Les filles de Thespios – Solange – Explication de texte

Vous êtes ici : Accueil » Les filles de Thespios – Solange – Explication de texte

Si l’on en croit l’auteur, ce chapitre (Ctrl click pour l’ouvrir dans un onglet séparé) est une fiction qui ne s’inspire d’aucun fait réel. Il a fallu tout construire. C’est la raison pour laquelle je l’ai choisi pour en faire l’explication de texte. Le caractère gentiment pervers de ce récit ne vous aura pas échappé. Si un parfum d’interdit parcours ce texte, c’est parce qu’il remplace une aventure de l’auteur (du latin vulgaire adventura, « ce qui doit arriver ») que celui-ci n’a pu rapportée, même en la romançant, pour la simple raison que celle-ci concerne des personnes susceptibles de la lire et que cela pourrait mettre mal à l’aise les intéressés et l’auteur lui-même. Le parfum d’interdit s’explique donc par la frustration de l’auteur qui a trouvé dans cette voie matière à compensation (où ça va se nicher). Il est évident que cette explication n’est pas à la portée d’un lecteur lambda comme vous et moi. Je n’ai personnellement aucun mérite, c’est l’auteur lui-même qui me l’a racontée et qui m’a autorisé à vous la divulguer (petits veinards). Reste à commenter le gâteau sous la cerise.

Lançons-nous donc dans une explication plus standard en savourant par avance la liberté de ton et de propos qui est la notre, hors d’un cadre scolaire. Notre ambition est de faire de cette explication de texte, une œuvre littéraire en soi. Tout est donc permis à l’écrivaillon. Ecrivaillons donc !

Les trois premières phrases nous donnent le contexte. Un voyage à destination du midi de la France, pour se rendre à un mariage. André, le héros du roman, a souvent séjourné dans les Alpes-de-Haute-Provence. Sa destination est chère à son cœur. Le héros est dans un état d’esprit joyeux, exprimé par le champ sémantique de la lumière : midi, dorée.

Le héros se rend à un mariage. Il s’inscrit donc dans une tradition socialisante. Il a une petite amie. Il semble qu’il jouisse d’une stabilité affective bien établie : la petite amie a déjà été présentée à la mère d’André, ils comptent s’arrêter chez elle un jour ou deux, à Orléans, après le mariage. Orléans incarne, à travers Jeanne d’Arc, des valeurs conservatrices de virginité et de patriotisme mais aussi d’audace. Enfin, la petite amie est déjà sur place. Elle est probablement impliquée dans la cérémonie. Le héros rejoint une communauté d’amis proches auxquels il est fidèle. L’on perçoit tout cela dans ces trois premières phrases, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’expliquer. Le héros est donc dans un moud contextuel extrêmement positif. La quatrième phrase, plus circonstancielle, en rajoute une couche : le héros a tout son temps (pas de pression), la description du présent immédiat enrichie le champ sémantique de la lumière avec la notion de météo clémente, et Napoléon vient renforcer le contexte conservateur avec sa renommée et son code civil. Enfin, le héros est conscient de ce contexte favorable : la météo est exceptionnellement clémente. Toutes les planètes sont alignées.

Avant de sortir du premier paragraphe, on apprend que le héros a pris en stop une fille à la sortie de Sisteron. Elle est en tennis. On imagine que la jeune-fille se rend à son club de gym. Mais le héros nous fait part d’un doute. Nous en apprendrons davantage un peu plus tard, même si le commun des mortels, c’est à dire personne, ne peut s’empêcher d’imaginer une activité tarifée que certaines morales occidentales réprouvent depuis le milieu du XXe siècle.

La connaissance de l’auteur peut s’avérer utile pour débusquer certains tics littéraires, comme le calembour : l’âme sœur et Sisteron se répondent (dans Sisteron, il y a sister qui signifie sœur en anglais). L’on sait par ailleurs que le héros affectionne la région de Sisteron, il est naturel qu’il soit bien disposé à l’égard des habitants de cette région qu’il considère comme des frères d’âme. Tiltant sur la proximité de l’expression « frère d’arme » (Napoléon sort de ce corps), je me sens obligé de rechercher « frère d’âme » sur internet. Wikipédia m’apprend que c’est le titre d’un roman de David Diop (le récit d’un tirailleur sénégalais), paru en août 2018 (prix Goncourt des lycéens). On retrouve l’esprit facétieux de l’auteur des Filles de Thespios, lorsqu’on apprend que la jeune-fille se rend à Digne, comme si le nom de la destination pouvait effacer les a priori négatifs communicatifs du héros, concernant les intentions suspectes d’une auto-stoppeuse possiblement indigne. C’est un peu gros mais jusque-là, tout reste normal.

Le deuxième paragraphe nous précise les craintes du héros. Est-ce son imagination ? Pas seulement. La météo est clémente mais peut-elle pardonner cette doudoune ouverte sur octobre et cette robe en laine blanche très décolletée ? On verra bien si nos craintes sont fondées. Oui, ce sont déjà les nôtres ! À ce stade, on sent bien qu’on y va tout droit. La route guillerette a beau serpenter, on ne retient que le serpent et la broussaille que le champ sémantique de la sexualité accueille trop volontiers.

La jeune-fille semble avoir toujours un coup d’avance. Le héros réalise toujours trop tard ce qui se passe. Mais à chaque alerte, le danger s’éloigne : « Le temps qu’elle s’installe correctement et je n’y pensais plus ». L’auteur va utiliser ce procédé tout au long du récit.

Les formules « Je vis mais un peu tard » et « Je la trouvais bien hardie » font écho à des fables de La Fontaine ; peut-être un clin d’œil de l’auteur pour faire comprendre au lecteur que ce récit n’est que fabulation. L’auteur craint-il qu’on le confonde avec son héros ?

Jusque-là, tout n’est décidément que pur enfantillage : le petit sac à dos vert est très moche et la jeune-fille a dix-neuf ans à tout casser. Notez le détournement de la formule en « sans rien casser », qui confirme la probité des intentions du héros, si tant est qu’il ait des intentions. Nous voilà encore une fois rassurés. Le compteur émotionnel est de nouveau remis à zéro. Continuons notre voyage.

L’auteur donne dans le phanère et la banalité : « Elle avait laissé pousser ses cheveux tout l’été. Je ne savais pas pourquoi elle me racontait ça. » Certains lecteurs avertis ou soupçonneux se diront peut-être que cette jeune-fille a besoin de crier combien elle est grande maintenant. Le lecteur en sait toujours davantage que le héros, sinon ça ne serait pas drôle (ironie dramatique plus ou moins diffuse). Mais patience, il sera encore question de phanères dans quelques paragraphes.

En attendant, on peut admirer la Durance (du radical indo-européen der- « cours (d’eau) »). De toutes façons, nous n’allons pas nous ennuyer très longtemps : la route se tortille, la fille a envie de faire pipi ! De nouveau, l’auteur nous rassure sur la solidité des nerfs de son héros : la GS s’immobilise dans le gravier avec des craquements CSP+. L’accumulation de sigles rassure le lecteur, nous sommes entre gens instruits, même si on se la pette un peu : la GS est la voiture des classes moyennes. Mais les craquements du gravier sous les roues est le même, quelle que soit la voiture qui s’arrête devant les escaliers du château (je vais encore niquer mes talons) ! Faut-il à ce stade se demander si le crissement des graviers fait écho à des turpitudes coûteuses et sophistiquées qui auraient lieu dans un manoir, au cœur de la forêt solognote ? Je trouve que votre imagination dépasse les bornes. N’oubliez pas que du haut de ces pyramides, quarante siècles d’histoire vous contemplent.

Dans le paragraphe suivant, on entre dans le cœur du sujet : la pudeur de la jeune-fille n’est pas à la hauteur du grand homme qui a laissé son nom à la poussière du chemin. Nous sommes immédiatement convaincu du sang-froid du héros qui n’est pas un héros pour rien : Je jetai malgré moi un coup d’œil (suspense) sur le siège du passager (ouf !) pour m’assurer qu’il n’y avait pas de trace d’humidité. C’est vrai, allez expliquer une tâche suspecte à votre petite amie. Franchement on y croit, même si ces montagnes russes émotionnelles vont finir par avoir notre peau. Pour lutter contre le gazouillis, le héros commence par chercher de l’air. Mais l’odeur de l’urine est une seconde estocade non négligeable portée à son cerveau reptilien. Reste la radio mais le héros ne semble pas avoir confiance dans le réseau hertzien de moyenne montagne. Manque de confiance ou mauvaise foi du cerveau reptilien ? Alain et Jacques supputent confusément que les barrières chancellent (le rire protège du pire).

Le héros se trouve maintenant dans l’antre du méchant. Il ne peut plus fuir, il doit affronter la bête fumante, il jette un œil en direction de la vallée (ouf !). Mais l’on se rappelle immédiatement la métaphore explicite (voir Le Lys dans la vallée de Monsieur de Balzac). Et tout s’effondre à la phrase suivante (il fallait s’y attendre) : « Elle était toujours accroupie… » Si les deux phrases en avaient fait qu’une seule, on se serait risqué à parler d’anacoluthe (du grec anakólouthon « qui n’est pas à la suite de »). Ici, le pronom « Elle » ne renvoie pas à la vallée mais à la jeune-fille du paragraphe précédent. La dernière fois qu’on a parlé d’elle, elle ne portait pas de culotte et il était aussi question de jeter un œil quelque part (une façon de raccrocher les wagons à la hussard ?). Cette rupture dans le récit traduit sans doute celle qui a lieu dans l’esprit du héros dont les défenses sont en train de s’effondrer (Napoléon si tu nous entend…). N’allez pas croire que les auteurs ont des maladresses. Les auteurs sont tout-puissants et ils savent ce qu’ils font, même s’ils ne le font pas exprès. L’on se contente humblement de donner un sens à leurs écrits.

Le portrait de madone qui suit ne fait pas illusion. C’est résigné que le héros décrit ce qu’il voit, avec la crudité et le détachement d’un anatomiste distingué. Le héros passe du sexe aux ongles (encore une histoire de phanères) avec un flegme qui tente d’assurer le coup. Mais qui est assez naïf pour croire à cette apparence ? Le héros lutte avec les moyens qui lui restent. Pourtant, si l’entretien des ongles est soutenu, le regard ne l’est pas : André détourne les yeux et lance un paquet de kleenex à la guitariste (ouf !). La volonté de changer de point de vue est louable mais un mot de trop finit toujours par trahir le héros le plus irréprochable (il fallait s’y attendre) : il y a un sac en plastique dans le vide-poche de la portière, pour vos immondices. Pour vos immondices ! L’immonde s’invite sur les bords de la route Napoléon où des dragons éventrés gisent dans leurs trippes. Les immondices désignent les ordures ménagères déposées dans les rues pour y être enlevées. Rien de plus banal tant que les éboueurs ne sont pas en grève. Mais dans le contexte du récit, l’immonde l’emporte sur l’immondice. Impur ou dégoûtant ? Faites-vous une opinion. Pourtant stricto sensu, immonde signifie hors du monde. Encore un clin d’œil de l’auteur pour nous rappeler que nous sommes dans le monde de la fiction ? Quoi qu’il en soit, le doute s’insinue, le greenwashing du héros ne va pas faire long feu.

Le paragraphe suivant constitue l’acmé du récit. Au cœur d’un champ lexical enfantin (agiter, répéter, espièglerie, amusée, chiot, petit rire enfantin et stupide), l’impensable se produit. Mais tout rentre dans l’ordre effarant des choses, comme si rien ne s’était passé, et le voyage continue : attachez votre ceinture. Nous voila de nouveau rassurés.

Nouvelle douche froide au paragraphe suivant. Le héros crache le morceau dans cette première phrase : « L’odeur d’urine qui me restait dans la bouche ne tiendrait jamais jusqu’à Nice. » Puissance de la rime qui, comme l’allitération ou l’assonance, crée entre les mots des liens subtiles : impossible de ne pas rapprocher Nice et immondice. Il devient clair que les préoccupations écologistes du héros ne pèsent pas lourd face aux présomptions d’ondinisme : le sac en plastique se trouvant dans le vide-poches devient une pièce à conviction. La force de l’auteur est de ne pas en dire d’avantage. Le temps est venu pour le lecteur de donner libre cours à son imagination (maintenant, vous pouvez y aller).

La route va se poursuivre néanmoins comme elle a commencé, avec de l’humour (le savoureux « C’est parce que j’ai bu à la bouteille ? ») et dans la bonne humeur : on va parler musique. C’est une bonne chose d’avoir trouvé un sujet de conversation car Digne est encore loin : d’après la carte, la route Napoléon s’écarte de la Durance aux alentours de l’Escale qui est au tiers de ce covoiturage.

Avant-dernier chapitre, l’on sait qu’on arrive à la fin du récit. Les yeux mi-clos ne nous inquiètent pas plus que ça, c’est la deuxième fois que la jeune-fille y a recours, on sait que ça ne marche pas avec André et l’on fait confiance à l’auteur pour ne pas commettre une faute de goût au dernier moment. La jeune-fille a une façon cavalière de prendre congé mais, à elle aussi l’on fait confiance. Pour continuer de filer la métaphore napoléonienne, je dirais que ce ne sont pas les Adieux de Fontainebleau (« que j’embrasse au moins votre drapeau !« ) mais que ça ne manque pas de panache (tout sauf blanc). Le moment de connaître le prénom de l’héroïne est venu, il est raccord : Solange, solennelle.

Ne passez pas à côté du « pain aux raisins poilu ». Chez le jeune adulte, la schneck est un synonyme de la chatte, avec le même niveau de langue. Chez le jeune Alsacien, un schneck est une viennoiserie de forme enroulée, garnie de raisins secs. Les deux sens de ce mot trouvent leur origine dans le substantif féminin allemand die Schneckel’escargot ; le premier dans sa bave, le second dans sa coquille spiralée. D’où la métaphore crémeuse échangiste du « pain aux raisins poilu ».

Le dernier paragraphe nous redonne confiance dans le héros (le roman n’est pas terminé). Il est des souvenirs qui grattent longtemps, comme un petit bouton rouge persistant, celui sur lequel s’est focalisé le héros lorsqu’il a vu les fesses de la jeune-fille à travers la vitre. Une dernière tentative de minimiser la chose, on est habitué.

Les amateurs de littérature érotique peuvent aussi lire Renard médecin.

Get 30% off your first purchase

X