Le monde des rêves


Le rêve, ou plus généralement l’activité cérébrale hypnique (je découvre cet adjectif en même temps que vous), est d’une grande aide quand il s’agit (entre autres) de trouver des solutions ou des idées. Pour cela il faut se coucher tôt et se lever tard. C’est à la portée de toute jeune personne qui n’a pas d’enfant à charge et qui n’est soumise à aucune obligation : études, ambition, emploi, pression familiale, entrainement intensif, passion, maladie, drogue… Je vous souhaite de vivre cette expérience unique en son genre, au moins une foi dans votre vie. Si vous n’êtes plus jeune, vous avez sans doute de beaux restes, tout n’est pas perdu.

Il vous est sans doute arrivé de trouver à votre réveil la solution à un problème qui vous travaillait depuis plusieurs jours, comme si une bonne fée vous l’avait apportée sur une tablette. Le mérite vous en revient à part entière. Pas de bonne fée à remercier, inutile de rêver !

Vous pouvez optimiser le processus en récapitulant les données du problèmes juste avant de vous endormir (sans entrer dans les détails sinon vous allez avoir du mal à trouver le sommeil !) Par précaution, gardez de quoi écrire sur votre table de nuit IKEA. Au réveil, notez sans attendre, au moyen de quelques mots clés, les messages que Morphée aura caché dans les brumes de votre boîte crânienne. Puis, dans un deuxième temps, notez à chaud tous les détails. Tel le loup ivre de sang, faites un carnage dans le troupeau de chèvres sauvages qui s’éparpille et qui ne sera bientôt plus que béguètements que vent emporte. Vous reviendrez ensuite sur le lieu du crime pour vous régaler des entrailles fumantes. Ou, si vous êtes civilisé, tel le chien de berger sûr de son instinct, rassemblez ce troupeau de chèvres capricieuses et guidez le jusqu’à votre hippocampe où, telle l’abeille butineuse, vous graverez dans la cire votre précieux couvain.

Les sorciers éthiopiens conseillent de mettre un citron sous son oreiller pour bien profiter de ses rêves. L’essence de citron a la réputation de soulager les nausées et le mal des transports, et de faciliter la digestion. Elle pourrait donc être une alliée pour lutter contre les ennemis du sommeil. Plus simplement, je conseille de ne pas avoir d’ennemis, de manger léger les soirs se sabbat et de s’entrainer à programmer ses rêves sans attendre de résultat. Ça viendra tout seul. Très vite vous serez en mesure de poursuivre le même rêve plusieurs nuits d’affilée. En faisant ainsi confiance à votre sommeil, vous le trouverez plus facilement et vous prendrez plaisir à dormir. Attention tout de même à garder un pied dans la réalité, le monde des rêves ensorcelle. Un autre effet bénéfique de cette discipline sera de vous permettre de faire durer plus longtemps les phases hypnagogiques (état de conscience intermédiaire entre veille et sommeil) : celle de l’endormissement (où vous pourrez encore plus surement programmer vos rêves) et celle du réveil (où vous pourrez prolonger le rêve dans un demi-sommeil et ainsi mieux vous en souvenir).

Exemple de programmation : « Comment Josselin (mon personnage principal) doit-il s’y prendre pour recontacter Amanda de façon originale ? »

Inutile de demander la lune, ni d’être trop précis, votre inconscient s’occupe de tout.

Une foi votre rêve couché sur le papier, s’il en vaut la peine, rien ne vous empêche de procéder à des réécritures qui vous permettront de l’approfondir et de faire remonter certaines choses (et pourquoi pas de préparer une prochaine nuit d’exploration).

L’écriture y trouvera son compte, soyez-en certains.

Voici quelques rêves racontables :

Alexandrains

Demeurez je vous prie dans un juste courroux
Sans aller me chercher dans la tête des poux

La sorella di Ursula (1978)
giallo de Enzo Milioni

Ces deux vers – il y en avait une vingtaine – sont les seuls dont j’ai pu me souvenir à mon réveil. Depuis, j’ai toujours de quoi noter à la tête de mon lit.

Du rêve au rêve

Je rêve que je rêve que je me promène dans la rue sans pantalon. Soudain je me réveille : je suis au milieu de la rue, sans pantalon.

Pas pressé d’aller au boulot, celui-là !

Éric a disparu

Éric est un marin célèbre.
Il a quitté sa femme hier soir vers vingt heures : j’en ai ras le cul de cette émission à la con, je vais prendre l’air.

Veux-tu que je t’accompagne mon chéri, aurait proposé Madame ?

J’ai deux poumons, ça me suffit, aurait lâché Éric, de sa voie gutturale que tous les français connaissent.
La femme du marin n’a pas moufté.

Deux heures plus tard, le corps d’Éric disparaissait au large de Terre neuve.

Sa femme a porté plainte contre X. Un inconnu aurait disparu à la place de son mari afin d’en retirer toute la gloire. La police est sur les dents… Les dents de la mer, bien entendu.

Les dents de la mer
Eric

La belle au bois dormant

Cerné de ravins odorants où prospère la ronce, les restes du château coiffent le promontoire. Les lierres étranglent cette pierre oisive que la fiente des oiseaux marins dore de blancs éclats. Les flancs éventrés des corridors béants, laissent passer les vents, là où jadis allaient à petits pas bruissants, des suivantes très soumises. Parfois, une pierre roule sur le silence en pente douce, pour rappeler au voyageur égaré que d’âge en âge, un monde invisible s’avance au cœur des vieux murs.

La voute a la forme
d’une lèvre supérieure

Laissez bronzer les cadavres de Cattet et Forzani. Sorte de western policier spaghetti hallucinatoire au ketchup espagnol : 16,5/20 pour le visuel et la liberté (et 15 au bouquin éponyme de Manchette et Bastide, pour l’impertinence littéraire).

Effet papillon

Je trouve une poubelle à côté d’un papier gras. Oh, le joli papier gras ! J’essaie de l’attraper avec la poubelle : gagné ! Je soulève la poubelle avec mille précautions pour admirer ma prise… Mais la poubelle déverse une avalanche de papiers gras sur le trottoir ! C’est alors qu’un agent de l’ordre m’interpelle : la chasse aux papiers gras est interdite sur cette avenue, jeune homme ! Je lève vers lui un œil incrédule ourlé de repentance, dans lequel on peut lire à différentes profondeurs, une vergogne sincère. L’agent de l’ordre fond en larmes, ce sont des larmes blanches, si blanches que l’esprit en est touché au second degré. Une inconnue qui passe par là à ce moment précis en a la raison toute égarée sur l’échelle de Riche-cœur. Elle ôte sa minuscule culotte couleur du temps, la met dans son chapeau avec ses gants et son foulard : mon dieu que sa peau est brûlante et tremblantes ses mains sur le tissu bleu de mon cinq cent un. Alors, comme s’ils avaient attendu cet instant depuis la dernière éternité à gauche au fond du futur, les papiers gras prennent leur vol avec un sens aigu de l’aiguille d’une montre. Insensément et sans se figurer, la ville tout entière se retourne dans sa tombe.

Celui qui n’a pas de nom

Je ne suis plus très loin de la chapelle en ruine. Au-dessus des broussailles qui assaillent l’édifice de toutes parts, la pierre blanche du clocher resplendit dans la lumière du matin. Il y a encore des petites goldens aux branches nues des pommiers. Ça sent bon. Je voyage hors de mon corps. Je sens la présence de cette force noire qui me défie. Pourquoi suis-je attiré de la sorte ? La peur à l’état pure m’a fait oublier la vivacité de l’air hivernal. Je suis attiré irrésistiblement par le clocher. Quelque chose d’hideux est tapi tout là-haut, une sorte de fœtus dont il est impossible d’imaginer la forme. Je m’engage dans la cage d’escalier branlante. Je parviens jusqu’à un réduit où je distingue une forme posée sur une couche de vieux vêtements. La puissance qui se dégage du clocher est maintenant insoutenable. Je sens monter en moi un flux qui irradie l’arrière de ma tête. Je lutte en vain. Je me réveille en sueur, le cœur battant, tandis que le flux lentement se dissipe.

La tête dans les étoiles

Un ami et moi construisons un vaisseau spatial. Ce n’est pas notre premier essai. Ce nouveau modèle doit tirer profit de certaines facultés mal connues de l’esprit pour permettre de franchir des distances plus grandes.

Alors que je m’affaire au pied du vaisseau, une main noire, semblant sortir de l’appareil, veut m’attraper à plusieurs reprises, tour à tour agressive ou simplement menaçante.

Terrorisé, je recule et appelle mon ami. Il est attaqué à son tour par la main noire. Il éprouve la même terreur.

Qui ça peut bien être ?

Nous faisons alors appel à une sorcière scientifique. Notre problème semble beaucoup l’intéresser. Elle propose de nous aider. Selon elle, il nous manque certaines connaissances.

Pour les acquérir nous devons nous rendre sur une planète quasiment inexplorée. La magicienne nous donne deux instructions : rapporter le rhizome d’une plante rare qui pousse dans les montagnes de cette planète et, tout le temps que va durer l’initiation, conserver des lentilles circulaires dans un liquide physiologique à l’intérieur d’une petite boîte étanche.

Experts en paréidolie, je vous écoute !
Œdipien, mon cher Watson !

Les préparatifs prennent un certain temps. Nous convenons qu’une fois arrivés nous nous séparerons, mon ami et moi. Nous n’allons pas sur cette planète dans l’intention de lutter contre un autre ennemi que nous-mêmes. Nous serons seuls et sans armes.

A l’arrivée, protégée par de hauts murs, la zone d’accès autorisée se limite à la gare spatiale et ses environs immédiats. Nous sommes pris en charge par le personnel de la station.

Le futur, c’est l’avenir !

Notre guide est une femme énergique sanglée dans une élégante tunique rose à l’épreuve des particules solaires. Les fentes de son corps gracieusement plissé ont été dessinées sur sa combi avec un réalisme outrageant, mais personne ne s’en offusque ; il semble que ce soit la signature de la franchise  interplanétaire qui s’applique à sanctuariser ce petit morceau de planète. L’employée nous met en garde contre une liste d’infractions aux sanctions diversement onéreuses. Puis ses mains abandonnent brusquement le ballon de rugby invisible qu’elles ont puissamment comprimé durant l’allocution, et son visage prend une expression plus douce, presque mièvre, pour nous souhaiter un agréable séjour.

Les rêves sont faits pour ça

Il faut rester groupés. La visite ne permet d’entrevoir aucunes des particularités de la planète. Nous sommes nombreux à avoir fait le voyage. Bouglione et ses tigres nous accompagnent. Les animaux parlent le langage des hommes.

Agent 314, et vous ?

Nous nous mêlons à des enfants qui se poursuivent dans le labyrinthe artificiel d’un petit parc d’attraction. Chacun procède selon son tempérament. Un enfant plus costaud que les autres écarte violement son camarade pour se jeter dans une ouverture qui se révèle être un cul-de-sac. Sans savoir comment, je me retrouve soudain en zone interdite, de l’autre côté du mur. Un sentiment d’insécurité gâche l’excitation que j’éprouve alors.

 Laberinto de pasiones
Le Skrik

Drapées dans des manteaux à capuche en toile raide, le dos courbé, trois femmes avancent en file indienne sur un chemin aux bordures empierrés. Deux d’entre elles ont le nez exagérément crochu, signe de maturité. J’ai peur que l’une d’elles soit la sorcière de Blanche Neige.

La troisième, qui est jeune, se détache du groupe et vient dans ma direction sans que je me sois manifesté. Elle a deviné ma présence. Elle a les cheveux très noirs et la peau couleur de lait de soja. Elle porte une robe violette. Elle s’arrête devant moi. Sans laisser paraître ma peur, j’essaie de retenir l’attention de la fille en lui montrant différents objets que j’ai apportés de la Terre. Lentement, je gagne sa confiance.

Vous en avez rêvé, Viviane la fée !

Plus tard, nous parlons très doucement, allongés sur des chaises longues en bois, il y a un soleil, il n’y a pas de piscine, je m’endors.

À mon réveil, le soleil est toujours là mais la fille a disparu. Un liquide incarnat  légèrement sirupeux attend sur une table basse dans un grand verre. Je sais que cette drogue m’est destinée et que je dois la boire si je veux revoir la fille et poursuivre notre relation. Je savoure la réalité un peu molle de mon être avec le sentiment que c’est sans doute la dernière fois. Je sais que je vais basculer dans un nouvel état de conscience que je redoute et souhaite à la fois. Je bois.

Tristan et Iseult

Je ne sens aucune modification perceptible de ma condition. L’angoisse m’envahit. Quelle partie inconnue de mon cerveau a-t-elle été affectée par cette urine de reine rouge ? Mystère.

Je revois la fille, je deviens son ami. Elle m’invite à la suivre chez elle. Je ne sais pas si je l’aime.
Les hommes sont absents de cet univers dont sa mère est la régente.

Le Solitaire d’Edvard Munch

Il faut préparer la maison car son frère va bientôt nous rendre visite.


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