus.
Plus largement, le cercle de l’amour intelligible mettrait en relation le dard de la chimère, la chevillière d’Himéros, la pomme d’or, le sexe de Vénus, la tête de Cupidon, la tête d’Himéros et la poignée de roses.
Éros, est amoureux de la beauté (la pomme d’or et le sexe de Vénus), poussé vers elle par un désir incontrôlable (Himéros, les roses et la chevillière) comme sous l’emprise d’un philtre (le dard et son venin), tel ce vin herbé destiné au roi Marc et à la reine Iseut, « afin qu’ils s’aiment de tous leurs sens et de toute leur pensée, à toujours, dans la vie et dans la mort » ; ou tel les « venins enchantés » que les yeux répandent après avoir décoché leurs flèches.85
L’on voit une fois encore qu’Himéros est le personnage principal, celui auquel peut s’identifier le spectateur. Son corps occupe toute la hauteur du nouveau tableau et ses membres donnent la direction des diagonales.
J’ai bien avancé ce jour sur les tenants et les aboutissants de cet énigmatique tableau. Le prisme du Temps devrait m’aider à dégager une signification holistique de ce tableau. Je sais d’ores et déjà qu’elle ne sera définitive que pour moi seul, dont la mort approche et dont l’esprit se fragmente telle une chimère putride.
L’agonie du roi
On est le 20 février. Ma santé s’est encore détériorée. Je n’ai pas quitté le lit depuis mon arrivée à Rambouillet, mi-février. On m’a percé les émonctoires afin d’évacuer le pus nauséabond produit par mes entrailles. Reprendre la route de Paris dans cet état n’est pas envisageable. L’on commence à me parler de confessions générales et d’extrêmes-onctions. Au cas où, cela s’entend. En vérité, je crois que j’agonise. Je ne suis pas seul à le penser.
Sans toutefois les remettre en question, j’ai confessé l’alliance que j’ai mise en place avec le roi d’Angleterre Henri VIII, l’ennemi héréditaire de la France, ainsi que d’autres arrangements avec les princes protestants de l’Empire et le sultan ottoman Soliman le Magnifique – arrangements contraires aux intérêts chrétiens dont je suis censé être le garant. Mais que serait un garant sans royaume ?
Soit dit en passant, ce voyage a été inauguré par la fête donnée à l’occasion de la mort d’Henri VIII d’Angleterre, il pourrait bien s’achever par mes royales funérailles.
J’aurais souhaité confesser également l’exécution de l’édit de Mérindol et la croisade contre les Vaudois protestants de Provence. Le président du Parlement d’Aix et le baron d’Ollières exécutèrent mes ordres au cœur joie. La cruauté mise en œuvre fut sans précédent. Même Charles Quint s’en était ému. Je devais donner une preuve de ma bonne volonté tout en continuant d’apporter mon secret soutien aux princes protestants de Germanie pour affaiblir l’empire. Anne de Pisseleu, j’implore votre pardon ! Hélas, une telle confession n’était pas recevable par Monseigneur l’évêque.
Je suis aussi censé préparer une harangue à l’attention de mon fils Henri, mais mon cœur est tari. J’improviserai quelques banalités. Je préfère consacrer le peu de force qui me reste au Triomphe de Vénus.
Même si ma raison s’égare, j’ai maintenant, sur cette œuvre, les idées assez claires. M’appuyant sur les enseignements du Livre des Courtisans, « je dis donc que selon la définition des sages anciens, l’amour n’est autre chose qu’un certain désir de jouir de la beauté. »86 Quoique Bronzino nous mette en garde contre cet « influx de la bonté divine » lorsque l’âme « se laisse guider par le jugement du sens. »87 « Avec le frein de la raison, » le vieux Cronos « corrige ce que le sens a de mauvais. »88
Pourquoi tant de mystère autour de ce tableau dont la vérité est dans le titre. L’Amour et la Beauté triomphent dans la lumière face aux enfants de la nuit (Nyx) relégués dans l’ombre ou en arrière plan : Phtonos (la jalousie), Apaté (la Fraude) et Léthé (l’oubli), ceux qu’Empédocle regroupe derrière l’étendard de Neikos (la querelle)89.
Vénus triomphe en dépit de sa nature chimérique qui n’est pas étrangère à celle du monde qui advient. Ce tableau fait naître en moi l’intuition d’une irréductible complexité, plus précieuse en définitive que l’ordre, l’équilibre ou la raison, et qui n’est pas étrangère aux mystères de la conscience.
Les déités au service d’Aphrodite obéissent aveuglément à la déesse car elles forment avec elle une entité complexe, ambivalente et protéiforme, à l’image de nos sentiments. L’Amour éphémère, sans cesse nous dévore et nous recrache dans les cendres fumantes de notre mémoire afin que nous poursuivions notre route vers le prochain amour, jusqu’à l’amante ultime dont nous implorerons le coup de grâce et le mortel venin. Purifiés par l’Amour, peut-être renaîtrons-nous comme lui, dans l’unité du seigneur ou ailleurs.
Par-delà les spéculations mythologiques et religieuses, et par-delà la grâce qui, étrangère à l’essence de l’âme90, est la volonté de faire coïncider le beau et le bon dans l’unité harmonique de l’être91, Bronzino pose, à travers la subjectivité de son art, la question philosophique de la possibilité de la représentation de la vénusté (la beauté dont il est éperdument amoureux, tel un Apelle d’Éphèse92). Derrière l’ironie, la virtuosité et l’apparence de la facilité, cernée par le vice euphémisé, la beauté triomphe au prix d’un embrasement de l’âme. Les artifices ont pour enjeu une eschatologie de l’art.
Je soupçonne toutefois Bronzino, persuadé qu’il est que le péché est soluble dans la grâce93, d’espérer que celle de ses personnages rejaillira sur lui et lui vaudra d’être accueilli par Dieu dans la vie éternelle.94 Rien de moins sûr !
La mort du roi
Hier, j’ai reconnu mon fils Henri comme héritier légitime.
J’ai pressé Anne de Pisseleu de gagner Limours. Je crains pour sa vie bien que j’ai fait jurer à Henri de lui accorder la vie sauve.
Je souffre atrocement. Il est temps d’en finir avec Cronos.
Quel est la devise du temps ?
Celle de notre famille fut instituée par mon maître, François Demoulins : « Nutrisco et extinguo » , « Je nourris et j’éteins » . Mon grand-père Jean d’Orléans, comte d’Angoulême, avait choisi la salamandre comme emblème, après être parvenu à éteindre les vieilles querelles et accessoirement être resté l’otage des Anglais pas moins de 33 ans.
La croyance veut que cet animal mythique soit capable de vivre dans le feu, qu’elle nourrit, et de l’éteindre. On a coutume de la représenter comme un gros lézard à tête de dragon, environné de flammes.


Des flammes semblent sortir de sa bouche mais il est plus exact d’affirmer qu’elles y entrent, puisque la bête s’en nourrit – ce qui a pour effet d’éteindre le feu. Insensible aux flammes, la salamandre nourrit le feu qui l’environne et, en le dévorant, l’éteint. D’où la devise « Je nourris et j’éteins« .
Ainsi procède Vénus quand elle enflamme le cœur des hommes d’une flamme dont ils se nourrissent au lieu que d’en périr.
On dit qu’en Cypre estoit jadis une fournaise,
En qui la Salamandre au milieu de la braise
Entretenoit sa vie, et se mouroit alors
Que la flamme sa mere abandonnoit son corps.
Nos pensers, qui tousjours tournent tout à l’entour
De la personne aimée, et se meuvent d’Amour
(Comme tout mouvement est chaud de sa nature)
Nous enflamme le cœur d’une flamme si pure
Et si belle, qu’en lieu de nous faire mourir
Nous sentons son ardeur doucement nous nourrir.95
Mais si, bientôt insensible, le corps – ou l’esprit, je ne saurais dire – n’entretient plus le feu, alors l’amour s’éteint. Aux châteaux de Fontainebleau et de Chambord, foin de l’Amour, aucune flamme n’entre ni ne sort de la bouche de mes salamandres. J’ai voulu écarter tout malentendu en leur faisant cracher des épis de blé tendre.

C’est, me semble-t-il, plus valorisant pour notre famille et plus compréhensible par le vulgaire qui n’imagine pas un dragon avaler du feu.
Par ailleurs, la France étant de toutes parts entourée d’ennemis auxquels elle résiste avec courage et succès, j’ai conservé les flammes dont l’animal est environné.
Le roi nourrit la France et neutralise ses ennemis !
Ce gros lézard disgracieux me rappelle ma première épouse, Claude de France. Cette fille de Louis XII était bigle, boiteuse et obèse. Elle m’a tout de même donné trois fils. La vérité est que, malgré sa laideur, elle avait la coquille juteuse comme la reine-claude à laquelle elle a donné son nom, et elle gamahuchait dans les bosquets avec une telle ardeur, qu’il était difficile de lui résister.
A-peine eut dit qu’elle s’approche,
Et le bon François qui l’embroche
Fist trepigner tous les Sylvains
Du dru maniment de ses reins.96
Cela dit, « Je nourris et j’éteins » pourrait être la devise de Cronos qui fait naître et mourir toute chose ; ou celle de Vénus qui fait naître le feu de l’amour qui ne tarde pas à s’éteindre.
Elle doit bien y être pour quelque chose. L’amour protéiforme qu’elle inspire, manque le plus souvent de vigueur. Cronos s’en amuse avec un rictus de vieux fripon. La distraction favorite de ce psychopathe consiste à écarter fortuitement un rideau pour dévoiler un miroir dénonçant les ravages du temps à son contemplateur pris au piège de son reflet. Un amour de la Vérité qui tourne au quauquemaire97.
Seul l’amour du Christ est infini. Le Christ ne renaît qu’une fois mais Vénus doit renaître sans cesse. Vénus l’indestructible nourrit le feu de l’amour puis l’étouffe (en baisant Éros, elle avale l’amour et l’éteint). Des milliers de pétales de roses ne cacheront pas le tapis de cendre qu’elle laisse derrière elle. C’est à se demander si son mari, Héphaïstos, dieu du feu et de la forge – et boiteux comme feu la reine Claude – ne serait pas derrière tout ça, afin de se venger des trop nombreux amants de sa moitié.
Vénus est une grosse salamandre aux pieds de laquelle je me suis souvent agenouillé. Vénus, faites cesser ma douleur, éteignez le feu qui me dévore les entrailles ! Faites en sorte que je n’arrache pas les derniers cheveux qui me restent. Abrégez mes souffrances et délivrez-moi des puanteurs. Enveloppez-moi du drap bleu du ciel étoilé dont vous êtes la fille, que vos anges m’emportent et lâchent au-dessus des flots, ma carcasse suintante. Éros, Himéros, Antéros, Pothos, êtes-vous là ?
Nous sommes le 31 mars. Je dois souhaiter son anniversaire au nouveau roi Henri II. J’ai peur de lui porter la poisse. Il va falloir que je meure avant la fin du jour pour éviter cette situation malséante.
La salamandre est allongée dans la cheminée – à moins que ça ne soit la gravure qui orne le contrecœur98. Elle me rappelle le dragon qui se mort la queue, cette ancienne figure du temps cyclique d’Éon et d’Aphrodite. Elle s’est retournée. Elle me regarde de ces grands yeux mélancoliques. Je crois que je délire. Elle s’est levée. Elle s’approche. Elle est majestueuse. C’est une déesse. Elle tend vers moi son mufle plus doux que le cul de Cupidon. Elle va me dévorer, et avec moi ce feu qui me dévore.
En place du nœud de Savoie de ma mère Louise, qui symbolise la concorde et les liens familiaux, un dard équipe l’extrémité de la queue de l’animal : passée la naissance, pourquoi faut-il qu’on meurt loin de sa mère ? L’horloge vient de sonner treize heures. À l’abri dans la salamandre, serais-je protégé des flammes de l’enfer ? Serai-je libéré de ce feu qui, depuis des années, les entrailles me ronge ? J’espère au moins que mes péchés, qui finissent avec moi, ne justifieront pas des peines infinies.99
Pardonnez-moi, mais je crois qu’il faut que je meure.
Je vous salue heureuses flames,
Estoiles filles de la Nuit,
Et ce destin qui nous conduit
Que vous pendistes à nos trames100.101
« In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum ».102 Adieu Marguerite103, Henri, Anne de Pisseleu, Pierre du Chastel104 ! Je pars !
Adieu chers compaignons, adieu, mes chers amis,
Je m’en vay le premier vous preparer la place.105
Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, peut-être serais-je autorisé à suivre le cerf dans les guérets du Seigneur !
D’en plus parler je me desiste,
Ce n’est que toute abusïon ;
Il n’est qui contre mort resiste
Ne qui treuve provisïon.106
Jésus , ma mère, Claude, Charles, Vénus, Léonard, me voici !
Annexes
Genèse de l’article
Lors d’une visite à la National Gallery de Londres, en été 2024, deux tableaux de Bronzino, La Vierge à l’Enfant avec les saints et Le Triomphe de Vénus avaient retenu mon attention. J’avais été sidéré par l’indigence des présentations accrochées sous les tableaux. Certaines similitudes entre les deux œuvres m’avaient frappé malgré leurs sujets a priori très différents. Il y avait matière à réflexion. J’ai présenté succinctement ces deux tableaux dans mon article précédent, Tensions superficielles.
Très vite j’ai su que Le Triomphe de Vénus allait faire l’objet d’un article à part entière.
J’ai appris que la représentation du Triomphe de Vénus avait été détournée de sa fin première pour devenir un tableau destiné à être offert à François Ier.
En m’apercevant que le roi était mort en 1547, soit moins d’un an plus tard, j’ai eu l’idée de faire analyser le tableau par François Ier, durant le court voyage qu’il entreprit environ un mois avant sa mort.
Evidemment, tout cela est romancé.
J’ai exploré Wikipédia et les quelques sites que voici afin de trouver mon chemin (les contenus utilisés pour écrire l’article sont marqués d’un astérisque) :
- Analyse du tableau Le Triomphe de Vénus*
- Bronzino*
- Généalogie des divinités*
- Salamandre*
- Les derniers jours d’un roi*
- Mort de François Ier*
- Anne de Pisseleu*
- Lexique de l’ancien français*
- Un autre tableau : Vénus, Cupidon et la jalousie (1550)*
- Cahiers d’histoire : Le Portrait du diable (2021) de Daniel Arasse*
- La Table d’Emeraude : texte complet et interprétation*
- Autre analyse du Triomphe de Vénus
- Les secrets de Bronzino
- L’ironie
- Temps et eschatologie
- Ne pas céder sur son désir (4€)
J’ai lu ou parcouru quelques livres pour m’imprégner de la culture du XVIe siècle, afin que l’interprétation du tableau respectât l’esprit de l’époque (les lectures utilisées pour écrire l’article sont marquées d’un astérisque) :
- Anthologie de la poésie française du moyen âge au XVIIe siècle, Pléiade*
- De la dignité de l’homme (1485) de Pico della Mirandola*
- 900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques (1485) de Pico della Mirandola*
- Le livre du courtisan (1528) de Castiglione*
- Galatée (1558) de Giovanni Della Casa*
- Essais d’iconologie (1939) d’Erwin Panofsky*
- La Renaissance maniériste (1997) de Daniel Arasse*
- If the Paintings could talk (2008) de Michel Wilson*
- L’histoire de France pour ceux qui n’aiment pas ça (2012) de Catherine Dufour*
- Renaissance italienne – Les messages cachés des grands maîtres (2022) de Renee Mulcahy et Armand d’Apremont*
- La société du mystère (2017), roman de Dominique Fernandez.
Généalogie des dieux grecs
Chaos est la personnification du Vide primordial. Selon La Théogonie d’Hésiode, Chaos est le premier à naître, suivi de Gaïa (la Terre) puis d’Éros.
En pointillés verts, une autre hypothèse concernant les naissances de Vénus et des Érotes.
En gras, les personnages du Triomphe de Vénus.

Correspondances entre dieux grecs et romains
En gras, les personnages du Triomphe de Vénus.
Dieu grec | Dieu romain |
---|---|
Ouranos (ciel étoilé) | Cœlus puis Uranus |
Cronos (temps) | Saturne |
Léthé (oubli) | Léthé |
Aletheia (vérité débarrassée du voile de l’oubli) | Veritas (véracité, justesse) |
Apaté (trahison, tromperie) | Fraus (fraude, déception) |
Aphrodite (amour sous toutes ses formes), Kupris pour les connaisseurs | Vénus (amour, beauté) |
Éros (amour, puissance créatrice) | Cupidon (désir, amour) |
Himéros (désir incontrôlable) | Cupidon (désir, amour) |
Phtonos (jalousie) | Invidia |
Héphaïstos (feu, forge) | Vulcain |
Zeus (roi des dieux) | Jupiter |
Arès (guerre) | Mars |
Dionysos (vigne, excès) | Bacchus |
Ménades (adoratrices de Dionysos) | Bacchantes |
Chronologie
1494-1559 : onze Guerres d’Italie ; les Espagnols ont peut-être rapporté la syphilis d’Amérique du Sud.
1494 : naissance de François Ier.
1500 : naissance de Charles Quint.
1503 : naissance de Bronzino.
1508-1512 : La Création d’Adam (Michel-Ange) – Chapelle Sixtine.
1512 : De sa relation avec François Ier, Jacquette de Lanssac (1490-1532) eut un fils, Louis de Saint-Gelais, né en 1513, ainsi qu’une fille.
1514 : mariage de François Ier (20 ans) avec Claude de France, fille de Louis XII. Claude de France est bigle, boiteuse et obèse. François l’engrosse à 15, 16, 18, 19, 20, 22, 23 et 24 ans ; elle meurt en couche.
1514-1519 : Mary Boleyn (1499-1543) maîtresse de François Ier. Entre 1520 et 1526 elle sera maîtresse d’Henri VIII d’Angleterre.
1515 : François Ier roi de France. Marignan. Pendant toute la durée de son règne, le roi n’a de cesse de revendiquer ses droits sur le duché de Milan
1515 : Marie Gaudin (née en 1490 ou 1495 et morte en 1580), qui passait pour la plus belle femme de son temps, a été la maîtresse de François Ier et de Charles Quint, ainsi que la maîtresse du pape Léon X. Elle et son mari Philibert Babou, trésorier de l’Épargne de François Ier, sont proches de la famille Médicis. Elle servit de modèle à la statue de la Vierge conservée dans l’église collégiale de Notre-Dame-de-Bon-Désir (entre Tours et Amboise).
1516-1519 : Léonard de Vinci devient le protégé de François Ier jusqu’à sa mort.
1518 : naissance du Ier fils, le dauphin François.
1518 : Françoise de Foix, comtesse de Châteaubriant. Favorite de François Ier.
1519 : naissance d’Henri (31 mars), 2e fils et futur roi.
1519 : mort de Léonard de Vinci (2 mai, 67 ans).
1520 : maniérisme (1520-1600).
1520 : mort de Raphaël (37 ans).
1520 : portrait de François Ier d’après un soldat : « Sa tête est bien proportionnée, malgré une nuque fort épaisse. Il a des cheveux châtain, bien peignés, une barbe de trois mois d’une couleur plus foncée, un nez long, des yeux noisette injectés de sang, le teint laiteux. Ses fesses et cuisses sont musclées, mais, au-dessous des genoux, ses jambes sont maigres et arquées, ses pieds longs et complètement plats. Il a une voix agréable mais il a la manie « peu royale » de rouler ses yeux continuellement vers le ciel… »
1522 : naissance de Charles, le 3e fils. Il aura comme page le futur poète Pierre de Ronsard. Il est réputé comme le plus beau des trois fils de François Ier malgré une variole qui l’a privé d’un œil ! En grandissant, il devient nettement plus populaire que le Dauphin au sein de la cour, qui apprécie son caractère gai, galant, plaisantin, extravagant, semblable à celui de son père dont il était d’ailleurs le fils favori. Certains le décrivent toutefois comme frivole voire efféminé, tel Clément Marot (Nature étant eu esuioy de forger/Uu fille ou fils, fournit finalement/Charles si beau, si beau pour abréger/Qu’estre fait fille il cuida proprement :/Mais s’il avoit à son commandement/Quelque fillette, autant comme ly belle./Il i auroit à craindre grandement/Que trouvé feust plus mâie que femelle.)
1524 : Naissance de Pierre de Ronsard.
1524 : Selon Brantôme, le goût de François Ier pour les femmes lui vaut d’être atteint de la syphilis, contractée dès 1524 avec une de ses maîtresses, la femme de l’avocat parisien Jean Ferron, surnommée « la Belle Ferronière » (1500-1530). Selon Louis Guyon, médecin et polygraphe, conseiller du roi de France, le mari de cette dernière, contraint de « céder » sa femme, se serait vengé en ayant volontairement attrapé la syphilis auprès de prostituées pour la transmettre à son épouse et au roi. La Belle Ferronière meurt 6 ans plus tard.
N.B. : il n’est pas certain que François Ier ait contracté la Syphilis.
1524 : François Ier délaisse son ancienne favorite, Françoise de Foix (qu’il continuera tout de même d’honorer plusieurs fois l’an), pour se concentrer sur sa nouvelle conquête Anne de Pisseleu, « la belle Heilly » (16 ans).
1525 : quatrième bataille de Pavie qui se déroule le 24 février devant Pavie en Lombardie. Fait prisonnier par Charles Quint, François Ier ne peut regagner son royaume qu’en laissant en Espagne deux otages : le dauphin François, 7 ans et son frère cadet Henri, duc d’Orléans, 6 ans. Les deux petits princes, qui ont déjà perdu leur mère l’année précédente, y restent quatre ans, de 1526 à 1530. François Ier aurait attrapé la vérole auprès de sa geôlière (petite vérole ?)
1527 : François Ier ne recule pas devant les procédés douteux pour résoudre les problèmes financiers de la couronne. L’exemple le plus frappant en est le procès intenté à Jacques de Beaune, principal intendant des finances depuis 1518 et accusé lors d’un procès intenté par le roi en 1524 de détournement des fonds destinés à la campagne d’Italie. Bien qu’ayant réussi à se justifier lors de ce procès, il est arrêté en 1527, accusé de concussion, condamné à mort et exécuté au gibet de Montfaucon. Lors de sa réhabilitation, il apparaît qu’il avait surtout eu le tort d’être un créancier important de François Ier.
1528 : un premier accord est conclu entre le « Roi très chrétien bourreau de la chrétienté », François Ier, et le « Commandeur des croyants », Soliman II, dit le Magnifique (qui règne sur l’Empire Ottoman de 1520 à 1566). Les Capitulations, signées avec la France en 1535, seront renouvelées (1673, 1740) et resteront en vigueur jusqu’en 1923 (naissance de la république de Turquie). Venise avait ouvert la voie dès 1454.
1528 : publication italienne de Le livre du courtisan (1513) de Castiglione (1537 pour la traduction française). Castiglione avait songé un moment à dédier son livre à François Ier.
1528 : début du chantier du Château de Fontainebleau (seul le donjon du château antérieur est conservé). Louis XII s’inquiétait déjà d’un François très dépensier.
1530 : mariage avec Éléonore de Habsbourg (1498-1558), sœur de Charles Quint : François Ier s’en fou, il a déjà trois fils dont les deux premiers viennent d’être libérés. Éléonore mourra le 18 février 1558 (28 ans plus tard). Son corps sera transporté au palais de l’Escurial au nord-ouest de Madrid et déposé à côté de celui de Charles Quint, mort la même année.
1532 : première impression de Le Prince (1513) de Machiavel.
1536 : mort du dauphin François. Tuberculose, pleurésie, empoisonnement par Charles Quint ou les Médicis, afin de donner le trône au futur Henri II et à sa femme Catherine de Médicis ?
1537 : Charles Quint nomme duc de Florence, Cosme Ier de Médicis, un homme peu expérimenté qu’il pourra orienter et contrôler. Mais Cosme entend gouverner seul et s’affranchir du contrôle impérial. Il va être sans pitié avec ses ennemis et se rapprocher de la France.
Fin des années 1530 : François Ier s’est considérablement épaissi, il a une fistule entre l’anus et les testicules, cet « abcès au génitoire », le contraint à abandonner le cheval au profit d’une litière pour effectuer ses déplacements. Au cours des années suivantes, la maladie empire et la fièvre devient pratiquement continue.
1540 : Claude de Rohan-Gié, comtesse de Thoury (1519-1579) : l’une des nombreuses et dernières maîtresses du roi François Ier
1542 : construction du pavillon de La Muette, petit château en lisière de la forêt de Saint-Germain-en-Laye, non loin du château.
1544 : Louise Mistresson de La Rieux Dau (1483- ?) a un fils avec Françoi Ier, Nicolas de Vaois d’Estouteville (1545-1567).
1544 : Les deux souverains, s’en remettant aux bons office du jeune duc François Ier de Lorraine, filleul du roi de France et neveu par alliance de l’empereur. Ils finissent par consentir à une paix définitive en 1544. Le traité de Crépy-en-Laonnois reprend l’essentiel de la trêve signée en 1538. La France perd sa suzeraineté sur la Flandre et l’Artois et renonce à ses prétentions sur le Milanais et sur Naples, mais conserve temporairement la Savoie et le Piémont. Charles Quint abandonne la Bourgogne et ses dépendances et donne une de ses filles en mariage, dotée du Milanais en apanage, à Charles, duc d’Orléans et deuxième fils du roi.
1545 : massacre des Vaudois du Luberon, ralliés aux thèses de Calvin, des villages de Cabrières, Mérindol et Lourmarin, villages situés sur les terres de l’Église. Après publication d’un édit du Parlement d’Aix en 1540, François Ier reste au départ silencieux car il a besoin du soutien des Vaudois contre l’empereur Charles Quint ; il expédie donc des lettres de grâce aux habitants persécutés en Provence pour cause de religion. Mais la retraite de Charles Quint en 1545 change la donne. Le Ier janvier 1545, François Ier fait exécuter l’édit de Mérindol et commande une croisade contre les Vaudois de Provence, décidant ainsi de réprimer dans le sang les désordres de cette communauté. Grâce aux galères de Paulin de La Garde qui amènent des troupes du Piémont, Jean Maynier, président du Parlement d’Aix, et Joseph d’Agoult, baron d’Ollières, exécutent les ordres royaux avec un tel enthousiasme que même Charles Quint en exprimera son émotion.
Le durcissement de la politique de François Ier à l’égard de la religion réformée ressort aussi, vraisemblablement, en raison des accords secrets passés avec Charles Quint à l’occasion de la signature du traité de Crépy-en-Laonnois, accords qui obligent le roi de France à participer activement à l’éradication de la menace protestante en Europe et donc en France. Malgré ces accords, François Ier persiste dans sa politique de soutien aux princes protestants d’Allemagne.
1545 : Charles meurt de la peste.
1546 : Allégorie avec Vénus et Cupidon (vers 1546) de Bronzino
1547 : 28 janvier, mort d’Henry VIII
25/02/1547 : Paris-La Muette (22 km)
26/02 – 05/03 : La Muette
06/03 : La Muette-Villepreux (13 km)
07/03 : Villepreux
08/03 : Villepreux-Limours (32 km)
09/03-11/03 : Limours (3 jours chez la Pisseleu)
12/03 : Limours-Rochefort en Yveline (12 km)
13/03-14/03 : Rochefort en Yveline
15/03 : Rochefort en Yveline- château de Rambouillet (16 km)
16/03 : garder le lit
20/03 : au plus mal. Confessions générales, extrêmes-onctions, harangues à son fils Henri, vont ponctuer l’agonie du roi.
29/03 : François Ier reconnaît son fils Henri comme légitime héritier.
31/03/1547 : à 13 heures, François Ier de France s’éteint à Rambouillet, le jour de l’anniversaire de Henri II.
1548 : Pierre du Chastel est nommé Grand Aumônier de France.
1552 : mort de Pierre du Chastel (73 ans), bibliothécaire de François Ier, à Orléans en prêchant.
1558 : mort de Charles Quint (58 ans).
1564 : mort de Michel-Ange (88 ans).
1572 : mort de Bronzino (69 ans).
1580 : mort d’Anne de Pisseleu (72 ans), à Heilly.
1585 : mort de Pierre de Ronsard (61 ans), au prieuré Saint-Cosme de Tours.
Notes
- Une lieue vaut 3,266 km. ↩︎
- Une toise vaut six pieds, soit presque deux mètres. ↩︎
- Vers de Pierre de Ronsard attribués à François Ier. ↩︎
- Le désastre de Pavis. ↩︎
- Sebastiano de Montecuccoli : prononcer Sebastiano dé Montékoukoli. ↩︎
- Cosimo I de’ Medici (1537-1574), Cosme (ou Côme) Ier de Toscane, duc de la république de Florence, puis premier grand-duc de Toscane. Féru d’art, de science, d’archéologie, d’alchimie et de sciences ésotériques. Il emprunte la devise oxymorique Festina lente (Hâte-toi lentement) à l’empereur romain Auguste. Son emblème est une tortue portant une voile sur la carapace, illustrant la devise. Il emprunte également à Auguste, le signe astrologique du capricorne.
Ne pas le confondre avec le banquier Cosme de Médicis (1389-1464), dit Cosme l’Ancien (Cosimo il Vecchio) ou « Cosimo Pater Patriæ » (Cosme Père de la patrie) auquel on prête ces mots : « Il nous est ordonné de pardonner à nos ennemis, mais il n’est écrit nulle part que nous devons pardonner à nos amis. ». Il fut le dirigeant effectif de la république de Florence durant la majeure partie de la Renaissance italienne (Quattrocento). ↩︎ - allégorie : œuvre (peinture, sculpture, film…) dont chaque élément évoque un aspect d’une idée complexe. ↩︎
- brandeler : ancien français pour secouer. ↩︎
- loup, serpent, lion, chien : respectivement la Convoitise, la Perfidie, la Fureur et l’Envie. ↩︎
- à senestre : à gauche ↩︎
- coilles : ancien français pour couilles. ↩︎
- La petite vérole est la variole, la grande vérole est la syphilis. ↩︎
- La théorie des miasmes (du grec ancien μίασμα : pollution) est une théorie épidémiologique aujourd’hui infirmée imputant aux miasmes, une forme nocive de « mauvais air », des maladies telles que le choléra, la chlamydiose, la peste noire (qui empeste), ou encore la malaria dont la traduction italienne est littéralement « mauvais air ». ↩︎
- Jeu de mots avec l’expression « pas vu, pas pris » et « Pavis, pas pris » : Pavis, pas pris car François Ier a été vaincu à Pavis qu’il n’a pas pris et où il a été fait prisonnier. Alors vous allez me dire que lui a été pris. Certes mais sa majesté n’est pas le sujet. ↩︎
- crépion : ancien français pour cul, croupion. ↩︎
- C’est ainsi que la surnomme Anne de Pisseleu qui a neuf ans de moins. ↩︎
- Anne de Montmorency (1493-1567) : connétable, duc et pair de France, maréchal puis grand maître de France ; il a servi cinq rois. Cet homme extrêmement puissant, qui symbolise la Renaissance française, est un ami intime des rois François Ier et Henri II. ↩︎
- concussion : perception illicite par un agent public de sommes qu’il sait ne pas être dues. Profit illicite que l’on fait dans l’exercice d’une fonction publique. ↩︎
- Le Livre deuxième du Livre du courtisan (1528) de Castiglione regorge d’exemples de bons mots. Par exemple, au chapitre LXXVI, de retour au palais, Alonso Carrillo se fait moquer après une nuit passée en prison sur ordre du roi à cause de quelque erreur de jeunesse : « Seigneur Alonzo, j’étais fort peinée de votre infortune, car tous ceux qui vous connaissent pensaient que le roi allait vous faire pendre. » – « Madame », répondit incontinent Alonzo, « j’avais aussi grande peur de cela ; mais j’avais l’espoir que vous me demanderiez pour mari ». En Espagne, la coutume veut que quand on mène pendre quelqu’un, si une putain publique le demande pour mari, on lui fait grâce de la vie. ↩︎
- éponyme : qui a donné son nom. ↩︎
- Cathay : nom de la Chine, au Moyen Âge. ↩︎
- Ruy Blas de Victor Hugo. ↩︎
- La petite colline : étymologie chinoise de kaolin, le composant clé de la porcelaine. Jeu de mots avec la colline de Vénus. ↩︎
- Kupris : surnom d’Aphrodite. Etymologie de Cypraea, nom scientifique qui sera donné aux coquillages de type Porcelaine, au XVIIIe siècle. ↩︎
- Barbe Bleue : surnom d’Henri VIII, roi d’Angleterre. ↩︎
- Chaos (du grec ancien Kháos, Faille, Béance) : espace béant où coexistaient la Nuit (Nyx) et les Ténèbres (Érèbe) qui se sont séparés et extraits du Chaos, provoquant la naissance d’Ouranos (le Ciel) et de Gaia (la Terre). Les Dieux grecs et les hommes appartiennent donc au même monde, ce qui n’est pas le cas avec le Dieu biblique (Dictionnaire Culturel de la Mythologie gréco-romaine de Réné Martin).
Dans la Théogonie d’Hésiode, Chaos sort d’une profonde crevasse, suivi par Gaïa (la Terre) puis par Éros (l’Amour). Étymologiquement, Chaos est une faille. Une faille qui sort d’une crevasse est donc une méta faille ; une belle façon de décrire l’inconcevable : l’univers serait issu d’un vide sorti du vide. Gaïa « fait devenir » un être égal à elle-même et capable de la couvrir tout entière : Ouranos, le Ciel nocturne Étoilé, père d’Aphrodite (Vénus). ↩︎ - cliquette : petit instrument à percussion formé de plusieurs lames de bois réunies sur un manche, produisant un son sec lorsqu’on les agite. Au Moyen Âge, la cliquette est utilisée à certains moments de la liturgie, ainsi que comme appel à la charité. Les lépreux, dont la maladie affecte la voix, l’emploient dans ce but et pour signaler leur présence. Au XIVe siècle, la cliquette devient un moyen de prévention. ↩︎
- satyres : associés aux Ménades, les satyres forment le cortège dionysiaque, qui accompagne Dionysos. Ils peuvent aussi s’associer au dieu Pan. Ils peuvent également accompagner les nymphes. Ils sont à l’origine représentés comme des créatures anthropomorphes à jambes de chevaux et oreilles de chevaux, souvent ithyphallique, avant d’être soit humanisés, soit transformés en hybrides mi homme, mi bouc. ↩︎
- ménades (du grec délirer, être furieux) : les ménades, ou Bacchantes chez les Romains, sont les adoratrices de Dionysos ou de Bacchus. ↩︎
- le thiase : cortège qui accompagne et sert Dionysos. Par extension, assemblée, cercle qui se réunit à certaines occasions. Ne pas confondre avec la théorie (du grec ancien theôría (contemplation, spéculation, regards sur les choses, action d’assister à une fête ; la fête elle-même et par la suite, procession solennelle) : procession, députation solennelle et sacrée. ↩︎
- Ampélos (du grec ancien vigne) : sa mort accidentelle donne naissance à la vigne et au vin. Le poète égyptien Nonnos de Panopolis prétend qu’il est tué par un taureau qu’il chevauchait. Cette version le rapproche d’Himéros qui, dans le Triomphe de Vénus, prend la pose de Mithra tauroctone. ↩︎
- éromène : adolescent engagé dans un couple pédérastique avec un homme adulte, appelé éraste. ↩︎
- Athéna : déesse, tacticienne de guerre, sortie du crâne de Zeus. Elle en veut à Aphrodite d’avoir gagné le concours de beauté organisé par le prince troyen Pâris, où elle était aussi en compétition avec Héra. Pendant la Guerre de Troie, elle est du côté des Grecs avec entre autres Ménélas (le cocu), Agamemnon (le frère de Ménélas), les rois Grecs dont Ulysse, Héphaïstos (forgeron mari d’Aphrodite), Achille et son petit copain Patrocle ; contre Pâris (qui a récupéré Hélène, la femme de Ménélas), Priam (le père de Pâris), les jumeaux Artémis et Apollon, Cycnos (fils de Poséidon), Hector (le frère de Pâris). Durant cette guerre, Iphigénie (la fille d’Agamemnon) est sacrifiée pour faire avancer la flotte Grecque d’une case (un grand merci au devin Calchas), Achille tue Cycnos, Hector tue Patrocle à la faveur de la prise de choux d’Agamemnon et d’Achille, Achille et Athéna tuent Hector, Pâris et Apollon tuent Achille, Ulysse livre Troie grâce au Cheval de Troie. ↩︎
- « Bien que, comme l’enseigne la théologie, les hiérarchies divines soient distinctes, il faut cependant comprendre qu’elles son toutes en toutes selon leurs modes particuliers. » : 287/900e conclusion de Pico dela Mirandola, selon Proclus. ↩︎
- 821/900e conclusion de Pico dela Mirandola, sur les hymnes d’Orphée. ↩︎
- putto : jeune garçon nu représentant l’Amour, dans la peinture italienne. ↩︎
- On retrouve cette posture dans tous les portraits des Médicis. ↩︎
- grotesques (féminin ou masculin) : figures bizarres et chargées dans lesquelles la nature est contrefaite. De l’italien grottesca, décoration murale riche et fantaisiste, signifiant proprement « fresque de grotte » , parce qu’elle s’inspirait des décorations de la Domus Aurea de Néron, redécouverte en 1480 par un jeune Romain tombé dans un trou sur les pentes de l’Oppius, qui s’était retrouvé dans une sorte de grotte couverte de peintures surprenantes. ↩︎
- théogonique : relatif à la généalogie des dieux d’un système religieux polythéiste. ↩︎
- Le livre du courtisan (1528) de Castiglione, Livre quatrième, chapitres LXIV et LXVI. ↩︎
- Cantique des Cantiques 1, 2. ↩︎
- métaphore : du grec ancien metaphorá dérivé de metaphérô « transporter« . ↩︎
- Vers de Pierre de Ronsard attribués à François Ier. On dirait de l’Apollinaire ! ↩︎
- Ouranos, dieu du ciel étoilé, est le père d’Aphrodite : son fils Chronos l’a châtré et a jeté dans la mer, son sexe dont le sperme s’est mélangé à l’écume d’où la déesse est sortie. ↩︎
- « Par la double Vénus dont il est question dans le Banquet de Platon, nous ne devons rien comprendre d’autre que la double beauté, sensible et intelligible. » : 622/900e conclusion de Pico dela Mirandola, sur la doctrine de Platon. ↩︎
- Galatée (1558), Giovanni Della Casa, Galatée ou des manières, II. ↩︎
- On retrouve deux masques dans Vénus, l’Amour et la Jalousie. ↩︎
- tænia : dans la Grèce antique, bandeau, ruban, ou filet porté autour du front. ↩︎
- Phtonos : la Jalousie, fille de Nyx, la Nuit, ou Érote fille d’Aphrodite, ou fille de Dionysos. ↩︎
- Philippe le beau (1478-1506), duc de Bourgogne et roi de Castille : ne pas le confondre avec le roi de France Philippe le bel (1268-1314). ↩︎
- tauroctone : qui tue un taureau. ↩︎
- léontocéphale : à tête de lion. ↩︎
- Galatée (1558), Giovanni Della Casa, Galatée ou des manières, XXVI (sur la laideur). ↩︎
- une kabbalistique : ensemble de spéculations métaphysiques sur Dieu, l’homme et l’univers. ↩︎
- eschatologie (du grec éskhatos, dernier, et lógos, parole, étude) : discours sur la fin des temps et l’ultime destinée du genre humain. ↩︎
- La Table d’Emeraude : texte complet et interprétation ↩︎
- desbuissonner : faire sortir d’un buisson. ↩︎
- Maleoit gré de ma cheoite : Malgré mon malheur (ma chute). ↩︎
- emploitte : bénéfice, au XIIᵉ siècle ; Achat, au XVᵉ siècle ; emplette, au XVIIᵉ siècle. ↩︎
- outre-passer : aller au-delà. Jeux de mots avec trépasser. ↩︎
- Vers du Chatelain de Coucy (trouvère picard du XIIᵉ siècle) réarrangés et attribués à François Ier. Voici les vers originaux :
Li nouviaux tanz et mais et violete
Et lousseignols me semont de chanter,
Et mes fins cuers me fait d’une amourette
Si douz present que ne l’os refuser.
Or le lait Dieus en tele honeur monter
Que cele u j’ai cuer et mon penser
Tieigne une foiz entre mez braz nüete
Ançois qu’aille outremer. ↩︎ - De même qu’il y a la petite vertu (la bienséance) et la grande vertu (la morale), il y a la petite vérole (la variole) et la grande vérole (la syphilis). ↩︎
- Attention, les vers de Ronsard ci-dessous concernent la mort d’un autre Charles, Charles IX, fils d’Henri II :
Je chantais ces sonnets, amoureux d’une Hélène,
En ce funeste mois que mon prince mourut… ↩︎ - nastreté : bizarrerie. ↩︎
- esgardance : attention. ↩︎
- rétrograde : se dit, par convention, d’un mouvement circulaire effectué dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est-à-dire à l’inverse du sens trigonométrique ou sens direct. ↩︎
- Léonard : de 1516 à sa mort (1519), Léonard de Vinci est le protégé de François Ier. ↩︎
- Anne de Pisseleu : « La plus belle des savantes et la plus savante des belles ». ↩︎
- Et si je préfère l’amour
D’une autre courtisane
Elle sera à mon dernier jour
Ma dernière compagne
Georges Moustaki, Ma Solitude. ↩︎ - branloire pérenne : ancien français pour l’agitation permanente (Montaigne). ↩︎
- Dans l’Antiquité, le genou incarne la magnanimité. Pour appeler au secours ou implorer la pitié, la coutume consistait à enlacer les genoux des puissants pour solliciter leur indulgence. ↩︎
- L’invincible Achille périra d’une flèche au talon, tirée par Pâris et guidée par Apollon. ↩︎
- « Lorsque Platon dit qu’`
Amour est né de l'union de Poros et de Pénia dans les jardins de Jupiter, alors que les dieux tenaient un banquet le jour de la naissance de Vénus
`, il n’entend rien d’autre que ceci : dans l’intelligence de l’ange, le premier amour, c’est à dire le désir de la beauté, est né tandis que s’écoulait en lui la splendeur imparfaite des idées. » : 620/900e conclusion de Pico dela Mirandola, sur la doctrine de Platon ↩︎ - expédient : mesure qui permet de se tirer d’embarras momentanément, sans résoudre les difficultés. ↩︎
- concupiscible : l’appétit concupiscible de la philosophie scolastique, est l’appétit par lequel l’âme se porte vers un bien sensible, vers un objet qui lui plaît. ↩︎
- « En parlant de l’âme à la façon platonicienne, j’affirme que l’âme vit avec Saturne la vie contemplative, avec Jupiter la vie politique et pratique, avec Mars la vie irascible et ambitieuse, avec Vénus la vie concupiscible et voluptueuse, avec Mercure la vie végétale avec les sens stupides. » : 608/900e conclusion de Pico dela Mirandola, sur la doctrine de Platon. ↩︎
- Jacquette de Lanssac : de sa relation avec François Ier, en 1512, Jacquette de Lanssac (1490-1532) eut un fils, Louis de Saint-Gelais, né en 1513, ainsi qu’une fille. ↩︎
- Le plus souvent, une main du personnage a les doigts écartés, paume vers le bas, comme pour saisir le monde, et l’autre a l’index pointé vers le ciel. ↩︎
- Galatée (1558), Giovanni Della Casa, Galatée ou des manières, XXVI (sur la beauté) ↩︎
- L’index et l’auriculaire tendus pour figurer les cornes du diable. ↩︎
- Antinoos : l’un des deux éminents prétendants, avec Eurymaque, en lice pour la main de Pénélope. Il est le premier à mourir d’une flèche, décochée par Ulysse, qui lui transperce la gorge. ↩︎
- La langue atrophiée de la reine des abeilles ne lui permet pas de se nourrir elle-même. ↩︎
- Le lait de jabot est une substance résultant du développement des cellules épithéliales tapissant le jabot de certaines espèces d’oiseaux dont les flamants, les manchots empereurs ou les pigeons (dans ce dernier cas, on parle alors de lait de pigeon). ↩︎
- Le livre du courtisan (1528) de Castiglione, Livre quatrième, chapitre LVII. ↩︎
- Le livre du courtisan (1528) de Castiglione, Livre troisième, chapitre LXVI. ↩︎
- Le livre du courtisan (1528) de Castiglione, Livre quatrième, chapitre LI. ↩︎
- Le livre du courtisan (1528) de Castiglione, Livre quatrième, chapitre LII. ↩︎
- Le livre du courtisan (1528) de Castiglione, Livre quatrième, chapitre LIII. ↩︎
- Le Thanatos freudien. ↩︎
- « La grâce est subjectivement dans dans la volonté et non dans l’essence de l’âme. » : 80/900e conclusion de Pico dela Mirandola, selon Duns Scot. ↩︎
- Galatée (1558), Giovanni Della Casa, Le livre de poche, page 22 (Présentation). ↩︎
- Le livre du courtisan (1528) de Castiglione, Livre premier, chapitre LII. ↩︎
- « Au regard de la puissance absolue de Dieu, il est possible que le péché originel soit anéanti sans l’infusion de la grâce. » : 82/900e conclusion de Pico dela Mirandola selon Duns Scot. ↩︎
- « Qui a la grâce ne peut pas, même au regard de la puissance absolue de Dieu, ne pas être accueilli par Dieu dans la vie éternelle, et qui ne l’a pas ne peut y être accueilli. » : 24/900e conclusion de Pico dela Mirandola, selon Thomas d’Aquin. ↩︎
- Vers de Pierre de Ronsard réarrangés et attribués à François Ier. ↩︎
- Vers de Pierre de Ronsard réarrangés et attribués à François Ier. ↩︎
- quauquemaire : ancien français pour cauchemar. ↩︎
- contrecœur : plaque verticale au fond de l’âtre, protégeant le mur d’adossement. ↩︎
- « Le péché mortel, fini dans le temps, ne justifie pas une peine infinie selon le temps, mais seulement finie. » : 590/900e conclusion de Pico dela Mirandola (thèse condamnée par l’église). ↩︎
- trame : (Sens figuré) et (Poétique) La trame de sa vie, la trame de ses jours, le cours de sa vie, la durée de sa vie. ↩︎
- Vers de Pierre de Ronsard attribués à François Ier. ↩︎
- In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum : Entre tes mains, Seigneur, je remets mon esprit. ↩︎
- Marguerite de France : fille de François Ier et de Claude de France, née au château royal de Saint-Germain-en-Laye. ↩︎
- Pierre du Chastel : évêque de Mâcon, aumônier de François Ier, maître de la Librairie et lecteur ordinaire du Roi, directeur du Collège royal. Il a assisté le roi durant son agonie, jusqu’à sa mort. ↩︎
- Vers de Pierre de Ronsard attribués à François Ier. ↩︎
- Vers de François Villon (Ballade des seigneurs du temps jadis), cités par François Ier. ↩︎