Le Petit Chaperon rouge


L’interprétation des contes et leur réécriture sans fin a passionné bien des sirs.

Voici quelques fleurons
  • L’Iliade et l’Odyssée (VIIIe siècle av. J.-C) Homère
  • Œdipe roi (430-420 av. J.-C.) Sophocle
  • Fables dites d’Esopes (325 av. J.-C.) Démétrios de Phalère
  • L’Ancien testament (IIIe siècle av. J.-C.)
  • Les Mille et Une Nuits (IIIe-VIIe siècles pour la source indo-persane, IXe-XIe siècles pour le fonds arabe de la période du pouvoir des califes de Bagdad, XIIe-XIIIe siècles pour le fonds populaire égyptien)
  • Les aventures de Sindbad le Marin (781-835)
  • Tristan et Iseut (XIIe siècle)
  • Roman de Renart (1174-XIIIe siècle)
  • Perceforest (1337)
  • Le Décaméron (1349-1353) Boccace
  • Fables de La Fontaine (1668) Jean de La Fontaine
  • Les comptes de Perrault (1697), des frères Grimm (1812), d’Andersen (1835)
  • Justine ou les malheurs de la vertu (1791) Donatien-Alphonse-François de Sade
  • Les aventures d’Alice au pays des merveilles (1865) Lewis Caroll
  • Morphologie du conte (1928) Vladimir Propp
  • Le Petit Prince (1943) Antoine de Saint-Exupéry
  • Le Seigneur des anneaux (1954-1955) J. R. R. Tolkien
  • Le Chevalier inexistant (1959) Italo Calvino
  • Astérix le Gaulois (1959) René Goscinny (scénariste) et Albert Uderzo (dessinateur)
  • Psychanalyse des contes de fées (The Uses of Enchantment) (1976) Bruno Bettelheim
  • Dictionnaire culturel de la Mythologie gréco-romaine (1992) Réné Martin
  • Hygiène de l’assassin (1992) Amélie Nothomb
  • Harry Potter à l’école des sorciers (1997-2007) J. K. Rowling
  • Le bal du diable (1998) Dominique Antares
  • L’interprétation des contes (1988) François Flahault
  • La pensée des contes (2001) François Flahault : http://francoisflahault.fr/pdf/Pensee-des-contes.pdf
  • Ce que les contes nous apprennent (François Flahault)
  • REMAKE Leurs contes de Perrault (2015) Collectif, Editions Bellefond
  • Le goût des contes (2022) Mercure de France




Outil

https://www.dictionnaire-academie.fr/

La relecture des contes fait remonter de l’enfance d’anciennes émotions, des terreurs sans nom, des bonheurs sournois, des trésors de perversité, des candeurs espiègles, quelque chose des débris de notre construction psychique en quelque sorte.

Droit dans ses bottes de sept lieues, l’érudit aime lui aussi remonter le temps, extraire des vieilles légendes, les prémisses des archétypiques futurs, jusqu’aux cristallisations ultimes, passant le plus souvent à côté de l’essentiel, l’esprit troublé par les essences des grands bois propices à l’égarement.

Dans L’interprétation des contes (1988), supputant que les réponses aux questions : Que faire ? et Qu’espérer ? sont mises en places à notre insu, François Flahault nous propose, à travers l’analyse des récits, de nous interroger sur « les présupposés d’une sorte d’économie fondamentale des rapports à l’autre », afin d’élucider « la cause de nos désirs et l’intrication de ceux-ci avec les désirs des autres ». La tâche est ardue. Si le loup ne me mange pas, je vous livrerai un jour (à la fin de cet article), les conclusions auxquelles je serai arrivé, ou les culs-de-sac où je me serai retrouvé.

La réécriture d’un conte procure au gentdelettre des plaisirs de grande qualité. Quand il n’a pas la langue dans sa poche, c’est l’occasion pour lui de mentir à ciel ouvert, d’explorer des thèmes sulfureux, de développer des analogies scandaleuses, de tenter d’improbables amalgames, de goûter à d’ignobles friandises et, pourquoi pas, de succomber à un paganisme impensé. Le gentdelettre aime se monter le bourrichon ; c’est son côté pièce de cents choux, pâtissier à la cour des contes, dance avec les loups, médusé au premier regard.

Le conte est un canevas sur lequel il convient d’improviser, comme le faisaient les conteurs. Cric ! Crac ! De veillée en veillée, marcher et faire marcher. On s’inspire d’une actualité, d’un différent, on donne son opinion, on s’insurge, on dénonce, on fait passer un message, on courtise, on dit ses craintes, ses espoirs, sa soif, mais surtout, on n’en finit pas de jouer avec le désir et ses obstacles, avec les contes eux-mêmes que l’on mélange, avec le public que l’on dérange, avec la voix que l’on arrange, avec le chant du conte que l’on boulange. Après avoir été anéantie par l’écrit, l’oralité reprendrait-elle du poil de la bête à travers les podcasts et autres webinaires ? C’est la raison pour laquelle je vous propose aussi une version orale de ce conte.

J’ai écrit cette revisite du Petit Chaperon rouge en deux demi-journées, espacées par une nuit de macération.

Voici quelques uns des subterfuges que j’ai utilisés :

  • Ramener les sentiments au premier plan et renforcer la cruauté du second plan, afin d’augmenter le contraste.
  • Inverser les rôles pour ajouter de l’horreur à l’horreur en capitalisant sur les connaissances des lecteurs en matière de conte.
  • Faire référence à d’autres contes (parlez d’intertextualité pour épater vos amis) : Le Petit Poucet, Hansel et Gretel, Barbe bleue, Blanche Neige, Les Fables de La Fontaine, Roman de Renart, Ulysse, Tristan et Iseut, Astérix et Obélix.
  • Injecter quelques anachronismes, du vocabulaire spécialisé et de l’actualité, pour tirer parti de nos angoisses contemporaines : la figure du détective dépressif de nos séries, la drogue, les tests PCR, les péridurales, la dépendance des personnes âgées, l’emprise, les relations jugées contre nature, l’ultra-violence des jeunes, l’intelligence artificielle, la biodiversité…
  • Taquiner des notions qui ont fait leurs preuves telles que le temps (jeunesse, vieillesse, raccourci), les apparences, le mensonge et la vérité, la nourriture et la faim, l’amour et la cruauté…

L’heure du conte


Le Petit Chaperon rouge sonne toujours deux fois

Il était une fois, un loup curieux d’une enfant délicieuse que tout le monde appelait, le Petit Chaperon rouge. Sa mère-grand lui avait tricotté un genre de capeline qu’elle avait pris soin de tremper dans une décoction de racine de garance1 afin de dissiper l’odeur de suint qui imprégnait la laine. Par ailleurs, la vieille femme était persuadée qu’une apparence de champignon vénéneux saurait protéger sa petite-fille de l’appétit des prédateurs.

En ces temps de disette, un Petit Poucet sommeillait dans le cœur de chaque Petit Chaperon rouge. Je vous parle d’un temps où les capotes n’existaient pas2 ; faute de pouvoir les nourrir – et surtout pour résister à l’envie de les manger – l’on abandonnait les enfants dans les forêts avec pour viatique un quignon de pain dur qu’une vieille dame providentielle saurait, promettait-on, transformer en pain d’épice3. Instruits de cela entre autres choses, les loups n’étaient pas les derniers à en profiter.

Mais la nourriture ne semblait pas manquer à ce Petit Chaperon rouge dont le panier recelait toujours quelque gâterie, observait notre loup, du sommet de sa chaîne alimentaire. Il se demandait quelle raison poussait ce personnage énigmatique à s’égarer dans les grands bois qui, de loin en loin, résonnaient des coups sourds des bûcherons. Tel un enquêteur dépressif qui ne se remettrait pas du départ d’une femme opiomane et oisive, il se contentait de suivre discrètement le Petit Chaperon rouge, tant et si bien qu’il finit par s’en éprendre éperdument.

Le loup savait que son aspect lui interdisait d’entrer en contact avec l’objet de son désir. Du désir d’un loup, connaissons-nous seulement la nature ? Le loup lui-même avait de la question une idée très obscure4. Avait-on jamais vu, par ailleurs, un loup faisant commerce avec un être humain ? Aucun nom n’avait encore été posé sur pareille folie. Des légendes avaient traversé les siècles pour que parviennent jusqu’à nous le fratricide fondateur de Rémus et Romulus, la fureur sacrée des berserkers5 de Saint Olaf, les errances d’un certain Mowgli, et les débâcles cognitives de quelques enfants-loups. Mais les certitudes restaient minces et les superstitions nombreuses.

Un jour, nonobstant sa timidité maladive, le loup vint à la rencontre du Petit Chaperon rouge. N’ayant encore jamais vu d’enquêteur, celui-ci ne fut pas effrayé lorsque le loup l’aborda pour lui demander ce qu’il faisait dans la forêt à une heure si tardive. Il expliqua qu’il portait à sa grand-mère souffrante un petit pot de beure rance et un morceau de galette rassis que sa mère lui envoyait. Il raconta qu’il n’était pas dupe des maux de sa vieille parente qui n’avaient selon lui pas d’autre origine que l’envie de voir sa petite-fille le plus souvent possible. Il ajouta, avec une condescendance à peine dissimulée, que les personnes âgées se racontaient des histoires pour camoufler leur soif d’amour.

Le loup fut impressionné par tant de maturité. Il indiqua, par compassion, un raccourci qui permettrait à la promeneuse d’économiser un peu de ce temps que la nouveauté feinte des saisons n’arrêtait pas. Il promit qu’il allait réfléchir à un moyen de faire gagner au Petit Chaperon rouge, encore davantage de ce temps si précieux. Il commença à trouver que le Petit Chaperon rouge n’était plus si petit et qu’il n’avait plus le chaperon si rouge6. C’était un loup résolument tourné vers l’avenir.

Riche de cette compréhension nouvelle de la situation, le loup ourdit un plan qui lui permettrait de se rapprocher durablement du Petit Chaperon rouge et de faire gagner à celui-ci un temps considérable. Il allait se faire passer pour la grand-mère et feindrait des malaises afin de profiter des visites récurrentes de l’enfançonne7. Il saurait ensoleiller le quotidien du Petit Chaperon rouge qui, en sa compagnie, ne verrait plus le temps passer.

Une fois tirée la chevillette, chue la bobinette et dépecée la mère-grand, le loup ne fut pas long à revêtir de l’ancêtre l’atour ; puis il sombra dans un sommeil paradoxal postprandial, aux ronflantes incantations.

Il rêvait qu’il se promenait dans la forêt en compagnie du Petit Chaperon rouge. Des papillons de couleur faisaient clignoter la lumière dans les graminées qu’agitait un vent tiède et printanier. De temps en temps, la délicieuse créature dégrafait son chaperon et lui tendait gracieusement la gorge afin qu’il se désaltérât dans le courant de son sang pur8. Puis il refermait la plaie d’un coup de langue et faisait monter sur son dos, afin qu’elle reprît de la vigueur, celle qui avait donné un sens nouveau à sa vie. Le loup connaissait les coins à myrtilles dont le Petit Chaperon rouge était friand. Saison après saison, il sentait la jeune fille peser davantage sur sa croupe. C’était bon signe. Ils évitaient de parler de la mère-grand dont ils habitaient toujours la maison. Le loup avait refait la décoration en accrochant aux murs chaulés à neuf, d’impressionnants massacres de cerfs, de biches et de sangliers. Comme lui, le Petit Chaperon rouge appréciait la viande crue9 et le premier enfant ne tarda pas à venir.

Le Petit Chaperon rouge arriva céans avec un fond de potée et un flacon de gnôle.

  • Ma mie, où êtes-vous ? La chevillette est tirée, la bobinette a chu : avez-vous trouvé la force de vous lever ?

La mère-grand ronflait comme un sonneur, le visage parcouru d’affreux rictus qui retroussaient ses lèvres, découvrant des gencives comme des écrevisses, sur lesquelles se croisaient de formidables dents.

Je vous parle d’un temps où les prothèses dentaires ne courraient pas les chemins vicinaux. Le Petit Chaperon rouge ne reconnu pas la bouche édentée de sa mère-grand et il ne fut pas long à identifier, sous le bonnet de nuit, l’enquêteur qui lui avait indiqué le raccourci qu’elle empruntait depuis plusieurs jours.

La jeune fille ligota solidement les pattes poilues et le cou de la bête au châlit, puis entreprit de vider le flacon de gnôle entre les crocs soudés du canidé.

Le loup ouvrit un œil sur un logis torpide et balbutia quelques mots de bienvenue.

  • Bonjour ma chérie, comment vas-tu ?
  • Je vais bien, mère-grand. Comment vous sentez-vous ? La porte était ouverte quand je suis arrivée, vous n’avez plus toute votre tête. Je vais devoir vous surveiller étroitement, à présent.

Le loup buvait du petit lait : enfin on allait s’occuper de lui, dorloter ses chevillettes et choyer sa bobinette. Les loups n’ont pas toujours une enfance facile.

  • Je vais commencer par vous faire un test PCR, mère-grand, dit le petit Chaperon rouge, en promenant les ongles sur l’abdomen tendu de la bestiole. Avez-vous entendu parler du test PCR ?

Le loup retroussa niaisement la babine.

  • P, C, R : le test du Petit, Chaperon, Rouge, expliqua la jeune fille en récupérant une aiguille à tricoter en bois de hêtre, dans la boîte à ouvrage.
  • Comme cette aiguille est longue, s’exclama le loup, tandis que le Petit Chaperon rouge introduisait prudemment l’ustensile dans la narine dubitative de l’amoureux quadrupède10.
  • C’est pour mieux te chatouiller les méninges, mon loulou. Cette aiguille a servi à tricoter mon chaperon. Elle ressemble aux aiguilles dont se servent les accoucheuses pour faire les péridurales.
  • L’épée rit du râle, hasarda le loup ?
  • Vous ne pensez pas si bien dire, mon ami. Je sais seulement que cette aiguille a un pouvoir maïeutique11 équivalent à celui des baguettes de coudrier12 des maîtres sourciers13. Elle va nous aider à accoucher la vérité, car maintenant, vous allez gentiment me dire où se trouve ma mère-grand.

Le loup anxieux et confus, comprit, mais un peu tard, qu’il était comme un rat14.

  • Mais je suis, ta mère-grand, s’étrangla le carnivore auquel la baguette de hêtre arrachait déjà de grosses larmes.

Tout en continuant de pousser l’aiguille en direction du cerveau de son patient, le Petit Chaperon rouge palpait l’abdomen gonflé ; soudain, un coup violent répondit à la caresse.

  • Vous ne m’aviez point dit que vous attendiez tost, heureux événement. Sans mentir, si votre bagage se rapporte à votre carnage, vous êtes l’Obélix des hôtes de ces bois15. Vos flatulences m’indiquent-là, messire loup16, un raccourcis pour rejoindre ma mère-grand !

Sur ces mots, le Petit Chaperon rouge enfonça l’aiguille à tricoter jusqu’au cerveau de l’entravé qui poussa un hurlement propre à dissiper les doutes des lecteurs les plus crédules. Puis il saisit une paire de ciseaux dans la boîte à ouvrage et, en trois coups de poignet, découpa la paroi abominable de l’abdominal enquêteur. Une fois extirpée et remise de ses émotions, la vieille femme chauve et édentée aida sa petite-fille à prélever du loup, les oreilles et la queue, à enfouir celles-ci dans l’estomac béant, et à recoudre le tout pour que la digestion poursuivît son travail interrompu.

Enfin, elles présentèrent un miroir magique17 au loup mutilé qui ressemblait maintenant à un chien18 beauceron auquel il manquerait la queue, si bien que partout on allait bientôt l’appeler Le Grand Bas Rouge.

  • Et Paf le chien, confirma Prout le chat19, le miroir dont l’intelligence était artificielle.

La honte contraignit le loup à quitter le canton et l’on n’entendit plus parler de lui. La vieille femme vécu encore quelques années en compagnie de sa petite-fille que tout le monde appelait maintenant, le PCR. À la mort de sa mère-grand, le PCR partit à la recherche du loup. Un sentiment inexplicable le consumait depuis qu’il avait léché20 l’aiguille en bois de hêtre, après l’avoir ôtée du lupin21 sinus. Ses petits doigts crochus, qui avaient bien poussé, continuaient de courir sur l’abdomen poilu de l’enquêteur qu’il lui tardait de retrouver.

  • Ça sera aussi simple que chercher une aiguille dans une tête de chien, dit le PCR en chaussant ses bottes de sept lieues22 (33,79621 km).

Et cric-crac
Mon conte ici prend fin
Je brise mon sabot
Sur la margelle du puits
J’attends que le matin
Remplace mon chagrin.

NOTES


  1. Plante herbacée dont une variété, la garance des teinturiers (Rubia tinctorum), fournit une matière colorante rouge, cause de la mort prématurée de bien des fantassins. ↩︎
  2. Je ne parle pas des chaperons. ↩︎
  3. Hansel et Gretel. ↩︎
  4. Style de Jean de La Fontaine. ↩︎
  5. Les berserkers combattent dans un état de transe provoqué par l’esprit animal du guerrier (ours, loup ou sanglier), les rendant surpuissants et capables des plus invraisemblables exploits. ↩︎
  6. Barbe Bleue. ↩︎
  7. Cf. le titre. ↩︎
  8. Le loup et l’agneau, Jean de La Fontaine. ↩︎
  9. Hansel et Gretel. ↩︎
  10. Ulysse et le cyclope. ↩︎
  11. Qui aide à formaliser un savoir, qui a rapport avec la maïeutique, méthode par laquelle Socrate accouchait les esprits des vérités oubliées qu’ils contiennent (art de l’accouchement en médecine). ↩︎
  12. Autre nom du noisetier. ↩︎
  13. Celui qui fait métier de rechercher les sources. ↩︎
  14. Le corbeau et le renard, Jean de La Fontaine. ↩︎
  15. Le corbeau et le renard, Jean de La Fontaine. ↩︎
  16. Roman de Renart ↩︎
  17. Blanche Neige. ↩︎
  18. Le loup et le chien, Jean de La Fontaine. ↩︎
  19. ChatGPT. ↩︎
  20. Tristant et Iseut ↩︎
  21. Adjectif : propre au loup. ↩︎
  22. Le Petit Poucet. ↩︎

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