Voyage à Séoul- 2019


Si vous n’aimez pas les blablas, allez directement à la

Le numérique permet de prendre des centaines de photos. Comment identifier celles qu’il faut conserver ? Après la qualité esthétique, le meilleur critère en ce qui nous concerne, est le pouvoir évocateur de l’image : si la photo vous donne envie d’écrire conservez-la, peut importe le lien avec ce que vous raconterez (description de la photo, évocation d’un événement, états d’âme, etc.). Vous n’êtes pas obligé d’écrire tout de suite, mais vous pouvez immédiatement ressentir cette odeur de lapin blanc qui a peur d’arriver en retard. C’est un signe. Mettez la photo dans votre album « À exploiter » avec un petit commentaire précisant les pistes (date, lieu, associations d’idées). Archivez le reste.

Un récit de voyage ne doit pas être un guide touristique des plaicetoubis. Les détails de la vie courante et autres plans de coupe cocasses doivent y trouver leur place.

Pour la forme, selon que vous voulez privilégier la photo ou le texte – voire les deux – vous avez le choix entre :

  1. l’album commenté
  2. le récit de voyage, illustré
  3. le journal de voyage, illustré
  4. les chroniques illustrées.

Vous pouvez commencer par un album, ça vous donnera peut être envie de refaire le voyage en écriture et de vous lancer dans une entreprise plus littéraire. Vous verrez bien. Si vous avez été profondément affecté par votre voyage, l’affaire est bien engagée.

Bibliographie : L’usage du monde (1963) Nicolas BOUVIER

Je vais faire l’exercice avec un voyage d’un mois à Séoul (capitale de la République de Corée, dite Corée du Sud).

Bibliographie :

  • Stupeur et tremblement (1999) Amélie NOTHOMB
  • Kim Jiyoung, née en 1982 (2016) Cho Nam-joo
  • Parasite (Palme d’or à l’unanimité 2019) film de Bong Joon-ho

Mes photos préférées sont classées dans les rubriques suivantes :

  • Séoul-archi (building, déco, marché, palais, parc, pano, ruelle, temple)
  • Séoul-archi-urba (anar, commerce, toit, résid, structure, tradi)
  • Séoul-art-animal (dragon, gardien, oiseau, tigre)
  • Séoul-art-graphisme
  • Séoul-art-sculpture
  • Séoul-nature (animal, paysage, végétal)
  • Séoul-cuisine
  • Séoul-gens (couple, enfant, foule, idole, mode, portrait)
  • Séoul-vie (commerce, logistique, métro, tél, travail)

Première idée

Mon objectif est de sélectionner une seule photo de chacune des 36 rubriques et de les commenter. Je pourrai ajouter des photos en fonction des besoins du récit. L’idée est d’utiliser ces 36 photos pour structurer l’album. Je commence par les gens, c’est le plus vendeur.

Deuxième idée

Après avoir sélectionné six photos sur les gens, le récit prend vite le pas sur l’album et je me vois contraint d’acheter un fusil pour le changer d’épaule, permis de chasse, compte SIA, trouver un armurier, je ne vous raconte pas le bazar.

Troisième idée

Mais rapidement le récit s’essouffle, les réflexions sont trop éparses, il n’y a pas de véritable histoire. Alors je pense à l’ordre chronologique. Mais là encore, à part celle du temps, la progression ne concernera aucun personnage, pas même moi (la durée du séjour est trop courte pour que je sorte métamorphosé de l’aventure), je n’ai à ma disposition que des éléments épars et transverses. Pas de récit possible. D’autre part, le matériel disponible pour chaque journée est inégal, et je ne suis pas certain d’avoir quelque chose d’intéressant et de cohérent à raconter au quotidien.

Quatrième idée

Je reviens donc à ma classification de départ, chaque rubrique sera le point de départ mais aussi le point d’arrivée. Je vais écrire des chroniques, une par rubrique, peut-être faudra-t-il réorganiser les rubriques, en créer de nouvelles. Je laisserai l’album photo prendre le pas quand mon propos s’amincira.

Korean Air

Quatre semaines de vacance en Corée du Sud. Le voyage est long mais, en avion, je ne vois pas le temps passer tellement j’aspire à ne rien faire. Je ne me souviens pas des films que j’ai visionnés durant le voyage. Ni du livre que je lisais à cette époque.

Korean Air propose des menus classiques et des menus coréens avec du kimchi, une préparation de légumes lactofermentés très pimentée qui transforme les gencives en banquettes de train Corail. C’était, paraît-il, la seule façon, jadis, de conserver les légumes. On stockait les précieux nutriments dans de grandes jarres qu’on enterrait pour éviter les variations de température.

Les hôtesses de l’air ne doivent pas dépasser 40 kg, sans doute pour économiser le kérozène. Ma femme attire mon attention sur la beauté de l’hôtesse qui nous sert le repas. Son visage est d’une délicatesse féérique. Heureusement, nos ceintures sont attachées. Son sourire est terrifiant de bienveillance. Elle incline doucement la tête sur le côté pour savoir si nous préférons du thé, du portos ou du whisky et, irrésistiblement, on incline la tête en même temps qu’elle pour qu’elle nous voit dans son miroir. Le personnel de bord s’exprime dans un anglais rudimentaire avec un accent marqué mais sympathique. Ma femme se moque de moi : « ferme ta bouche et répond à la dame ».

À la fin du repas, la jeune déesse réapparaît dans la travée aux côtés d’un homme plus mûr mais à la peau irréprochable. Elle tend à son collègue des serviettes éponges parfumées, humides et chaudes qu’elle prélève dans une sorte d’étuve à roulettes. L’homme mûr les offres solennellement aux passagers en baissant respectueusement les yeux, tandis que la vestale pousse de courts gémissements pour exprimer le plaisir que Korean Air a eu à nous servir dans la moiteur de leur paradis volant. Je me demande si elle pousse ces mignons glapissements pendant l’acte sexuel ou si elle sépare vie privée et vie professionnelle. Un petit sticker rectangulaire transparent qui me fait penser à une puce électronique est collé sur sa pommette. Je ne l’avais pas remarqué tout à l’heure. La moindre trace de sébum est impitoyablement circonscrite et immédiatement traitée avec des patchs imbibés d’antibiotiques. Ce minime artéfact souligne sa beauté virtuelle inéluctable. On ne va pas tarder à nous faire sortir du sommeil artificiel qui nous a permis de parcourir toutes ces années lumières sans prendre une ride. La vérité est un peut moins lisse, j’ai la tête du samouraï après trois jours et trois nuits d’affrontements sans merci. Nous atterrissons, nous sommes le vendredi 30 août 2019.

Les immeubles de Séoul

Je pose le pied sur le sol de Corée avec un a priori très positif (voir la chronique Korean Air). Nous quittons l’aéroport et roulons à tombeaux fermés dans les embouteillages qui conduisent à la capital où sont entassés 20% des Coréens (je croyais que c’était davantage). Sur le trajet, nous croisons des immeubles terrifiants.

Ce n’est pas Apocalypse Now mais je ne sais pas exactement où nous mettons les pieds. Je ne sais pas encore que nous allons loger au vingt-sixième étage d’un immeuble semblable, possédant sa propre station de métro, son club de sport et un centre de tri des déchets ménagers devant lequel le taxi va nous déposer.

La plupart des grands immeubles sont fonctionnels, conçus pour résister aux typhons et optimiser l’occupation des sols (Séoul est entouré de montagnes, son extension horizontale est donc limitée). Ils éventrent les quartiers populaires en surgissant de terre comme des orques affamés qui se transforment en statuts de pierre au contact de l’air. C’est ce qu’on peut observer depuis la N Seoul Tower, une tour de télécommunications idéalement située au centre de la ville sur une colline (le Mont Namsan) équipée d’un téléphérique (Namsan Cable Car). Un ascenseur dernier cri nous projette ensuite 200 mètres plus haut (non ce n’est pas une panne, vous êtes bien arrivés). Voici la vue qu’on peut admirer derrière la paroi intégralement vitrée qui fait le tour de l’observatoire :

Il existe cependant quelques immeubles remarquables où il est question d’architecture :

Regards

Pendant un mois, je vais avoir l’impression d’être l’homme invisible du docteur Moreau pendant la guerre des mondes. Une Coréenne, amie d’enfance de notre fille, a des problèmes avec ça au boulot. Elle a culturellement tendance à regarder les gens dans les yeux quand elle leur parle. Elle a pris cette mauvaise habitude pendant les huit années qu’elle a passé en France. Ses camarades coréens pensaient qu’elle avait de mauvaises intentions. Il y a moins d’un an, elle a réalisé que c’était la cause de ses problèmes de communication avec ses collègues. Maintenant, elle gère. Elle en a parlé à ses amis qui lui ont dit qu’ils s’étaient habitués, mais qu’au début ça leur faisait bizarre. En Asie, on ne regarde jamais une personne dans les yeux, pas même ses amis, c’est un manque de respect, voire une marque d’agressivité. Je comprends enfin pourquoi les groupes de touristes chinois qui encombrent la place Saint-Michel n’ont jamais pour moi le moindre regard lorsque je les traverse pour rejoindre ma correspondance avec le RER B. Ce que je prends pour du mépris n’est rien d’autre que du respect.

Sur quoi les coréens peuvent-ils bien poser leurs yeux s’ils n’échangent jamais entre eux aucun regard ? Leurs yeux ne quittent pas l’écran de leur téléphone intelligent (comment faisaient-ils avant ?). Leur téléphone n’est pas plus intelligent que les autres mais c’est ainsi. Les filles s’en servent souvent de miroir de poche. Ce n’est pas révolutionnaire, souvenez-vous du miroir intelligent de la méchante reine. Miroir intelligent qui, soit dit en passant, n’hésita pas à dénoncer Blanche-Neige (nous verrons plus tard jusqu’à quel point le Coréen est dénonciateur).

Par exemple, la jeune femme moutarde ci-dessus, est-elle en train de surfer sur internet avec une moue dubitative quant à la véracité des infos qui inondent son cortex visuel primaire ? Se sert-elle de son smartphone en mode selfie pour vérifier l’état de ses lèvres (le chirurgien avait l’air satisfait) ? Peut-être vient-elle de s’apercevoir qu’elle a un œil plus haut que l’autre ? Tout le monde a un œil plus haut que l’autre, la symétrie est une vue de l’esprit. A moins qu’elle ne soit en train de garder dans la bouche une gorgée de liquide réconfortant afin que le dronabinol lui monte plus rapidement au cerveau (la photo a été prise dans un véhicule ferroviaire urbain souterrain à traction électrique, lieu habituel de consommation de ce breuvage). Je suppute qu’elle a fait refaire son visage récemment, elle n’est pas encore tout à fait habituée. Son nez est fin et marque bien la séparation entre ses yeux (elle en a deux). C’est du bel ouvrage. De la graisse de ses cuisses a probablement été injectée sous sa paupière supérieure. C’est peut-être pour ça que les Coréens n’osent pas se regarder dans les yeux (tu as de belles cuisses, tu sais).

Les Coréennes pensent que 80% d’entre elles ont recours à la chirurgie esthétique (en fait un tiers seulement). Le dédoublement de paupière (blépharoplastie) est une épreuve optionnelle du baccalauréat, pour les filles comme pour les garçons (de plus en plus d’hommes y ont recours). Il semblerait qu’une ségrégation soit faite à l’embauche sur ce critère, pour certains postes. Les interventions de base concernent le nez et les yeux. Le must est d’avoir une bosse entre les deux yeux et suffisamment de graisse dans les paupières pour que les yeux fassent deux fentes quand on sourit (selon l’amie d’enfance). Les filles qui se font opérer n’en parlent pas à leurs proches ni à leurs amis. C’est l’occasion de leur faire une surprise car souvent la fille est méconnaissable.

Les coréens ne se regardent pas mais, paradoxalement, ils se soucient du regard qu’on porte sur eux. Je ne voudrais cependant pas laisser croire que tous les coréens sont obsédés par leur apparence. Il existe ici des gens comme les autres. Certaines femmes utilisent même de vrais miroirs de poche pour se maquiller. La preuve en image. Notez également les trois femmes très en joie qui se ressemblent. J’imagine que ce sont trois sœurs en vadrouille. Je n’explique pas autrement cette débauche d’enthousiasme, inhabituelle dans les transports en commun. Ça me fait dire que les coréens sont très différents en public et en privé. Au fond, se sont des gens comme vous et moi (nous voilà rassurés).

Ils leur arrive aussi de se retourner ou de laisser trainer un œil :

Et curieusement, ils adorent se faire photographier. L’objectif de l’appareil est accepté, là où l’œil nu n’est pas toléré. Mais attention, il faut que la réalité soit transfigurée : en effet, les coréens adorent déambuler le weekend, en costumes d’époque de location, dans les parcs et les enceintes des palais. Les touristes sont ravis de participer à ce carnaval permanent (surtout les femmes).

Mais il y a des limites à la décontraction : vous ne rencontrerez aucune femme avec des cheveux blancs – signe de faiblesse et de hasbeenitude. Dans le métro, les places réservées aux personnes âgées et femmes enceintes restent désespérément libres (il n’y a pas de femmes enceintes non plus).

Cependant, si tous les jeunes ont le regard fixé sur leur smartphone, les personnes âgées résistent. Notez ci-dessous en passant, la solitude masculine en marge des réseaux de femmes au foyer de ce monde vieillissant (0,92 enfant par femme en 2019).

Mais ne crachons pas sur le smartphone (même pour le nettoyer, les enfants). Celui-ci a beaucoup fait pour dérider les coréennes. Absorbées par le petit écran, perdues dans des pensées qui ne sont pas les leurs, elles ne peuvent réprimer de temps à autre l’esquisse d’un sourire. Peut importe la raison pour laquelle elles sourient. L’autre jour, dans le métro, une petite coréenne rondelette s’est assise à côté de moi. Pendant tout le trajet, elle a regardé la vidéo d’une fille qui se tapait un saladier de pâtes à la tomate. Elle était aux anges. En face de moi, six passagers sur six étaient en connexion active. Quand nous sommes rentrés chez nous, dans l’ascenseur, un couple était chacun sur son portable. Ils sont sortis de l’ascenseur en même temps que nous au 26e étage, le nez toujours fixé à leurs écrans tactiles, et ils se sont enfilé le couloir comme deux robots amoureux. C’était touchant. Si les Coréens veulent s’affiner le nez c’est aussi pour s’en servir de stylet tactile. Techniquement, les occidentaux on une longueur d’avance.

Une pensée pour ceux qui n’ont pas besoin de boisson reconstituante. Leur main restée libre triture d’autres pailles. On se demande bien à quoi ils pensent. Je ne sais pas ce que représente le motif récurent qui décore les banquettes du métro. Mais peu importe le motif pourvu qu’on ait la satisfaction (l’autosatisfaction, ça compte aussi).

Perso, dans le métro, je suis aussi sur mon téléphone à fort potentiel. Mais c’est pour prendre les gens en photo. S’il n’y a personne assis à côté de moi, je me recoiffe en faisant semblant de me servir de mon téléphone comme d’un miroir de poche (en mode selfie). J’ai alors l’objectif au niveau du visage, face à mon sujet qui de toutes façon garde les yeux baissés. Préalablement, je vérifie toujours que le mode flash n’est pas programmé.

Les travailleurs de Séoul

Et ce salary man ? Regarde-t-il une série ou continue-t-il à bosser sur les dossiers que son supérieur lui a confiés juste avant de partir pour sa séance d’alcoothérapie ?

« Aux Etats-Unis, l’alcool ne sort pas du cadre privé. Dans les pays musulmans, il n’est pas rare que l’alcool circule dans les milieux privilégiés. Mais on ne vous tiendra pas rigueur de refuser un verre. En Asie, une personne qui boit montre son vrai visage et prouve la sincérité de ses intentions. Cela permet d’établir des relations de confiance. » En Corée, on se met minable pour montrer qu’on n’a rien à cacher. Hier soir on a croisé plusieurs groupes de trois à quatre individus bien bourrés, en tenu de bureau. Ici les gens bourrés sont bien sapés. Pas de clodos à déclarer. Seulement quelques vielles femmes qui vendent des grains et des légumes verts sur les trottoirs, à même le sol. Mais elles ne sont pas bourrées.

En Corée, on doit arriver avant son chef et partir après son chef. Ça peut facilement faire du 7h-21h : soit 14 heures par jour, moins une pause déjeuner de 20 minutes. Pas de pause non plus dans la journée, sauf pour les fumeurs. Ou pour aller faire pipi-caca en moins de 5 minutes. Il y a à Séoul beaucoup de publicité pour toutes sortes de laxatifs. Peut-être y a-t-il une relation de cause à effet.

En mode paysage ou en mode portrait, tous ont un gobelet dans leur main gauche et une paille plantée dans leur gobelet. Equipés de la sorte ils peuvent aller au bout de leur vie.

J’ai cadré séré le cadre assis dans la station de métro, pour traduire la pression à laquelle il semblait soumis, au moins dans mon imagination encombrée de préjugés. Ça ne fait pas de moi un grand photographe, je vous prie de m’en excuser. A noter que le coréen ne porte de chemise que sous sa veste. Le reste du temps il est en T-shirt, le plus souvent blanc, comme sa chemise.

Les conditions de travail sont assez flippantes, en particulier pour les femmes. Tout le monde est sur ses gardes et se fait des crasses. Dans les hautes technologies, le staff est renouvelé tous les trois ans. Il est exclusivement composé de moins de trente ans. Là, ça communique à donf. Mais c’est l’exception. Dans les autres domaines, les services restent très cloisonnés. Sauf dans les services clients où l’on se concerte pour satisfaire le client (attention, « je ne suis pas sûr » signifie « je ne sais pas »). En règle générale, s’adresser à un supérieur hiérarchique est un manque de respect. Soumettre une idée nouvelle pour améliorer quoi que ce soit serait compris comme une remise en cause de l’organisation existante et de son supérieur hiérarchique en particulier. L’idée est de se soumettre à l’idéologie, pas de soumettre des idées.

Tout les membres d’un même service déjeunent ensemble dans un restaurant. Le chef de service utilise une carte d’entreprise pour régler l’addition. C’est lui qui choisit le menu, le même pour tout le monde. Si le chef a du cholestérol, tout le service a du cholestérol. C’est une façon de marquer son engagement. Après mangé on passe au café pour acheter une boisson à emporter qu’on consomme devant son écran d’ordinateur.

Coréens et Coréennes vont à la salle de sport tous les jours ouvrés pour tenir le coup. En sortant, ils achètent une soupe et des sushis, mangent et s’effondrent. Le weekend ils voient rarement leurs amis car ils dorment pour récupérer.

Les amis de lycée sont souvent les véritables amis (à partir de la fac les gens se rencontrent uniquement pour boire). Celui qui a une voiture accompagne les autres au marché. Ils se retrouvent pour acheter en gros afin d’obtenir des réductions. Ce weekend, c’est exceptionnel, le chauffeur attitré du petit groupe que nous avons constitué pour les besoins de la narration, n’est pas libre : une ancienne chef l’a invité à la dernière minute à son mariage parce qu’elle avait un déficit d’invités de son côté, à cause d’un typhon qui a empêché la province de se déplacer. Ça serait une honte pour sa famille d’être sous-représentée à son mariage. Il arrive qu’on recrute dans la rue quelques minutes avant le début de la cérémonie. On peut aussi louer des figurants. La fête dure une heure, le temps d’écouter un petit discours, d’avaler une soupe et de laisser une enveloppe avec 50 000 WON (40 €). On s’habille comme pour aller au boulot. La signature a lieu un autre jour, avant ou après cette cérémonie.

Le gouvernement a voté une loi qui oblige les employeurs à octroyer deux jours de vacance par mois, mais ils préfèrent payer ces jours aux employés plutôt que de les voir s’absenter. Pour obtenir ces jours il faut faire la demande au moins un mois à l’avance et obtenir l’accord de ses deux supérieurs hiérarchiques.

Seuls les chefs prennent de vraies vacances, ce qui suppose au moins dix ans d’ancienneté.

On ne prend pas de congé de maladie non plus. Au moindre symptôme de grippe (environ une fois par mois, après le pâté de pangolin de gyemo ou le farci de chauve-souris d’eomma) les coréens vont chez le médecin se faire faire une injection, a priori un vaccin ou des vitamines ou un placébo (c’est vous qui voyez). De toutes façons, la consultation ne coûte que trois euros.

Les parents travaillant toute l’année, il n’y a pas de vacance scolaire.

Les enfants sont libres de se comporter comme ils veulent. Les professeurs n’ont pas leur mot à dire, ils peuvent se faire virer sur la simple plainte d’un élève. Contrairement à ce qui est raconté, les parents (surtout quand ils travaillent tous les deux) témoignent assez peu d’affection à leurs enfants qui, frustrés, deviennent insupportables et sont prêt à toutes les délations contre un peu de considération. Les parents ne sanctionnent pas leurs débordements car ils ne sauraient y répondre autrement que par la violence et l’insulte. La délation fait indirectement partie de l’éducation, ce qui garantit la stabilité de cette démocratie participative si chère aux pays où le soleil se lève avant partout ailleurs.

Les salaires sont maigres. Les étrangers sont payés trois fois plus que les coréens (on leur paie aussi la caution de leur logement, soit un an de loyer environ).

Les filles ne font pas le service militaire. À la sortie de la fac, elles doivent immédiatement trouver un boulot, le moindre trou dans le CV est très mal perçu. 이력서에 구멍이 나지 않을 것입니다 ou « ilyeogseoe gumeong-i naji anh-eul geos-ibnida » si vous préférez, est une expression qui signifie « ça ne va pas te faire un trou dans le CV :

Il n’existe pas de mouvement dissident comme au Japon où, à niveau de vie égale, les salaires sont 3 fois plus élevés qu’en Corée. Ce niveau de salaire permet à plus en plus de jeunes Japonais de se focaliser sur les petits boulots, quitte à abandonner leurs études, et de travailler un an sur deux ; une façon de contourner le problème des vacances impossibles à prendre. Je serai le dernier à leur jeter la pierre, j’ai personnellement pris ma retraite entre vingt et trente ans (attention, les enfants, ne faites pas ça, c’est dangereux pour la société !)

Pour autant, Séoul n’est pas seulement une grosse bête administrative. elle grouille d’activité. De nombreux métiers sont exercés avec bonheur et conviction.

D’abord les métiers qu’on retrouve dans toutes les capitales du monde ou presque :

Ensuite, les métiers de bouche :

Et les commerces d’alimentation :

Les vendeurs de fringues, bien sûr.

Remarquez que les deux chaussures d’une même pair sont exposées chez le chausseur (nouvelle preuve que le vol n’appartient pas à la culture coréenne) :

Les logisticiens :

Les vendeur de rêve ne sont pas en reste.

Les maisons secondaires sont des tentes qui se louent à l’heure. Attention toutefois, les loueurs ne sont pas responsables si vous fermez les ouvertures de votre tente, car vous êtes alors passible d’une amende. C’est pour votre sécurité, les autorités séouliennes ne voudraient pas que vous soyez victime d’un orgasme ou d’une perte de matière séminale. Astuce : évitez de consommer du ginseng si vous avez prévu de passer l’après-midi au bord du fleuve, sous la tente, avec votre meilleure amie. Par contre, vous avez le droit de cuisiner.

Il y a à Séoul, un quartier entièrement composé d’ateliers à clairevoie où travaillent les artisans ferronniers. Ça sent l’acier chaud, la limaille et la graisse antirouille :

Comme vous le constatez, ce n’est pas les métiers qui manquent, même si la ville est assez calme et ne fourmille pas d’activité.

Et j’ai trié, trié-é…

Nos propriétaires sont charmants. Ils ont l’habitude de rencontrer des étrangers. Ils ont passé une bonne demi-heure à nous initier à l’art du tri. Oubliez le thé, la méditation et le kungfu, recentrez-vous sur la voie du tri.

Les coréens sont les champions du tri. Papier, Verre, Cannettes, bouteilles et barquettes en plastique, vinyle, Matières organiques (l’odeur est insupportable, on vide le sac dans des cuves hermétiques dont le couvercle s’ouvre et se referme avec un badge). 1000 € d’amende aux contrevenants (il y a des caméras partout et le coréen a la dénonciation facile). Les « Autres déchets » (c’est à dire tout ce qui n’est pas trié) est stocké dans des sacs spéciaux qui coûtent les yeux de la tête. Les proprios nous en on laissé une dizaine. Il faut les acheter à la caisse du supermarché du coin. Peut-être demandent-ils un justificatif de domicile car ils sont identifiables par quartier, pour pouvoir localiser les tricheurs (le contenu des sacs est régulièrement contrôlé pour vérifier qu’ils ne contiennent rien de recyclable). Comme ces sacs coûtent une blinde, j’en conclu que c’est l’équivalent d’une sorte de taxe d’habitation.

Les passionnés de recyclage peuvent cliquer ici.

Les coréens ont un rapport au déchet particulier. Il paraît qu’il ne faut pas se moucher en public car ça signifie qu’on est sale, il vaut mieux renifler. On nous a aussi expliqué qu’on ne met pas de papier dans les toilettes car elles ne sont pas conçues pour ça. Il est vrai que j’ai dû utiliser la ventouse au bout de deux jours. Mais alors comment fait-on ?

Le propriétaire nous affirme qu’il n’utilise que deux sacs par semaine (ceux qui coûtent les yeux de la tête). J’en conclue a posteriori qu’il garde ses papiers pleins de caca pendant 3,5 jours. À moins qu’il ne les classe dans les matières organiques ; mais ça voudrait dire que le papier est biodégradable. Ce qui n’est pas certain, car à l’intérieur du rouleau en carton autour duquel est enroulé le papier, il est écrit « For your smile ». Je ne sais pas trop comment interpréter cette information et j’ai un peu honte de poser la question au proprio. En attendant d’en apprendre davantage, solution zéro papier, puisque les toilettes sont dans la salle de bain à portée de douche. Mais il faut aller aux toilettes à poil, ils ne sont pas encore équipés de toilettes japonaises, sauf dans certains endroits branchés. Il faut réapprendre à faire caca.

Idées de cadeaux

Idées de cadeaux souvenirs

  • Un éventail en papier avec de jolis motifs
  • Des pinces à linge au look hightech
  • Des fourchettes avec deux renflements pour manger plus facilement les pâtes
Notez comment le revêtement du parquet flottant est abimé. C’est pour vos pieds nus la garantie d’une douleur traversante qui laissera durablement dans votre cerveau une zone sécurisée par un ruban rouge et blanc. Le port des tongs est recommandé dès qu’on pose le pied par terre. La pièce la plus sûre est a priori la salle de bain.
  • Des baguettes en métal
  • Des patchs pour traiter les boutons d’acné
  • Un petit ventilateur portable
  • Une ombrelle avec ventilateur à énergie solaire intégré
  • Un parapluie transparent qui descend plus bas que la poignée, pour protéger le visages et le haut du corps des assauts du vent (hors typhons)
  • Un coupe-ongles en forme de monument historique
  • Un teeshirt avec inscrit dessus « J’aime la France »

Le métro de Séoul

J’aimerais être dans la tête d’un touriste japonais ou coréen qui découvre le métro parisien. Il doit avoir la même impression qu’un parisien qui visite les égouts de Paris. Non que les égouts de Paris soient repoussants – ils sont plutôt bien entretenus – mais c’est pour donner une idée de la largeur du fossé culturel (très bien entretenu lui-aussi) qui nous sépare. Dans le métro de Séoul, on peut se restaurer (sur place ou à emporter), acheter du prêt-à-porter, emprunter un livre… L’ascenseur de notre immeuble donnait directement accès à une station de métro. C’est aussi propre que les Galeries Lafayette. Tous les sous-sol de Séoul sont climatisés et tous les quais sont entièrement protégés du chemin de fer par des parois plus ou moins opaques, pour éviter les accidents et les suicides. À Séoul, le suicide est passible d’une amende de 1000 euros, en particulier si votre enfant se suicide dans le fleuve.

Un seul bémol, les gens montent dans le métro sur les côtés et sortent au milieu, par la même porte, en même temps (on n’attend pas que les gens sortent avant de monter) ; résultat, c’est la bousculade aux heures de pointe.

Ces photos et d’autres sont ici

Dans les rames on est rarement tassé. Certaines rames plus directes que d’autres atteignent des vitesses impressionnantes. Ce métro moderne serait en fait très ancien et mal entretenu, à ce qu’il paraît.

Tout se passe sur les quais où vous pouvez acheter du sucré, du salé, consommer sur place ou, si vous préférez, acheter de quoi cuisiner, légumes, etc. Enfin, si vous êtes vraiment déprimé, les possibilités de shopping ne manquent pas.

La sécurité en Corée est totale, le vol inexistant. Il ne viendrait à l’idée de personne de « récupérer » un parapluie abandonné ou un portefeuille tombé du nid. Si vous avez oublié votre sac sur un banc, ça vaut le coup d’y retourner une demi-heure plus tard : il n’aura pas bougé et son contenu sera intact, même s’il est bourré de crèmes hydratantes pour le visage dont le Coréen raffole. Personne ne s’amuse à poser des bombes ici ou là (à part des noisettes). Les jeunes-filles sortent le soir en toute sécurité. Mais si vous êtes un touriste, ne vous avisez pas à accepter un billet d’entrée gratuit à une boîte de nuit, distribué dans la rue. N’imaginez pas que vous allez pouvoir profiter de la conso offerte et vous tirer. On va d’abord vous dire que vous n’aurez droit à la conso gratuite que si vous déposez vos effets au vestiaire. Si vous flairez le traquenard et faites mine de vous barrer on va vous expliquer que non, il faut attendre minuit que votre citrouille soit avancée – autrement dit vous devez servir d’appât. Une nuée de vigiles à deux balles vont vous encercler et tenter de vous intimider, y compris en s’agrippant à vous. Ça peut rapidement tourner au cauchemar.

Je n’ai vu dans le métro qu’un seul clochard (sans-abri, excusez-moi), dans une station très touristique. Il était propre sur lui . Il collectionnais des cartons soigneusement pliés et empilés. Je ne serais pas surpris qu’il fût salarié de la station.

Il est très facile de se repérer dans le métro. Il existe des applications mobiles très bien faites. Rues, métros, les indications sont très compréhensibles. Vous pouvez aussi demander aux passants, sur un malentendu, en vous aidant d’une application de traduction. Il y a du ouifi dans tous les bâtiments accessibles au public, métro, commerçants, musées, etc. Vous n’avez pas besoin d’acheter le forfait de la mort et la carte SIM qui parle quatre langues.

Il y a deux sortes de coréens. Le premier est prêt à faire plusieurs relevés GPS pour localiser la laverie la plus proche et vous y conduire. Il vous expliquera le cas échéant le fonctionnement de l’appareil et sera prêt à vous donner sa chemise – ou à vous la céder à un prix dérisoire – si vous avez oublié la vôtre dans le bac à linge sale et que vous n’avez rien à laver. Le second type de coréen ne se connecte pas – allo la terre, je suis un être humain comme toi. Et si vous tentez le forcing, il vous présentera un visage aussi impassible que sa paume, assorti si nécessaire d’un « I don’t speak english » prononcé à la perfection, sans même remuer les lèvres (ils sont équipés d’aérosols de défense très dissuasifs, à base de kimchi).

Enfin, concernant le vol, vous pourriez douter de mes affirmations de jeune chiot idéaliste et me faire remarquer qu’il existe, à l’entrée de nombreux édifices publiques, des consignes à parapluies, numérotées et cadenassées. Je vous répondrais que cela ne prouve qu’une chose : les coréens n’ont pas envie que vous mettiez de l’eau partout, ce qui rendrait les sols dangereusement glissants. Ils vous encouragent donc à utiliser la consigne avec la garantie que vous retrouverez votre parapluie en sortant. Maintenant je vous écoute…

Pourquoi un cadenas, le numéro pourrait suffire ? Vous pourriez oublier votre numéro et récupérer un parapluie qui ressemble au votre. Il faut donc que vous emportiez avec vous le numéro inscrit sur l’étiquette de la clé (que vous ne pourrez retirer que si vous verrouillez le dispositif).
Pourquoi un cadenas, l’étiquette pourrait suffire ? Vous pourriez oublié de remettre en place l’étiquette, ou la faire tomber. Avec le système du cadenas, vous êtes obligé de remettre en place l’étiquette (de la clé) avant de retirer votre parapluie. Ces actes nécessaires et suffisants sont effectués dans un ordre unique sans qu’aucun d’eux ne soit oublié.
Peut-on arriver sans parapluie, verrouiller un ou plusieurs cadenas et repartir avec les clés sans jamais les restituer ? Je me demande pourquoi je discute avec vous ! Dans ce cas, vous serez filmé par les caméras de surveillance et pisté dans tous vos déplacements à travers la ville où vous ne tarderez pas à vous faire accoster par deux policiers en civil, menotter (on vous donnera une étiquette mais pas de clé), questionner complètement nu pendant des heures dans un sous-sol humide, une lampe aveuglante braquée sur le visage. Une nanopuce bioélectronique sera implantée dans votre corps à un endroit indétectable, sous anesthésie générale, et vous vous réveillerez dans un avion pour une destination inconnue, avec un seul rein. Voilà, j’espère avoir été clair. Moralité, ne vous fiez pas aux apparences, ces consignes ont été mises à votre disposition sans intention de vous nuire et elles ne remettent pas en question la probité sincère du peuple coréen. Une preuve de l’éradication du vol en Corée du Sud est disponible ici.

Graphisme

La culture graphique des Coréens est riche. Ils ont bien quelques musées mais le plus souvent c’est à ciel ouvert que l’œil se réjouit.

A commencer par les devantures des commerces et autre établissements à but lucratif. On cultive tour à tour le turbo-design, la sophrologie polychromique, le rustique sophistiqué, le paie-pas-de-mine chic, le kitch dans son jus, l’hyperréalisme surnaturel, le bobo authentique, toujours avec engagement et sens du désastre :

Certains quartiers sont plus que d’autres envahis par la fresque murale qui, à Séoul, est une véritable institution avec ses professionnels et ses permis de décorer :

L’art bien sûr, avec ses détails juste saisis qui vont à l’essentiel, le sens de la couleur au plafond des palais, l’artification d’objets corporels. Appréciez le sens inconscient du rythme et de la composition qui traverse les cinq passagers à la vitesse d’un bulot au galop :

A Séoul, on aime jouer avec les superpositions, comme avec des calques de DAO :

Depuis des siècles, la spiritualité imprime son fenouil sur le bord des lavabos (c’est une métaphore ésotérique, bien sûr). Notez comment le mime inscrit dans des cercles concentriques, tente de vous hypnotiser en conjuguant l’art du masque et la représentation vivante du taijitu. Notez également comment le rythme des prières est rendu visuellement dans l’allée qui mène jusqu’au temple :

Le signifiant lui-même (langage écrit) peut être le point de départ d’une œuvre graphique. Ci-dessous le mot yesu (Jésus, prononcé [yé-sou]) interprété de trente-trois façons différentes.

예수

Longtemps le coréen est resté une langue exclusivement orale. Les lettrés lisaient et écrivaient le chinois (idéogrammes) sans le parler. Afin d’éduquer son peuple et d’élargir sa base, le roi Sejong mit au point en 1446, une écriture phonétique géniale, basée sur un alphabet de 28 lettres (le Hangeul). Les rois suivants, qui ne se voyaient pas régner sur un peuple éduqué, en interdirent l’usage. On ressortit le dossier en 1984 pour remplacer le chinois et accélérer l’alphabétisation. L’écriture coréenne a gardé le format du chinois en inscrivant chaque syllabe dans un carré, ce qui lui donne un look sino-japonais, mais il s’agit bien d’un alphabet, pas d’idéogrammes. Longtemps on a conservé des idéogrammes chinois par-ci par-là ; la presse n’en utilise plus mais ça fait chic sur les cartes de visite.

Initiation au christianisme (28% de la population) :

  • Chaque syllabe doit commencer par une consonne. Si le mot commence par une voyelle, on la fait précéder de la consonne neutre « 0 » qu’on ne prononce pas.
  • La première syllabe [yé] de [yé-sou] commence par la consonne neutre « 0 » associée à la voyelle composée [yé], formée d’un trait vertical avec deux picots à gauche, plus un trait vertical simple en parallèle
    (remarque : quand il est tout seul, le trait vertical avec deux picots à gauche est la voyelle [yŏ], avec un o ouvert ; quand il est tout seul, le trait vertical sans picots est la voyelle i)
  • La deuxième syllabe [sou] est composée de la consonne S (en forme de toit) et de la voyelle [ou] (en forme de T)
  • Vous êtes maintenant en mesure d’apprécier ci-dessous le travail de l’artiste.

yesu
[yé-sou]

예수

Jésus

Sculpture

Commençons par la figure humaine. Globalement la religion est en perte de vitesse, seul le protestantisme semble résister. La figure du bouddha (16 % de bouddhistes) a laissé place à des représentations cyniques ou désespérées.
Voici un poème de l’artiste coréenne Soun-gui Kim, installée en France à Viels-Maisons dans le haut de la cuisse :
Le disciple demande :
Où est le Bouddhas ?
Le maître lui répond,
L’eau est dans la bouteille,
Le mickey est chez Disneyland.

La statut des deux hommes qui tentent de se rapprocher (peut-être s’agit-il d’un seul et même homme à la recherche de lui-même) me rappelle une aventure qui m’est arrivée il y a quelques douzaines d’années. J’avais ramassé des petits gris afin que ma mère les mît à dégorger pour en faire bonnes bouchées lutées de beure aillé et persillé. Ils devaient passer la nuit, répartis dans deux seaux de plage en plastique sur chacun desquels j’avais posé une petite planche. Au matin, les escargots du seau le plus rempli s’étaient dispersés après avoir fait basculer leur prison en se regroupant du même côté, en haut de la paroi légèrement inclinée du récipient. Les escargots du seau le moins rempli avaient adopté la même stratégie mais n’avaient pas la masse totale nécessaire pour faire basculer leur seau.

Le monde animal aussi est bien représenté, une fois sur deux anthropocentré :

L’arbre, symbole de vie, de générosité, d’abondance, de justice, de protection, de spiritualité, de pâte à papier, de déforestation, de bilan carbone, de fin du monde :

De l’animisme au totémisme : la plupart des familles sont passées à des religions sérieuses mais de nombreux hôtels dédiés aux ancêtres clignotent en haut du buffet de la salle à manger.

Ci-dessous, la forme apaisante du cercle fait passer le gigantisme de certaines structures : cercle reconstitué à partir d’un quart de cercle et de miroirs, demi-cercle dit du taureau lunatique, spirale géante, lasers aquatiques.

Animalité

L’animal est partout et nulle part, traqué, poussé vers la fable, relégué dans le fabuleux. Mais la machine pensante a beau faire, l’homme reste l’être prévisible, l’animal détraqué, le triste singe tueur qu’il a toujours été. Les seuls animaux en liberté de Séoul sont quelques écureuils discrets, sombres et farouches, et des cigales grosses comme le poing dont les cymbalisations mettent la ville en miettes.

Les animaux familiers sont un luxe que ne peuvent s’offrir que les CSP+. En quatre semaines, j’ai vu un chat dans un parc et deux chiens en laisse. Comme le chat, le tigre reste un félin à deux dimensions. Il est volontiers associé aux grandes entreprises humaines. Si à quarante ans tu n’as pas gratté un tigre entre les deux oreilles, tu as raté ta vie.

Son compère le dragon est encore moins bien loti, réduit à l’état de constellation dans des firmaments de seconde zone, tuant le temps à faire des 69 sans queue ni tête dans les dépotoirs de la mythologie. Parfois on le torture en le lançant sur les eaux abhorrées, le corps cruellement emprisonné dans des caisses de bois flottantes. Ou bien, muselé, humilié, il fait office d’accoudoir de réception, quand ce n’est pas de cendrier. Enfin, suspendu à des chaînes, on le tire, tel un vulgaire bovin, afin que son mufle vienne heurter l’or des gongs.

La paire d’oiseaux, principal descendant du dragon, a peu ou proue les mêmes fonctions. Grâce à un carma allégé, elle participe davantage à la décoration domestique (éventails, meubles, paravents…) Mais on aimerait l’entendre plus souvent chanter :

Enfin, si vous avez un besoin animal de communication, si l’empathie avec le monde mystérieux et grouillant de nos amies les bêtes vous manque, alors allez faire un tour à l’aquarium. Vous y ferez la connaissance de poissons très haut de gamme :

Nos amies les plantes

Habitat et verdure se côtoient mais ne cohabitent pas : les frontières sont assez nettes. Il existe quelques coulées vertes qu’on protège contre le piétinement. Des essais très amateurs, voire désespérés, sont faits pour introduire ça et là une vie végétative souvent précaire et décevante.

On peut avoir de belles surprises dans certains quartiers plus aérés. On se rapproche alors des peintures exposées dans les musées :

En Corée, on aime bien les tiges qui sortent de l’eau. C’est comme ça. Si en plus il y a des lentilles d’eau, alors on touche au sublime. L’astuce consiste à masquer complètement la surface. L’eau ne doit servir qu’à constituer une aire parfaitement plane sous le tapi végétal, c’est la géométrie parfaite de l’esprit sous l’interface éphémère du cycle de la vie, d’où jaillit parfois le miracle prudent d’une corolle :

L’eau et son écrin minéral fascinent les peintres jadis prompt à élever le débat. On aime les pentes et leurs sommets, les refuges et la vie qui s’accroche :

Et les fruits dans tout ça ? Ces branches chargées de prunes sont vraiment appétissantes. Pas sûr que ce soit des prunes. Je ne vais pas prendre le risque d’y laisser un intestin grêle. Je n’en ai pas de rechange.

En Orient le navet est une racine noble qui a meilleur réputation qu’en Occident. En Asie, on n’a pas peur de mettre les racines à l’honneur. Personnellement j’adore le navet, c’est sucré, ça se cuisine de plusieurs façons… Non, je ne suis pas surpris de le voir en Guest star sur le ventre d’une porcelaine chinoise.

Quant à cette noisette, je ne sais pas comment elle s’est retrouvée sur cette rembarde. Ça ressemble à une noisette piégée, on est d’accord ? Pas touche. Je m’éloigne lentement sans faire de gestes brusques, pour ne pas attirer l’attention. Il ne faut jamais montrer à une noisette qu’on a peur. Je ne vais pas prendre le risque de me retrouver enfermé dans une coque jusqu’à la fin de l’éternité, en compagnie de touristes occidentaux coupables de n’avoir pas eu le sens de la propriété aussi affuté que l’exige la culture coréenne.

Gastronomie

Que deviennent nos amies les plantes et nos ennemis les bêtes lorsqu’elles prennent le chemin de nos assiettes ? Niveau culinaire, la Corée n’est pas à la hauteur de la Chine. C’est dit un peu violemment mais la Chine a plusieurs siècles d’expérience.

En toute circonstance, le pire s’associe souvent au meilleur. Se méfier des dégustations servies dans un cadre d’exception (généralement à même le sol). Se méfier également des préparations traditionnelles comme le poulet noir (pas de photo) et autres élixires de longue vie.

L’arnaque du XXIe siècle après J.-C. : pour 18 000 WON (13,5 €), une boule de glace sans goût sur un lit de glace pillée mixée avec du lait, un breuvage tiède et acidulé vaguement écœurant et une galette de riz soufflé archi-sèche de la duchesse de Senlaidois.

Je n’ai pas la photo de la poule-soie à chaire noire cuisinée au ginseng dans son jus d’os, accompagnée de son alcool de gésier. Les Coréens restent des commerçants qui flairent le pigeon. Renoncez si le menu n’est pas en anglais ; et ne prendre qu’un plat pour trois, ne serait-ce que pour goûter. Globalement, ils dépendent trop des importations pour être à cheval sur la qualité.

Ci-dessous, une parenthèse japonaise avec une demi-heure d’attente pour deux bouts de lard, un œuf au plat et une tourista force 9 sur l’échelle de Bristol, qui m’a détruit une partie du colon.

La restauration participative sous la hotte aspirante (barbecue) reste notre meilleure expérience de gastronomie coréenne. Pour 18€ par personne, super viande, pomme de terre, champignon, riz, trois sortes de salades dont deux assaisonnées, quatre condiments, un crabe, des bavoirs pour protéger nos habits, des serviettes, des toilettes paradisiaques (est-ce qu’on fait encore caca au paradis ?)

Nous avons dû passer par plusieurs restaurants qui nous ont servi de la viande de médiocre qualité avant de trouver cette adresse (bouche-à-oreille).

Nous sommes aussi souvent allés dans un restaurant végétarien américain où nous nous sommes régalés. Nourriture fraîche, équilibrée, inventive, goûteuse, bon marché, des déserts amusants et variés. Ne rêvez pas, vous ne trouverez pas une nourriture de cette qualité à New York.

C’est encore la cuisine familiale qui remporte la palme. Vous allez vite remarquer que tout s’achète en gros. Les bouteilles d’eau minérale font 2 litres. Les rouleaux de PQ sont vendus sous blister de 80. Inutile de chercher la solution de dépannage, il faut stocker.

Attention toutefois en faisant votre marché. Le raisin blanc ou noir ainsi que ses jus ont le goût d’une variété que j’ai goûté dans des vignes retournées à l’état sauvage de l’arrière-pays niçois. Cette variété est interdite à la commercialisation (vinification et raisin de table) car elle contient une toxine qui attaque le système nerveux. Dans le doute, nous avons blacklisté le raisin (y compris le raisin blanc). Peu ou pas de fruits locaux. Seulement des copies de fruits occidentaux, pommes et pêches grosses comme des melons. Ça fait peur. Les bananes australiennes sont ce qu’on peut trouver de plus rassurant.
Les produits frais sont un vrai problème. Tout est sous cellophane ou blister (heureusement qu’ils recyclent le plastique). La Corée établit des partenariats avec le Vietnam qui est toujours pollué par le Produit Orange.
Au supermarché, un démonstrateur cuisine des champignons (il y en a de toutes sortes) qu’il fait goûter aux chalands qui repartent volontiers avec une barquette. Il est souvent moins onéreux d’acheter des plats tout préparés plutôt que de faire la cuisine soi-même.
J’ai adoré leurs jus de céréales : beaucoup plus de goût et de variétés qu’en France.

Sur les marchés et dans les zones très commerçantes, il y a à manger pour tous les goûts, beaucoup de cuisine de rue, de fritures, de fait-sous-vos-yeux, de prêt-à-manger. La street food est très appétissante. Nous n’avons pas voulu prendre de risque rapport aux allergies alimentaires mais c’est a priori la bonne direction quand on a la santé. Il y en a pour tous les goûts, sur les marchés et au milieu des grandes rues commerçantes :

La question du rejet des eaux radioactives de Fukushima dans le pacifique angoisse les Coréens qui comptent beaucoup sur la pêche pour se nourrir.

Après, il est encore possible d’approfondir. Diverses aquariums aux contenus repoussants attireront probablement votre attention. Mais non, vous n’êtes pas au grand aquarium de Séoul. Ne confondez pas gastronomie aquatique et biologie sous-marine :

Par contre, la street food se mange avec les mains. Vous pouvez, en fin de repas, faire un saut à l’aquarium de Séoul où un rince-doigts géant est mis à disposition de la clientèle. Une kirielle de petits poissons très compétents vous débarrasseront de toutes vos salissures, peaux mortes, envies et autres cuticules.

Le couple

Entre l’enfance et le célibat, la fenêtre de l’amour n’est pas toujours côté jardin. La femme a encore du mal à se faire une place dans les aristocraties du travail et de l’intime. Nous ne pouvons qu’observer le monde en se disant qu’il nous ressemble, mais tous ces couples sont plutôt rassurants, même si durant quatre semaines, je n’ai pas vu une seule femme enceinte (0,92 enfant par femme en 2019) :

Le quotidien

Sans entrer dans les grandes manœuvres, certaines interfaces, certains gestes, certains détails balisent le quotidien.

À tous les feux de signalisation, il y a un bouton pour faire passer le feu au rouge. Une voix féminine – les voix off sont toujours féminines – te dit sans doute que tu peux y aller. Au début je ne comprenais pas pourquoi personne n’utilisait ce bouton pourtant bien pratique. Alors je me dévouais avec un cœur gros comme ça et tout le monde en profitait pour traverser. Je me suis dit que, pour un homme invisible, j’étais bien sympa d’améliorer le bienêtre de ce pays en pleine expansion.

J’ai vite compris que ce bouton était réservé aux aveugles. C’est la voix féminine qui m’a mis la puce à l’oreille. Je l’ai entendue me dire comme vous me lisez : « Jeune bienvoyant de mes fesses, l’usage de ce bouton est réservé aux aveugles et malvoyants, votre abus sera puni. » L’amour-propre en prend un petit coup, voire on se sent carrément con. Comme il est malséant de toucher un inconnu, on ne peut pas aider les aveugles à traverser. C’est pourquoi ils doivent pouvoir se débrouiller seuls.

Toujours à proximité des feux, des parasols urbains permettent aux piétons de se mettre à l’abri du soleil en attendant que le petit bonhomme passe au vert. Contrairement à ce que la photo pourrait laisser penser, on croise assez peu de salary men et pas mal de couples amoureux (pas seulement des paires de vieilles sœurs célibataires qui se tiennent par la main, comme sur la photo). Les femmes sont souvent surmaquillées (notez la publicité sur écran géant) et leur visage brille comme une porcelaine un peu irréelle.

L’exposition au soleil peut affecter les propriétés organoleptiques du masque recyclable et comestible qui se met à glisser sur le visage pour venir pendre sous le menton comme des fanons de zébu. Il ne reste plus alors qu’à l’arracher et à le jeter aux canards qui en sont très friands. Les femmes évitent donc le soleil et l’extériorisation intempestive de leurs contrariétés, afin qu’aucune ride ne trouve prise sur le rivage du pays où il faut trier ou être trié. Le peuple a tellement peur des rides qu’il n’ose pas se plaindre.

A l’entrée de tous les temples et de tous les palais, deux grands guerriers sont peints sur les portes de bois. Ils protègent les lieux, il ne faut pas leur marcher sur les pieds. Les conservateurs ont jugé cette protection insuffisante et ont équipé ces gardiens de deux extincteurs. On retrouve ces paires d’extincteurs au pied de chaque édifice en bois (tous les temples et palais sont construits en bois). Heureusement, il y a très peu de fumeurs en Corée.

Les cabines d’ascenseur sont de véritables cockpits. Elles sont vastes et les boutons d’étages sont accessibles de chaque côté des portes ainsi qu’au fond sur l’un des côtés de l’habitacle. Cela permet à chacun de programmer son étage sans devoir épiler l’aisselle de son voisin. Bien sûr, compte tenu du grand nombre d’étages, chaque ascenseur ne dessert qu’un demi-immeuble. Les ascenseurs incompatibles ne se prennent pas au même endroit, ce qui permet aux gens de moins se mélanger. Dans les ascenseurs, on ne dit ni bonjour ni au revoir. Les coréens ne mettent pas non plus la main devant leur bouche quand ils toussent. Peut-être portent-ils tous des masques quand les virus arrivent. Notez en haut du panneau gauche de la porte, l’interdiction de se suicider. Le respect des règles est tel qu’un grand dépressif peut renoncer au suicide à la vue d’un simple pictogramme.

Les coréens ont peur de deux choses : perdre leur clés et être victime d’un dégât des eaux. Pour limiter les risques, ils installent leurs lave-linge sur le balcon et ils ont équipé leurs portes de serrures à code. Lorsque les proprios me demandent comment nous faisons lorsque nous perdons nos clés, j’explique qu’il faut fracturer la porte avec une hache. Leurs visages se décomposent (et dieu sait si un visage asiatique ne se décompose pas facilement).

Si j’en rajoute un peu, c’est pour conforter nos hôtes dans leur art de vivre. Je ne vais pas leur dire que plusieurs personnes possèdent généralement un exemplaire de la clé. En vérité, le principe du code est idéal pour les marchands de sommeil qui programment à l’avance la quincaillerie avec votre numéro de téléphone. Ils peuvent parfois le faire à distance. Vous arrivez et repartez quand vous voulez. Passé une certaine heure d’un certain jour, vous ne pouvez plus entrer dans l’appartement car le code a changé. Au suivant !

Les fenêtres à double vitrage sont équipées de panneaux à moustiquaire coulissants intégrés. Au 26e étage, en un mois, j’ai tué trois moustiques (ils montent par les ascenseurs). Si vous habitez dans un petit immeuble, vous parviendrez à en tuer une dizaine avant d’éteindre la lumière. Il vaut mieux dormir avec des boules Quies pour ne pas les entendre.

Les balcons sont souvent de vrais dépotoirs et le moustique peut se reproduire dans votre lave-linge entre deux lessives. Perso, je ne voyage jamais sans ma moustiquaire et ma bobine de fil de fer. Je tends deux fils de fer à travers la pièce auxquels je suspends ma moustiquaire en forme de parallélépipède rectangle.

La salle de bain est une douche dans laquelle sont installés une baignoire, un chiotte et un lavabo. Une évacuation dans le sol en pente permet de prendre sa douche devant le lavabo si ça vous chante. Facile pour se rincer les pieds et garder un sol toujours propre. Les claquettes antidérapantes sont fournies par les proprios.

Ne soyez pas surpris en sortant de la douche, si une Coréenne vous adresse la parole. Quand un typhon passe sur la ville, une voix féminine donne des informations ou des conseils par un hautparleur fixé au plafond de l’appartement. Je n’ai pas trouvé de spy cam dans l’appartement mais on peut faire confiance à Samsung.

Enfin, j’ai été étonné qu’au pays de la 5G il y ait encore des cabines téléphoniques. Il faut sans doute imputer leur présence à la croissance très rapide de ce petit pays dont l’alphabétisation n’a sérieusement commencé avec le hangul que dans les années 70 (alphabétisation de 22% en 1945).

Les progrès technologique sont tellement rapides qu’on n’a pas le temps de démonter les structures obsolètes. Pour la même raison, une partie de la population n’a pas le temps de s’adapter aux nouveautés et a encore l’usage des anciens services.

Il y a du ouifi dans tous les bâtiments accessibles au public, métro, commerçants, musées… Vous n’avez pas besoin d’acheter le forfait data et la carte SIM bilingue. Vous pouvez continuer à vivre tranquillement en coupant vos données mobiles.

A côté de ça, le déploiement du réseau semble assez sauvage.

Notez la présence d’une boutique PARIS BAGUETTE, la franchise dont le réseau a pris la tour Eifel comme symbole (la plus haute antenne de Paris). Je ne sais pas si les Coréens comprennent cette notion de baguette à la française. Quelqu’un a dû leur expliquer que la baguette se mange avec les doigts et pas avec des baguettes.

Vous n’aurez pas l’usage des cabines téléphoniques mais leur présence est rassurante. Il y en a dans toutes les stations de métro, le long des avenues et dans les endroits les plus inattendus. Vous pouvez faire semblant de téléphoner pour attirer l’attention des passants, ou faire des photos de mode dans les cabines. Certaines, très sophistiquées, vous garantissent une expérience extrasensorielle inoubliable. D’autres ont été transformées en aquariums décoratifs pour le bonheur de yeux des petits et des grands. Ce n’est pas moins réconfortant que de téléphoner à un proche. En Asie on aime les poissons, même s’ils n’ont pas toujours l’air gentils.

Portraits

L’été, les coréennes sont en jean, en short ou en robe légère, les hommes en T-shirt et pantacourt. Tout le monde porte des tennis, quelques tongs à talon chez les femmes. Assez peu de casquettes.

Jadis, seul les hommes étaient portraiturés.

Le roi semble être assis sur une chaise électrique. On dirait que la sangle qui lui passe sous les bras le maintient fermement en place et que des électrodes partent de son royal chapeau. Messieurs les dragons, ça va être à vous : The Green Mile.

L’administrateur veille au grain. Il déploie ses antennes comme deux grandes oreilles. Sa barbiche ultra sensible fait de lui un expert comptable redoutable. On lit et on écrit le chinois dans cette vieille Corée (encore hier). Sur sa poitrine, en signe de stabilité et de prospérité, deux grues font un soixante-neuf, la position emblématique de l’Asie orientale.

De l’esprit des lois aux lois de l’esprit.

Le sage est celui qui remonte aux racines des choses. Son bâton est un arbuste dont la racine pointe vers le ciel, en direction de l’arche moussue sous laquelle il trône en compagnie d’une fleur aussi pâle que son visage. Ses sourcils forment deux longues vibrisses, siège d’un sixième sens.

Les artistes contemporains font beaucoup dans l’autoportrait pour éviter les contentieux. La peintre a introduit son portrait dans une fresque gigantesque (la femme au turban blanc, à gauche).

Il faut attendre la photographie pour que des femmes soient représentées. Par les ethnologues en premier lieu. La deuxième photo est celle d’une commerçante. Sa photo est affichée grandeur nature sur un mur de sa boutique, à l’extérieur. Elle était très flattée que je photographie cette photo (ma seule valeur ajoutée est la touche de verdure). Tous les commerçants de la rue ont participé à l’expérience de ce photographe. Dans un autre genre, beaucoup de photos de femmes costumées.

Le short et la minijupe ont le vent en poupe. Jamais aucun geste, ou exclamation, ou sifflement déplacé :

Les looks sont assez hétéroclites. Vous avez le look caméléon qui se fond dans le décor, le look bureau chic, le look touriste japonais, le baba-look, le look rétro, le look vide-greniers, le look over-sized, le look électro-gothique :

Les femmes portent assez peu de boucles d’oreilles. Ils ont pourtant un système à visse, simple et efficace. Sans transition, il semblerait que les poils poussent plus vite en Corée. Des françaises ont pris l’initiative de ne plus s’épiler malgré les grosses chaleurs.

Et les hommes dans tout ça ? Pas de surprise, chemises et chaussures de ville pour aller bosser, T-shirt, baskets, socquettes pour les étudiants, pantacourt le weekend. Une seule coupe : la nuque rasée et tout-fou sur le dessus.

Sinon, que reste-il dans mon répertoire ? Une touriste américaine qui photographie un chat devant un mémorial et la contre-plongée mélancolique d’une madone se réchauffant les mains :

Deux promeneuses de chiens de luxe:

Une belle-au-bois-dormant dans un fauteuil-lotus et une américaine qui attend à contre-jour dans l’antichambre du restaurant végétarien :

Enfin, deux promeneurs solitaires qui suivent la ligne jaune :

Temples, parcs et palais

C’est le gros morceau, il faut y passer. La bonne surprise est qu’on y rencontre essentiellement des Coréens. Commençons par les temples :

L’entrée des palais est gratuite si vous êtes costumé, une astuce pour animer ces grands espaces vides. Vous regretterez de ne pas avoir de zoom car tout se passe aux plafonds. Notez ce pin, le plus vieux de Corée, qui trône comme un empereur auquel on interdirait de mourir ; pas plus d’information (engrais ? Arrosages ? Pesticides ? Nom de la secte chargée de son entretient ?) :

Le Jardin secret du palais. Visite guidée, pas question de saccager ce joyau d’architecture végétale :

Voici des parcs plus récents où il fait bon glander. Habile alliance de contemporain et de tradition. La coulée verte ne peut être parcourue qu’en empruntant des passerelles en bois ; cela permet de préserver du piétinement la couverture boisée. Au bord du fleuve, le grand parc où vous pouvez louer une tente pour ne pas baiser avec votre coloc (interdiction d’obturer les ouvertures) :

Déco

« La déco est intérieure », n’a pas dit Maurits Cornelis Escher (par contre il a dit « Tout cela n’est rien comparé à ce que je vois dans ma tête ! »). Du gigantisme froid au détail vivant, toujours d’excellentes proportions et de chavirantes propositions. Pour un peu ils vous donneraient l’impression que vous montez un escalier alors que vous le descendez :

Urbanisme

Nous avons commencé par les immeubles, terminons par l’urbanisme. Anarchique ou structuré, commerçant ou résidentiel, voire traditionnel, Séoul est un véritable laboratoire. C’est toutefois dans ses ruelles désertes que j’aime oublier et retrouver Séoul.

Commençons par anarchique versus structuré :

Continuons avec commerçant versus résidentiel, voire traditionnel :

Enfin, quand Séoul ne sera plus qu’un gigantesque parking à gratte-ciel, les ruelles où il fait bon se perdre ne seront plus qu’un souvenir. A moins que les Coréens prennent le temps d’inventer une nouvelle façon de gérer l’espace, par exemple en décentralisant. Ça ne devrait pas poser de problème au maître de la 5G. La cause du travail à distance est loin d’être gagnée quand on se souvient que les employeurs préfèrent payer les jours de congé plutôt que de savoir leurs employés en train de psychoter loin de leur bureau. Il est vrai que pour travailler à distance il faut être logé correctement. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde, compte tenu des bas salaires. Alors, pour les ruelles, qu’est-ce qu’on fait ?

Le musée idéal

Avant de terminer j’aimerais vous présenter quelques œuvres et objets glanés dans les musées de Séoul. Peu d’expos permanentes, les musées sont comme ces grands palais pleins de courants d’air. Alors on s’attache à des trucs sans trop savoir pourquoi.

Classification :

  • Les visages de la femmes (1 à 6)
  • Les visages de l’homme (7 à 11)
  • Les visages de Séoul (12 à 18)
  • Les visages de la vie (19 à 27)
  • Les visages des objets (28 à 32)
  • Les visages des animaux (33 à 37)
  • Les visages des plantes (38 à 41)

Jeu :

Associer aux 41 photos les 41 légendes approximatives suivantes :

  • Alliance
  • Banana spi
  • Bricolage
  • Ça glisse au pays des anges
  • Camélopard
  • Cendrillon 45
  • Cercle fermé
  • C’est à cette heure là qu’on arrive ?
  • Chauffage central
  • Cime loquace
  • Coupe ongles
  • Dites-le avec des gants
  • Double exposition
  • Dragon clochard
  • En vert et contre tous
  • Entassement
  • Go
  • La machine de Sisyphe
  • L’anoure, toujours l’anoures !
  • Le bouclier de papa
  • Le cercle des monts
  • Les dents de la brume
  • Les supporters
  • Les visses dans la peau
  • Myosotis des marais
  • Nature en érection
  • Noire ou blanche ?
  • Nu-pieds
  • Paille à pluie
  • Paille à sons
  • Petits pas tapons
  • Poisson fumée
  • Pom-pom trees
  • Propre sur soie
  • Recyclage
  • Séoul-le-Vieux
  • Sept ans de réflexion
  • Spermatozoïde en difficulté
  • Thé au lotus
  • Un nœud à l’âme
  • Vingt-et-un bols de nouilles

SOLUTION

Le chemin du retour

Pour regagner l’aéroport, pas question de prendre un taxi. Le métro est beaucoup plus efficace. Nous traversons un fleuve, parcourons des étendues marécageuses, et partageons notre voyage avec trois copines de lycée très excitées qui partent en excursion quelque part.

Nous zonons sans conviction dans l’aéroport, à la recherche d’un restaurant. Contre toute attente, nous allons faire notre meilleur repas de toutes ces vacances. Un restaurant vietnamien de quelques tables sert un phô (prononcer [feueu]) à tomber par terre (l’origine de ce mot pourrait être une adaptation de « pot au feu »). Même le kimchi, trempé dans le bouillon, nous semble délicieux !

L’adieu à un pays ne va pas sans son pesant de larmes en plastique recyclé, de bonnes intentions et d’amour indicible :


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