Voyage à New York – 2019


Mon voyage à New York n’a pas laissé dans ma mémoire, les traces qu’on peut observer dans le ciel, certains soirs d’octobre. Nous étions partis, ma fille, ma femme et moi à l’occasion d’un voyage organisé par le CE de l’entreprise où je coulais des jours heureux. Nous étions au mois d’avril et il aurait suffi que je me découvrisse d’un fil pour disparaître. Je me remettais d’une hyperthyroïdie qui m’avait transformé en Docteur Facilier, le méchant de La Princesse et la Grenouille : j’étais maigre et affamé comme un coucou de printemps. Heureusement, je ne portais pas de moustache et mes amis de l’au-delà se réjouissaient encore des cartes postales que je leur envoyais d’ici-bas. Aussi, la perspective de poursuivre l’exploration de ce 21e siècle trisomique sans y toucher, tel le chat de Diego, faisait battre à un rythme raisonnable mon petit cœur fragile.

Avril, ne te découvre pas d’un fil.
This cat is one of only a few sculptures of animals by Giacometti; the others are a dog and two horses.
Ce chat est l’une des rares sculptures d’animaux de Giacometti ; les autres sont un chien et deux chevaux.

Alberto Giacometti. Swiss, 1901-1966
Cat 1954 Bronze
Giacometti remembered that his brother Diego’s cat « passed just like a ray of light, » squeezing its lithe and predatory form between close objects without ever touching them.
Giacometti se souvient que le chat de son frère Diego « passait comme un rayon de lumière », frôlant les objets de sa forme souple et prédatrice, sans jamais les toucher.

Le voyage fut bref. Air France entretenait le souvenir de sa grandeur passée, au prix d’un acharnement thérapeutique à base de rôti de dindonneau reconstitué et de surimi. À notre arrivée, une Française expatriée nous donna quelques conseils et fit de son mieux pour enchanter le parcours sans intérêt qui séparait l’aéroport de l’hôtel. Je reconnu quelques collègues. Durant la semaine qui allait suivre, nous n’avions aucune chance de croiser un engoulevent dans Manhattan désert. Nous récupérâmes nos bagages et gagnâmes nos chambres respectives dans les hauteurs de l’immeuble qui abritait l’hôtel.

Une vitre séparait la salle de bain de la chambre. Les boiseries sombres devaient à l’origine habiller les murs d’une chambre d’hôtel thaïlandaise. Le lit king size pouvait nous accueillir tous les trois. Notre fille se faisait une fête de dormir avec ses parents. La fenêtre donnait sur des perspectives impressionnantes et tristes, un royaume de tours, de clims et de conduits :

Les immeubles à l’amarre ressemblaient à des paquebots géants sans destination.

Déjà, au début des années trente, depuis la fenêtre d’un atelier, le regard de John Kane se heurtait aux structures d’une modernité aux fadeurs portuaires :

Kane’s painting is characteristically rich in delicately rendered details, including the recently completed Gulf Tower, which looms over the modest nineteenth-century commercial structures.
La peinture de Kane est particulièrement riche en détails délicatement rendus, y compris la Gulf Tower récemment achevée, qui domine les modestes structures commerciales du XIXe siècle.

John Kane American (born Scotland), 1860-1934.
From My Studio Window, 1932 Oil on canvas
Kane was a self-taught painter who began making art through his job painting trains and houses. From My Studio Window shows a bustling street in the artist’s hometown of Pittsburgh.

Depuis la fenêtre de mon atelier, 1932 Huile sur toile.
Kane était un peintre autodidacte qui a commencé en peignant des trains et des maisons. From My Studio Window montre une rue animée de la ville natale de l’artiste, Pittsburgh.

Je m’aperçu assez rapidement que je n’aurai pas grand chose à raconter à mon retour. Il fallait regarder où l’on mettait les pieds car, avides d’entorses, les trottoirs étaient défoncés par des réparations à ciel ouvert. Les gens croisés dans la rue étaient sapés comme toujours, c’est à dire mal fringués comme jamais. Ma chemise repassée me donnait l’air d’un nouveau riche. Bienvenue au pays du sportswear et de la malbouffe :

Certains quartiers transpiraient la joie de vivre de la porte de Clichy vers trois heures de l’après-midi, quand on se demande ce qu’on va bien pouvoir faire de sa journée avec cinq euros en poche :

A côté de ça, on pouvait tomber sur un centre commercial en forme de cage thoracique de cétacé, pouvant contenir plusieurs Notre-Dame de Paris :

Et certaines façades ne manquaient pas d’allure :

Même si certains sites n’étaient pas à la hauteur de leur réputation :

Time Square : beaucoup de néon pour rien ; une beaufitude kitschissime qui a très mal vieilli et la foule qui va avec.

China Town : des immeubles plutôt moches avec des épiceries asiatiques au rez-de-chaussée.

The High Line : cette coulée verte sans verdure ni surprise qui se fraie un chemin entre les immeubles à quelques mètres du sol peut, à certains moments de votre vie, donner un sens à celle-ci. La photo n’est pas contractuelle.

Liberty Enlightening the World : la liberté éclairant le monde (de sa flamme). La flemme d’aller là-bas, aimer à loisir, au pays qui ressemble à tout le monde.

Pour utiliser le métro, il faut procéder par élimination, comme au Cluedo : nord ou sud ? Rapide ou omnibus ? L’énervement peut gagner l’usager novice.

Cela dit, les gratte-ciel sont eux à la hauteur de leur réputation :

Alors faut-il visiter Manhattan ?

Je dis oui, ne serait-ce que pour certains détails

Les cafés de Brooklyn

Une cantine dans un palais

La gastronomie

Manuel de survie : nous nous levions vers 9h 30 et descendions au petit déjeuner à 10h. Nous étions seuls dans la grande salle à manger de l’hôtel à l’heure où mes collègues avaient déjà au moins coché un musée. Nous nous gavions comme les oies du capital et partions à la découverte de la ville vers 11h. Le soir, avant de rentrer à l’hôtel, nous allions manger toutes sortes de pâtes dans un restaurant de la chaîne Eataly, symbole du soft power italien (le concept s’apparente à un grand magasin associé à des aires de restauration).

Le commerce éphémère

Les feux de signalisation

La jeunesse branchée

La haute couture

L’émerveillement des touristes (tous les Américains ressemblent à des touristes)

La reconnaissance palmaire au service des sciences cognitives

Les bus scolaires

Le sens du devoir

Les vue imprenables sur l’Hudson River

Le rêve américain
Stationary Figure, 1973 Oil on canvas
Figure stationnaire, Huile sur toile

Philip Guston. American, 1913-1980

At Guston’s 1970 exhibition at New York’s Marlborough Gallery, many who admired his elegant abstractions were shocked to discover a return to the representational imagery he had abandoned two decades earlier. Bare lightbulbs, trash cans, old shoes, and other detritus of a seemingly apocalyptic world – painted in a cartoonlike style on a grand scale – now populated his canvases. As Guston put it, « I got sick and tired of all that Purity! I wanted to tell stories. » For the rest of the decade his works incorporated elusive narratives of a country embroiled in a devastating war and of painful struggles at home, alternating with solitary figures like this one – an anxious smoker, often interpreted as a self-portrait, lying awake while the clock ticks away the small hours.

Lors de l’exposition de Guston en 1970 à la Marlborough Gallery de New York, beaucoup de ceux qui admiraient ses élégantes abstractions furent choqués de découvrir un retour à l’imagerie figurative qu’il avait abandonnée deux décennies plus tôt. Des ampoules nues, des poubelles, des vieilles chaussures et d’autres détritus d’un monde apparemment apocalyptique – peints à grande échelle dans le style d’un dessin animé – peuplaient désormais ses toiles. Comme le dit Guston : « J’en avais marre de toute cette pureté ! Je voulais raconter des histoires. » Pendant le reste de la décennie, ses œuvres incorporaient des récits insaisissables d’un pays en proie à une guerre dévastatrice et à des luttes internes douloureuses, alternant avec des personnages solitaires comme celui-ci – un fumeur anxieux, souvent interprété comme un autoportrait, allongé éveillé pendant que l’horloge compte les petites heures.

Ou pour ses escaliers de secours

Manuel de secourisme : une nuit, vers 5h, j’ai cru que j’avais oublié de désactiver mon réveil qui s’était mis à sonner. J’avais bondi hors du lit en pestant et cherchai désespérément où diable pouvait bien se planquer ce satané mécanisme acheté en promo au Bazar de l’Hôtel de Ville (diable / satané / devil). En réalité, je n’avais pas apporté de réveil. L’alarme de l’hôtel s’était déclenchée. J’avais l’impression d’être poursuivi par un escadron de voitures de police en rut. Le sentiment de panique qui avait pris le contrôle de mes nerfs imitait à la perfection la sidération qui saisit Cary Grant dans La Mort aux trousses quand il est poursuivi par un avion d’épendage, dans un champ de maïs. Lorsque j’eus repris le contrôle de mon oreiller interne, je calmai la maisonnée en conseillant de mettre des boules quies et de se rendormir, cependant que, dans les couloirs tapissés de moquette ignifugée, retentissaient les éclats de voix des résidents de la tour infernale et le choc des valises sur les marches des escaliers de secours. Par deux fois encore la sirène avait poussé son hurlement de bienvenue au pays des gratte-ciels. Puis une voix de commandant de bord ensommeillé nous avait présenté des excuses pour ce dérangement dont un incident technique était la cause.

Ou pour son street art

Ou pou des waisons weligieuss qui vous wegaadent (avec ou sans l’accent)

The Virgin of Guadalupe, ca. 1918-19 Oil and charcoal on paperboard
La Vierge de Guadalupe, Huile et fusain sur carton

Marsden Hartley. American, 1877-1943

Not long after his return to the United States from Germany, Hartley ventured to New Mexico, where he became enamored of the Spanish Colonial, Mexican, and American Indian arts of the region. The Virgin of Guadalupe depicts a bulto, a small carved and painted religious statue. Hartley likely based the painting on a specific example of the Virgin Mary to which he had access. Artists and collectors were attracted to bultos because they believed them to be made by their (usually anonymous) creators with both directness and sincerity, qualities to which Hartley similarly aspired.

Peu de temps après son retour d’Allemagne aux États-Unis, Hartley s’est aventuré au Nouveau-Mexique, où il est tombé amoureux des arts coloniaux espagnols, mexicains et amérindiens. La Vierge de Guadalupe représente un bulto (relief), une petite statue religieuse sculptée et peinte. Hartley s’est probablement basé sur un exemple spécifique de tableau de la Vierge Marie auquel il avait accès. Les artistes et les collectionneurs étaient attirés par les bultos parce qu’ils pensaient qu’ils étaient fabriqués par leurs créateurs (généralement anonymes) avec à la fois franchise et sincérité, qualités auxquelles Hartley aspirait également.

Ou pour la femme du nouveau monde

Philip Pearlstein. American, born 1924
Two Models with Bent Wire Chair and Kilim Rug

1984 Oil on canvas
Deux modèles avec chaise en fil courbé et tapis Kilim, 1984 Huile sur toile

Red Coat, 1982 Oil on canvas
Manteau rouge, 1982 Huile sur toile :

Alex Katz. American, born 1927

The best of Katz’s portraits create a palpable tension between specific and abstract, intimate and remote, near and far. This tension animates his depictions of both people and space. With Red Coat, an enigmatic portrait of his wife Ada, the artist takes his cue from movies, photography, and advertising, radically cropping and magnifying her visage, bringing her face to the very front of the picture plane. Yet, despite her proximity to the viewer, Ada’s expression is indecipherable: whatever she might be thinking or feeling remains a mystery. In fact, the portrait’s emotional and psychological charge derive directly from her inaccessibility.

Les meilleurs portraits de Katz créent une tension palpable entre spécifique et abstrait, intime et distant, proche et lointain. Cette tension anime ses représentations des personnes et de l’espace. Avec Red Coat, un portrait énigmatique de sa femme Ada, l’artiste s’inspire du cinéma, de la photographie et de la publicité, recadrant et agrandissant radicalement son visage, le plaçant tout en avant de l’image. Pourtant, malgré sa proximité avec le spectateur, l’expression d’Ada est indéchiffrable : tout ce qu’elle pense ou ressent reste un mystère. En fait, la charge émotionnelle et psychologique du portrait découle directement de son inaccessibilité.

Ou enfin pour les valeurs morales de l’Amérique « Great Again »

Lust (luxure)
(prononcer le-st)
Pride (fierté)
(prononcer praille-d)
Envy (jalousie)
(prononcer ‘enne-vi)
Anger (colère)
(prononcer ‘è-ngue)
Avarice
(prononcer ‘a-ve-resse en anglais et
a-vrece en américain)
Sloth (paresse)
(prononcer sloth en anglais et slaath en américain.

« th » se prononce « ze » en rentrant à l’intérieur de la bouche, la langue préalablement sortie et prise entre les incisives.

Gluttony (gourmandise)
(prononcer ‘gla-te-nii)

Paul Cadmus. American, 1904-1999

The Seven Deadly Sins (left to right): Lust, 1945 (Egg tempera on Masonite); Pride, 1945 (Egg tempera on gessoed linen over Masonite); Envy, 1947 (Egg tempera on Masonite); Anger, 1947 (Egg tempera on Masonite); Avarice, 1947 (Egg tempera on cardboard); Sloth, 1947 (Egg tempera on Masonite); Gluttony, 1949 (Egg tempera on cardboard).

Les sept péchés capitaux (de gauche à droite) : Luxure, 1945 (détrempe à l’œuf sur isorel) ; Fierté, 1945 (détrempe à l’œuf sur lin enduit de gesso sur isorel) ; Jalousie, 1947 (détrempe à l’œuf sur isorel) ; Colère, 1947 (détrempe à l’œuf sur isorel) ; Avarice, 1947 (détrempe à l’œuf sur carton) ; Paresse, 1947 (détrempe à l’œuf sur isorel) ; Gourmandise, 1949 (détrempe à l’œuf sur carton).

Between 1945 and 1949, Cadmus turned his dexterous hand and fertile imagination to rendering the Seven Deadly Sins, a subject with biblical antecedents that artists (including Hieronymus Bosch and Pieter Bruegel the Elder) have explored since the Middle Ages.
Cadmus’s interpretation extends his predilection for social satire to surreal extremes of excess, vulgarity, and gore. Of the series, Cadmus explained, « I don’t appear as myself, but I am all of the Deadly Sins in a way, as you all are, too. »

Entre 1945 et 1949, Cadmus a utilisé sa main adroite et son imagination fertile pour rendre les Sept péchés capitaux, un sujet aux antécédents bibliques que des artistes (dont Jérôme Bosch et Pieter Bruegel l’Ancien) ont exploré depuis le Moyen Âge.
L‘interprétation de Cadmus étend sa prédilection pour la satire sociale aux extrêmes surréalistes de l’excès, de la vulgarité et du gore. À propos de la série, Cadmus a expliqué : « Je n’apparais pas en tant que tel, mais d’une certaine manière, je suis tous les péchés capitaux en même temps, comme vous l’êtes tous aussi. »


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